Transition ou Transformation ?

Cette année le monde a basculé. Les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) confortés par les évènements climatiques ont amené progressivement une grande partie des pays de la planète à parler de la nécessité d’une transition écologique. La guerre en Ukraine et la volonté de s’affranchir du pétrole et du gaz russe a provoqué une crise énergétique et une crise alimentaire qui a pour conséquence la relance de l’inflation et la menace de crises sociales. Mais n’est-on pas déjà en retard et ne faut-il pas plutôt parler de transformation écologique ?

Au-delà de certaines limites …

Déjà en 1972 le Club de Rome publiait le rapport Meadows qui appelait le monde à prendre conscience des atteintes infligées à la nature : surexploitation de certaines ressources, dégradation de l’atmosphère des villes, de fleuves, de côtes suite aux naufrages répétés de plusieurs pétroliers géants.

En 1985 il se vérifie que les chlorofluorocarbones attaquent l’ozone stratosphérique. La question des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et de leur impact sur la température de la planète se trouve confirmée en 1989 par les études de la NASA.

Les grandes fonctions régulatrices du milieu naturel se trouvent menacées :

  • Filtration du rayonnement ultraviolet d’origine solaire sans laquelle la vie n’aurait pu se diversifier et s’étendre ;
  • Régulation thermique maintenant la planète dans des limites de températures compatibles avec la pérennité de la vie ;
  • Diversité des formes indispensables à la stabilité du vivant.

La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.

La nature tend à tirer de l’énergie solaire le maximum de biomasse. La biomasse est la matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme une source d’énergie. Elle peut être valorisée de manière thermique, chimique ou biochimique. L’écosystème tend naturellement à optimiser ses stocks, niveau qui correspond à la quantité la plus importante de biomasse qu’il peut porter compte tenu de la quantité d’énergie solaire qu’il reçoit.

Les rythmes d’exploitation des ressources naturelles par les hommes ne respectent pas les temps des cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes.

Nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète. Le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité représente un danger que le développement des sciences et des techniques ne suffira pas à contenir.

Le programme des Nations unis pour l’environnement

Les travaux du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), précisent la nature des problèmes et les perspectives qui en découlent pour l’humanité. L’eau est menacée quantitativement et qualitativement. La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La hausse moyenne des températures mondiales est estimée à 0,7°C pour le siècle passé et 1,8°C pour le siècle en cours alors que certains scientifiques pensent qu’une hausse de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels est un seuil au-delà duquel la menace des dégâts majeurs et irréversibles devient plus plausible. Et les inégalités ne cessent de s’accroitre entre les pays riches et les pays pauvres et à l’intérieur de chaque pays entre les plus riches et les plus pauvres.

La crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie sont interdépendantes. Elles n’incluent pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité et la faim mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale, à la hausse de la consommation des riches et au désespoir des pauvres.

La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale : les délégués sont parvenus à un projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C.

A mesure des réunions des COP de plus en plus de pays prennent des engagements conformes à l’accord de Paris mais peu parviennent à les respecter. La communauté internationale a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) dans son rapport annuel publié le 27 octobre 2022 nous indique que, même si les États respectaient leurs engagements, la planète est sur une trajectoire de réchauffement de 2,5°C à la fin du siècle. Et si rien ne change, l’élévation de la température pourrait même atteindre 2,8°C en 2100. La baisse des émissions de gaz à effet de serre est en augmentation en 2021, la baisse de 2020 liée à la pandémie n’aura été qu’une parenthèse.

La directrice exécutive du PNUE estime que « Le temps des changements progressifs est révolu. Désormais, seule une transformation radicale de nos économies et de nos sociétés peut nous sauver de l’accélération de la catastrophe climatique ». Elle ajoute que « Réformer l’économie mondiale et réduire de près de moitié les émissions de gaz à effet de serre en huit ans est un défi de taille, voire impossible selon certains, mais nous devons essayer » (citée par Audrey Garric -Le Monde du 28 octobre 2022).

