Il est difficile de faire mieux que le gouvernement pour favoriser la dynamique du vote en faveur de l’extrême droite populiste. La réforme des retraites, son contenu et la manière de l’imposer, le mépris manifesté à l’égard de l’opinion publique et le passage en force au Parlement sont les manifestations d’une attitude qui est le plus sûr moyen d’organiser un boulevard aux partis populistes de droite aux prochaines élections.
Les lendemains politiques de cette « réforme »
« La Grande Conversation », site internet du cercle de réflexion « Terra Nova », a publié le 15 mars une note de Bruno Palier (Directeur de recherches du CNRS au centre d’études européennes de sciences po) et Paulus Wagner (Doctorant en sciences politique au centre d’études européennes de sciences po). Dans cette note les auteurs estiment qu’imposer cette réforme des retraites contre l’opinion des français et malgré l’importance des mobilisations va faire perdre de nombreuses voix aux partis l’ayant soutenue (majorité présidentielle et Les Républicains), et en faire gagner à leurs opposants, et plus particulièrement au RN.
Selon eux cette réforme concentre les mécanismes nourrissant le ressentiment social qui alimente lui-même les partis populistes de droite radicale. Elle touche les classes moyennes peu qualifiées. Elle impose de travailler plus longtemps aux personnes qui supportent de moins en moins la dégradation des conditions et des relations au travail. L’impact de cette réforme a fait l’objet de la part du gouvernement d’une présentation erronée voire mensongère. Enfin le gouvernement cherche à faire passer cette réforme malgré des sondages d’opinion très défavorables et des mobilisations massives, en utilisant toutes les procédures de réduction du débat parlementaire.
Les perdants du projet de « réforme »
Michäel ZEMMOUR, Maître de conférences en économie à l’université Paris Panthéon Sorbonne, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP Sciences Po), a souligné que parmi les plus impactés, on trouve les travailleurs en situation de pénibilité reconnue. Les estimations produites par les administrations des ministères sociaux (DARES et DREES) montrent que « la réforme des retraites augmenterait le nombre d’allocataires de minima sociaux (RSA et ASS)et le nombre de personnes au chômage indemnisé. De nombreuses études montrent que les femmes seront plus fortement touchées que les hommes, notamment parce que le report de l’âge de départ sera plus important pour elles. Le minimum de pension à 1200 € annoncé sur un mode particulièrement trompeur ne concernera finalement qu’une partie des retraités touchant des petites pensions.
Des mesures indispensables ?
Selon le gouvernement cette « réforme » est indispensable. Elle se justifie par le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie. Le report de l’âge légal de départ à la retraite est pour lui le seul moyen de sauver le système de retraite par répartition. Mais ce report n’est pas le seul moyen de faire face au manque de financement des retraites qui s’avère être bien moins alarmant que le prétend l’exécutif. Mais le gouvernement refuse de rechercher d’autres moyens de financer les retraites.
Comme je l’indiquais dans un article précédent daté du 6 mars, l’adoption à marche forcée d’un texte aussi controversé constitue un manquement à la démocratie. Lorsque la légitimité électorale est en conflit avec la légitimité sociale il est indispensable de tenir compte de la complémentarité entre les différentes légitimités démocratiques.
Alors pourquoi cet entêtement?
Difficile de répondre à cette interrogation ! Nous avons peut-être un élément de réponse dans la déclaration du Président de la République rapportée par Les échos et le Figaro. Pour justifier son choix d’utiliser l’article 49.3 de la constitution le chef de l’État aurait tenu devant le conseil des ministres les propos suivants : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. »
En dernier ressort ne reste plus que la justification du « risque financier ». Renoncer à la réforme des retraites risquerait de fâcher les marchés financiers, les rentiers de la dette publique et les agences de notation. Quel argument de mauvaise foi ! Ce que la non réforme couterait au budget en 2023 qui se chiffre en centaines de millions est dérisoire par rapport aux baisses d’impôts consenties aux entreprises sans aucune contrepartie qui se chiffrent en milliards. S’il y a risque financier, il est plutôt dans l’application de la politique économique du gouvernement.
Mais aussi quel message politique inquiétant ! Il existerait une volonté plus forte que l’opinion publique, plus forte même que la démocratie parlementaire, les marchés financiers. Il n’est donc pas nécessaire de manifester ni de voter, la loi des créanciers est au-dessus de tous. C’est le dernier argument de l’Elysée qui est révoltant car il nie la démocratie. C’est un argument de plus qui vient s’ajouter aux précédents ci-dessus pour alimenter les partis populistes de la droite radicale.
L’avenir
Pour préparer l’avenir il ne faut pas faire une réforme purement budgétaire. Michaël Zemmour, économiste spécialiste des retraites déjà cité, estime que sans financement supplémentaire, la retraite sera non seulement plus tardive mais le niveau de vie des retraités des générations nées dans les années 2000 risque d’être inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Il est, selon lui, possible d’enrayer ce phénomène encore lointain, mais, il faut pour cela se donner dès maintenant des objectifs, non seulement d’âge mais également de niveau de vie des retraités, et ajuster, très progressivement, les ressources du système.
Selon le Petit Robert la réforme c’est un changement profond apporté dans la forme d’une institution afin de l’améliorer, d’en obtenir de meilleurs résultats. Depuis plusieurs décennies les gouvernements français successifs s’essaient avec plus ou moins de succès à modifier le système des retraites. L’objectif annoncé est toujours le même : il faut sauver notre système de retraites par répartition si l’on ne veut pas qu’il court à la faillite. A chaque fois, il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier par manque de résultat jugés satisfaisants. Aujourd’hui le gouvernement annonce le même objectif. Pour tous ces projets successifs une seule constante, les mesures proposées sont toutes aussi impopulaires et ne répondent pas, semble-t-il, à ce que l’on peut nommer proprement une réforme.
Le projet du gouvernement
Le cœur du projet est le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans et la prolongation progressive du nombre de trimestres de cotisations pour avoir droit à une pension à taux plein. Pour pouvoir obtenir une majorité au Parlement ces mesures sont accompagnées de différentes dispositions complémentaires visant à atténuer la brutalité de cette soi-disant « réforme ». Je ne rentrerai pas dans les détails techniques qui sont relativement compliqués et que l’on peut trouver dans la presse.
Le système actuel est-il en danger ?
Selon Michael ZEMMOUR (ne pas confondre avec l’autre !), Maître de conférences en économie à l’université Paris Panthéon Sorbonne, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP Sciences Po), « Peut-être que la meilleure des réformes des retraites en France, c’était la création du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) en 2000 par Lionel JOSPIN ». Ses travaux fournissent une base d’information et de diagnostic, à la fois technique et scientifique, partagée et publiquement accessible.
Les partisans des mesures gouvernementales comme les opposants citent le COR pour argumenter leurs positions. Le 19 janvier le président du COR est auditionné par la commission des finances de l’assemblée nationale sur les perspectives d’évolution du système de retraites. En présentant le rapport annuel du COR publié en septembre 2022, le président déclare devant les députés que les dépenses de retraite ne dérapent pas et qu’elles sont « globalement stabilisées et même, à très long terme, diminuent dans trois hypothèses sur quatre », résumant le document du COR, long de 349 pages. Trois semaines plus tard, le 14 février, devant la commission des finances des sénateurs cette fois, le président de COR n’a pas dévié de sa position, répétant qu’il n’y a pas de dérapage des dépenses de retraites.
Le report de l’âge légal est-il la seule option ?
Selon le gouvernement cette « réforme » est indispensable. Elle se justifie par le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie. Comme il y a de moins en moins d’actifs et de plus en plus de retraités, le bon sens impose de modifier notre système de retraites si l’on veut éviter son effondrement.
Pour sauver le système par répartition faut-il impérativement reporter l’âge légal de départ à la retraite ? Plusieurs paramètres interviennent dans ce système : la durée de cotisation, l’âge légal de départ, le montant de la cotisation, le montant des pensions, la baisse du chômage, le travail des femmes, l’emploi des séniors etc… Le gouvernement refuse de rechercher d’autres moyens de financer les retraites.
Dans son étude d’impact, le gouvernement écrit qu’une hausse des cotisations serait nuisible à l’emploi, au pouvoir d’achat et à la compétitivité, et qu’une baisse des pensions serait difficilement acceptable.A l’inverse, un report de l’âge augmenterait le taux d’emploi et la production. Mais il n’étaye pas ses arguments par une évaluation de l’impact de chacune de ces options sur la croissance. Selon certains spécialistes les arguments du gouvernement cherchent à faire passer des reculs pour des avancées. Les régimes spéciaux, les femmes, les carrières longues, la pénibilité du travail et de manière générale tous les salariés peu qualifiés semblent être les perdants de cette réforme.
Comparaison n’est pas raison
L’autre argument avancé par les partisans des mesures de modification de notre système de retraite est la comparaison avec les autres pays européens. C’est une absurdité car la réalité en matière sociale dans l’Union Européenne est la diversité et pas la convergence. Pour Jean-Claude Barbier, sociologue émérite au CNRS et au Centre d’économie de l’université Paris-I Panthéon Sorbonne, comparer c’est comprendre à chaque fois le système politique, culturel et économique qui préside à l’organisation de la protection sociale du pays dont on parle. Faut-il d’adopter le système allemand de retraites, qui fait bien plus de pauvres vieillissants dans ce pays que chez nous, ou le système britannique et ses retraites d’entreprise en crise relative, ou l’absence d’une pension décente pour les personnes peu qualifiées. Au Danemark, la protection sociale est très fortement financée par des impôts, alors qu’en France la part des cotisations dans le financement de la protection sociale reste élevée (près de 60 %). L’Espagne préfère augmenter les cotisations plutôt que réduire les dépenses.
La France n’a jamais adopté le même système que la plupart des autres pays : un système par répartition qui s’impose pour le premier « pilier », c’est-à-dire la retraite de base, et le second, la retraite complémentaire. Si on avait suivi les recommandations de la Banque mondiale et de la Commission européenne, nous n’aurions plus de retraite complémentaire par répartition mais un système par capitalisation.
Les français rejettent cette « réforme »
L’ensemble des organisations syndicales sont opposées à cette réforme. Elles la jugent brutale et injuste. Selon les enquêtes d’opinion seul un tiers de la population est favorable au texte du gouvernement. C’est « un soutien très faible dans l’absolu surtout pour une réforme aussi emblématique » selon Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’Ifop, estime cette adhésion molle dans la mesure où « les gens se disant tout à fait favorables ne dépassent jamais les 10% des personnes interrogées ». L’analyse de la structure du soutien montre que ce soutien vient surtout de ceux qui sont peu concernés par la réforme, les catégories aisées et les retraités, très peu les classes populaires.
Cette réforme est-elle légitime ?
Le président de la république affirme que son projet, qui a été présenté pendant la campagne présidentielle, a été validé par sa victoire électorale. Cette légitimité du point de vue de la légalité est incontestable explique Pierre Rosanvallon, historien et sociologue, professeur honoraire au Collège de France interrogé par Anne Chemin pour « Le Monde ». Mais il précise que du point de vue social voire morale, ceux qui critiquent le projet de retraites du gouvernement estiment simplement que son projet n’est pas conforme à l’intérêt général, parce qu’il ne répond pas à une exigence de justice ou de solidarité.
A côté de la légitimité électorale il y a la légitimité syndicale inscrite dans la loi depuis 1945. Cette légitimité est aussi fondée sur le fait social que les syndicats, lors du débat sur les retraites, ont été reconnus par l’opinion comme de bons interprètes de la réalité du monde du travail. La position unitaire des syndicats et la participation très importante aux manifestations de rejet de ce projet de réforme renforce cette légitimité.
L’adoption à marche forcée d’un texte aussi controversé constitue un manquement à la démocratie. Lorsque la légitimité électorale est en conflit avec la légitimité sociale il est indispensable de tenir compte de la complémentarité entre les différentes légitimités démocratiques.
Si le gouvernement ne disposant pas d’une majorité à l’assemblée nationale s’entête à imposer sa réforme avec l’appui de la droite sénatoriale ou sans vote du Parlement, il risque de voir se développer dans le pays une rancœur tenace qui se manifestera probablement lors des prochaines élections par une nouvelle augmentation des abstentionnistes et /ou par un vote en direction des extrêmes.
Chaque année, au début du mois de décembre, tous ceux qui sont attachés aux principes fondamentaux de la République résumés dans le triptyque républicain, Liberté, Égalité, Fraternité, que l’on peut lire sur les frontons des édifices publics, ont à cœur de fêter la Laïcité le jour anniversaire du vote de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Mais pourquoi est-il important de fêter la Laïcité ?
La Laïcité malmenée
Nous pouvons constater que la Laïcité a été malmenée depuis quelques décennies. Paradoxalement c’est dans une période caractérisée par une majorité croissante de non croyants que nous assistons à un retour de la question religieuse dans tous les domaines de la vie sociale et civile. Les fondamentalistes de tout poil prétendent imposer leur vérité à l’ensemble de la société.
Aux sources de la Laïcité
Au XVIIIème siècle, siècle des Lumières, les philosophes, dans le prolongement des idées héritées de la Renaissance, ont combattu l’obscurantisme, la superstition et l’irrationnel des siècles passés. Ils ont renouvelé les connaissances et l’éthique de leur temps.
La Déclaration universelle des Droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 indique que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Elle définit la Liberté comme ce qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Elle garantit l’expression du pluralisme des opinions et donc la liberté de conscience.
La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État est un des actes fondateurs de la sécularisation de l’État.
