Depuis plusieurs semaines je réfléchissais à la publication d’un article sur la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Cette hésitation venait du fait de ne pas savoir comment aborder ce sujet sans excès tellement la manière dont cette agression a été déployée et le massacre des populations civiles sont insupportables. L’attribution du prix Nobel de la paix 2022 à l’ONG ukrainienne Centre pour les libertés civiles, ainsi qu’au militant biélorusse Ales Bialiatski et à l’ONG russe Memorial, me donne l’occasion de concrétiser cette publication.
C’est en lisant le discours de Oleksandra Matviichuk, présidente de l’ONG Ukrainienne, prononcé à Oslo lors de la remise du prix et publié dans son intégralité par l’édition numérique du monde ce dimanche 11 décembre, que je me suis décidé. Le plus simple aurait été de reproduire ce discours intégralement mais sa traduction est protégée et soumise à autorisation. Je vous invite, si vous en avez la possibilité, à le lire dans « Le Monde ».
A défaut je vais vous donner l’essentiel de son discours et l’analyse qu’elle fait de la situation en Ukraine et dans le monde.
Les droits humains ne sont pas respectés
Cette guerre déclenchée par la Russie depuis plus de huit ans a pour conséquence que les termes « bombardements », « torture », « déportation », « camps de filtration » sont devenus des termes ordinaires. Le peuple ukrainien résiste courageusement aux tentatives de destruction de son pays. Ce prix Nobel rend hommage aux militants des droits humains qui luttent contre la menace militaire qui pèse sur le monde entier. Les droits et les libertés ne sont pas des acquis définitifs même dans les démocraties développées. Les forces qui remettent en cause les principes de la Déclaration Universelle des droits de l’homme gagnent du terrain. Quand des journalistes sont tués, des militants de la paix sont emprisonnés, des manifestations pacifiques sont dispersées c’est une menace pour les citoyens mais aussi pour la région et pour la paix dans le monde entier.Les droits humains devraient avoir autant de poids dans les décisions politiques que les bénéfices économiques ou la sécurité.
La Russie perpètre des crimes en toute impunité
La Russie ne respecte pas systématiquement le droit aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Les troupes russes perpètrent des crimes dansdifférents pays depuis plusieurs années en toute impunité. La Russie a annexé la Crimée sans que personne ne réagisse. Aussi la Russie a estimé qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait sans grand risque. Elle s’en prend aux civils pour mettre un terme à la résistance des ukrainiens et occuper l’Ukraine. Immeubles d’habitation, églises, écoles, hôpitaux sont détruits. Les couloirs d’évacuation sont bombardés. Les gens sont enfermés dans des camps de filtration. Les déportations forcées se multiplient. Dans les territoires occupés des personnes sont enlevées, torturées, tuées. C’est une tentative de restaurer son ancien empire par la force dont le peuple russe devra assumer la responsabilité.
La paix mais pas l’occupation
Le peuple d’Ukraine est pour la paix, mais s’il déposait les armes, ce ne serait pas la paix mais l’occupation. Les ukrainiens se battent pour la liberté et en paient le prix le plus lourd. Ils ont le droit indiscutable de vivre dans un État ukrainiens souverain et indépendant et de faire vivre la langue et la culture ukrainiennes. En tant qu’êtres humains, ils ont le droit de déterminer leur propre identité et de faire leurs propres choix démocratiques. Les Tatars de Crimée et les autres peuples autochtones ont le droit de vivre librement sur leur terre natale de Crimée.
Une guerre entre deux systèmes
Cette guerre est une guerre entre deux systèmes : l’autoritarisme et la démocratie. Les ukrainiens veulent construire un État où les droits de chacun sont garantis, où les autorités doivent rendre des comptes, où les tribunaux sont indépendants et où les manifestations pacifiques ne sont pas violemment réprimées.
Le système international garantissant la paix doit être réformé
Le système international créé à la fin de la deuxième guerre mondiale pour garantir la paix et la sécurité ne fonctionne plus. Il fait preuve d’une indulgence injustifiée envers certains pays. Ce système doit être réformé pour garantir efficacement la sécurité et les droits humains des citoyens de tous les États quelles que soient leur capacité militaire et leur puissance économique. Les droits humains doivent être au cœur de ce nouveau système.
Traduire les criminels de guerre devant la justice
Le cycle de l’impunité doit être brisé. Sans justice, il ne pourra y avoir de paix durable qui libère de la peur et apporte l’espoir d’un avenir meilleur. Nous devrons instituer un tribunal international et traduire les criminels de guerre devant la justice. C’est audacieux mais nous devons prouver que l’État de droit fonctionne.
Renforcer la solidarité mondiale
Les droits humains ont besoin d’un nouveau mouvement humaniste qui rallie un vaste soutien des populations et implique celle-ci dans la protection des droits et des libertés. Les défis planétaires que sont les guerres, les inégalités, les atteintes à la vie privée, la montée de l’autoritarisme, le dérèglement climatique pourront être surmontés pour faire de ce monde un endroit plus sûr. Il est urgent d’assumer nos responsabilités.
Le discours se termine par un appel à la solidarité. Il n’est pas nécessaire d’être ukrainien pour soutenir l’Ukraine. Il suffit d’être humain.
Ce discours qui se termine sur ces dernières phrases est un appel à la solidarité internationale mais aussi à la raison et à la défense universelle des droits de homme pour que l’humanité ait un avenir. Après avoir lu ce discours nous pouvons mieux comprendre que les ukrainiens se battent pour leur propre existence mais aussi pour la défense de nos propres valeurs au sein de sociétés indépendantes et démocratiques.
Aucun humaniste ne peut rester insensible à ce discours même s’il peut être considéré comme utopique. Mais comme chacun le sait l’utopie d’aujourd’hui peut être la réalité de demain.
Après une période électorale terne, perturbée par la guerre en Ukraine et le bouleversement de l’ordre mondial qui en est la conséquence directe, quel est le nouveau paysage politique français ?
Une assemblée orientée à droite
Tout d’abord l’abstention a atteint des niveaux records et les partis de gouvernement ont été éliminés à la présidentielle et très affaiblis aux législatives. Le Président sortant a été réélu confortablement mais par rejet de la candidate d’extrême droite, et grâce à un Front Républicain qui a encore une fois fonctionné. Ce succès par défaut se trouve confirmé par les législatives. Celles-ci n’ont accordé qu’une majorité relative à la coalition présidentielle comme si les électeurs voulaient empêcher le Président de continuer à gouverner tout seul en petits comités et l’obliger à composer avec le parlement. Ceci étant cette nouvelle assemblée est largement dominée par le Centre droit, la Droite classique et l’Extrême Droite. La gauche de gouvernement sauve les meubles mais se trouve largement dominée par une Gauche qui se définie elle-même comme radicale. L’élection de racialistes, indigénistes, décoloniaux, et autres « wokistes » n’est pas une bonne nouvelle pour la France.