Une transformation radicale

Les enjeux de la crise climatique sont considérables. Pour y faire face il est indispensable de :

  • Se mobiliser à tous les niveaux (international, européen, national, local et bien sûr, individuel) pour sortir de la dépendance à l’énergie fossile.
  • Préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
  • S’adapter au réchauffement climatique et à ses conséquences.
  • Anticiper et aider les pays les plus pauvres qui sont les plus exposés à mieux s’y préparer car même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique.

Les tensions mondiales qui se sont multipliées ont accentué et bouleversé des équilibres fragiles dans de nombreux pays. Le monde est entré dans une ère d’incertitudes, mêlant le dérèglement climatique, des transformations de l’énergie et des matériaux laissant présager des bouleversements sociétaux peut-être aussi importants que le passage des sociétés agricoles aux sociétés industrielles.

Le réchauffement climatique, l’extinction de la biodiversité, l’appauvrissement des sols, l’épuisement des ressources minérale obligent à agir simultanément sur tous les fronts. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre il faut développer de façon massive les énergies renouvelables, s’appuyer sur le nucléaire pour assurer la transition, éviter si possible de recourir au charbon ou au gaz de schiste et continuer les recherches pour trouver des solutions alternatives.

Tous les secteurs de la vie économiques vont devoir se transformer profondément. La production industrielle, l’énergie, l’agriculture, les services, les moyens de transport, les modes de construction, les services financiers, les administrations devront se passer des énergies fossiles sur le long terme. Les conséquences au niveau de l’emploi sont difficilement mesurables. Les efforts de formation à déployer sont énormes. Tout cela doit être organisé au niveau des États et coordonné au moins à l’échelle européenne. Faire une confiance aveugle au Marché pour s’adapter à ces mutations ne pourra que nous mener à une succession de crises.

Le coup d’arrêt à l’activité économique dû à la pandémie nous montre que si la décroissance peut réduire le réchauffement climatique elle ne fait qu’aggraver les inégalités. Les innovations technologiques ne nous permettront pas d’échapper à la sobriété. Celle-ci devra être principalement le fait des pays les plus développés et des ménages les plus aisés. Il ne peut y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans une aide financière inédite aux pays les plus pauvres

Il nous faut trouver un chemin qui donne satisfaction à la fois sur la baisse du réchauffement climatique et la baisse des inégalités. La néo libéralisation du monde enclenché depuis les années 1980 n’est pas une réponse. Le dogme néolibéral de la dérèglementation, de la privatisation, de la non intervention de l’État dans le domaine économique, de la réduction des déficits budgétaires, de l’autorégulation des marchés, etc. pousse à la réduction des coûts à tout prix sans prendre en compte la baisse des services que cela entraine inévitablement. L’économie doit être au service des hommes et pas l’inverse. Il nous faut développer tous ce qui concoure au développement de la vie et au bien-être des humains, des animaux et de la nature. Les humains font partie de la nature et ils ont la spécificité d’assumer la responsabilité de la préserver.

La prochaine conférence annuelle des parties d’ONU Climat (COP27) se réunit à Charm el-Cheikh en Égypte le 18 novembre sur la mise en œuvre des mesures climatiques nous fera -t-elle avancer dans cette direction ? Les dirigeants du PNUE pensent que cela sera difficile mais ne perdent pas l’espoir d’y parvenir cette année ou les suivantes. Quant à nous, citoyens du monde, nous souhaitons que nos dirigeants auront la sagesse de ne pas attendre que le chaos se généralise pour agir.

Quelles réactions face au réchauffement climatique ?

Depuis quelque temps la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et de l’humanité. Pas un jour ne passe sans qu’un journal, une émission de radio ou de télévision, la publication d’un livre n’aborde ce thème sous différents angles. Ces documents  nous donnent différents points de vue sur l’avenir de la planète et nous permettent d’essayer d’y voir un peu plus clair.

Face à une évolution qui s’accélère, décrite par les scientifiques avec un assez large consensus, quelles sont les réactions ? Cela s’échelonne du déni pur et simple au catastrophisme apocalyptique sur le changement climatique. Sans être exhaustif, citons quelques exemples.