L’article 1 de la constitution de 1958 spécifie que » La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. «
La Laïcité est un principe général consubstantiel à la République qui ne se réduit pas seulement au rapport de l’État et des Églises. Elle est avant tout une construction juridique fondée sur une exigence de la raison : l’égalité en droit de tous les êtres humains. Le principe de Laïcité est la convergence d’une évolution législative de plusieurs siècles aboutissant à la séparation des Églises et de l’État et une pensée philosophique humaniste universelle assurant à chacun la liberté de conscience et le primat de l’intérêt général, du bien commun à tous.
Une règle de vie en société démocratique.
La Laïcité impose que soient donnés aux hommes, sans distinction de classe, d’origine, de confession, les moyens d’être eux-mêmes, libres de leurs engagements, responsables de leur épanouissement et maîtres de leur destin.
Un idéal d’émancipation.
La laïcité est un idéal qui permet à tous, croyants et athées, de vivre ensemble sans que les uns ou les autres soient stigmatisés en raison de leurs convictions particulières. L’État laïque incarne la promotion simultanée de la liberté de conscience et de l’égalité, de la culture émancipatrice et du choix sans entrave de l’éthique de vie personnelle.
L’école laïque
L’école laïque a pour tâche de réaliser cette émancipation.Elle doit tenir à distance la société civile et ses fausses urgences. La laïcité à l’école c’est le fait de refuser aux puissances de conditionnement d’entrer dans les classes, d’offrir à chaque esprit la chance de penser sans tutelle, sans emprises. L’acquisition de savoirs et l’élévation culturelle sont les instruments d’une émancipation individuelle et collective. L’émancipation par l’instruction doit être à la portée de tous c’est-à-dire gratuite, obligatoire, laïque, et la puissance publique doit en assurer la promotion partout et pour tous. L’école laïque fournit à la liberté de conscience le pouvoir de juger qui lui donne sa force.
L’enseignement public doit être affranchi de tout prosélytisme religieux ou idéologique. C’est en vertu de ce principe qu’il est inconcevable d’apposer sur le mur de la classe une croix, un croissant ou une étoile de David symbole d’une religion. C’est aussi la raison de l’interdiction du voile et de tout signe ostentatoire d’appartenance religieuse à l’école.
L’école est un moyen de transmission du savoir mais c’est aussi le moyen de fabriquer une communauté nationale de citoyens.
La liberté de conscience
L’humanisme laïque repose sur le principe de la liberté de conscience. Liberté de l’esprit c’est à dire émancipation à l’égard de tous les dogmes ; droit de croire ou de ne pas croire en Dieu ; autonomie de la pensée vis-à-vis des contraintes religieuses, politiques, économiques ; affranchissement des modes de vie par rapport aux tabous, aux idées dominantes et aux règles dogmatiques.
La laïcité vise à libérer l’enfant et l’adulte de tout ce qui aliène ou pervertit la pensée, notamment les croyances ataviques, les préjugés, les idées préconçues, les dogmes, les idéologies opprimantes, les pressions d’ordre culturel, économique, social, politique ou religieux.
La laïcité vise à développer en l’être humain, dans le cadre d’une formation intellectuelle, morale et civique permanente, l’esprit critique ainsi que le sens de la solidarité et de la fraternité.
La laïcité vise dans ce contexte à donner les moyens à l’être humain d’acquérir une totale lucidité et une pleine responsabilité de ses pensées et de ses actes.
La liberté d’expression est le corollaire de la liberté de conscience. Elle est le droit et la possibilité matérielle de dire, d’écrire et de diffuser la pensée individuelle ou collective.
Refus du racisme et de la ségrégation
Le refus du racisme et de la ségrégation sous toutes ses formes est inséparable de l’idéal laïque. La société ne peut pas être la simple juxtaposition de communautés qui, au mieux s’ignorent, au pire s’exterminent.
L’éthique laïque mène inévitablement à la justice sociale : égalité des droits et égalité des chances. L’éducation laïque, l’école, le droit à l’information, l’apprentissage de la critique sont les conditions de cette égalité.
Séparation des Églises et de l’État
La séparation des Églises et de l’État est la pierre angulaire de la laïcisation de la société. Elle ne saurait souffrir ni exception, ni modulation, ni aménagement. Cette séparation est la condition de son existence. Elle est la seule façon de permettre à chacun de croire ou de ne pas croire en libérant les églises elles-mêmes des logiques de liaisons conventionnelles avec l’État. Si les églises veulent exister, que les fidèles leur en fournissent les moyens, la religion étant affaire de conviction personnelle.
Si l’État garantit la totale liberté des cultes comme de l’expression et de la diffusion de la pensée, il n’en favorise aucun, ni aucune communauté, pas plus financièrement que politiquement. La loi républicaine ne saurait par conséquent reconnaître le délit de blasphème ou de sacrilège qui déboucherait inévitablement sur l’institutionnalisation de la censure. La première manifestation du caractère laïque d’un pays est l’indépendance de l’État et de tous les services publics vis-à-vis des institutions ou influences religieuses.
Une idée de progrès
La Laïcité n’est pas une notion passéiste mais au contraire une idée de progrès. Elle est action et volonté. Elle implique la plénitude de l’égalité de traitement, par la République, des athées et des croyants. Cette égalité est la condition d’une véritable fraternité, dans la référence au bien commun. Laïque signifie indépendant de la religion. La Laïcité implique l’égalité des droits sans distinction de convictions personnelles. Laïque ne s’oppose pas à religieux mais à clérical. L’esprit clérical, c’est la prétention des clercs à dominer au nom d’une religion. La Laïcité ne se confond pas avec l’athéisme et ne se réduit pas au combat anticlérical.
Admettre que chacun puisse à titre individuel ne pas croire ou pratiquer le culte de son choix sans que la société n’en impose aucun est un principe qui consiste à laisser chacun libre de ses choix selon ses propres règles morales avec pour seule limite de ne pas nuire à autrui sans subir celles que lui imposerait la religion ou n’importe quelle idéologie totalitaire d’État.
L’humanisme laïque est le ciment qui donne toute sa force et sa plénitude à la devise républicaine.
Voilà pourquoi il me parait essentiel de célébrer chaque année, le 9 décembre, la Fête de la Laïcité en rappelant sans cesse qu’elle est une idée de progrès qui complète la devise républicaine, qui implique liberté de conscience sans limite, ouverture, bienveillance, respect des autres, primat de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, respect de la loi commune, neutralité de l’État et des services publics, neutralité qui a pour objectif l’égalité des citoyens et leur rassemblement par-delà leurs différences, universalisme dans le respect de la diversité plutôt que différencialisme et enfin émancipation à l’égard de tous les dogmes.
Le nouveau ministre de la santé, en prenant ses fonctions, a fait un constat alarmiste : « tout notre système de santé est à bout de souffle ». Tentons de rechercher l’origine des difficultés pour orienter les pistes de rénovation de notre politique de santé publique.
La mondialisation
La mondialisation c’est d’abord la mondialisation de l’économie mais elle comporte aussi de nombreux autres aspects : les flux internationaux des idées et des connaissances, le partage des cultures, la société civile mondiale, l’avenir écologique de la planète etc.…
Les tenants de la mondialisation affirment qu’elle va améliorer le sort de tous, élever les niveaux de vie dans le monde entier, ouvrir les marchés extérieurs aux pays pauvres pour leur permettre de vendre leurs produits, développer les investissements étrangers dans les pays pauvres pour leur permettre de produire de nouveaux produits à meilleur prix, ouvrir les frontières pour permettre la circulation des hommes et des produits pour le bien de tous. Ce qui sous-tend cette affirmation c’est la pensée économique libérale qui a muté à partir des années 1980 en un rameau néolibéral.
Dans les années 1990, le « consensus de Washington » établi par le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale, le Trésor des États-Unis, préconisait de réduire l’intervention des États afin de réduire les déficits budgétaires, de déréglementer, de libéraliser, de privatiser au plus vite le maximum de secteurs. C’est sur cette base que les politiques économiques se sont déployées dans presque tous les pays.
La crise financière de 2008 a fait la démonstration que contrairement à l’idéologie néolibérale le « laisser faire » ne conduit pas à l’équilibre. Les banques ont été jugées « trop grosses pour faire faillite ». Les gouvernements les ont perfusées d’euros et de dollars pour éponger les frasques de financiers cupides et irresponsables. Mais cela n’a pas entrainé une remise en question de la doxa néolibérale.
La crise sanitaire de 2020
En début d’année 2020 nous sommes confronté à une nouvelle crise : le coronavirus apparu en Chine se généralise sur toute la planète. La Covid-19 est au moins autant contagieuse que la grippe saisonnière mais est surtout beaucoup plus mortelle.
Au début les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Les soignants à l’hôpital et dans les cabinets médicaux demandent pouvoir exercer leur métier sans se mettre en danger ni mettre en danger leurs patients. Ils manquent de masque, de gants, de blouses, de matériels médicaux. L’utilisation de tests est réclamée par certains. Toutes ces demandes mettent en évidence notre dépendance vis à vis d’autres pays. Nous n’avons pas de tests en suffisance car les réactifs sont importés principalement d’Asie, avec difficulté. Nous n’avons pas de stock suffisant de gants car ils ont été réduits pour des raisons de restriction budgétaire. Ces manques sont les conséquences de la désindustrialisation de notre économie et de la réduction des dépenses publiques.
La crise sanitaire s’est abattue sur un service public de santé affaibli et met en lumière les tares de notre système de soins. Comme l’explique le professeur de médecine André GRIMALDI, l’État a abimé l’hôpital public depuis des années, depuis qu’a commencé le règne des économistes de pensée libérale ou néolibérale pour qui les activités humaines doivent être mesurées, valorisées, et mise en concurrence sur un marché. La tarification à l’activité a mis la santé dans une logique de marché. C’est l’entrée du « new public management » dans l’hôpital.
Les médicaments sont devenus des marchandises comme les autres. Les laboratoires abandonnent la production des principes actifs à l’Inde et à la Chine au nom de la rentabilité. Les stocks deviennent une immobilisation financière. L’hôpital devient une entreprise aux mains de managers. On ne répond plus à des besoins on gagne des parts de marché. On travaille à flux tendus. La novlangue a envahi l’hôpital et s’est emparée des esprits. C’est ce qui explique la diminution des lits de réanimation, le manque de médicaments, la pénurie de masques et de tests, etc…
La vision néolibérale de la santé publique
Dans un entretien au journal « Le Monde » daté du 10 avril 2020, Barbara Stiegler, Philosophe, enseignante à l’université de Bordeaux Montaigne où elle dirige le master « Soin, éthique et santé » commente l’impréparation générale des gouvernements néolibéraux face à la pandémie du corona virus. Selon la vision néolibérale de la santé publique nous allons vers un monde immatériel de flux et de compétences, censé être en avance sur le monde d’avant fait de stocks et de vulnérabilités. Nos économies fondées sur « l’innovation » et sur « l’économie de la connaissance » devaient déléguer aux continents du Sud, principalement à l’Asie, la fabrication industrielle des biens matériels. Nos gouvernants ont renvoyé l’épidémie infectieuse et l’industrie manufacturière à un monde sous développé et à des temps anciens que nous, Occidentaux, aurions dépassés. Au fond un tel virus était, comme les stocks de masques, trop archaïque pour concerner nos sociétés, trop performantes pour y être exposées. Quel rapport nos vies aseptisées et nos systèmes de santé ultramodernes pouvaient-ils avoir avec ces images déplaisantes de chauve-souris et de volailles infectées, pourtant emblématiques de notre économie mondialisée qui entasse les vivants dans des environnements industriels de plus en plus dégradés. Le néolibéralisme préfère tourner ses regards vers l’avenir radieux promis par l’innovation biomédicale et continuer d’occulter les facteurs sociaux et environnementaux de toutes les pathologies, tant infectieuses que chroniques.
La vision néolibérale de la médecine est que notre système sanitaire doit en finir avec la vieille médecine clinique. A notre vieille médecine jugée « réactive », la vision « proactive » est une conception qui passe exclusivement par la responsabilité individuelle et qui refuse d’assumer une vision collective des déterminants sociaux de santé, soupçonnée de déboucher sur une action sociale trop collectiviste.
C’est ce qui explique un long retard au démarrage pour prendre des mesures collectives de santé publique, doublé d’une spectaculaire pénurie alors même que des alertes sur les maladies émergentes se multipliaient dans la littérature scientifique depuis des années.
Les maux de l’hôpital
Pénurie de médecins, d’infirmières, d’aides-soignants, fermeture ou fonctionnement dégradé de plusieurs services d’urgence. Les maux des établissements de santé prennent leur source dans plus de vingt ans de réformes avec un objectif de réduction des coûts. La lente asphyxie budgétaire imposée par ces réformes est en grande partie responsable de cette crise.
La croissance de la production de soins s’est accompagnée d’une augmentation bien moindre des effectifs dans les dix dernières années selon Pierre-Louis Bras, ancien Directeur de la Sécurité sociale. Pour combler le déficit de la « sécu » les économies se concentrent sur l’hôpital, plus facile à restreindre que les dépenses de médecine de ville.
Une prise en charge plus légère sur moins de vingt-quatre heures, permis notamment par les progrès de la médecine, justifie une part importante des réductions des capacités des établissements. A partir de ce constat le leitmotiv de toutes les réformes a été la réduction du nombre de lits. Mais les restrictions semblent bien avoir dépassé cette nécessaire transformation.
La gouvernance de l’hôpital constitue l’autre sujet crucial qui a rythmé les débats des vingt dernières années dans l’hôpital public. L’équilibre entre pouvoir médical et pouvoir administratif est difficile à trouver. Les Agences régionales de Santé ont été installées pour piloter et réguler l’offre de santé dans les régions.