Une progression attendue de l’Extrême Droite
L’Extrême Droite qui a fait de gros efforts pour se dé-diaboliser progresse notablement et envoie 89 députés à l’assemblée. Elle devient incontournable dans la répartition des responsabilités dans l’organisation de l’assemblée et accède même à la vice-présidence. Elle continuera à se présenter comme fréquentable jusqu’à son arrivée au pouvoir, mais après ? Quand les milieux populaires qui la supportent réaliseront sa vraie nature on peut craindre qu’il sera trop tard.
Un gouvernement prêt à se porter encore plus à droite
Ces élections donnent à la Droite classique un important pouvoir de négociation. Elles poussent le gouvernement à se porter encore plus à droite, à accentuer sa politique pro-entreprise et baisser ses dépenses sociales et environnementales pendant que l’Extrême Droite tente de se banaliser et que la Gauche assiste impuissante à renverser le cours des choses.
Le gouvernement avec sa coalition de 250 députés doit s’adjoindre une quarantaine de députés pour pouvoir accéder à la majorité au sein de l’Assemblée et éviter l’immobilisme. Dans l’immédiat aucun groupe n’a intérêt à provoquer une élection anticipée. C’est auprès des députés de la Droite classique que le gouvernement devra aller chercher prioritairement les compromis par affinités doctrinales. Il y a des points de convergence comme la réforme paramétrique des retraites portant l’âge légal à 65 ans, l’alignement des régimes spéciaux et le retour à l’équilibre financier du régime à court terme. Convergence aussi sur la réforme des droits de succession et la baisse des impôts de production.
Sur le plan fiscal le gouvernement sera soumis à la double injonction de la Droite, baisser les impôts pour les entreprises et les ménages de manière pérenne et en même temps stabiliser la dette. C’est donc sur le registre des dépenses que le gouvernement devra concéder c’est-à-dire sur l’adaptation du système de santé, de la formation et du changement climatique.
Première épreuve : la loi sur le pouvoir d’achat
La loi sur le pouvoir d’achat va nous donner des indications sur la manière dont vont se résoudre ces différences. En cette matière la stratégie du gouvernement est de privilégier les mesures temporaires et agir directement sur l’indice des prix en limitant les hausses de l’énergie et du logement, gros contributeurs à l’inflation. La philosophie est très différente du coté de la Droite qui veut préserver le pouvoir d’achat via des baisses pérennes de fiscalité, baisse de la TVA, plafonner le prix de l’essence à 1,50 euro, baisse de la CSG sur les retraites, baisse générale des cotisations sociales des salariés pour booster les salaires nets. Ces mesures auront pour conséquence de restreindre de façon durable les recettes fiscales de l’État et rendre impossibles les dépenses indispensables pour faire face aux crises du système de santé, de l’éducation et aux échéances climatiques.
Une nécessité : revivifier la démocratie
Face aux grands défis qui se présentent à nous (le changement climatique, le recul de la biodiversité, le développement des inégalités provoqué par les politiques néolibérales, le désintérêt des populations pour la politique qui ne peut que préoccuper les démocrates, la nécessité de mettre les sciences et les techniques au service de l’humanité) ce n’est pas le moment de baisser les bras pour tous ceux qui sont attachés à l’humanisme républicain et démocratique. C’est au contraire en portant sur la place publique les débats nécessités par ces grands défis, en sollicitant les citoyens sur les grands choix sociétaux qui s’imposent à nous que l’on pourra revivifier notre système démocratique et œuvrer pour faire en sorte que les citoyens puissent se prononcer en toute connaissance de causes sur ce qui influencera vraiment leur vie à venir.
Comme je l’indiquais dans mon article du début avril, intitulé « la gauche en miettes », en France la gauche a toujours été diverse et les partis de gauche n’ont pu accéder au pouvoir que lorsqu’ils ont trouvé la voie de l’union. Dans le cadre des élections législatives qui suivent les élections présidentielles du mois d’avril 2022, les partis de gauche ont décidé de constituer « la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale » afin de présenter dès le premier tour des candidats communs. Ont-ils retrouvé la voie de l’union ou s’agit-il d’une simple alliance de circonstance ? Les gauches dites irréconciliables ont-elles trouvé un terrain d’entente ? Les insoumis ont-ils phagocyté les écologistes, les communistes et les socialistes ? Cette union est l’objet de nombreuses critiques à droite et à l’extrême droite mais aussi au sein même des partis concernés. Qu’en est-il exactement ?
Un accord purement électoraliste ?
Dans son éditorial du samedi 7 mai le journal « le Monde » estime que même si ses protagonistes évoquent l’histoire, le Front populaire de 36, l’union de la gauche et le programme commun de gouvernement de 1972, et la gauche plurielle de 1997, cette union est en réalité un accord purement électoraliste qui a pour objectif, pour chacun des participants, soit de limiter ses pertes, soit de maximiser ses gains. Il faut y voir de simples manœuvres destinées à sauver ou à gagner des places. Le résultat est le produit de marchandages dans lesquels a été pris en considération l’accès au financement public. Le Canossa des défaits de la présidentielle a non seulement été illustré par le faible nombre de circonscriptions électorales favorables qui leur a été alloué, mais également par un alignement sur les exigences programmatiques de « La France insoumise ».
Une grande convergence
L’alliance des partis de gauche est due en premier lieu à la forte pression des électeurs de gauche. Ces derniers sont à 93 % favorables à un rassemblement auquel les candidats à la présidentielle et leurs écuries se sont refusés obstinément jusqu’au 4 mai. Plus lucides que les états-majors, les citoyens ont bien perçu que les gauches soi-disant irréconciliables sont en réalité bien plus proches qu’il n’y parait. L’analyse des programmes des différentes forces de gauche montre une grande convergence dans les objectifs.
Dans une tribune au sein du journal « le Monde », neuf universitaires estiment qu’il existe une immense convergence au sein de l’ensemble de la gauche. Au-delà de leur diversité les gauches portent en elles l’idée d’une transformation socio-économique radicale, transformation des modes de production, de consommation et des modes de vie, pour réduire les inégalités et les injustices, et faire face aux urgences écologiques. Tous se retrouvent également sur la nécessité de sortir urgemment de l’hyper-présidentialisation d’une Vème République à bout de souffle et de mettre en place des modes de fonctionnement démocratique renouvelés. Tous partagent aussi la conviction que ces transformations passent par la puissance publique, mobilisée à tous ses échelons, et tous accordent aux services publics et à l’État social une place centrale. Tous sont convaincus que ces transformations se feront par la loi, le dialogue social mais également en mobilisant toutes les initiatives citoyennes et qu’ils ont comme instruments la fiscalité, l’investissement public et le conditionnement des aides aux entreprises privées.