Le déni
Certains n’hésitent pas à placer l’absence de certitudes scientifiques au centre du débat sur le changement climatique. La stratégie du doute a largement fonctionné. Le climatoscepticisme même s’il recule dans les médias et dans l’opinion reste encore bien présent. Les grandes compagnies pétrolières informées de la réalité du changement climatique ont continué à investir dans de nouveaux gisements et même ont financé des campagnes de désinformation sur le climat. Les institutions financières continuent d’investir massivement dans les énergies fossiles, dont elles tirent des profits bien plus élevés que ceux que pourraient leur procurer les énergies renouvelables.

Le fondamentalisme écologique

A l’opposé des climatosceptiques, le fondamentalisme écologique que certains décrivent comme empreint de misanthropie, associant les êtres humains à des agents pathogènes. L’idéologie écologiste voyant dans la Terre une vierge ingénue que la rapacité humaine aurait souillée. Pour les collapsologues la fin de notre monde est proche. La probabilité de voir le système Terre basculer dans un état inconnu est plus élevée que celle de tout autre scénario prospectif. Cette trajectoire chaotique du système Terre conduit les sociétés humaines vers un effondrement systémique global.
Selon l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet, il n’y aura qu’une « moitié survivante de l’humanité dans les années 2040 » (Libération, 23 août 2017). L’auteur et conférencier Pablo Servigne invite à se « réensauvager », pour « renouer avec nos racines profondes », nos « symboles primitifs ».
Comment faire émerger un autre monde possible à partir de celui-ci ? Leurs propositions :
• La première piste est à rechercher du côté de la permaculture en tant que vision du monde et science pragmatique des sols et des paysages, rejeter les leurres de la croissance verte afin de revenir à une juste mesure en réduisant considérablement notre empreinte sur le monde.
• Une deuxième piste d’action, un changement général d’échelle et une politique de décroissance. La dynamique bio régionale stimulera le passage d’un système hyper efficient et centralisé à une organisation forgée par la diminution des besoins de mobilité, la coopération, le ralentissement. Cette organisation sera composée d’une multitude de dispositifs et de sources d’énergie.
• La troisième voie est celle d’un imaginaire social libéré des illusions de la croissance verte, du productivisme et de la vitesse, actionnées par les entreprises transnationales. La ville connectée, emblème d’une techno-euphorie totalement hors-sol, laissera la place à des bourgs et des quartiers « hors réseau » auto producteurs d’énergie. Le nombre de véhicules sera réduit au strict minimum, les flottes seront administrées par les communes, tandis que les champs redessinés en polyculture pourront être traversés à pied.

Le new deal vert

Jérémy RIFKIN est le célèbre prospectiviste américain, auteur du livre publié aux éditions Les Liens qui Libèrent, « la troisième révolution industrielle ». Celle-ci est la conséquence de l’informatisation de la société. RIFKIN préconise un New Deal Vert destiné à métamorphoser les fondements de l’économie et de la société du XXIème siècle et un changement radical du système capitaliste. Dans ce nouveau système économique, la propriété cède le pas à l’accès, les marchés sont remplacés par les réseaux, ce qui donne lieu à un nouveau phénomène l’économie collaborative. Les énergies fossiles sont remplacées par les énergies renouvelables. Le basculement vers l’internet des objets et la troisième révolution industrielle augmenteront l’efficacité énergétique cumulée à 60% ou plus dans les vingt années qui viennent. A terme l’on passera vers une société d’énergie renouvelable et sans carbone à près de 100%.
On imagine sans peine l’énorme bouleversement économique social et politique auquel il faudra faire face.

Peut-on échapper à la décroissance ?