Le manque de médecins s’est aggravé avec l’idée que pour limiter la progression des dépenses il fallait diminuer le nombre de médecins. L’hôpital souffre aussi du fait que la permanence des soins (nuit, week-end) s’est concentrée toujours plus entre ses murs, à mesure que « les déserts médicaux » ont progressé en médecine de ville.
Au tournant des années 2000, les pouvoirs publics décident de modifier le mode de financement des hôpitaux. Jusque-là, ils recevaient une dotation globale pour fonctionner, chaque année la même somme. Le principe qui s’impose alors consiste à prendre en compte l’activité réelle des établissements. La tarification à l’activité a fait dériver le système vers un hôpital-entreprise qui ne correspond pas à la mission de l’établissement de soins.
Repenser la politique de santé publique
Des chiffres édifiants : 20% des personnes déclarant avoir renoncé à au moins un soin sont dans diplôme dont un tiers appartient aux 20% de ménages aux revenus les plus bas. Les inégalités se creusent dès le plus jeune âge et se maintiennent tout au long de la vie. Ces éléments sont connus depuis longtemps, de multiples rapports y sont consacrés. Notre politique de santé publique n’est pas satisfaisante. Il faudrait la repenser en nous donnant comme objectif de réduire au maximum les inégalités sociales de santé et sortir d’une approche principalement comptable.
La situation actuelle est la conséquence d’un contexte idéologique intervenu dans les années 1980 selon lequel il faut que l’économique et le social soit séparés et que l’État doit uniquement fixer les règles du jeu économique et éviter dans la politique sociale tout ce qui peut avoir un effet général de redistribution de revenus. C’est une vision néolibérale de l’organisation et du fonctionnement de la société. Comme le dit Barbara Stiegler le néolibéralisme n’est pas seulement dans les grandes entreprises, sur les places financières et sur les marchés, il est aussi en nous et dans nos manières de vivre qu’il a progressivement transformé et dont il s’agit de reprendre le contrôle.
Le système de soins doit être réformé afin de mieux répondre aux besoins de la population et aux crises sanitaires. Passer d’un modèle de santé centré sur l’offre de soins à un modèle axé sur les besoins de santé de la population. Il doit garantir un accès équitable à la santé dans tous les territoires.
La pandémie due au coronavirus a montré d’une part que la santé pouvait être un obstacle à la liberté et à la sécurité des personnes, et d’autre part les carences de notre état sanitaire. La santé publique est une fonction régalienne et doit être considérée comme telle dans sa gestion politique, institutionnelle et financière. L’État stratège doit fixer les objectifs de santé publique, les choix stratégiques et technologiques, mais aussi le financement nécessaire. Comme au lendemain de la dernière guerre nous devons reconstruire un système de santé performant et solidaire avec pour objectif le bien-être de la population.
Plusieurs sondages montrent que l’opinion publique en France est favorable à plus de 90% à une législation permettant l’euthanasie et le suicide assisté. De quoi s’agit-il et quelles sont les évolutions possibles ? Voyons dans un premier temps quelques définitions permettant de clarifier le débat. Dans une deuxième partie nous examinerons la législation française en matière de fin de vie. Ensuite nous aborderons ce qui devrait être notre dernière liberté, le choix d’une mort douce et sans souffrance.
Rappel de quelques définitions utiles
Rappelons quelques définitions pour préciser de quoi l’on parle et éviter si possible toute confusion quand on aborde les différentes façons de concevoir la fin de vie.
Euthanasie signifie étymologiquement mort douce et sans souffrance. C’est l’usage de procédés qui permettent d’anticiper ou de provoquer la mort. Ces procédés sont destinés à abréger l’agonie d’un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes. L’euthanasie est dite « active » si elle consiste à administrer des substances destinées à provoquer la mort. Elle est dite « passive » si elle consiste à suspendre les soins ou à s’abstenir de toute thérapeutique.
Le suicide assisté est le procédé où c’est la personne elle-même qui absorbe la substance létale. Encore faut-il que cette substance lui soit accessible d’où la nécessité de l’intervention d’un professionnel habilité.
L’acharnement thérapeutique, selon le Code de déontologie médicale, est une obstination déraisonnable à poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.
Les soins palliatifs ont pour objectif de prévenir et de soulager les douleurs physiques, les symptômes inconfortables ou encore la souffrance psychologique. La médecine palliative a pour mission d’améliorer la qualité de vie des patients atteints d’une maladie évolutive grave mettant en jeu le pronostic vital ou en phase terminale.
La sédation permet au patient de ne pas souffrir et de ne pas avoir conscience de ce qui arrive pendant un laps de temps. Elle peut être profonde et continue maintenue jusqu’au décès du patient.
La législation française
Beaucoup de pays ont légalisé l’arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l’acharnement thérapeutique et institué des initiatives d’accompagnement des patients en fin de vie. L’euthanasie ou le suicide assisté est autorisé en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays Bas, en Colombie et dans certains États des États-Unis.
La fin de vie en France est encadrée principalement par la loi de 2002 sur le droit des malades, la loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie et la loi Claeys-Léonetti, loi de fin de vie du 2 février 2016. La législation française interdit l’euthanasie et le suicide assisté et favorise les soins palliatifs. Elle empêche le médecin de pratiquer une obstination déraisonnable dans le soin des malades. La loi de 2016 introduit les directives anticipées, la désignation de la personne de confiance et instaure également la sédation profonde et continue jusqu’au décès.
Les directives anticipées sont un document écrit, daté et signé par lequel une personne rédige ses volontés quant aux soins médicaux qu’elle veut ou ne veut pas recevoir dans le cas où elle serait devenue inconsciente et se trouverait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Les directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux.
La personne de confiance est la personne désignée pour transmettre aux professionnels de santé, par le biais des directives anticipées, les volontés du patient qui serait devenu hors d’état de s’exprimer.
Une nouvelle proposition de loi a été faite en avril 2021 visant à permettre le libre choix de la fin de vie et à définir un protocole d’aide active à mourir. Cette proposition non soutenue par le gouvernement a fait l’objet de plus de 3000 amendements dont le but était de la faire échouer. Cet épisode montre qu’une partie de la classe politique n’est pas prête à faire évoluer la loi en cette matière.
Choisir une mort douce et sans souffrance
Plusieurs sondages commandés par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) indique que plus de 90 % des personnes interrogées seraient favorables à ce qu’une législation permettant une mort douce et sans souffrance soit adoptée.
Cette aspiration rencontre plusieurs oppositions, les croyants, le corps médical, les risques de dérives. Ces oppositions sont respectables et méritent de se voir apporter des réponses.
Aux croyants il faut souligner que le fait de légiférer n’oblige personne. La loi ne ferait que permettre, à ceux qui en font le choix, d’exercer leur dernière liberté en décidant de cesser de vivre au vu de leur état. Ceux qui pensent que seul Dieu a donné la vie et donc lui seul peut reprendre ce qu’il a donné, ne sont soumis à aucune obligation.
Aux médecins qui ont fait le choix de sauver les vies et qui estiment qu’il n’est pas dans leur rôle de donner la mort, il est légitime de leur accorder une clause de conscience. De plus il s’agit de permettre à l’intéressé, aidé de sa ou ses personnes de confiance, la possibilité d’acquérir et d’absorber une potion létale.
Les risques de dérives doivent être pris en considération en encadrant ce nouveau droit par un contrôle collégial des conditions d’exercice de ce droit à la mort douce. Si la personne concernée est lucide au moment de l’exercice de ce droit et qu’elle confirme un choix philosophique fait plusieurs fois au court de sa vie, son choix doit être respecté et le risque de dérive est réduit. De même si l’intéressé n’est plus lucide mais qu’il a confirmé antérieurement sa volonté plusieurs fois et qu’il a désigné une personne de confiance qui confirme, là aussi le risque de dérive est réduit. Le plus sûr moyen d’éviter les dérives est de populariser la possibilité de rédiger ses directives anticipées. Il devrait être obligatoire, dans tout établissement de santé, de proposer la rédaction de ces directives avant toute hospitalisation. Si la personne n’est pas lucide et si elle n’a pas rédigé ses directives anticipées le recours à l’euthanasie doit rester interdit.
Dès l’instant où une personne estime que sa situation ne lui permet plus d’avoir une vie digne (soit à cause de la dégradation de sa santé, soit parce qu’elle est atteinte d’une maladie incurable, soit parce qu’elle subit des souffrances difficilement supportables, soit parce qu’elle ne peut plus vivre sans être dépendante pour ses besoins les plus intimes…) elle doit pouvoir recourir à ce droit à une mort douce et sans souffrance.
Ne pas lui permettre d’accéder à ce droit, qui relève d’un choix personnel et intime, est une limitation de sa liberté. Alors que lui reconnaître ce droit ne lèse personne.
L’humanisme consiste à mettre la personne humaine et son épanouissement au centre de toute préoccupation. L’adoption d’une loi permettant le choix de sa fin de vie ne nuit en rien à l’égalité de traitement des citoyens et ne contraint personne. Par contre maintenir l’interdiction de donner la mort dans les circonstances précisées ci-dessus empêche ceux des citoyens qui aspirent à choisir le moment de leur mort, crée une inégalité par rapport à ceux qui ont une option philosophique différente. La France est une république laïque qui garantit le droit de croire ou de ne pas croire. Le respect de la liberté de conscience est un des fondements de la République. La légalisation de l’euthanasie active et du suicide assisté en France, encadrée dans le respect des inquiétudes des opposants et visant à lutter contre les dérives éventuelles sera indéniablement une avancée humaniste.
Une loi sur la fin de vie respectant la liberté de conscience de chaque citoyen doit autoriser ceux qui ont rédigé leurs directives anticipées, à obtenir le droit à une mort douce et sans souffrance. C’est le droit à leur dernière liberté.
La langue anglaise est parfois plus expéditive et directe que le français : « to nudge » veut dire donner un coup de coude. C’est un geste que l’on peut faire pour encourager ou pour inciter quelqu’un à faire quelque chose.
Le nudge est une méthode d’influence douce issue des progrès des recherches en psychologie cognitive et en neurosciences, qui a été développée par les tenants de la « behavioural économy » (l’économie comportementale). Elle a été théorisée par l’économiste Richard Thaler.
Ses travaux portent sur le fait que, contrairement à certaines théories économiques, les êtres humains ne se comportent pas toujours de manière rationnelle notamment en raison de biais cognitifs. Nous n’aimons pas changer de comportement si cela nous demande des efforts, nous préférons en général rester dans les normes plutôt que se distinguer, nous appréhendons l’échec, nous remettons à plus tard ce qui aurait peut-être intérêt à être fait tout de suite, nous préférons une action qui rapporte immédiatement à une action rapportant plus mais plus tard. Autant d’exemples de comportements qui ne correspondent pas forcément à notre intérêt immédiat. Selon Richard Thaler ce sont des facteurs très divers qui déterminent nos décisions. Il s’agit de comprendre comment les individus font des choix de manière à les inciter à modifier leur comportement.
Cette méthode est utilisée par le marketing mais aussi dans le monde politique d’abord au Royaume Uni et aux États-Unis. Depuis quelques années en France, la méthode est préconisée pour l’ensemble des politiques publiques. Pendant la pandémie le gouvernement s’est appuyé sur des experts en sciences comportementales pour inciter les français à suivre les recommandations sanitaires. Je vous laisse juge de l’efficacité de la méthode. En tous cas cela n’a pas empêché le cafouillage autour du port du masque.
Les partisans de cette technique la préconisent en remplacement de la taxation ou de l’incitation financière en argumentant sur le fait que le bâton n’est pas toujours la meilleure façon de parvenir à ses fins. Ils préfèrent l’incitation douce à la contrainte. Le délégué interministériel à la transformation publique cite comme exemple la ville de Chicago qui a modifié le marquage au sol à l’approche des virages pour donner l’impression d’une plus grande vitesse aux automobilistes. Le nombre d’accidents a baissé de 36% alors que les répressions classiques avaient échoué. Autre exemple l’aéroport d’Amsterdam a collé des images de mouches dans les urinoirs pour inciter les utilisateurs à viser juste et réduire les coûts d’entretien.
Même si les chercheurs en sciences comportementales disent qu’ils sont bien intentionnés, qu’ils agissent au nom de l’intérêt général, qu’ils respectent un cadre éthique précis et une méthodologie rigoureuse avec une évaluation systématique des résultats, le « nudge » laisse entrevoir des dérives inquiétantes. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Cette méthode n’en est qu’à ses premiers balbutiements dans l’action publique et peut verser dans l’infantilisation ou la manipulation. Dans un contexte de suspicion généralisée à l’égard du politique et de complotisme galopant, les initiatives visant à modifier le comportement des citoyens ne peut qu’interroger. Dans certains cas l’intérêt collectif est clair mais dans d’autres les choses sont moins évidentes. Alors, qui décide de ce qui est bon pour tous ? Comment réagirons les citoyens qui prendront peu à peu conscience d’être des individus « nudgés » c’est-à-dire poussé sans le savoir à choisir l’option que le gouvernement juge préférable ?
Le nudge fait l’objet de nombreuses critiques. Cette technique, qui s’apparente au marketing publicitaire, est-elle compatible avec la démocratie et la citoyenneté ? Plutôt que d’amener les citoyens à changer inconsciemment de comportement ne vaudrait-il pas mieux, dans le cadre d’un débat démocratique, les convaincre de le faire en toute conscience ? Les techniques de marketing publicitaire influencent déjà beaucoup trop la vie politique, est-il nécessaire qu’elles envahissent aussi les politiques publiques ?