L’accord ne nie pas les différences
Constater les convergences ne doit pas amener à nier les différences et les clivages qui existent entre les structures partisanes, principalement sur l’Europe, les questions internationales, leur conception de la République, les droits des minorités ethniques et religieuses, la prééminence des questions écologiques sur tout autre impératif, mais aussi le rôle de l’État, le nucléaire ou la croissance économique.
Ne peut-on admettre que des échanges approfondis permettraient de lever bien des oppositions apparemment insurmontables ? Par exemple, peut-on imaginer que les défenseurs de la République négligent les discriminations ou que les combattants des discriminations puissent revendiquer un régime politique plus adapté à leur combat que la République ? Sur l’Europe, depuis les dernières élections européennes, une grande partie du fossé n’a-t-elle pas été comblée, dès lors que tous s’accordent désormais à dire que les traités actuels ne sont pas acceptables et récusent le libéralisme économique européen, quand symétriquement plus personne ne demande aujourd’hui un Frexit ?
Ces différences ne sont pas plus importantes que celles qui séparaient les forces au sein du Front populaire ou de la gauche plurielle.
Une alliance historique ?
L’alliance des partis de gauche avant le premier tour des élections législatives est en soit un fait majeur. Dénier la réalité politique et surtout la volonté du peuple de gauche aurait été suicidaire aux législatives. Comme l’analyse Isabelle This Saint-Jean, secrétaire aux études du Parti socialiste et chroniqueuse dans les colonnes d’« Alternatives économiques » : « Le projet politique est en grande partie le même, et les modalités d’action ne sont pas si loin les unes des autres. » Ce qui est historique c’est l’inversion du rapport de force. C’est la gauche la plus radicale qui organise des alliances avec trois petits partis alors qu’auparavant c’était les modérés qui étaient la force centrale.
Avec cet accord la gauche semble revenir à ce qui fait sa fonction première : représenter une alternative au cours normal des choses, aux injustices, aux inégalités, à la domination du capital sur les femmes et les hommes, à l’exploitation de la nature, à la sous-estimation du changement climatique et du recul de la biodiversité.
Il faudra attendre le 19 juin pour savoir si l’accord passé entre les principaux partis de gauche, regroupés derrière la bannière de la Nouvelle union populaire écologique et sociale est historique et s’il est en mesure de limiter l’importance de la majorité présidentielle voire de l’empêcher.
Lors du premier tour de ces élections présidentielles les électeurs se sont comportés en stratèges et ont plébiscité le vote utile quel que soit leur choix d’orientation réelle. C’est en tout cas le sentiment que l’on peut avoir en analysant les résultats.
A l’extrême droite, c’est la candidate du Rassemblement National qui a bénéficié du vote utile. Les électeurs de droite radicale ont préféré l’apparente modération aux discours excessifs du polémiste d’extrême droite. Ils ont sans doute estimé que c’était le plus sûr moyen d’accéder au second tour. Pari couronné de succès.
A la droite républicaine la candidate écartelée entre une tendance modérée et une tendance clairement identitaire a vu les intentions de vote en sa faveur fondre comme neige au soleil. Une partie de ses électeurs se sont ralliés au président candidat de centre droit et une partie des identitaires préférant la candidate du Rassemblement National. Au-delà du meeting raté c’est cette division qui a probablement annulé les ambitions de ce camp.
Le candidat des insoumis, se qualifiant lui-même de gauche radicale, a très vite appelé au vote utile, estimant qu’il était le seul à espérer arriver au deuxième tour. Malgré son attitude dominatrice à gauche son appel a été entendu et lui a permis de passer de 9% des intentions de vote à un résultat frisant les 22% des votants attirant une bonne partie des électeurs de Europe écologie les verts, du Parti communiste et du Parti socialiste. Ces derniers, sans pour autant adhérer au programme des insoumis, motivés sans doute par l’espoir que la gauche soit présente au second tour, se sont ralliés au candidat des insoumis.
Alors que les sondages depuis de nombreux mois indiquaient que les français dans leur grande majorité ne voulaient pas se retrouver avec un deuxième tour en 2022 semblable à celui de 2017 avec un duel centre droit contre droite radicale. Dans cette perspective la droite républicaine estimait être la seule à pouvoir accéder au second tour et battre le président sortant au deuxième tour. Le polémiste d’extrême droite espérait battre la candidate du Rassemblement national avec, pour aller vite, de la surenchère identitaire. La gauche divisée animée de la volonté de ne pas renouveler le sortant, a permis au candidat insoumis de profiter de la faiblesse de ses concurrents de gauche sans pouvoir accéder au second tour. La stratégie des différents candidats additionnée aux stratégies des électeurs a donné un résultat à l’opposé de ce que souhaitait la majorité des français.
Les électeurs de gauche comme les électeurs de la droite républicaine se retrouvent devant le choix qu’ils souhaitaient éviter à savoir de choisir entre La République en Marche et le Rassemblement National. Est-ce qu’ils refuseront de choisir ou est-ce qu’ils voteront pour éliminer le candidat le plus néfaste de leur point de vue ? Que va faire l’électeur stratège ? La réponse au soir du deuxième tour !
Ceci étant dit, les choses ne seront pas réglées du point de vue de ces électeurs frustrés de n’avoir que la possibilité d’éviter le pire. Quelque soit la personne élue au deuxième tour Président de la République, il restera aux français à se prononcer aux élections législatives. Le seul moyen de peser sur la politique des cinq prochaines années, en dehors de la mobilisation dans la rue pour ceux qui aspirent à la baisse des inégalités et au progrès social et écologique, sera d’éviter de donner une majorité parlementaire « godillot » au prochain Président. La droite républicaine devra s’appuyer sur son implantation locale si elle ne veut pas disparaitre au bénéfice du centre droit et de la droite radicale. La gauche diverse devra trouver le chemin du dialogue et du compromis si elle ne veut pas être réduite à une portion congrue. A force de répéter que le clivage gauche droite n’a plus de signification aussi bien dans les médias que dans les forces politiques adeptes du flou artistique, nous avons assisté à un marché de dupe qui risque d’avoir des conséquences graves pour l’avenir de la démocratie.