Jean-Marc JANCOVICI, ingénieur français, polytechnicien, enseignant, conférencier et chroniqueur est un spécialiste de l’énergie et du climat. L’énergie c’est ce qui permet au monde moderne d’exister. Il faut se libérer des énergies fossiles qui sont à l’origine du changement climatique. 75% de l’approvisionnement en énergie est fossile. Les énergies renouvelables ne suffiront pas à remplacer les énergies fossiles. Pour lui vouloir réduire le nucléaire est une erreur. Si l’on veut réduire le réchauffement sous les 2°C il faut que les émissions de CO2 baissent de 4% donc réduire l’utilisation du pétrole, du gaz et du charbon. Le pilier de la transition énergétique c’est faire des économies d’énergie donc se mettre au régime, un gros régime pour tout le monde les pauvres comme les riches.

Une critique des collapsologues                                 

Avec leurs prévisions apocalyptiques, les collapsologues ravalent le politique à un mode religieux estime Christophe RAMAUX, membre des économistes atterrés. Pour lui l’écologie mérite mieux que la régression des nouveaux prophètes de l’apocalypse. Elle invite à changer de monde. Mais la prendre au sérieux suppose d’affronter certaines questions. Le capitalisme est par construction productiviste. L’écologie suppose de faire décroître les activités polluantes. Faut-il aller au-delà et prôner une décroissance globale ?

Le réchauffement climatique dépend de quatre variables :

  • la population ;
  • la croissance du produit intérieur brut (PIB) ;
  • l’intensité énergétique du PIB (le ratio énergie/PIB) ;
  • l’intensité carbone de l’énergie (le ratio gaz à effet de serre/énergie).

Le GIEC table surtout sur les deux dernières variables. Car miser sur la réduction de la croissance annihilerait le développement des pays les moins avancés. Ici même, le soulèvement des « gilets jaunes » atteste l’étendue des besoins insatisfaits : fins de mois difficiles, mal-logement, santé, éducation, etc. L’écologie elle-même exige un surcroît de croissance : rénovation du bâti ; transports collectifs, passage à une agriculture (vraiment) raisonnée ou bio (car un kilo de carottes bio plutôt qu’industrielles accroît le PIB en volume, puisque celui-ci intègre le surcroît de qualité), etc.

Le découplage relatif – augmentation des gaz à effet de serre (GES) inférieure à celle du PIB – a déjà commencé à l’échelle mondiale. Le nécessaire découplage absolu – baisse des émissions de GES en dépit de la hausse du PIB – n’est pas hors d’atteinte.

La réduction de la consommation d’énergie suppose de rompre avec l’austérité budgétaire pour réaliser les investissements nécessaires, mais également avec le libre-échange, son transport échevelé de marchandises et son dumping environnemental.

La réduction de l’intensité carbone de l’énergie implique, de son côté, d’abandonner les énergies fossiles au profit d’une énergie électrique décarbonée. La France est bien située sur ce plan, grâce au nucléaire. Les énergies renouvelables sont à encourager. Mais gare aux leurres. Tant que le stockage de l’électricité n’est pas résolu (il ne l’est pas pour l’heure), l’éolien et le photovoltaïque supposent des compléments, ce qui les rend d’ailleurs coûteux. Il serait évidemment préférable de se passer du nucléaire à long terme. Mais pour limiter le réchauffement, pour le portefeuille de l’usager ainsi que pour sa politique industrielle, la France ne doit pas en sortir précipitamment.

Et pour conclure Christophe RAMAUX rappelle que l’histoire fourmille de promesses d’émancipation abîmées par le dogmatisme. Puisse l’écologie y échapper.

La situation est sérieuse mais pas désespérée

C’est ainsi que l’on pourrait résumer la position de Sylvie BRUNEL. Elle est géographe, écrivaine et professeure à l’université Paris- Sorbonne, spécialiste des questions de développement. Elle estime que Non, nous ne courons pas à la catastrophe : certes, les atteintes à la planète sont importantes, mais nous avons désormais les moyens de la réparer. Il n’est aucune irréversibilité. C’est l’innovation et la coopération qui permettent d’inventer les techniques d’atténuation visant à découpler la relation entre consommation de ressources, émission de gaz à effet de serre et production de bien-être.