Depuis l’apparition des humains sur la terre, les générations se succèdent, chacun luttant pour sa propre survie et celle de ses proches. La maîtrise de la nature, le développement des techniques et des sciences, l’évolution des formes d’organisation sociale sont à la base du progrès humain. Étudier l’Histoire de l’humanité c’est essayer de comprendre comment et pourquoi les choses se sont passées de telle ou telle manière et pas autrement. Au cours des siècles les études historiques ont évolué. Il y a là aussi différentes façons d’aborder l’Histoire. Pour situer l’approche comparative de l’Histoire des inégalités telle que développée par Thomas Piketty et la World Inequality Database, j’aborderais dans un premier temps des conceptions de l’Histoire avant de dérouler les éléments moteurs de l’évolution des inégalités, pour terminer par la vision néolibérale de la prospérité.
Différentes approches de l’Histoire
La conception idéaliste de l’Histoire
Selon la conception idéaliste de l’histoire telle que Hegel l’entendait, l’univers évolue selon un processus continuel de dépassement. Cette conception pose les principes d’une approche dialectique de l’histoire. Elle confère à l’idée, ou à l’esprit le rôle de moteur premier dans le déroulement du processus dialectique. L’homme appréhende les choses par le travail de l’esprit et de la raison. L’esprit est la contradiction suprême qui met le monde en mouvement et transforme le réel.
Le matérialisme historique
Partisan d’une conception matérialiste de l’Histoire, Marx conteste l’idéalisme de la vision d’Hegel. Il estime que la dialectique hégélienne « marche sur la tête », c’est la vie qui détermine la conscience et non la conscience qui détermine la vie. Mais il souligne la portée révolutionnaire de la conception dialectique de Hegel et voit en celle-ci le mécanisme annonciateur de la disparition du capitalisme dans son dépassement par une autre forme de société issue de ses contradictions. Les forces productives déterminent les rapports de production ou structure sociale qui, dans le système capitaliste, se décompose en deux classes aux intérêts opposés. Les forces productives et les rapports de production déterminent ensemble le mode de production. Pour Marx l’Histoire est l’étude des formations sociales concrètes considérées non pas comme données statiques mais comme des processus de reproduction sociale. Le matérialisme historique est l’étude des formations sociales, c’est-à-dire l’analyse du processus complexe par lequel une formation sociale se produit et se reproduit comme unité, comme un tout structuré.
Deux écueils à éviter dans l’histoire comparative des inégalités
Sans tourner le dos à ces conceptions de l’Histoire, Thomas Piketty, professeur à l’École d’économie de Paris, a adopté une approche plus pragmatique. Il est l’auteur du « Capital au XXIème siècle » en 2013, de « Capital et idéologie » en 2019, et vient de publier « Une brève histoire de l’Égalité » en 2021 aux éditions du Seuil. C’est un spécialiste de l’étude des inégalités économiques dans une perspective historique et comparative. En collaboration avec d’autres économistes au sein de la World Inequality Database, il a effectué un travail comparatif sur la dynamique des inégalités dans les pays développés à partir de la création de séries statistiques couvrant la totalité du XXe siècle, constituées notamment à partir de données des administrations fiscales.
Ces études ont permis de montrer que les pays occidentaux, après avoir connu une baisse des inégalités économiques sur le temps long de l’histoire, sont entrés dans une phase de reconstitution de très fortes inégalités depuis plusieurs décennies, non seulement au niveau des revenus mais aussi au niveau des patrimoines.
Dans son dernier livre Thomas Piketty indique s’appuyer sur de nombreux travaux internationaux qui ont profondément renouvelé les recherches en histoire économique et en sciences sociales. Il précise que deux écueils sont à éviter : « l’un consistant à négliger le rôle des luttes et des rapports de force dans l’histoire de l’égalité, l’autre consistant au contraire à les sanctifier et à négliger l’importance des débouchés politiques et institutionnels ainsi que le rôle des idées et des idéologies dans leur élaboration ».
Les éléments moteurs de l’évolution des inégalités
Esclavagisme et colonialisme ont joué un rôle primordial
Le développement du capitalisme industriel occidental est intimement lié à la division internationale du travail, à l’exploitation des ressources naturelles et à la domination militaire européenne. L’esclavagisme et le colonialisme ont joué un rôle primordial dans l’enrichissement occidental. A titre d’exemple, citons les recherches de Sven Beckert sur « l’empire du coton » reprises par Thomas Piketty. Ces recherches ont montré l’importance cruciale de l’esclavagisme dans la prise de contrôle de la production textile mondiale entre 1750 et 1860 par les britanniques et les européens.
Le colonialisme et la domination militaire ont permis aux pays occidentaux d’organiser l’économie-monde à leur profit. A cela s’ajoutent des facteurs religieux, idéologiques et anthropologiques pour expliquer la trajectoire historique des puissances européennes. L’Histoire de l’État et du pouvoir joue aussi un rôle important dans cette évolution. Pendant des siècles les États ont généralement été contrôlés par les classes dominantes. Les révoltes et les luttes sociales ont joué un rôle croissant à partir de la fin du XVIIIème siècle et contribuent à la détermination du type de pouvoir étatique.
Rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales 2022
Le rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales publié ce mardi 7 décembre 2021 par la World Inequality Database, nous apporte un nouvel éclairage sur les multiples inégalités. Les excès de la mondialisation financière expliquent en partie le creusement des écarts de revenus et de patrimoine ces dernières décennies. Les inégalités culminent à des niveaux historiquement élevés. En moyenne les 10% des adultes les plus riches de la planète captent 52% des revenus mondiaux, lorsque 50% des plus pauvres s’en partagent 8,5%.
Les disparités de patrimoine sont plus fortes que celles de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale ne possède que 2% de la richesse des ménages tandis que les 10% les plus aisés en détiennent 76%.
La crise liée au Covid-19 a exacerbé un peu plus encore la captation des richesses mondiales par les plus fortunés, elle a profité aux multimillionnaires. Depuis 1995, les multimillionnaires (le 1 % le plus aisé) ont capté 38 % de la richesse additionnelle créée, contre 2 % pour la moitié des plus pauvres.
Ces dernières décennies, d’importants transferts du patrimoine public vers le privé ont été opérés. La hausse des prix de l’immobilier et des Bourses a contribué à gonfler les patrimoines privés, et la hausse des dettes publiques expliquent la chute des patrimoines publics nets.
Les inégalités de genre restent fortes : les femmes ne touchent que 35% des revenus mondiaux, 38% en Europe de l’Ouest. Les disparités de richesse se traduisent aussi en inégalités en termes d’empreinte écologique. Les émissions de carbone des 1 % les plus riches de la planète dépassent celles des 50 % les plus pauvres.
La vision néolibérale de la prospérité
Les prophètes de la révolution néolibérale
De nombreux discours conservateurs tentent de donner des fondements naturels et objectifs aux inégalités et expliquent que les disparités sociales en place sont dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Selon eux les inégalités sont nécessaires pour accroitre la productivité et la croissance.
Dans la deuxième partie du XXème siècle les prophètes du néo-libéralisme de « l’école de Chicago » sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien-être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.
Ronald Reagan aux États Unis et Margaret Thatcher au Royaume Uni ont été les premiers dirigeants à mettre en œuvre ce tournant politique des années 1980 qui a eu un impact considérable sur l’évolution des inégalités. Après une période d’après-guerre où les inégalités ont régressé, les politiques néolibérales sont devenues culturellement dominantes et ont bouleversé le panorama des inégalités. La promesse néolibérale de dynamisation de la croissance par la baisse de la fiscalité des plus riches n’a pas marché. La théorie du ruissellement n’a pas généré la prospérité pour tous. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées.
Cette vision met la démocratie en danger
Depuis que cette vision néolibérale s’est imposée le taux de croissance des revenus du capital s’est accéléré alors que la croissance des revenus du travail a stagné voire reculé. Sans un rééquilibrage de ces taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à la remise en question de la propriété privée comme le fait Thomas Piketty dans son dernier livre ?
L’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective.
Cette évolution s’accompagne d’une augmentation inquiétante de l’abstentionnisme aux élections et d’une offre politique de droite extrême qui tente, avec démagogie et un certain succès, de gagner les voix des catégories populaires défavorisées. L’inégalité est à la fois la cause et la conséquence de la faillite du système politique comme dit Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie. Si l’État continue à laisser le 1% de la population s’accaparer l’essentiel des richesses et met à contribution les classes moyennes et populaires, il laisse se développer une désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.
Dans une tribune parue dans le journal « Le Monde », des médecins de Nouvelle Aquitaine, principalement des réanimateurs, devant faire face à une recrudescence des hospitalisations et des réanimations notamment des personnes non-vaccinées sont confrontés à une série de questions qui ne peuvent que nous interpeller.
Les services de réanimation sont, au moment d’écrire ces lignes, occupés à 70% par des personnes non vaccinées. Les 30% restants sont des personnes vaccinées atteintes de comorbidités.
Est-ce normal de priver des malades de lit de réanimation ou de soins chirurgicaux, même non urgents, pour s’occuper de personnes qui ont fait le choix de ne pas se vacciner et ainsi prendre délibérément le risque de faire une forme grave de la Covid 19 ?
Est-il juste de faire attendre un patient atteint d’une infection digestive au service d’urgence sur un brancard pendant dix heures parce que le service des maladies infectieuses est rempli par des patients atteints de la Covid 19 ?
Est-il juste de ne pas réaliser une transplantation hépatique car la réanimation prévue pour accueillir ce type de patient a été transformée en unité Covid 19 ?
Faut-il privilégier un malade non vacciné atteint du Covid qui prend un lit de réanimation et empêche un malade vacciné atteint d’un cancer d’être pris en charge ?
Il est compliqué pour les médecins et notamment les réanimateurs de voir des patients non vaccinés qui remplissent les lits et engorgent l’hôpital, ce qui les oblige à reporter des soins pour des patients vaccinés.
C’est une question éminemment éthique que se posent aussi des médecins belges qui souhaitent que la priorisation absolue des patients atteint de la Covid 19 fasse l’objet d’un débat éthique avec toutes les parties concernées.
Bien entendu, pour les médecins comme pour tout citoyen, il est inenvisageable, dans nos sociétés libérales et démocratiques, de ne pas soigner les non-vaccinés. Le code de déontologie médicale a force de loi et est sans appel. Le médecin doit soigner toute personne quelles que soient ses convictions. Mais il est notable que dans la situation d’engorgement des hôpitaux cette obligation n’est pas dénuée de complexité.
Le professeur Israël Nisand, spécialiste des questions bioéthiques et d’éthique médicale, interrogé à ce sujet sur une chaine de télévision, estime que ce dilemme ne se pose pas aux médecins mais se pose aux patients, ceux qui réclament de leur liberté le fait de ne pas se faire vacciner. Il ne s’agit pas que de leur liberté mais aussi de la liberté des autres de se faire soigner et de pouvoir accéder à une réanimation quand on a un AVC (accident vasculaire cérébral), un accident cardiaque ou autre. C’est pourquoi il se déclare extrêmement favorable à une obligation vaccinale en bonne et due forme. Il ne s’agit pas de ménager la liberté des uns ou des autres, il s’agit d’avoir la responsabilité de savoir qu’en ne se vaccinant pas, ils vont condamner d’autres à la mort parce qu’ils ne pourront pas accéder à un lit de réanimation.
Si nous ne voulons pas que les médecins soient obligés de faire face à ce dilemme de faire le tri entre leurs patients, la seule solution est de rendre obligatoire la vaccination contre la Covid 19.
Lluis Quintana-Murci, généticien, professeur au Collège de France, vient de publier chez Odile Jacob un livre intitulé « Le peuple des humains » avec comme sous-titre : Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations. Je viens de terminer la lecture de ce livre passionnant à la portée de tous qui répond à ces questions universelles que se posent les humains depuis leur apparition sur terre : d’où venons-nous ? que sommes-nous ? où allons-nous ?
Je n’ai pas la prétention de vous résumer cet ouvrage mais simplement d’y relever quelques éléments qui vous donneront, je l’espère, envie de le lire dans sa totalité.
Des mythes à la découverte de l’ADN
Les mythes et les religions ont proposé des réponses à la question de nos origines. Aujourd’hui la science apporte un éclairage de nature différente. Elle explique d’où nous venons à partir de la connaissance des processus du vivant que nous accumulons sans cesse. Le cadre général est la théorie de l’évolution de Darwin à laquelle s’ajoutent la découverte de l’ADN, les bases de la génétique et celles de la génétique des populations.
La théorie de Darwin (1859) postule que la transformation des espèces se fait par sélection naturelle et de façon graduelle. Les différences observées entre individus sont transmises aux générations suivantes. Petit à petit la sélection naturelle induit des changements graduels et les individus les plus adaptés sont de plus en plus nombreux.
Contemporain de Darwin, Gregor Mendel, à partir de ses travaux sur la transmission des caractères héréditaires, montra que des facteurs se transmettaient de génération en génération de manière prédictible. Il établit les lois de l’hérédité que l’on appela par la suite les « lois de Mendel ». Charles Darwin ne lut jamais ses travaux. Ce n’est que plus tard que l’on fit le lien entre hérédité et évolution.
Entre 1930 et 1960 un consensus interdisciplinaire entre naturalistes, paléontologues, mathématiciens et généticiens constitue « la théorie synthétique de l’évolution ». Leurs travaux établissent que l’évolution est un processus graduel compatible à la fois avec les mécanismes génétiques connus et avec les observations naturalistes. Mais la nature du matériel héréditaire demeurait inconnue. La découverte de la structure en double hélice de l’ADN en 1953 et les découvertes en biologie moléculaire et plus généralement en génétique ont permis de faire d’énormes progrès dans l’explication des phénomènes de la vie. La théorie synthétique de l’évolution permet de mieux comprendre les processus évolutifs qui affectent la diversité génétique d’une population.