Le Parti Socialiste dominant dans la gauche française en 2012 a accédé à la magistrature suprême, à une majorité au Parlement et une majorité dans un grand nombre de territoires. Aujourd’hui la candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle a peu de chance de dépasser les 5% de vote selon les sondages à deux semaines de l’élection. L’ensemble des force politiques qui se réclament de la gauche ne peuvent espérer beaucoup plus que les 25% au premier tour de cette élection. Comment en est-on arrivé là ? Ce recul d’influence peut s’expliquer par de multiples facteurs, d’abord internes à la gauche mais aussi externes.
La gauche est diverse et divisée. La montée progressive de la petite musique indiquant que gauche et droite de gouvernement c’est la même chose justifiant le « ni gauche ni droite » et permettant l’apparition du « et de droite et de gauche » rassemblant le centre gauche, le centre droit et une partie de la droite modérée.
Mais le mal est plus profond. D’abord la chute du mur à l’est et le sentiment courant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme et à l’économie de marché. Mais aussi le nécessaire développement de l’Union Européenne, la division sociale du travail dans une économie globalisée, la nouvelle révolution industrielle, la société numérisée, l’évolution des rapports de production, la menace du réchauffement climatique, le recul de la biodiversité et les changements de meurs et de mentalité ont entrainé une mutation de la société qui nécessite le changement du logiciel de la gauche.
Une gauche diverse et divisée
Historiquement la gauche a toujours été diverse. En France les partis de gauche n’ont pu accéder au pouvoir que lorsqu’ils ont trouvé la voie de l’union : le Cartel des gauches (1924-1926), le Front populaire (1936-1938), à la Libération (1944-1948), l’Union de la gauche (1981-1984), la gauche plurielle (1997-2002).
Dans la période plus récente la division s’explique par une rivalité exacerbée des appareils politiques. Le Parti Socialiste dominant a soit exclu de s’allier à certains jugés trop radicaux, soit considéré ses partenaires comme des supplétifs. De plus il lui a été reproché aussi bien en interne (les frondeurs) que par les autres partis de gauche, certains reniements tant au niveau économique que social. En conséquence le Président socialiste sortant en 2017, a renoncé à se représenter.
La faiblesse des socialistes a donné à la gauche radicale (Le Front de gauche puis Les Insoumis) l’idée de devenir dominant à leur tour. Leur posture de critiques, parfois justifiées, se transformant trop souvent en injures d’abord envers le Parti Socialiste mais aussi envers le Parti Communiste et même Europe Écologie les Verts (EELV). Le candidat des Verts à cette élection a lui-même été atteint par ce syndrome de domination après un succès notable pour son parti aux élections européennes mais restant modeste (13%). C’est la course à celui qui fera le meilleur score, ce qui lui donnera le pouvoir de dominer les autres tout en assurant en final un échec collectif.
Au jour où j’écris ces lignes c’est le candidat des Insoumis qui après avoir copieusement dénigré ses concurrents de gauche appelle au vote utile et donc à voter pour lui. Après avoir distribué des coups de pieds il espère des coups de pouce pour accéder au second tour estime Frédéric Says, journaliste à France Culture. Sauf retournement de l’opinion publique il y a peu de chance que cela se traduise favorablement. De plus les sondages, qui ne sont pas « paroles d’évangile », donnent très peu de chance au second tour quelque soit le candidat face au Président candidat sortant. Une fois de plus la preuve sera faite que la gauche ne peut accéder au pouvoir que si ses composantes sont capables de faire l’union.
Mais au-delà des égos des chefs de file, les gauches sont-elles irréconciliables comme ont pu le dire certains ? Leurs divergences sont-elles insurmontables ? Les objectifs communs ne sont-ils pas suffisamment nombreux et importants pour leur permettre d’élaborer des compromis acceptables par tous ou au moins de trouver une méthode pour faire trancher ces divergences par la voie de la consultation populaire ? Il faudrait que cesse les querelles de chapelle si la gauche veut gagner en crédibilité et retrouver la confiance de la majorité des français !
Une union pour quoi faire ?
Dans son ensemble la gauche se doit de faire face aux grands défis de ce premier quart de XXIème siècle en tenant compte des mutations de la société (voir notre article du 20 mars 2022) : préserver la planète du recul de la biodiversité et du réchauffement climatique ; rejeter les politiques néolibérales qui ne font qu’accroitre les inégalités de revenus et de patrimoine qui sont à l’origine d’inégalités de culture, d’éducation, de formation, de santé ; repenser la philosophie politique de l’action publique en cessant d’affaiblir les services publics et en privilégiant le temps long sur le court terme et donc en réhabilitant la planification ; réindustrialiser notre économie dans le but de développer la souveraineté et l’autonomie stratégique de la France dans le cadre de l’Europe; œuvrer pour une concertation mondiale pour faire face aux crises auxquelles se trouve confrontée la planète ; enfin mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité.
Dans le cadre de ces grands défis, la Gauche doit répondre aux aspirations de la majorité des français qui placent aux premiers rangs de leur préoccupations le recul de leur pouvoir d’achat, leur système de santé à la dérive, l’école laïque publique comme moyen d’émancipation et de progrès social, la sauvegarde de notre système de protection sociale. Elle doit aussi proposer de sortir du monarchisme républicain et retrouver un fonctionnement plus démocratique de nos institutions qui ne peut se réduire au vote tous les cinq ans pour un homme ou une femme qui devra décider de tout pendant son quinquennat avec une majorité parlementaire qui lui est dévouée parce que dépendante. Elle doit faire preuve d’imagination et de créativité pour améliorer la participation des citoyens à la vie politique du pays. Toutes les forces qui se définissent de gauche et qui ont la prétention de gouverner doivent adhérer globalement à ces objectifs. Mais le diable se loge dans les détails. Il se peut que sur la manière de répondre à ces objectifs il subsiste des différences. Quand on analyse les catalogues de mesures que chaque camp propose nous pouvons constater des divergences notamment sur l’Europe, le mix énergétique et le nucléaire, la réforme de la constitution, etc… mais si la gauche veut être crédible il faut qu’elle soit capable de régler ces divergences par la négociation et le compromis.
L’échange et la confrontation des points de vue est un élément essentiel de la démocratie. S’il subsiste l’une ou l’autre question d’importance la seule issue est une solution démocratique et par conséquent l’engagement de la faire trancher par un large débat populaire suivi d’un vote sur une question simple et sans ambiguïté.
Retrouver le débat gauche droite
C’est l’extrême droite qui la première a remis en cause l’opposition droite gauche qui monopolisait le débat politique. Rappelons-nous de la dénonciation de « l’UMPS ». Ni droite ni gauche mais polarisation sur l’immigration et la défense de l’identité nationale. Puis au sein de cette musique s’est engouffré le centre gauche et le centre droit qui a pris le pouvoir en 2017 avec la promesse de faire du « et de droite et de gauche ». A chacun de juger du résultat de cette alliance et de la politique menée sur les cinq dernières années.