La ressource est inépuisable car elle dépend de l’ingéniosité humaine et de sa capacité à capitaliser les connaissances, ce qui différencie fondamentalement l’homme de l’animal. Améliorer le bien-être de l’humanité en utilisant mieux les ressources, quel formidable défi ! Mais il suppose la sérénité et la coopération. Pas les anathèmes contre de prétendus surnuméraires ou contre ceux qui travaillent dans le secteur productif. Pas une idéalisation trompeuse du passé, qui a d’ailleurs existé à toutes les époques. Pas les menaces démobilisatrices d’une fin du monde annoncée, qui n’incitent qu’à l’aquoibonisme.

L’écomodernisme                                                             

Steven SPINKER, professeur à l’université Harvard, dans son ouvrage intitulé « Le triomphe des Lumières – pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme », consacre un chapitre à l’environnement. Pour lui l’écomodernisme commence avec la prise de conscience 

  • qu’un certain degré de pollution est une conséquence inéluctable de l’accroissement des activités humaines.
  • que l’industrialisation a été bonne pour l’humanité. Elle a nourri des milliards de personnes, doublé la durée de vie, considérablement réduit l’extrême pauvreté et, en remplaçant les muscles par des machines, facilité l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des femmes et l’éducation des enfants. Tous les inconvénients en termes de pollution et de destruction d’habitats doivent être mis en balance avec ces bienfaits.
  • que le compromis difficile à trouver entre bien-être humain et dégradation de l’environnement peut être négocié par la technologie.

Les écopessimistes ont pour coutume de rejeter en bloc cette approche, la qualifiant de foi aveugle dans le fait que la technologie nous sauvera. SPINKER répond à cela que les catastrophes annoncées par les militants écologistes des années 1970 n’ont pas eu lieu et que des améliorations qu’ils jugeaient impossibles se sont fait sentir. Et de citer différentes améliorations dans la qualité de l’air, la dépollution des fleuves, l’augmentation des zones protégées tant sur terre que dans l’océan.

Le fait que de nombreux indicateurs de la qualité de l’environnement s’améliorent ne signifie pas que tout va bien. Si nous jouissons d’un environnement plus sain c’est grâce à l’activisme, aux lois, aux règlements, aux traités et à l’ingéniosité technique de tous ceux qui ont œuvré à sa protection dans le passé. De nombreux efforts sont encore nécessaires pour empêcher toute régression et surtout les étendre aux problèmes qui perdurent comme la santé des océans et l’émission de gaz à effets de serre dans l’atmosphère.

Pour Steven SPINKER il faut considérer la protection de l’environnement comme un problème à résoudre et remiser les discours moralisateurs et culpabilisants. Les progrès technologiques nous permettent de faire plus avec moins mais les conséquences des gaz à effet de serre sur le climat doivent incontestablement nous alarmer. La réponse éclairée au changement climatique est de découvrir des moyens d’obtenir un maximum d’énergie tout en émettant un minimum de gaz à effet de serre. Les émissions de carbone sont encore trop importantes. La décarbonation a besoin d’un soutien politique et technologique. La mise en place d’une taxe carbone forcerait les gens à prendre en compte les dommages qu’implique chacune de leurs décisions émettrices de carbone. Le défi est de proposer des modifications profondes du dispositif pour le rendre socialement juste. La justice requiert que le partage des coûts de la politique climatique soit équitable.

Par ailleurs un nombre croissant de climatologues estiment qu’il n’existe pas de trajectoire crédible vers une réduction des émissions mondiales de carbone sans expansion considérable de l’énergie nucléaire. La décarbonation aura besoin de percées non seulement dans le domaine nucléaire, mais aussi sur d’autres fronts technologiques : batteries permettant de stocker l’énergie intermittente issue des sources renouvelables ; réseaux intelligents de type internet, capables de distribuer à des utilisateurs de l’électricité produite par des sources dispersées dans l’espace ; technologies électrifiant et décarbonant des processus industriels ; méthodes de capture et de stockage de CO2.  Ce dernier défi est d’une importance critique car même si les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de moitié d’ici à 2050 et ramenées à zéro d’ici 2075, le monde sera toujours lancé sur la trajectoire d’un réchauffement risqué, car le CO2 déjà émis restera très longtemps dans l’atmosphère.