Les études en génétique se sont particulièrement développées avec l’arrivée du séquençage de l’ADN en 1977 et grâce au programme de science collaborative lancé en 1988 pour établir la séquence complète de l’ADN du génome humain. Nous savons aujourd’hui que seulement 2% du génome contient de l’information génétique qui va se traduire en unités essentielles pour faire un être vivant.
L’homme ne descend pas du singe… il est un singe !
Basée essentiellement sur l’anatomie comparée, soulignant la grande proximité entre l’homme et les singes de l’Ancien Monde, Darwin dit que l’homme est un singe qui appartient aux catarhiniens, comme les chimpanzés, les gorilles ou les orangs outangs.
La génétique et ensuite la génomique ont confirmé les hypothèses de Darwin et de beaucoup d’autres sur l’ancêtre commun partagé entre l’homme et les singes. Les techniques de biologie moléculaire appliquées à l’étude du passé des vivants ont montré que l’homme était bien plus proche des singes africains que ceux-ci l’étaient des singes asiatiques. Ils datèrent la divergence entre l’homme et le chimpanzé et le gorille à seulement 5 millions d’années. Les expériences d’hybridation de l’ADN ont apporté les premières preuves génétiques révélant que les humains et les chimpanzés sont plus étroitement liés les uns aux autres qu’ils ne le sont chacun respectivement vis-à-vis des gorilles. La divergence entre l’homme et le chimpanzé est plus récente que celle entre leur ancêtre commun et le gorille. L’orang outan, autre cousin souvent mentionné, est l’espèce la plus éloignée de l’homme.
L’homme est donc un singe mais il n’est pas un singe comme les autres à de nombreux égards. Les différences de génome avec les chimpanzés, si faibles soient-elles en volume, se situent dans des régions génomiques impliquées dans le développement du cortex cérébral. Ces différences pourraient expliquer la taille très supérieure de notre cerveau et être impliquées dans les extraordinaires fonctions cognitives que notre espèce a acquises. Des différences diverses peuvent également expliquer les particularités uniques de l’espèce humaine en matière de morphologie, de fonctions cognitives comme le langage articulé, de relations sociales, de physiologie ou de relations avec les pathogènes entre autres.
Nous sommes le résultat d’une longue histoire de métissage
Après les instruments traditionnels des archéologues et paléoanthropologues, les apports décisifs de la génomique nous permettent de mieux en mieux reconstituer l’épopée de notre espèce, depuis son berceau, l’Afrique, jusqu’aux différentes étapes du peuplement de la terre et de ses continents. Nous sommes le produit de 200 000 ans d’histoire comme espèce, avec à la fin 100 000 ans de voyages et de rencontres multiples. Nous pouvons « lire » dans nos génomes comment notre espèce s’est adaptée à son environnement mais aussi à nos prédateurs, nos pathogènes causant les maladies infectieuses. Mais les humains ont aussi une histoire culturelle qui quelque fois infléchit leur histoire génétique. En retraçant l’histoire des mouvements de population et des métissages tels qu’ils sont révélés par la génétique, la génomique permet de relier le présent au passé.
Le génome de chacun de nous est une mosaïque composée à partir des génomes de tous nos ancêtres. Nous y retrouvons les traces d’une multitude de rencontres qui ont abouti à notre diversité génétique actuelle. Ces rencontres font de nous des métis, quelle que soient nos origines géographiques, ethniques ou culturelles. Toutes les revendications identitaires appuyées sur des héritages exclusifs du « sang » ou de la « race » ne sont que des fantasmes au regard de la réalité génétique. D’un point de vue biologique chez les humains la « race » est pour l’essentiel une construction culturelle.
L’étude de nos génomes montre que la plupart des individus et des populations de la planète, sauf celles d’origine africaine, ne sont pas Sapiens à 100%. Ironiquement, les seuls groupes qui seraient Sapiens à 100%, car ils n’ont pas ou peu de matériel « archaïque » (c’est-à-dire d’origine néandertalienne ou dénisovienne, espèces antérieures à sapiens) dans leurs génomes, sont ceux d’origine africaine. C’est un détail de poids à rappeler aux défenseurs d’idéologies racistes.
Pour les hommes modernes provenant d’Afrique, le métissage avec les néandertaliens et les dénisoviens qu’ils ont rencontrés en investissant de nouvelles régions du monde, il y a environ 50 000 ans, a facilité leur adaptation aux nouveaux environnements. A titre d’exemple une étude publiée en 2016 a révélé que les néandertaliens ont en effet transmis aux Européens des mutations clés pour le contrôle de la réponse immunitaire contre les infections virales, comme la grippe.
Cet article ne donne qu’un aperçu de ce que vous pouvez trouver dans « Le peuple des humains » de Lluis Quintana-Murci. L’auteur nous montre comment l’étude génétique de notre passé nous permet de mieux comprendre les sources de notre diversité génétique actuelle et nos relations aux maladies. Il nous donne des éléments de réponse à la question qui sommes-nous ? Il nous indique que nous pouvons exploiter la connaissance du passé pour mieux comprendre la façon dont nous allons réagir à des changements futurs. Dans son épilogue, l’auteur nous dit que notre espèce continue à évoluer. Les migrations et les métissages entre populations humaines suite à la mondialisation représentent des mécanismes primordiaux d’évolution de notre espèce dans un futur proche. C’est la diversité qui est le moteur de l’évolution et le fondement de l’adaptation de l’homme aux changements environnementaux. Sans diversité, sans différence il n’y a pas d’évolution, ni de progrès.
Après plus d’un an de crise sanitaire et la mise au point de plusieurs vaccins contre le Covid 19 en un temps record, nous espérons tous pouvoir sortir des restrictions qui nous ont été imposées par ce virus et reprendre une vie « normale ». Mais s’agit-il de retrouver le monde d’avant sans tirer les leçons de cette aventure ? Va-t-on à nouveau laisser libre cours à l’individualisme et au chacun pour soi, relancer l’activité économique débridée avec pour objectif la maximisation du profit à court terme au mépris de l’accroissement des inégalités, ignorer le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité.
Qu’est-ce que le progrès ?
Selon le dictionnaire, le petit Robert, le mot progrès vient du latin progressus qui signifie « action d’avancer », de progredi « aller en avant ». Sont énumérés ensuite les différents sens du mot :
Mouvement en avant ; action d’avancer
Développement, progression dans le temps
Changement d’état qui consiste en un passage à un degré supérieur
Développement en bien – amélioration
L’évolution de l’humanité, de la civilisation (vers un terme idéal)
Les penseurs du siècle des Lumières sur les plans scientifiques et philosophiques voyaient le triomphe de la raison sur la foi et la croyance. Ils voulaient œuvrer pour un progrès du monde. Ils combattaient l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme, et la superstition des siècles passés. Ils ont procédé au renouvellement du savoir à partir des idées héritées de la Renaissance.
Un de ces penseurs, Emmanuel Kant, écrit en 1784 la devise des Lumières : « Sapere aude », ose savoir, ose te servir de ton entendement. La non inscription dans une relation avec un dieu ni avec une quelconque transcendance est vécue comme la volonté d’un jugement autonome. La liberté est le fondement de la philosophie des Lumières. L’idée du salut de l’âme est remplacée par l’idée du bonheur compris comme une optimisation incessante du bien-être matériel qui devient le but extrême de l’existence.
Dans « Le triomphe des Lumières » publié aux éditions les arènes, Steven Pinker expose que les Lumières ont une nouvelle façon d’envisager la condition humaine au travers d’un foisonnement d’idées parfois contradictoires mais reliées par quatre thèmes :
La raison : appliquer des critères rationnels pour comprendre le monde. C’est la raison qui les conduisit à rejeter une croyance en un Dieu anthropomorphique qui s’immisçait dans les affaires humaines.
La science : la sortie de l’ignorance et de la superstition a montré comment les méthodes propres à la science sont la manière d’aboutir à des connaissances fiables.
L’humanisme : établir un fondement laïque à la morale et jeter les bases de l’humanisme qui privilégie le bien-être des individus, hommes, femmes, enfants par rapport à la tribu, la race, la religion. L’objectif est de procurer le plus grand bonheur au plus grand nombre et traiter les autres humains comme des fins et non comme des moyens.
Le progrès : Grâce à la meilleure compréhension du monde que permet la science, l’humanité est en mesure d’accomplir des progrès intellectuels et moraux guidés par l’humanisme et faire du monde un endroit meilleur pour tous.
La philosophie des Lumières c’est la primauté de la raison sur le dogme, la sécularisation de la société, le développement des sciences et des techniques, la maîtrise de la nature par l’homme dans la perspective de l’amélioration du bien-être humain et la recherche du bonheur.
A la poursuite du bonheur
Sous l’influence de cette philosophie des Lumières, la recherche du développement de l’humanité s’est traduite au XVIIIème siècle par la révolution de la machine à vapeur, la révolution de l’électricité et du moteur à explosion au XIXème, et la révolution informatique au XXème. Au cours de ces derniers siècles on observe un réel mouvement en avant dans de nombreux domaines qu’il serait absurde de nier. Des effets positifs sont enregistrés en matière d’éducation, de santé, d’espérance de vie, de libertés individuelles, de droits humains, d’avancées sociales, économiques, politiques et d’amélioration du bien-être humain au sens large.
Rousseau pensait que « le développement des sciences et des techniques doit s’accompagner d’une éducation de la conscience humaine ». Les progrès des sciences et des techniques n’impliquent pas nécessairement un progrès humain. Les deux guerres mondiales et leurs barbaries en sont le témoignage incontestable. L’utilisation de l’arme atomique qui selon certains experts en stratégie n’était pas indispensable pour assurer la fin de la deuxième guerre mondiale, a sérieusement mis en cause le mythe du progrès comme une avancée inéluctable de l’amélioration du sort de l’humanité.
Repenser notre notion du progrès
Le réchauffement climatique annoncé depuis plusieurs années et la crise sanitaire que nous affrontons depuis plus d’un an nous incitent à repenser la notion de progrès et à nous interroger sur le sens que nous donnons à nos actes et à leurs conséquences.
Déjà en 1972, le rapport « Meadows » du club de Rome attirait l’attention sur le fait que notre croissance démographique et industrielle mène l’humanité à sa perte si des mesures ne sont pas prises. Depuis les perspectives n’ont cessé de s’aggraver. Nous consommons davantage de ressources qu’il ne s’en régénère et l’environnement se dégrade à toute vitesse. Le réchauffement climatique dépend de l’augmentation de la population mondiale, de la croissance de la production et des échanges, de l’intensité d’énergie consommée pour assurer cette production et de l’intensité carbone de cette énergie consommée. Selon le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) seule une action significative sur ces différents éléments, notamment la transition énergétique, permettra de réduire l’émission des gaz à effets de serre et le réchauffement de la planète.
La pollution des sols, de l’eau, de l’air, la déforestation, la diminution des espaces de vie, la raréfaction des ressources, sont en relation de cause à effet avec l’érosion de la biodiversité et l’augmentation des maladies infectieuses. Tous ces phénomènes se révèlent interdépendants : la pollution atmosphérique aggrave le changement climatique qui accélère la déforestation, réduit la biodiversité et augmente les risques épidémiques.
Beaucoup des maladies nouvelles ou émergentes affectant les humains sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles proviennent des animaux comme probablement le SARS COV 19. Les scientifiques craignent que la fonte du permafrost libère dans l’atmosphère des virus que l’humanité n’a pas connus en même temps que du méthane qui est un gaz à effet de serre. La menace épidémique devient explosive de nos jours du fait de la conjonction de trois facteurs : perte de biodiversité, industrialisation de l’agriculture et développement accéléré du transport de marchandises et de personnes. Notre alimentation est en partie responsable de l’affaiblissement de notre système immunitaire. Les spécialistes disent que les épidémies vont être de plus en plus régulières.
Revenir aux fondamentaux de la philosophie des Lumières
Malgré tous ces faits établis scientifiquement certains vont jusqu’à mettre en cause les conclusions issues des analyses scientifiques qui sont qualifiées de simples opinions collectives dépourvues de liens avec la réalité. Ils rejettent les connaissances scientifiques qui ne leur conviennent pas. Ils contestent l’impartialité des chercheurs et pensent qu’ils sont influencés par leurs croyances.
Comme le dit Etienne Klein, philosophe des sciences, dans « le goût du vrai » publié chez Gallimard : « nous vivons tous dans un océan de préjugés et les scientifiques n’échappent pas à la règle. (…) Ils ne parviennent à s’en défaire dans leur domaine de compétence qu’en adoptant collectivement une méthode critique. (…) Une vérité scientifique n’est déclarée telle qu’à la suite d’un débat contradictoire ouvert, conduisant à un consensus. ». Il faut faire confiance à la science pour affronter les défis qui se présentent à nous.
Mais tout ce qui est possible techniquement et scientifiquement n’est pas toujours humainement souhaitable. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Quelle civilisation souhaitons-nous construire ? Sur quelles valeurs la fonder ? quel sens donner à nos actions ? quels choix faire pour répondre au nouveau défi écologique ?
Construire une réponse planétaire
Changement climatique et préservation de la biodiversité
Depuis quelques années la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et donc de l’humanité. L’espèce dominante sur la planète, les humains, compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or les humains sont une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu. Il leur revient de tout mettre en œuvre pour préserver la planète. Cette action n’a de sens et d’efficacité qu’au niveau de l’ensemble de la planète. C’est le rôle des Conventions de Pays (COP) : organiser la coopération et la solidarité planétaire dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. La COP26 se réunira à Glasgow en Ecosse en novembre 2021 si la pandémie est à cette date maîtrisée. Il faudra passer des recommandations de 2015 à Paris aux engagements fermes sur une hausse impérative des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.