Cette élection va probablement se décider à droite car la Gauche sera absente du second tour. Seuls son éparpillement et sa désorientation en sont l’explication. Elle doit se refonder et clarifier les directions qu’elle souhaite prendre pour se retrouver sur des valeurs de progrès. Elle doit définir « une nouvelle voie politique-écologique-économique-sociale », qui englobe les esprits de gauche, tout en rassemblant les Français humanistes, comme le dit Edgar Morin dans son livre « Réveillons-nous » publié aux Éditions Denoël.
Retrouver le débat gauche droite est non seulement important pour la gauche mais aussi pour la droite républicaine qui doit se libérer de l’influence néfaste des identitaires nationalistes qui, comme l’analyse le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, ramènent tout à des questions d’identité, d’enfermements nationalistes comme cette expression absurde de « grand remplacement » qui n’a de sens que « dans le cadre d’une pensée tribaliste, où une tribu s’inquiète d’être remplacée par une autre ».
Le retour de ce débat est aussi important pour la France, pour lui permettre de sortir du flou et de la confusion générée par le « et de droite et de gauche » qui participe au désintérêt des Français pour la politique, ce qui se traduit par une abstention de 30% prévue par les sondages.
La pandémie a conduit à une intervention puissante de l’État aux États Unis et en Europe, en particulier en France. Le recul de la biodiversité et le réchauffement climatique rendent indispensable une coordination internationale de l’action des États. La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine met en évidence, entre autres, l’interdépendance au niveau énergétique. Il est de plus en plus question de souveraineté, d’autonomie et d’indépendance dans plusieurs domaines considérés comme stratégiques. La puissance publique doit reprendre la main. Les États doivent faire face à l’instabilité et intervenir massivement pour faire face aux crises qui surviennent régulièrement. Il faut mettre fin au dogme néolibéral qui prétend que le « laisser faire » est la garantie de l’équilibre, que l’État ne doit pas se mêler d’économie et que l’enrichissement des plus dynamiques bénéficiera par ruissellement à tous. La démonstration est faite que cela ne mène qu’à l’augmentation des inégalités. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées. Sans un rééquilibrage des taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à la remise en question de la propriété privée comme le fait Thomas Piketty dans son dernier livre ?
Dans une étude publiée en décembre 2021, le conseil d’analyse économique montre que la part de la fortune héritée dans le patrimoine total est passée, depuis les années 1970, de 35 % à 60 %. Peut-être faut-il aussi se demander comme le fait dans une enquête Anne Chemin, journaliste au journal Le Monde, si l’héritage va de soi. Après une éclipse de plus d’un siècle, le débat sur le bien-fondé de la transmission héréditaire refait surface. Les Français semblent contre mais ils ignorent que 40% d’entre eux n’héritent de rien.
Xavier Ragot, président de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifiques), dans un entretien au journal Alternatives économiques défend l’idée qu’en France, il faut penser les forces productives à l’horizon de dix ans et retrouver un commissariat au Plan, « lieu de rencontres entre universitaires, chefs d’entreprises, syndicats, fonctionnaires etc. pour réfléchir ensemble à l’avenir et construire des compromis ». Nous avons à faire des choix de société dont il faut débattre collectivement. Le capitalisme a de plus en plus besoin de l’État-providence pour la santé, l’éducation, la dépendance etc. Le sujet de fond, c’est comment lui assurer une place plus importante et comment traiter le sujet au niveau européen pour éviter une course au moins-disant social. »
En conclusion, pour autant qu’il soit possible de conclure, je dirais que l’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective. Il n’est plus possible de laisser une petite minorité s’accaparer l’essentiel des richesses car cela entraine un développement de la désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.
Au cours de cette année électorale 2022 nous allons être amenés à faire le choix d’un président de la République et d’élire une majorité parlementaire pour cinq ans. Année importante pour la démocratie française que beaucoup trouve mal en point. Notre pays se trouve confronté comme la plupart des pays à de grands défis que l’on aimerait voir émerger dans cette campagne électorale. Ce qui n’est toujours pas le cas au moment d’écrire ces lignes à moins d’un mois du premier tour de l’élection.
Quels sont ces défis de mon point de vue ?
Le défi climatique
Recul de la biodiversité
La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.
La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie ne font qu’un. Cette crise n’inclut pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale.
Le changement climatique
La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale. Le projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C.
Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté en 2017 après avoir été stables pendant les trois précédentes années. Cette augmentation souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C.
Au cours des Cop suivantes de légers progrès ont été enregistrés mais la communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse significative des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde. Lors de la Cop26 en novembre 2021 à Glasgow les pays développés se sont engagés à doubler l’aide consacrée à l’adaptation, mais ils sont loin de respecter leurs engagements.
Le nouveau rapport du GIEC
Le nouveau rapport du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) publié le 28 février 2022 dresse à nouveau un bilan alarmant. Le changement climatique, causé par les émissions de gaz à effets de serre, a déjà entamé des effets négatifs généralisés et causé des dégâts irréversibles à l’ensemble des sociétés et de la nature. Toute vie sur terre est devenue vulnérable au réchauffement et en particulier aux évènements extrêmes qui ne cessent de se multiplier. Contenir le réchauffement climatique à 1,5°C réduirait considérablement les conséquences sans pouvoir les éliminer. En cas de dépassement de cette limite les effets négatifs et les dégâts irréversibles augmenteront. Il est donc impératif de contenir ce réchauffement et de prendre rapidement des mesures d’adaptation à toutes ses conséquences. Les auteurs du rapport estiment qu’un développement résilient au changement climatique est possible sur la base de l’équité et de la justice. Mais cela sera de plus en plus difficile si l’on tarde à agir.
Le secrétaire général de l’ONU dit que « ce rapport du GIEC est un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l’échec du leadership climatique. Les plus grands pollueurs du monde sont coupables de l’incendie criminel de notre seule maison. » Il appelle les pays à sortir du charbon, à faire une transition vers les énergies renouvelables et à financer l’adaptation aux conséquences du réchauffement à hauteur de 50% des fonds climat.
La rupture de l’équilibre entre la planète et les humains qui l’habitent s’appelle l’Anthropocène. Cette rupture fait ressortir notre immense responsabilité mais crée aussi l’opportunité de redéfinir notre rapport à la terre.