En conséquence il ne suffit pas de cesser d’agrandir la serre il faut la démanteler. Pour ce faire la solution la plus évidente est d’appeler à la rescousse autant de plantes avides de carbone que possible. Il faut passer de la déforestation à la reforestation et à l’afforestation c’est-à-dire à la plantation de nouvelles forêts. Il faut reconstituer des zones humides. Beaucoup d’autres idées sont émises pour capter le carbone, des plus sérieuses aux plus farfelues. Les plus spéculatives relèvent de la géo-ingénierie qui ressemblent aux élucubrations d’un savant fou : disperser dans l’atmosphère de la roche pulvérisée capable d’absorber le CO2, ajouter des substances alcalines aux nuages ou aux océans afin de dissoudre le CO2, et bien d’autres…

Parmi les pistes les plus sérieuses, la technique consistant à récupérer le CO2 émis par les cheminées des usines utilisant des combustibles fossiles et à l’injecter sous la croute terrestre. L’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie avec captage et stockage du carbone.

Il faut intensifier la recherche de méthodes pour minimiser les dommages causés en attendant la mise au point de solutions efficaces au problème du changement climatique. Steven SPINKER conclut que l’histoire nous donne à penser que l’environnementalisme moderne, pragmatique et humaniste peut fonctionner. Il estime qu’il faut être modérément optimiste si l’on investit suffisamment dans la science et les technologies.

Les enjeux de la crise climatique

Christian de Perthuis, professeur à l’Université Dauphine, fondateur de la Chaire Économie du Climat, est l’auteur d’un livre intitulé « Le tic-tac de l’horloge climatique » dans lequel il présente les trois enjeux majeurs de la crise climatique :

  • La transition énergétique doit être fortement accélérée. La transition nécessite une mobilisation à tous niveaux : international, européen, national, local et bien sûr, individuel. Il faut sortir de la dépendance à l’énergie fossile. C’est possible en tarifiant mieux le carbone, en profitant de la baisse du coût des énergies renouvelables, et de la baisse du coût du stockage du carbone.
  • Il faut préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
  • Même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique. Il faudra s’adapter à ce réchauffement et ses conséquences. Comme les pays les plus pauvres sont les plus exposés il faut anticiper et les aider à mieux s’y préparer.

Cette exploration, sans avoir la prétention d’être exhaustive, a satisfait mon envie d’y voir un peu plus clair et de me faire une opinion plus circonstanciée et argumentée. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

Références

  • Articles du Journal Le Monde, série « Vivre avec la fin du monde » publiés en juillet 2019.
  • Rapports du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)
  • Rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC)
  • Les grandes représentations du monde et de l’économie – René PASSET – LLL
  • Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies – Monique ATLAN et Roger-Pol DROIT – Flammarion
  • L’humanité en péril, Virons de bord toute ! – Fred VARGAS – Flammarion
  • Le triomphe des lumières, Pourquoi il faut défendre la raison la science et l’humanisme – Steven PINKER – Les arènes
  • Atlas de l’Anthropocène – François GEMENNE et Aleksandar RANKOVIC – SciencesPo les presses
  • Le new deal vert mondial – Jérémy RIFKIN – LLL
  • Le tic-tac de l’horloge climatique de Christian De PERTHUIS – De Boeck supérieur

L’avenir de la planète, le diagnostic ?

Étymologiquement écologie vient de « oïkos » qui, en grec ancien, signifie l’espace familier où l’on habite, où l’on entretient avec les autres des relations de coexistence. Ce terme a été forgé en 1866 par le biologiste et philosophe allemand Ernst HAEKEL. Il la définit comme « la totalité de la science des relations de l’organisme avec son environnement, comprenant au sens large toutes les conditions de l’existence ». Dans la seconde moitié du XXème siècle s’est imposé le sens courant du terme « écologie ». Au-delà de l’étude scientifique des systèmes c’est aussi le respect de l’environnement, le souci de combattre la pollution, de préserver les ressources énergétiques et la biodiversité, d’éviter la dégradation du climat et les catastrophes qui risquent de s’en suivre, en un mot la volonté de protéger la planète.