Surmonter la crise sanitaire
L’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019 en Chine. C’est aujourd’hui devenu un évènement planétaire. Après moins d’un an de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements fondés sur des anticorps. Ces thérapies sont encore à l’étude avant d’être autorisées. Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas de manière durable. Cette immunité ne peut être réalisée que si la population mondiale est vaccinée. Il faut donc considérer les vaccins comme un bien commun destiné à être accessible à tous. Encore faut-il être capable de les produire en quantité suffisantes. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires. Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de cette coopération mondiale.
Faire face à la crise économique
La pandémie du coronavirus a entrainé la plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Sur le plan économique une relance coordonnée sera nécessaire pour être efficace. L’économie mondialisée nécessite des mesures de régulation et de contrôle tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques. Il ne s’agit pas de reprendre après comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut tirer les leçons de cette expérience et en premier lieu considérer comme prioritaires les secteurs de la santé car nous ne sommes pas à l’abri de prochaines pandémies. Il est indispensable de sortir de l’économisme qui consiste à considérer que le développement économique est une fin en soi. L’économie doit être au service de la satisfaction des besoins humains réels et nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète.
L‘intersolidarité planétaire
Quel que soit son aspect, sanitaire, économique ou climatique, la crise que nous vivons est mondiale. Aucun État ne peut prétendre répondre seul à tous les défis qui se présentent à tous. Seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement. Les crises que nous vivons sont fortement interconnectées et forment une seule « polycrise » menaçant ce monde d’une « polycatastrophe ». Aucun État ni aucune Institution Internationale n’est aujourd’hui en mesure de faire respecter un ordre mondial et d’imposer les indispensables régulations globales. Comme le propose le Collegium international (voir notre article sur la gouvernance mondiale de novembre 2020), il faut repenser les principes juridiques internationaux et bâtir des mécanismes de prise de décisions planétaires dans l’intérêt de l’humanité. Le premier pas vers cette communauté mondiale est la reconnaissance universelle d’un principe nouveau qui résulte de l’interdépendance, l’intersolidarité planétaire. Ce principe devra préserver la diversité dans un esprit de tolérance et de pluralisme.
31 mai 2021
Références bibliographiques
Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018
Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir – « D’un monde à l’autre – Le temps des consciences » Fayard octobre 2020
Etienne Klein – « Le goût du vrai » tract Gallimard – juillet 2020
La suppression de l’École Nationale d’Administration est-elle le début de la mise en œuvre d’une véritable réforme de la haute administration ou une réponse populiste aux critiques nombreuses qui s’accumulent depuis plusieurs années faisant de cette école, sans doute abusivement, la principale responsable des dysfonctionnements de la société française ?
La création
Depuis la fin du XIXème siècle l’État avait recours au système des concours pour recruter les fonctionnaires responsables de la haute administration. Ce système était considéré comme la seule garantie d’un recrutement impartial et fondé sur le mérite.
Avec l’arrivée au pouvoir du Front Populaire en 1936, Jean Zay ministre de l’éducation nationale dépose à l’assemblée nationale un projet de loi autorisant la création d’une école nationale d’administration. Ce projet restera bloqué au Sénat jusqu’à la guerre. C’est le 9 octobre 1945 qu’une ordonnance du Gouvernement provisoire présidé par le Général De Gaulle crée l’École Nationale d’Administration (ENA). Cette décision avait été préparée par la Mission provisoire de réforme de l’administration placée auprès du chef du gouvernement et dirigée par Maurice Thorez, vice-président du conseil et secrétaire général du Parti Communiste Français.
La création de cette école a pour objectifs d’unifier la fonction publique en recrutant et en formant ses administrateurs en commun, avec la volonté de changer le recrutement, l’apprentissage des cadres de la République et une forte aspiration à l’élargissement du vivier social caractéristique du programme du Conseil national de la Résistance.
L’évolution
L’ambition sociale initiale de la Libération a été atteinte dans les premières décennies. Mais très vite, comme dans la plupart des concours très sélectifs, les enfants de cadres supérieurs et d’enseignants sont devenus prédominants.
Les élèves de l’ENA intègrent à leur sortie de l’école différents corps de la fonction publique d’État. Les premiers sont prioritaires et choisissent les postes les plus prestigieux, Conseil d’État, Inspection générale des Finances et Cour des Comptes.
Depuis la fin des années 1970 la question de la suppression de cette école est évoquée. Les critiques sont nombreuses. Son manque de mixité sociale lui est reproché mais aussi son manque d’efficacité. En effet c’est une école sans professeurs ou très peu, des gens viennent faire des conférences pour compléter la formation des élèves qui sont censés savoir tout parce qu’ils ont réussi le concours d’entrée. Cette réussite vaut certificat d’aptitude à diriger. L’école ne forme pas des spécialistes mais des hauts fonctionnaires qui souvent après un passage dans les cabinets ministériels sont parachutés à la tête de grandes entreprises nationales sans aucune expérience de gestion ou se lancent rapidement dans une carrière politique. La grande majorité de nos principaux ministres et même de nos Présidents de la République sont d’anciens élèves de l’ENA. La collusion entre élites politiques, administratives, et « pantouflages » industriels a nourri la critique légitime de ce moule trop uniforme des dirigeants français.
L’évolution de l’école est marquée par la domination culturelle du néolibéralisme dans l’ensemble de la société, le manque de culture critique et l’absence d’expérience de terrain. Le croisement entre culture politique et culture de l’entreprise pousse à introduire dans l’action publique la primauté de la rentabilité immédiate comme par exemple, pour citer un cas actuel, le non renouvellement des stocks de masques et la non préparation à l’éventuelle survenance d’une pandémie pourtant annoncée par les épidémiologistes.
Ces critiques ne doivent pas nous faire oublier la qualité et le dévouement au service public de l’immense majorité des hauts fonctionnaires français, mais aussi les mérites sociaux du concours interne et de la troisième voie ouverte, après l’alternance politique de 1981, par le ministre communiste Anicet Le Pors aux acteurs de la société civile.
Par ailleurs il faut noter que le système de formation et de recrutement des administrateurs publics nous est souvent envié à l’étranger d’où l’idée chez certains de préserver la marque ENA. Depuis sa création l’école accueille de nombreux élèves étrangers et a intensifié sa politique d’échanges internationaux.
La suppression
En avril 2021, le Président de la République, confirmant une promesse faite lors de la crise des « gilets jaunes », annonce la suppression de l’ENA et la création d’un Institut du Service Public prenant en charge l’ensemble des élèves administrateurs et qui intégrera un tronc commun à plusieurs écoles de service public. Dans la foulée il souhaite s’attaquer aux grands corps de l’État, l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), sans toutefois supprimer leurs services. D’autres corps pourraient être concernés.
Quel est le sens de ces annonces ?
S’agit-il de renouer avec les objectifs définis à la création, retrouver un recrutement impartial fondé sur le mérite et l’élargissement du vivier social, la fin du « pantouflage » et de « l’entre-soi » ? Va-t-on se donner les moyens d’empêcher la reproduction sociale au sommet de l’administration d’État ? Le contenu de la formation va-t-il être modifié pour laisser une plus large part à l’esprit critique? Imposera-t-on des stages à la base de l’administration pour acquérir de l’expérience avant la nomination à des postes à responsabilité ? Va-t-on retrouver la vocation première de l’école qui était de « développer les sentiments des hauts devoirs que la fonction publique entraîne et les moyens de les bien remplir » selon les mots de Michel Debré, l’un des fondateurs de l’école ?
Ou bien ne s’agit-il que de tout changer pour que rien ne change ? L’avenir nous le dira.
30 Avril 2021
Vue du patio de l’École nationale d’administration (antenne de Paris).
Références
Wikipédia : École Nationale d’Administration (France)
Le Monde :
« Il faudra juger sur actes une transformation qui ne gagnerait rien à oublier les apports de l’ENA » – Pierre Allorant et Pascal Ory – 17/04/2021
« Après l’ENA, Macron s’attaquent aux grands corps » – Benoit Floc’h – 25/04/21
Xerfi : « Suppression de l’ENA : et si on réformait d’abord toute la fonction publique » – Olivier Passet – Directeur de recherche – 02/04/2021
Nous pouvons constater que le populisme prend de l’ampleur au XXIème siècle. C’est un mot utilisé avec souvent une connotation péjorative mais pas toujours. D’où vient ce mot et que recouvre-t-il ? Sans prétendre faire l’histoire du populisme nous pouvons citer trois moments historiques où le mot « populisme » a émergé.
Les termes populisme et populiste ont fait leur apparition en Russie au cours des années 1870. En révolte face au pouvoir tsariste de jeunes intellectuels issus de classes favorisées voulaient fraterniser avec le peuple. A l’origine le populisme russe célébrait la communauté agraire et l’assemblée villageoise comme fondements de l’histoire et de l’avenir souhaitable de la Russie.
En Amérique du Nord, sans lien avec le populisme russe, ce sont les membres du Peaple’s Party fondé en 1892 dans le Nebraska qui se sont eux-mêmes qualifiés de « populistes ». C’était la révolte des petits agriculteurs des grandes plaines contre les gros, du peuple contre les compagnies de chemins de fer, les grandes banques et les propriétaires intraitables.
En 1929 le mot fait son apparition en France, la aussi sans lien avec ce qui s’est passé en Russie et aux État Unis. Est publié le « Manifeste du roman populiste » qui est une invitation aux romanciers français à prendre davantage comme objet les milieux populaires.
Nous voyons donc qu’il est difficile de parler de populisme sans parler du peuple. Mais qu’est-ce que le peuple ?
Le peuple
Le dictionnaire (le petit Robert) définit le peuple comme « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions. Le peuple c’est le corps de la nation, l’ensemble des personnes soumises aux mêmes lois. » Pour aller plus loin sont énumérées plusieurs citations. Je n’en retiendrais qu’une qui me parait la plus significative pour notre objet. Celle de Valéry : « Le mot peuple désigne tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre, opposé au nombre restreint des individus plus fortunés ou plus cultivés. »
Ainsi le peuple c’est un ensemble d’individus qui constituent le corps de la nation, qui sont soumis aux mêmes lois et vivant en société sur un territoire donné ayant en commun un certain nombre de coutumes et d’institutions. Mais cet ensemble n’est pas un bloc homogène, il est composé de différentes couches et catégories sociales.
La nation, une construction sociale
La nation, disait Ernest Renan dans une conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, « ce n’est ni une langue, ni une origine ethnographique, ni une religion, ni un lieu géographique, c’est un principe spirituel constitué d’une histoire commune et d’un consentement actuel, le désir de vivre ensemble. Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposés à faire encore. »
Dans le même sens, Pascal Ory, dans « Qu’est-ce qu’une nation ?» publié chez Gallimard, nous précise que la nation est le fruit de la rencontre entre un peuple et la démocratie. Chaque peuple élabore une conception particulière de la souveraineté populaire. Une culture partagée instaure une conception du politique, une histoire se transforme en géographie, un peuple devient le Peuple. L’expérience politique du pays fabrique elle-même du commun, l’identité collective qui n’est jamais que la somme de toutes les identifications que la vie en société impose aux membres de ladite société. La nation est une construction sociale comme toutes les institutions sociales. Elle est le résultat de la volonté des hommes. Mais les volontés humaines changent. Les nations évoluent et ne sont pas éternelles. Une nation survit tant que les facteurs d’intégration l’emportent sur les vecteurs de désintégration. Une nation en action dit Pascal Ory est une grande machine à intégrer. L’immigré se définit moins par ses origines, ce à quoi veulent le réduire les xénophobes du pays d’arrivée comme les identitaires de son pays de départ. Sur la longue durée l’immigré demeure et « fait souche ».
Une société divisée
Dans « l’archipel français » aux éditions du Seuil, Jérôme Fourquet décrypte les changements de fond sociétaux, sociologiques, et politiques de la période 1981-2017. Sur le plan sociétal il évoque le basculement de notre vie sociale avec le PACS, le mariage gay, la PMA, l’explosion du nombre des prénoms qui sont donnés aux enfants. Au niveau sociologique il cite l’exode rurale qui se termine, la désindustrialisation massive dans plusieurs régions, l’apparition d’une nouvelle immigration de l’Europe de l’Est et des pays d’Afrique noire et la multiplication des échanges dans le cadre de la mondialisation. Les changements politiques majeurs sont l’émergence de l’extrême droite, le « non » au traité constitutionnel européen contourné, les attentats terroristes de 2015. L’ancien clivage droite / gauche n’est plus opérant, il est remplacé par un clivage autour de la mondialisation qui a pour conséquence une division de la société française sur de nouvelles lignes de partage : le niveau de diplôme scolaire, le lieu de résidence – métropole versus périphéries avec une dimension infra-urbaine, et le niveau de revenu. Reste une nation multiple et divisée.
Les populismes
Les gouvernements des démocraties libérales estiment qu’il n’y a pas d’alternative et que le réel doit se plier à l’ordre économique mondial que le capitalisme a créé. Cette démission du politique frappe de discrédit ces gouvernements. La dégradation du lien social constitue un terrain favorable à l’installation de régimes autoritaires et contribuent aux succès électoraux des partis populistes. Les populistes accusent les élites de dévoyer la démocratie, de dessaisir le peuple de sa souveraineté en abusant de leurs fonctions et d’être tellement éloignés de ses intérêts qu’ils n’ont aucune légitimité à le représenter.