Le défi économique et social
Développement des inégalités
Les études de la World Inequality Database sur les inégalités mondiales publiées en décembre 2021 ont permis de montrer que les pays occidentaux, après avoir connu une baisse des inégalités économiques sur le temps long de l’histoire, sont entrés dans une phase de reconstitution de très fortes inégalités depuis plusieurs décennies, non seulement au niveau des revenus mais aussi au niveau des patrimoines.
Les excès de la mondialisation financière expliquent en partie le creusement des écarts de revenus et de patrimoine ces dernières décennies. Les inégalités culminent à des niveaux historiquement élevés. En moyenne les 10% des adultes les plus riches de la planète captent 52% des revenus mondiaux, lorsque 50% des plus pauvres s’en partagent 8,5%. Les disparités de patrimoine sont plus fortes que celles de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale ne possède que 2% de la richesse des ménages tandis que les 10% les plus aisés en détiennent 76%.
L’hégémonie culturelle du néolibéralisme
De nombreux discours conservateurs tentent de donner des fondements naturels et objectifs aux inégalités et expliquent que les disparités sociales en place sont dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Selon eux les inégalités sont nécessaires pour accroitre la productivité et la croissance.
Dans la deuxième partie du XXème siècle les prophètes du néo-libéralisme de « l’école de Chicago » sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien-être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.
Les politiques néolibérales sont devenues culturellement dominantes et ont bouleversé le panorama des inégalités. La promesse néolibérale de dynamisation de la croissance par la baisse de la fiscalité des plus riches n’a pas marché. La théorie du ruissellement n’a pas généré la prospérité pour tous. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées.
Repenser la philosophie politique de l’action publique
Depuis que cette vision néolibérale s’est imposée le taux de croissance des revenus du capital s’est accéléré alors que la croissance des revenus du travail a stagné voire reculé. Sans un rééquilibrage de ces taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer.
Le mouvement des « gilets jaunes », la crise sanitaire et la guerre en Ukraine remettent l’État et son intervention stratégique au cœur de la dynamique économique. Depuis deux ans les politiques publiques volontaristes visent à limiter les conséquences de la crise sanitaire et à relancer l’économie. Il est nécessaire de repenser la philosophie politique de l’action publique dans l’économie. Le développement économique tant au niveau national qu’européen ne peut être pensé indépendamment des enjeux environnementaux, des exigences sanitaires, des questions de réindustrialisation, des logiques redistributives et ce dans la perspective d’une diminution de notre dépendance dans tous les secteurs stratégiques que sont l’énergie, l’alimentaire et le sanitaire. Les enjeux sont tels qu’ils nécessitent le retour d’une planification sur le temps long structurant et guidant l’action publique au niveau économique.
La réalisation du profit maximum à court terme ne peut plus être la seule motivation en matière d’activité économique. L’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective. Si l’État continue à laisser le 1% de la population s’accaparer l’essentiel des richesses et mettre à contribution les classes moyennes et populaires, il laisse se développer une désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.
Le défi politique
La fin de l’histoire
Il y a trente ans, Francis Fukuyama prédisait le triomphe du modèle libéral sur toute la planète. Il pense que la 3ème guerre mondiale n’aura jamais lieu mais craint une résurgence du terrorisme et des guerres de libération nationale. Il prédit la fin des idéologies du XXème siècle au profit d’un marché mondial ouvert. Dans les mois qui suivent, le bloc soviétique s’effondre et le monde se transforme. La mondialisation mute en globalisation. La financiarisation de l’économie au niveau mondial, le développement d’un capitalisme dominateur sans limite qui ignore les frontières, la concurrence de tous contre tous entrainent un bouleversement de l’ordre du monde qui ne crée pas le bien-être de tous mais une explosion des inégalités entre les pays développés et les pays en développement et à l’intérieur des pays les inégalités entre riches et défavorisés ainsi qu’un appauvrissement des classes moyennes.
Un nouvel affrontement
L’affrontement monde capitaliste contre monde socialiste disparait progressivement et laisse la place à l’affrontement entre démocraties et autocraties. La Chine et la Russie multiplient depuis plusieurs mois les déclarations agressives contre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et contre les ingérences extérieures. La Chine a pris violement le contrôle total de Hong Kong et a maté les revendications de démocratie dans l’île. Elle ne cache pas sa volonté de se rattacher Taïwan Aujourd’hui c’est la Russie qui, après avoir défié l’occident en Syrie, a envahi l’Ukraine avec pour ambition de la ramener dans le giron russe. Les dirigeants chinois et russes ne cachent pas leur mépris du système démocratique qui est faible et incapable d’assumer des risques importants. Ils louent ensemble l’efficacité de leur système autocratique et se promettent une amitié sans limite.
Le retour de l’arme nucléaire
Alors que, pendant la guerre froide, l’arme nucléaire était destinée à ne pas être employée, son utilisation est aujourd’hui brandie comme possible. Depuis le début de l’offensive en Ukraine, le Président russe agite la menace nucléaire. Il a averti les pays qui s’opposeraient à son intervention qu’ils s’exposeraient à des conséquences « comme ils n’en ont jamais vu ». Les enjeux de la dissuasion reviennent au premier plan.
Souveraineté et autonomie stratégique de l’Europe
L’invasion de l’Ukraine oblige les États Unis à ne pas regarder que du côté de l’Asie et à respecter leurs engagements en Europe. L’Union Européenne doit prendre conscience qu’elle doit d’abord compter sur elle-même pour sa défense devant les orientations futures de la puissance américaine en direction de l’Asie. La guerre en Ukraine aide à cette prise de conscience qu’il n’est plus possible devant ce nouvel ordre du monde, s’il ne l’a jamais été, d’être uniquement dépendant des Américains. Les chars russes en Ukraine et une agression à ses frontières par une puissance nucléaire ont réveillé l’Union Européenne.
Après la crise sanitaire et maintenant la guerre à ses portes qui ont mis en évidence les faiblesses de l’UE et ses dépendances stratégiques, la souveraineté européenne et son autonomie stratégique sont une priorité incontournable.
La nécessité d’une gouvernance mondiale
Plus que jamais le monde est confronté à de multiples défis : dérives financières, épuisement des ressources naturelles, dérèglement climatique, productivisme agricole, manipulations génétiques dangereuses pour notre alimentation, destruction de la biodiversité, rareté croissante de l’eau potable, développement des inégalités inter et intra nationales, menaces terroriste et nucléaire, pandémies virales, dérèglements politiques, … cette liste n’est hélas pas exhaustive. Il s’agit d’une conjonction de crises d’envergure mondiale.