C’est une préoccupation déjà ancienne !

Dès 1957, Bertrand DE JOUVENEL, juriste, politologue et économiste, fondateur de la revue « futuribles » consacrée à la réflexion sur les futurs possibles, avait mis en cause l’impact de la croissance économique sur les régulations de la nature.

En 1972 le Club de Rome publiait le rapport Meadows intitulé « halte à la croissance » soulignant le caractère redoutable des croissances exponentielles et l’urgence des problèmes qu’elles soulevaient. Le monde prenait conscience des atteintes infligées à la nature : surexploitation de certaines ressources, dégradation de l’atmosphère des villes, de fleuves, de côtes suite aux naufrages répétés de plusieurs pétroliers géants. A chaque fois étaient prises des mesures spécifiques et on ne s’en tirait pas trop mal. La politique de l’environnement était réduite à une succession de mesures ponctuelles extensibles selon les urgences et les besoins.

Dans les années 1980 apparaissent les atteintes dites « globales » à la nature. Les accidents affectant deux centrales nucléaires, Three Mile Island en 1979 et Tchernobyl en 1986, déclenchent des conséquences susceptibles de s’étendre sur l’ensemble de la planète.

Plus tard les faits se précisent

En 1985 il se vérifie que les chlorofluorocarbones attaquent l’ozone stratosphérique. La question des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et de leur impact sur la température de la planète se trouve confirmée en 1989 par les études de la NASA. On commence à se préoccuper de la réduction de la biodiversité. Ce sont les grandes fonctions régulatrices du milieu naturel qui se trouvent menacées : filtration du rayonnement ultraviolet d’origine solaire sans laquelle la vie n’aurait pu se diversifier et s’étendre ; régulation thermique maintenant la planète dans des limites de températures compatibles avec la pérennité de la vie ; diversité des formes indispensables à la stabilité du vivant.

La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.

La logique du développement économique, pensé en lui-même et pour lui-même, s’oppose en tout point à ce mode de régulation. La nature tend à tirer de l’énergie solaire le maximum de biomasse. La biomasse est la matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme une source d’énergie. Elle peut être valorisée de manière thermique, chimique ou biochimique. L’écosystème tend naturellement à optimiser ses stocks, niveau qui correspond à la quantité la plus importante de biomasse qu’il peut porter compte tenu de la quantité d’énergie solaire qu’il reçoit.

A l’opposé, l’économie s’attache à maximiser le flux des produits qu’elle tire d’un stock limité de moyens de production en n’hésitant pas à surexploiter les réserves naturelles jusqu’à l’épuisement. Les rythmes d’exploitation de l’économie, axés sur les rendements immédiats, ne respectent pas les temps de cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes.

Nous avons donc une espèce dominante qui compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or l’homme est une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu.

Le rapport Brundtland, en 1987, définit le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. »

 Le rapport GEO-4, publié en fin 2007 par le programme des Nations Unies pour l’environnement, précise la nature des problèmes et les perspectives qui en découlent pour l’humanité.

La communauté internationale a réduit de 95% la production de produits chimiques qui abiment la couche d’ozone. Elle a créé un traité de réduction des gaz à effets de serre qui régit le commerce du carbone par des marchés de compensation. Elle a favorisé une hausse des zones terrestres protégées qui couvrent environ 12% de la terre et créé de nombreux instruments concernant la biodiversité, les déchets dangereux et la modification des organismes vivants. Mais cela n’est pas suffisant disent les auteurs.

Des difficultés nouvelles se révèlent allant de la vie des océans à l’apparition de pathologie liées à l’environnement. Aucun des problèmes soulevés ne connait de prévisions d’évolution favorables.