Chantal Mouffe, philosophe belge, professeure à l’université de Westminster est proche du parti Podemos en Espagne. Elle estime que tous les partis sociaux-démocrates ont accepté qu’il n’y avait pas d’alternative à la mondialisation néolibérale, et que lorsqu’ils accédaient au pouvoir la seule chose qu’ils pouvaient faire, c’était d’administrer de façon un peu plus humaine cette mondialisation. Pour elle, cette absence d’une véritable alternative de gauche crée les conditions pour l’émergence du populisme de droite. La désindustrialisation a pour conséquence un affaiblissement de la classe ouvrière et des syndicats. Les transformations du capitalisme financiarisé menacent également les classes moyennes, la paupérisation est générale. Il faut s’adresser à tous ceux qui souffrent des conséquences des politiques libérales. La frontière droite-gauche traditionnelle ne doit pas être rétablie, il faut en créer une autre, de manière populiste. Elle fait référence au philosophe argentin Ernesto Laclau qui explique que le populisme n’est pas une idéologie, c’est une construction de la politique. C’est la façon d’établir la frontière entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, le peuple et l’establishment.
Anatomie des populismes
Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, dans son livre intitulé « Le siècle du populisme », publié au seuil, se propose de faire une anatomie du populisme. Il distingue cinq éléments constitutifs de la culture politique populiste.
Une conception du peuple
La conception du peuple des mouvements populistes est fondée sur la distinction entre « eux » et « nous ». Le capitalisme néolibéral a vu émerger de nouvelles formes de domination. Le populiste traduit un ensemble de demandes hétérogènes qui ne peuvent plus être formulées en termes d’intérêts liés à des catégories sociales déterminées. Les conflits qui traversent la société peuvent s’ordonner selon le seul axe de l’opposition entre les dominants détenteurs du pouvoir politique, économique, social ou culturel et le reste de la société soit le peuple.
Une théorie de la démocratie
Les populismes s’inscrivent dans la perspective d’une régénération démocratique. Ils instruisent le procès des démocraties libérales-représentatives accusées d’avoir le culte de l’individu et des minorités au détriment de la souveraineté du peuple. La conception populiste de la démocratie présente trois caractéristiques : privilégier la démocratie directe en appelant à multiplier les référendums d’initiative populaire, dénoncer le caractère non démocratique des autorités non élues et des cours constitutionnelles (le gouvernement des juges), et exalte une conception immédiate et spontanée de l’expression populaire (au travers de l’approbation par acclamation). La critique des médias est au cœur de la rhétorique populiste. Elle participe d’une théorie de la démocratie immédiate qui considère illégitime la prétention des corps intermédiaires dont la presse, à jouer un rôle actif dans l’animation de la vie publique et la constitution de l’opinion.
Une modalité de la représentation
Le populisme célèbre « un peuple-Un » soudé par un rejet des élites et des oligarchies. Un peuple rejetant une caste politique accusée de défendre ses propres intérêts. Le populisme préfère le mouvement au parti comme forme d’organisation politique. Mouvement dont l’ambition est de rassembler toute la société et qui porte un chef considéré comme le pur organe du peuple. C’est lui qui rend présent le peuple, au sens figuré du terme, qui lui donne forme et visage, l’homme-peuple.
Une politique et une philosophie de l’économie
Face au développement de la globalisation de l’économie et la constitution d’un marché-monde, les populismes développent une vision protectionniste offrant la possibilité de protéger la souveraineté et la volonté politique des peuples. Le national-protectionnisme s’inscrit dans une perspective de refondation démocratique qui va bien au-delà d’une simple approche de la question en termes de politique économique. Le protectionnisme est aussi un instrument de sécurité. Le maintien aux frontières des étrangers participe d’une vision élargie de la sécurité qui met à distance des populations jugées dangereuses pour le maintien de la cohésion nationale. Cette approche est prolongée par la notion d’insécurité culturelle qui invite au rejet des idéologies jugées menaçantes pour l’identité du peuple. Le populisme est un souverainisme.
Un régime de passion et d’émotions
Les colères et les peurs semblent constituer les moteurs affectifs et psychologiques à l’œuvre dans l’adhésion au populisme. La propension à se rallier à des « vérités polémiques » constitue un élément clef de ce qui pourrait être défini comme la personnalité populiste. Elle repose sur la tendance au soupçon systématique des visions consensuelles accusées d’être de pures fabrications de l’idéologie dominante. La politique prend du même coup un caractère de type religieux.
Conclusion
Nous pouvons remarquer qu’il règne aujourd’hui « une atmosphère » de populisme. L’ère du temps est marquée par l’effacement des vieux partis devant de nouveaux mouvements politiques formés dans le sillage d’une personnalité dont ils accompagnent l’ascension. Le désenchantement démocratique contemporain s’inscrit dans la culture politique diffuse du populisme. De grands thèmes populistes comme l’appel au développement des référendums et la philosophie nationale-protectionniste imprègnent beaucoup plus qu’avant des sociétés en panne de projets de solidarités. Les différentes passions populistes irriguent les esprits dans les démocraties fragilisées du XXIème siècle, cela évite de se confronter à la complexité du monde réel.
31 mars 2021
Bibliographie
Jan-Werner Müller « Qu’est-ce que le populisme » – folio essais – 2016
Pascal Ory. « Qu’est-ce qu’une nation – une histoire mondiale » – nrf Gallimard -2020
Corine Pelluchon « Les lumières à l’âge du vivant » – Seuil – 2021
Pierre Rosanvallon « Le siècle du populisme » – Seuil – 2020
Jérôme Fourquet « Archipel français » – Seuil – 2019
Ernest Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? » conférence en Sorbonne – 1882
Chantal Mouffe « Pour un populisme de gauche » entretien dans Le Monde – 20 avril 2016
La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation vient de demander au CNRS d’effectuer une enquête sur l’islamo-gauchisme et le post colonialisme à l’université. Les raisons invoquées sont la protection d’universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches » et séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Cette demande a provoqué de nombreuses réactions et une polémique médiatique très confuse dans laquelle tout se mélange l’académique, l’idéologique, le politique et l’approche des échéances électorales.
Le contre
Tout d’abord plus de 800 membres du personnel de l’enseignement et de la recherche, en réaction aux déclarations de leur ministre, ont publié dans le journal « Le monde » une tribune intitulée « Nous, universitaires et chercheurs, demandons avec force la démission de Frédérique Vidal ». Ils estiment leurs professions diffamées et reprochent à la ministre de faire planer la menace d’une répression intellectuelle. Ils accusent la ministre d’avoir une attitude comparable à celle des gouvernements d’extrême droite de Hongrie, Pologne et Brésil et d’ânonner le répertoire de l’extrême droite française sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà évoqué par le ministre de l’éducation nationale en octobre 2020. Enfin ils refusent de laisser bafouer les libertés académiques.
Le pour
Pourtant, en octobre 2020, une centaine d’universitaires et chercheurs de diverses sensibilités, dans une tribune dans le même journal, s’étaient accordés avec le constat du ministre de l’éducation nationale sur « l’islamo-gauchisme » au sein de l’université. Ils y déclarent que « les idéologies indigéniste, racialiste et « dé coloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs » et de la France ; et un militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la doxa anti-occidentale et le prêchi-prêcha multi culturaliste. » Ils demandent à la ministre de l’enseignement supérieur « de prendre clairement position contre les idéologies qui sous-tendent les dérives islamistes ». Ils estiment dans cette tribune que « les universités ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte pour la défense de la laïcité et de la liberté d’expression ». Reprochant à l’époque à la ministre son silence, ils lui demandaient « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique. Et d’élaborer un guide de réponses adaptées, comme cela a été fait pour l’éducation nationale ».
Défendre les libertés académiques
Un collectif de 130 universitaires comprenant ceux qui avaient réclamé une réaction de la ministre en octobre, se félicite de la reconnaissance de l’existence d’un problème au sein de l’université mais marque un premier désaccord avec le fait de se focaliser sur le terme « islamo-gauchisme ». Pour ce collectif ce qui est préoccupant c’est le « dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche. Car se développent de façon inquiétante pléthore de cours, articles, séminaires, colloques qui ne sont que du militantisme déguisé en pseudo-science à coups de théories fumeuses (« racisme d’Etat »), de néologismes tape-à-l’oeil (« blanchité ») et de grandes opérations de découverte de la Lune, présentant par exemple comme de lumineuses avancées scientifiques l’idée que nos catégories mentales seraient « socialement construites » (mais qu’est-ce qui ne l’est pas dans l’expérience humaine ?) ou que, « intersectionalité » oblige, être une femme de couleur expose à être moins avantagée socialement qu’être un homme blanc… Quelle que soit la légitimité des causes politiques ainsi défendues, l’indignation ne peut tenir lieu de pensée, ni le slogan d’argumentation raisonnée. » Ce collectif estime donc qu’il faut « rendre le monde universitaire à sa mission : produire et transmettre des connaissances, dûment étayées et vérifiées, et non pas des convictions politiques, fussent-elles animées des meilleures intentions. (…) Mais – et c’est là leur second désaccord avec la ministre – ce travail de régulation de l’offre académique ne peut et ne doit se faire qu’en interne, au sein des instances universitaires dont c’est le rôle.»
Il semble donc que les universitaires, dans leur ensemble, sont d’accord pour défendre les libertés académiques. C’est aux instances universitaires de réguler en interne les enseignements et les travaux de recherche.
La fracture
Mais si certains s’offusquent d’une ingérence inquiétante de la part du gouvernement d’autres se félicitent de la prise de conscience de la ministre qu’il y a un problème au sein de l’université. Manifestement l’université se fracture sur ce qui doit être considéré comme sujets d’études ou de recherche. Pourtant comment reprocher aux sciences sociales de s’intéresser à des thèmes comme le racisme, les inégalités, les effets de la colonisation, l’esclavage, le genre, l’intersectionalité, le post colonial, la laïcité, l’universalisme et bien d’autres thèmes qui traversent la société contemporaine. A l’université comme dans la société les opinions sont variées et opposées. Au niveau académique il faut essayer de faire la différence entre les positions idéologiques et les travaux en sciences sociales même si la frontière est parfois difficile à tracer et ce d’autant plus que nous vivons une période de forte polarisation politique. Les chercheurs qui ont le courage d’aborder ces questions polémiques en intellectuels en apportant plus de réflexions, d’argumentations, d’intelligence collective dans le débat public doivent être soutenus. Il faut garantir pour tous les chercheurs, quelles que soient leurs orientations, l’autonomie de la recherche et l’expression libre des idées.
L’inacceptable
Les libertés académiques sont menacées par l’interférence de la ministre mais pas seulement. Certaines mouvances politiques ont des pratiques qui suscitent des interrogations : boycotter ou faire désinviter un conférencier, l’humiliation en ligne sur les réseaux sociaux, l’interruption de manifestations scientifiques sont autant d’actions qui ne manquent pas d’inquiéter. La peur et l’intimidation sont utilisées pour restreindre la liberté de parole. Ces pratiques portent atteinte aux libertés académiques et doivent être arrêtées dans l’intérêt de l’université. Elles sont inacceptables.
Pour conclure il est nécessaire de distinguer ce qui relève du débat politique qui n’a jamais épargné le monde universitaire, de ce qui relève du débat scientifique. Il est indispensable de préserver les libertés académiques. L’université doit garantir l’autonomie de la recherche et une pensée libre. Mais il est temps de nommer les choses par leurs noms et prendre conscience de la responsabilité d’idéologies communautaristes qui se diffusent dans l’université et vont jusqu’à menacer la liberté d’expression. A l’université comme à l’école il faut sortir du déni.
Le SARS CoV-2 s’est déployé en Chine à la fin de l’année 2019 puis s’est étendu à l’ensemble de l’humanité. Ne disposant pas de traitement approprié, le seul espoir de sortir de la pandémie était de mettre au point un vaccin. Après huit mois de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une performance formidable et une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements. Cela devrait nous réjouir, mais cette pandémie a non seulement exacerbé les inégalités entre les pays et à l’intérieur de chaque pays, et mis en évidence les aspects obscures de l’humanité.
Les pays sont frappés différemment
Si tous les pays doivent faire face à la pandémie, ils ne sont pas tous touchés avec la même intensité. Les classes d’âge résistent différemment. Les équipements sanitaires ne sont pas développés partout et ne permettent pas toujours de faire face aux conséquences de la maladie. En attendant le vaccin et le traitement adapté, la recommandation des autorités sanitaire est la vigilance et le respect de mesures de distanciation physique et d’hygiène. Ces recommandations sont plus ou moins bien suivies selon la culture de chaque pays.
Avant les vaccins nous avons déjà assisté à un spectacle déplorable de concurrence et de surenchère pour l’acquisition de produits et d’équipements sanitaires. Les tarmacs d’aéroport ont assisté à des rivalités entre pays partenaires au sein de l’Europe pour détourner la destination de containers. Le chacun pour soi a heureusement été vite atténué et la collaboration et le soutien entre pays, et à l’intérieur des pays entre régions, se sont organisés. Quand un hôpital se trouvait submergé dans une ville, les malades étaient transférés et pris en charge dans l’hôpital de la ville voisine et même si celle-ci était dans un pays voisin.
Nous pouvions penser à cette période qu’après quelques errements, le monde avait retrouvé ses esprits et que la solidarité et le partage face à l’adversité allaient retrouver droit de cité. Mais l’arrivée des vaccins en quantité nécessairement insuffisante au début a ruiné cet espoir.