Pour répondre aux problèmes mondiaux il faut des réponses mondiales. Des éléments de régulation internationale et quelques institutions agissent à l’échelle mondiale mais c’est loin d’être suffisant. Les intérêts nationaux prévalent encore en transformant chaque rencontre internationale en séance de marchandages. Comme l’a définie Stéphane Hessel, « la gouvernance mondiale c’est la capacité de s’élever au-delà des marchandages entre intérêts nationaux pour prendre des décisions politiques planétaires au nom de l’humanité. »
L’envergure mondiale des différentes crises auxquelles nous sommes confrontées rend nécessaire, même si cela apparait complètement utopique, au moins une concertation de l’ensemble des pays de la planète. La réforme en profondeur du seul embryon de gouvernance mondiale existant aujourd’hui, l’ONU, semble indispensable. Il reste la seule institution légitime malgré ses faiblesses pour établir un véritable dialogue et affronter les problèmes qui se posent au monde dans un cadre universel démocratique et rénové.
Le défi technologique
Les mutations scientifiques et techniques
Les mutations scientifiques et techniques ont des effets profonds sur l’identité humaine. Le progrès médical a provoqué au XXème siècle un allongement considérable de la vie. Dans le même temps la médecine brouille la définition de la mort. Les enfants qui naissent aujourd’hui ont une espérance de vie de cent ans. La procréation médicalement assistée ne permet pas simplement la naissance d’enfants qui autrement ne seraient pas nés. Elle modifie le désir même d’enfant. Savoir ce qui nous a permis de venir au monde est une question centrale de notre identité subjective. Notre rapport à la santé, à la douleur, au temps, à la mort et à la transmission de la vie, notre manière de nous représenter l’humain et son évolution sont en train de changer. Cela constitue une cassure par rapport à la totalité de l’expérience humaine, ce que Marcel GAUCHET, philosophe, appelle une « rupture anthropologique ».
Confrontation de l’humanité au progrès technologique
Le mouvement transhumaniste voit l’être humain accéder à un stade supérieur de son évolution grâce aux technosciences. Il promeut l’avènement d’un surhomme technologique soustrait à tout ancrage naturel. Il prétend défendre un modèle d’amélioration de l’être humain qui se veut en continuité avec celui promu par le siècle des Lumières. L’amélioration de l’individu et de ses performances physiques, intellectuelles et émotionnelles n’est envisagée que sous l’angle technoscientifique. Cette quête biotechnologique de l’amélioration et de l’augmentation de l’humain occulte la dimension sociale du combat des Lumières pour l’institution d’une société plus juste.
En biologie le clivage entre vivant et non vivant devient problématique. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, la différence entre machine et conscience se brouille. Dans le monde numérique, où par définition on ignore les frontières, avec la mondialisation on prétend les abolir. On rêve de s’affranchir des limites du corps, du temps, de l’espace, on s’efforce d’augmenter indéfiniment nos capacités productives, notre confort de vie. Mais une conscience aigüe des limites émerge comme l’autre face de notre présent et révèle une tension entre le désir d’illimité et la conscience des limites.
Contrôler le pouvoir de nuire de la technique
L’individu évolue et se constitue autrement à mesure que bougent les techniques, l’histoire et les sociétés. Il se construit différemment, s’inscrit dans de nouveaux schémas. Longtemps nous avons cru avec le siècle des lumières que la responsabilité des humains était de faire progresser les savoirs, perfectionner les techniques, et ainsi permettre à l’humanité de gagner sa liberté sur terre. Mais l’histoire du XXème siècle a prouvé que sciences et techniques, loin de rendre les humains meilleurs, pouvaient leur permettre de tuer plus. Les progrès des sciences et les raffinements de la culture ne constituent en rien des digues contre la barbarie.
Notre responsabilité est de contrôler le pouvoir de nuire de la technique. Sa puissance est devenue telle qu’une catastrophe pourrait mettre un terme à l’humanité. Avec les nouvelles possibilités de manipulation du vivant, de réorganisation de l’ADN, cette analyse se révèle d’une actualité brulante. Comment faire le tri entre une technique scientifique constituant un progrès légitime et une technique qui menacerait la nature humaine dans son essence biologique ? Préserver les conditions d’une vie éthique collective et démocratique, d’une pensée de la dignité de l’humain, d’une résistance à la prolifération des techniques sous la pression du marché.
La technique n’est pas la science, elle peut devenir de la marchandise, la science pas nécessairement. C’est l’usage capitaliste des techniques, leur rentabilisation immédiate dans la recherche du profit qui favorisent et introduisent des mutations accélérées. La technique est rendue dangereuse par sa prolifération marchande incontrôlée.
La bioéthique, pont entre les sciences de la vie et les valeurs humanistes
La confiance aveugle envers les sciences et les techniques est une erreur, la défiance systématique en est une autre. Ce n’est pas la technique qui est en soit bénéfique ou maléfique, mais les usages qu’on choisit d’en faire. Nous devons rester vigilants quant aux possibles dérives, aux possibles mauvais usages des découvertes scientifiques. Aidons le plus grand nombre à comprendre, à avoir accès aux connaissances, pour que chacun ait les moyens d’un jugement approprié. L’ignorance laisse à un petit nombre la responsabilité des choix qui peuvent être sujet à toutes les influences et notamment à la pression économique dès lors que les découvertes qui ont des applications à grande échelle, laissent entrevoir une rentabilité financière. Gardons un œil critique sur les conséquences sociales et les dérives possibles de la recherche et ses applications. Veillons à faire participer la société au débat sur les orientations de la recherche en biologie et ses applications.
Mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité
L’interdépendance des différentes espèces au sein d’un écosystème n’est plus à démontrer. Les activités humaines détruisent des équilibres naturels, produisent des gaz à effet de serre, provoquent le réchauffement climatique, épuisent les stocks d’énergie que l’on sait limités. L’idée que l’humain peut détruire le monde terrestre et ainsi se détruire lui-même émerge et pose le problème des limites de l’activité humaine et de sa responsabilité vis-à-vis de la nature. L’humain est une partie d’un tout qui a la particularité d’être responsable de la conservation de ce tout. Nous devons prendre conscience de nos limites et développer un humanisme différent, un humanisme de la diversité.
Plus que jamais, avec sens des responsabilités et sagesse, l’homme a besoin des principes éthiques des Lumières pour mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité et non l’inverse.