Le monde vit au-dessus de ses moyens et épuise son patrimoine au détriment des générations futures. L’eau est menacée quantitativement et qualitativement. La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La hausse moyenne des températures mondiales est estimée à 0,7°C pour le siècle passé et 1,8°C pour le siècle en cours alors que certains scientifiques pensent qu’une hausse de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels est un seuil au-delà duquel la menace des dégâts majeurs et irréversibles devient plus plausible. Et les inégalités ne cessent de s’accroitre entre les pays riches et les pays pauvres et à l’intérieur de chaque pays entre les plus riches et les plus pauvres.

Le rapport souligne l’interdépendance de ces problèmes : la crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie ne font qu’un. Cette crise n’inclut pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité et la faim mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale, à la hausse de la consommation des riches et au désespoir des pauvres.

Si les tendances actuelles se prolongent, la population atteindra les 9 milliards d’individus en 2050, (hypothèse moyenne de la prévision de l’ONU), le produit intérieur brut sera multiplié par cinq, l’environnement et la société évolueront vers des points de basculement où des changements soudains et irréversibles pourraient survenir.

 Si la population atteint 8 milliards d’habitants en 2050, (hypothèse basse de la prévision de l’ONU), et que le taux de croissance du PIB mondial reste modéré soit un triplement, cela concilierait la sauvegarde de la nature avec l’amélioration de la condition des habitants de la planète.

Le directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement conclut que la destruction systématique des ressources naturelles a atteint un niveau auquel la viabilité des économies est en danger, et auquel la facture que nous passons à nos enfants peut se révéler impossible à payer.

Depuis le rapport des Nations Unies de 2007 les choses n’ont pas grandement évoluées.

La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale : les délégués sont parvenus à un projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C. Lors de la COP 22, 59% des pays ont ratifié l’accord, permettant sa mise en œuvre à partir de 2020.

Selon un nouveau rapport, publié en novembre 2018 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté en 2017 après avoir été stables pendant les trois précédentes années. Cette augmentation souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C.

Ce rapport suit de près le rapport du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique, publié en octobre, qui avertissait que les émissions devraient cesser d’augmenter maintenant si l’on voulait respecter l’objectif de maintenir la hausse de température en dessous de 1,5 °C. Les auteurs du rapport notent que les pays devraient multiplier par trois leurs efforts en matière de lutte contre le changement climatique pour pouvoir respecter la limite de hausse de 2 °C d’ici le milieu du siècle. Pour respecter la limite de 1,5 °C, ils devraient quintupler leurs efforts. La poursuite des tendances actuelles entraînera probablement un réchauffement de la planète d’environ 3 °C d’ici la fin du siècle, puis une augmentation continue de la température.

Le rapport propose aux gouvernements des moyens concrets de réduire leurs émissions, notamment par le biais de la politique fiscale, de technologies innovantes, d’actions non étatiques, etc…

A la COP 24 qui s’est déroulée du 3 au 14 décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. La communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Sommes-nous entrés dans l’anthropocène ?

Comparée à l’Univers et même à la Terre, l’humanité est bien jeune. Les géologues décrivent l’histoire de la Terre en la divisant en périodes. Officiellement la Terre est toujours dans l’époque de l’Holocène, période qui a vu l’accroissement de l’humanité et qui a débuté il y a environ 11700 ans. L’Holocène a bénéficié de conditions particulièrement stables et clémentes durant laquelle Homo sapiens y a connu sa plus grande expansion qui s’est accompagnée des premières modifications écologiques importantes avec notamment l’apparition de l’agriculture à laquelle sont associées les modifications massives de paysages et leurs conséquences climatiques. Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est le nombre, l’étendue et la rapidité de ces changements.

Le changement climatique, la montée du niveau des mers, l’acidification des océans, le changement d’usage des sols, tous ces phénomènes se sont multipliés simultanément.

La Terre a toujours changé depuis des milliards d’années. Mais les transformations imposées par les humains sont saisissantes, tant par leur nombre que par leur rapidité et leur échelle. C’est ce qui amène des scientifiques à émettre l’idée que la Terre est entrée dans une nouvelle période géologique, l’anthropocène, c’est-à-dire « l’Ère de l’homme ».