L’achat de vaccins en ordre dispersé
D’abord les pays anglo-saxons où la liberté individuelle poussée à son paroxysme a entrainé le rejet du confinement et du port du masque comme moyens de ralentir la diffusion du virus. La conséquence a été un développement rapide de l’épidémie et un nombre de cas et de morts importants. Aux États-Unis le « make América great again » a donné le « même pas peur » du Président Trump et le choix d’investir massivement dans la recherche du vaccin avec la condition d’être servi le premier. Au Royaume uni, au milieu des dernières négociations du Brexit avec l’Union Européenne, le premier ministre s’est empressé de négocier seul et de précommander avant même l’homologation du vaccin. Alors que le Royaume Unis était encore membre de l’EU, Londres a fait cavalier seul, voyant là l’occasion de tester le Brexit grandeur nature et de prouver ainsi aux sceptiques le bien-fondé de son choix.
Le spectacle désolant qu’ont donné les Européens en mars 2020, au début de l’épidémie, quand les équipements médicaux manquaient à tous et que Paris ou Berlin interdisaient l’exportation de masques, a poussé les dirigeants européens à négocier en commun l’achat de vaccins alors même que la commission européenne n’a pas de compétence en matière de santé. En quelques semaines, la Commission conseillée par des cabinets d’avocats les plus aguerris s’est organisée pour affronter les industriels du vaccin. Comme l’a reconnu la présidente de la commission la décision à 27 est plus lente qu’avec un seul décideur.
Finalement les premiers britanniques sont vaccinés le 8 décembre, les américains du nord une semaine plus tard et les européens à la fin décembre. Donc pas de différence significative d’autant que la stratégie de vaccination diffère selon les cas. Les uns ont fait vite les autres ont pris leur temps. Les pays de l’EU ont mis un point d’honneur à commander ensemble et à démarrer la campagne de vaccination le même jour. Très bien pour la symbolique mais il est légitime de s’interroger sur son bien fait quand chaque jour représente plusieurs centaines de morts.
La guerre des vaccins
Lorsque la vaccination commence en Grande Bretagne, les européens ne cachent pas leur mécontentement vis à vis de Bruxelles. L’Agence européenne des médicaments (AEM) n’a autorisé le vaccin Pfizer-BioNTech que le 21 décembre 2020. L’opacité des négociations entretient la grogne. Les contrats négociés avec les laboratoires sont tenus secrets, ce qui alimente les rumeurs.
Les premières livraisons font apparaître des différences qui sèment la discorde entre les Vingt-Sept au niveau européen. Outre Rhin où la campagne pour les élections générales de 2021 a commencé, certains réclament plus de doses de ce vaccin qui a été conçu par une biotech allemande et s’offusquent d’en être empêchés par Bruxelles. D’autres reprochent à la commission d’avoir dépensé moins pour ses vaccins que n’importe quel autre pays industriel. Pourtant c’est près de 3 milliards qui ont été avancés aux laboratoires pour les aider à préparer leurs usines.
Les industriels qui se sont lancés dans cette course folle au vaccin peinent à mettre à niveau leurs capacités de production, qui doivent permettre une vaccination de masse. Ils annoncent des retards de livraison. A ce jour trois vaccins sont homologués aux EU, au RU et en Europe, Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Les vaccins russe, chinois et cubain le seront prochainement. Sanofi a annoncé un retard de plusieurs mois mais devrait être disponible en fin d’année et sans doute d’autres encore en préparation le seront d’ici là. Au début, à l’annonce de l’arrivée aussi rapide du vaccin, beaucoup étaient sceptiques et ne manifestaient pas d’empressement à se faire vacciner. Mais depuis le début de l’année et le manque de doses se faisant sentir au point de ralentir la campagne de vaccination, la grande majorité voudrait l’être.
Alors que Londres ne manque pas de doses et vaccine en grand nombre, Paris et Berlin demandent la mise en place d’un mécanisme de contrôle des exportations des vaccins afin de vérifier qu’AstraZeneca ne vend pas aux Britanniques des doses qu’il aurait dû réserver aux Européens. A Paris certains déplorent le fait que la France soit le seul pays du conseil de sécurité de l’ONU à ne pas avoir son vaccin.
Nous assistons à une concurrence malsaine entre les pays pour s’accaparer le plus de doses. Les dix pays les plus développés ont commandé 80% des doses. C’est une surenchère inacceptable alors que le vaccin devrait être considéré comme un bien commun. Le vaccin seul moyen de protéger la population de la planète contre le coronavirus est devenu un instrument d’influence géostratégique au niveau mondial.
Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas. Faut-il rappeler l’unité de l’Humanité ? Toutes les vies se valent, aucune vie n’a plus d’importance qu’une autre. Mais pour éradiquer cette pandémie encore faut-il être capable de produire les vaccins en quantité suffisante. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires pour immuniser toute la population de la planète, les pauvres comme les riches, les faibles comme les puissants. L’ensemble de l’humanité est mis en danger par ce virus. Et il y en aura probablement d’autres si nous ne réussissons pas à modifier nos modes de développement.
Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États pour s’accaparer le plus de doses sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de la coopération mondiale indispensable pour atteindre cet objectif du vaccin pour tous et organiser la solidarité indispensable pour sortir grandis de cette crise et s’armer pour les suivantes.
Quand j’ai muri l’idée de créer ce blog, bien avant que la pandémie ne se déclare, la question du changement de monde me paraissait une évidence tant les difficultés s’accumulaient et les inégalités s’aggravaient. D’où le nom de ce blog citoyen : « changer de monde ». Ma cessation d’activité professionnelle me permettant de disposer d’un peu de temps, en toute humilité et sans aucune prétention, je me suis dit pourquoi ne pas en profiter pour y réfléchir et échanger avec d’autres sur différents thèmes concernant ce changement. Je ne pouvais me douter qu’un virus s’attaquant à l’ensemble de l’humanité viendrait renforcer cette nécessité de changer de monde.
La pandémie
L’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019 en Chine. La Covid 19 s’est progressivement étendue à l’Asie, le Moyen Orient, l’Europe, les Amériques, l’Afrique. C’est devenu un évènement planétaire. La quasi-totalité des pays est touchée. Le virus à l’origine de cette pandémie est contagieux et parfois mortel. A ce jour nous comptons dans le monde plus de 100 millions de cas et plus de 2 millions de morts.
Au début les médecins n’ont pas de traitement pour soigner cette maladie. Ils recommandent la vigilance, la protection et le confinement associé à des mesures de distanciation physique et d’hygiène. Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Ces mesures permettent d’éviter que le nombre de patients gravement atteints dépasse les capacités des hôpitaux à les prendre en charge.
Après huit mois de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une performance extraordinaire quand on sait que le délai habituel de mise au point de vaccin se compte en années. C’est aussi une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements fondés sur des anticorps bloquant l’entrée du virus dans les cellules ce qui pourrait diviser par trois le risque d’hospitalisation. Ces thérapies sont encore à l’étude pour déterminer leur tolérance et leur efficacité avant d’être autorisées.
Pour l’instant tous les scientifiques s’accordent pour estimer que le seul moyen à notre disposition pour éradiquer la Covid 19 est de vacciner au plus vite et le plus massivement possible l’ensemble de la population en commençant par les plus vulnérables. Les fabricants des vaccins certifient qu’ils protègent aussi des virus variants qui sont apparus depuis quelques semaines. Encore faut-il que chaque pays puisse disposer de suffisamment de doses de vaccins et en capacité de développer la logistique adéquate pour réaliser cette vaccination. L’immunité collective ne sera atteinte que si 60 à 70% de la population est vaccinée.
Les trois vaccins autorisés par les autorités sanitaires occidentales sont actuellement fabriqués en quantité insuffisante. Les vaccins chinois et russe n’ont pas fait l’objet de demandes d’homologation. Nous assistons à une concurrence malsaine entre les pays pour s’accaparer le plus de doses. C’est une surenchère inacceptable alors que le vaccin devrait être considéré comme un bien commun. Les dix pays les plus grands (riches !) ont commandé 80% des doses.
Le vaccin seul moyen de protéger la population de la planète contre le coronavirus est devenu un instrument d’influence géostratégique au niveau mondial.
Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas de manière durable.
Contraction de l’activité économique
La pandémie du coronavirus a entrainé la plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle a estimé le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de Développement économiques (OCDE). Les confinements en début d’année et à l’automne 2020 ont eu pour conséquence un fort ralentissement de l’activité économique.
Les restrictions sanitaires se traduisent en France pour l’année 2020, selon les chiffres publiés le 29 janvier, par une chute du Produit Intérieur Brut (PIB) de 8,3%. En un an, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) a augmenté de 7,5 % sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris), d’après les données publiées mercredi 27 janvier par le ministère du travail. Les mesures de chômage partiel ont permis de limiter le nombre de pertes d’emploi.
Aux États Unis le recul du PIB sur cette année est estimé à 3,5% et les pertes d’emploi à 9 millions. Au niveau mondial la contraction de l’activité est évaluée par les experts autour de 5% ce qui est inférieur à ce que l’on pouvait craindre.
Le Fond Monétaire International, selon des estimations publiées le 26 janvier, prévoit une croissance mondiale de 5,5% en 2021. Il reste toutefois prudent en n’excluant pas que la mutation du coronavirus, le ralentissement des vaccinations par pénurie de doses ou une reprise prématurée de l’austérité budgétaire dans certains pays pourraient freiner la relance. Aux États-Unis, en Europe et au Royaume Uni des sommes considérables ont été injectée dans l’économie pour pallier aux conséquences de la crise sanitaire. A des degrés divers il en a été de même dans l’ensemble des pays, chacun en fonction de ses possibilités et de l’importance de l’épidémie. La doxa néo-libérale prônant l’austérité et la baisse des dépenses publiques a été oubliée. Des sommes tout aussi considérables se chiffrant en milliards vont être investies dans des plans de relance de l’économie. L’inter dépendance de l’ensemble des pays sur le plan économique nécessite, une fois la pandémie maîtrisée, une relance coordonnée au niveau international pour être pleinement efficace. Malheureusement chaque pays mène son action de manière dispersée, les intérêts particuliers de chaque nation primant sur les intérêts communs. Seule l’Europe tente de se coordonner et pas toujours avec succès.
Climat et biodiversité
Depuis quelques années la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et donc de l’humanité. La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale. Le projet d’accord final a été adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C. En décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays participants sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. Mais la communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.
Selon le bilan annuel du Global Carbon Project (GCP) publié en décembre 2020, les émissions de CO2 d’origine fossile ont connu une baisse record en 2020, liée aux mesures de confinement prises contre l’épidémie. Cette baisse est estimée à 7%. C’est un répit temporaire et cela ne suffit pas pour réduire le réchauffement climatique et ses impacts, les émissions de CO2 se maintenant à des niveaux élevés. Pour atténuer le changement climatique il ne faut pas arrêter les activités économiques mais accélérer la transition vers des énergies bas carbone. Une fois la pandémie maîtrisée il faudra relancer l’économie sans ignorer l’urgence de la transition écologique et la préservation de la biodiversité.
Selon Christian de Perthuis, professeur à l’Université Dauphine, fondateur de la Chaire Économie du Climat, il y a trois enjeux majeurs à la crise climatique :
La transition énergétique doit être fortement accélérée. Elle nécessite une mobilisation à tous niveaux : international, européen, national, local et bien sûr, individuel. Il faut sortir de la dépendance à l’énergie fossile.
Il faut préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
Même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique. Il faudra s’adapter à ce réchauffement et ses conséquences. Comme les pays les plus pauvres sont les plus exposés il faut anticiper et les aider à mieux s’y préparer.
Coopération et solidarité internationale
Quel que soit son aspect, sanitaire, économique ou climatique, la crise que nous vivons est mondiale. Aucun État ne peut prétendre répondre seul à tous les défis qui se présentent à tous. Seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement.
Sur le plan de la pandémie, tant que tous les pays n’auront pas atteint l’immunité collective personne ne sera à l’abri. La vitesse à laquelle se diffusent d’un pays à l’autre les variants du coronavirus malgré les confinements et la fermeture des frontières en est la preuve. Au mieux la circulation du virus est ralentie. Cette immunité ne peut être réalisée que si la population mondiale est vaccinée. Il faut donc considérer les vaccins comme un bien commun destiné à être accessible à tous. Encore faut-il être capable de les produire en quantité suffisantes. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires. Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de cette coopération mondiale.
Sur le plan économique, une relance coordonnée sera nécessaire pour être efficace. L’économie mondialisée nécessite des mesures de régulation et de contrôle tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques. Le simple énoncé de cette nécessité en montre la difficulté. Raison de plus pour en faire un objectif permanent pour avoir une chance de l’atteindre un jour.
Il ne s’agit pas de reprendre après comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut tirer les leçons de cette expérience et en premier lieu considérer comme prioritaires les secteurs de la santé car nous ne sommes pas à l’abri de prochaines pandémies.
Il est indispensable de sortir de l’économisme qui consiste à considérer que le développement économique est une fin en soi. L’économie doit être au service de la satisfaction des besoins humains réels et nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète.
La relance économique aussi indispensable soit-elle ne doit pas nous faire oublier le changement climatique et la nécessité absolue de réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi que la dégradation de la biodiversité.
La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.
Les rythmes d’exploitation de l’économie ne respectent pas les temps de cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes. L’espèce dominante sur la planète, les humains, compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or les humains sont une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu. Il leur revient de tout mettre en œuvre pour préserver la planète.
Le respect de ces équilibres n’a de sens et d’efficacité qu’au niveau de l’ensemble de la planète. C’est le rôle des Conventions de Pays (COP) : organiser la coopération et la solidarité planétaire dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. La COP26 se réunira à Glasgow en Ecosse en novembre 2021 si la pandémie est à cette date maîtrisée. Il faudra passer des recommandations sans contrainte aux engagements fermes sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique. Il est temps que l’obligation d’agir pour la préservation de notre planète soit une priorité pour tous.