Conclusion
Selon la constitution française l’élection présidentielle, quoiqu’on en pense, devrait être un moment privilégié pour permettre aux citoyens de faire des choix importants pour les cinq années à venir. Plutôt que des catalogues de mesures déterminées le plus souvent par des analyses de marketing politiques destinées aux catégories de population dont on souhaite s’attirer les suffrages, mesures qui le plus souvent seront rendues obsolètes par l’évolution du monde, nous aimerions savoir comment les différents candidats comptent faire face à ces grands défis que nous venons d’énumérer et quel type de société ils comptent mettre en œuvre. Ce sont les réponses à ces défis et les grands choix sociétaux qui, en fonction de l’évolution de la situation, détermineront avec un minimum de cohérence les mesures qui devront être prises par les gouvernants en principe sous le contrôle des citoyens. C’est en sollicitant les citoyens sur ces grands choix que l’on pourra revivifier notre système démocratique et les faire se prononcer sur ce qui influencera vraiment leur vie à venir.
Le polémiste qui multiplie les déclarations réactionnaires sur les médias depuis quelques années, a déboulé comme un chien dans un jeu de quilles et a bouleversé le paysage politique à l’horizon de la présidentielle de 2022. Le duel annoncé entre Macron et Le Pen est remis en question par la baisse du pourcentage nécessaire pour participer au second tour de la présidentielle.
Qui est ce monsieur ?
Son univers, la nostalgie et la xénophobie, est un recyclage des positions réactionnaires de la droite radicale et catholique. Fervent partisan d’un nationalisme offensif, il est xénophobe et raciste. Il cite Barrés et Maurras. Il se dit passionné d’histoire mais il y applique son filtre idéologique et sa loupe déformante. Il émet des doutes sur l’innocence de Dreyfus, il réhabilite le Pétain de la collaboration en prétendant qu’il aurait sauvé des juifs pendant l’occupation. Il a conscience de ses racines berbères et se reconnait juif, mais cela ne l’empêche pas de jongler avec les clichés antisémites. Ses grands hommes sont Napoléon et De Gaulle. Ses thèmes privilégiés sont l’immigration et l’identité nationale. Il défend la peine de mort. Il est adversaire des contre-pouvoirs et met en cause la faiblesse de la démocratie qui manque d’autorité.
Tout va mal, les immigrés ont envahi le pays et « créé un peuple dans le peuple ». Les musulmans sont son obsession. Ils constituent une menace pour la France éternelle, blanche et catholique. La modernité, les communautaristes, les féministes et les homosexuels remettent en cause les valeurs traditionnelles de la France. II fustige les femmes, qui devraient rester à leur place c’est-à-dire à l’église et à la maison.
Pour un programme d’avenir c’est plutôt un vaste retour en arrière. Et pourtant depuis septembre dernier, de sondage en sondage, il progresse de manière fulgurante dans les intentions de vote alors qu’il ne s’est pas encore déclaré candidat, et passe de 4% à 17%. C’est une performance même si la progression semble se stabiliser au moment d’écrire ces lignes. Il s’en prend à la candidate d’extrême droite qui selon lui n’a aucune chance de devenir présidente de la République. Il fait même preuve d’un grand mépris pour sa personne en évoquant son incompétence en référence à son débat raté de la présidentielle 2017. Manifestement son intention est de l’empêcher d’accéder au second tour et pour le moment il semble qu’il pourrait y parvenir.
Il accuse les représentants du parti « Les Républicains » de ne pas avoir appliqué leur programme quand ils étaient au pouvoir. Ils ont préféré ne pas déplaire à la gauche dit-il.
Qui soutient ce monsieur ?
Le polémiste bénéficie du soutien du groupe Bolloré qui contrôle, outre CNews, les radios de Lagardère – Europe 1, Virgin, ses titres de presse (Le JDD, Paris Match) et qui s’étend à l’édition. C’est un groupe de médias très puissant qui s’est constitué ces dernières années. La petite chaine d’information en continu que Vincent Bolloré a voulu appeler CNews en référence à Fox News son modèle outre- atlantique a été une rampe de lancement pour le polémiste.
Pourquoi ce groupe de médias s’est mis au service d’un projet politique ultraconservateur ? Dans un article du journal « Le Monde », Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin analysent la stratégie du milliardaire breton. Selon ces journalistes, Vincent Bolloré juge l’identité de la France menacée. Même s’il a toujours évité d’afficher ses convictions politiques personne n’ignore que c’est un homme de droite. Son idéal est l’union du libéralisme économique et du conservatisme sociétal. Il veut peser sur l’avenir politique du pays. Il ne supporte pas le néoféminisme et la remise en question du « mâle traditionnel ». Le « wokisme », ce concept qui prône la défense de toutes les minorités, l’exaspère. Il juge l’homme blanc menacé par l’idéologie décoloniale. Toujours selon ces journalistes bien plus qu’une éthique personnelle, la religion est un cadre moral nécessaire à ses yeux. La devise de sa famille depuis 1789 : « A genoux devant Dieu, debout devant les hommes ».
Il mobilise son empire médiatique avec comme fer de lance CNews et son polémiste vedette pour orienter les débats de la campagne des prochaines présidentielles dans le sens de ses convictions politiques. Et ça fonctionne ! Le nom du polémiste est partout et ses thèses alimentent les antennes.
Qui utilise qui ?
Manifestement le capitaine d’industrie aimerait, comme le polémiste, voir le chef de l’État battu en avril 2022 et ne juge pas la candidate d’extrême droite capable d’y parvenir. Il est légitime de s’interroger sur le fait que ce chef d’une grande entreprise, qui a mainte fois démontré son sens de la stratégie, croit le polémiste, en mesure lui, d’y parvenir. Il me semble plus probable, c’est mon hypothèse, qu’il l’utilise pour pousser en avant dans l’opinion publique les idées qui lui sont chères. Et surtout peser sur les candidats du parti « Les Républicains » pour qu’ils se radicalisent. Au vu des débats de la primaire de la droite classique l’objectif est en passe d’être atteint. Du fait de la division de la gauche, le candidat « LR » qui sera désigné en décembre est sans doute le seul à pouvoir battre le président sortant s’il s’est suffisamment radicalisé pour pouvoir bénéficier d’un report de voies suffisant au deuxième tour de l’élection en puisant dans les 35% des votes d’extrême droite.
La véritable campagne pour les élections présidentielle commence à peine. Les évolutions de ces prochains mois nous dirons si ces hypothèses se vérifient. Mais déjà une chose est certaine, comme le dit Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences Po, nous devrions tous nous alarmer de l’insuffisante régulation des médias dans notre pays et du manque de protection de l’indépendance des journalistes. Les exemples de canal plus, d’Europe 1, du JDD et de Paris Match sont suffisamment probants et montrent comment la possession du capital d’un groupe de médias permet d’imposer une ligne éditoriale. Pour Julia Cagé il faut séparer, dans les groupes de presse, l’actionnariat de la gouvernance si l’on veut protéger l’indépendance de l’information et donc préserver la démocratie.