L’économie : comprendre et agir sur le monde pour le progrès de l’humanité, à la recherche du bonheur ?

Quel est le sens de l’économie ?

Le mot sens nous renvoie à plusieurs dimensions :

  • Le sens comme orientation, dans quelle direction je vais.
  • Le sens comme valeur objective, qu’est-ce que cela veut dire
  • Le sens comme raison, fondement, justification, intention, quelle est la raison d’être d’une proposition ou d’une action

Je vais au cours de cet article essayer de satisfaire à ces trois dimensions à propos  de l’économie.

Commençons par définir l’économie et pour cela rechercher son origine et son évolution.

Économie vient du grec « économia », de « oikos » maison au sens de patrimoine.

A l’origine il s’agit de l’art de bien administrer une maison, de bien gérer les biens d’un particulier. Cela s’est étendu à la gestion de l’État et à la société d’où l’appellation  « économie politique ».

Raymond Barre (professeur d’économie à l’Université de Paris) disait que « l’économie politique est un schéma d’interprétation de la réalité concrète.»

Au sens moderne l’économie est une science qui a pour objet la connaissance des phénomènes concernant la production, la distribution, l’échange, la consommation des biens et services dans la société humaine. Il est alors question de science économique. Comme le mot est polysémique, il a plusieurs sens, l’expression utilisée est au pluriel : sciences économiques.

Économie, économie politique et science économique sont interchangeables même si aujourd’hui l’expression la plus utilisée pour évoquer cette activité est « sciences économiques » de manière à couvrir l’ensemble de ses facettes : macroéconomie, microéconomie, économétrie, théories économiques, analyses économiques, économie internationale, économie du développement, etc.…

Science vient du latin « scientia » qui signifie connaissance, ce que l’on sait pour l’avoir appris, ce que l’on sait pour vrai au sens large. Les connaissances scientifiques sont produites à partir de méthodes d’investigation rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Le but est de comprendre et d’expliquer le monde. La science est ouverte à la critique. Les connaissances scientifiques, ainsi que les méthodes, sont toujours ouvertes à la révision. Les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes, et d’en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles ; leurs résultats sont sans cesse confrontés à la réalité.

La science économique est difficile à définir. Elle fait partie de l’ensemble des sciences sociales.

Historiquement chez les grecs l’activité économique était seconde, et subordonnée à la politique, l’art d’administrer la cité. Au Moyen Âge, dans l’atmosphère chrétienne, l’économie était soumise à la morale. L’intérêt du capital appelé « usure » était condamné. Avec la Réforme et la Renaissance et surtout la naissance des Etats, la richesse devient une étape nécessaire à l’acquisition du pouvoir. C’est la période des mercantilistes pour qui la source de la richesse est la détention de métaux précieux. La hausse des prix liée à l’augmentation des quantités d’or en circulation va donner naissance aux premières ébauches de théorie monétaire. Au XVIIIème les physiocrates qui considèrent que seule la terre est réellement productive, se préoccupent de découvrir des lois naturelles. Après les précurseurs succèdent les créateurs : les premiers classiques anglais : Smith, Malthus et Ricardo.

Le père du libéralisme économique est Adam Smith (1723-1790). C’est le père de l’économie politique. Son œuvre majeure est « La richesse des nations », ouvrage qui est le fondement de l’école classique. Il y expose sa conception du développement économique. Pour lui chaque individu guidé par la quête du profit et son intérêt personnel contribue au bienêtre général. Les marchés et la recherche de l’intérêt personnel conduisent à l’efficacité économique. C’est la fameuse « main invisible ». La régulation de la société par le marché mène à l’accroissement des richesses. Le libre-échange et la division du travail sont des facteurs de développement. Le rôle de l’État doit être réduit au minimum c’est à dire aux fonctions régaliennes et les activités que le marché ne peut prendre en charge parce que non rentables mais qui profitent à l’ensemble de la société comme par exemple les grandes infrastructures.

Au XIXème on parle d’économie pure, déductive et abstraite avec Walras. Une science économique se constitue sur le modèle de la mécanique ou de la physique.

Avec la crise de 1929 c’est la fin du laisser-faire et l’émergence du Keynésianisme. Keynes (1883- 1946), auteur de « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » va mettre momentanément au rencart les thèses du libéralisme économique. Les apports de Keynes à la théorie macroéconomique sont très importants. Le cœur de la théorie Keynésienne est le multiplicateur d’investissement. Si l’on injecte via la politique budgétaire 100, une partie va être épargnée, par exemple 20 et le reste, 80 va être consommé. Cette consommation supplémentaire va pousser les entreprises à investir pour répondre à la demande ainsi créée. Ce surcroît d’investissement créera de l’emploi, donc des revenus supplémentaires donc une augmentation de la demande. D’où de nouveaux investissements et ainsi de suite. C’est en s’inspirant de cette thèse que les économies occidentales ont été relevées après la deuxième guerre mondiale.

Mais le redéploiement économique de l’après-guerre va s’accompagner très vite d’un ralentissement du développement, de l’accroissement de l’inflation et du retour du chômage. La thèse keynésienne va être progressivement abandonnée sous le feu des critiques d’économistes comme Friedrich Hayek et Milton Friedman.

Friedrich Hayek (1899-1992) estime que  les politiques keynésiennes de relance économique, fondées sur l’utilisation du budget public, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et augmentation du chômage. Friedman (1912-2006) initia une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent de front à celle de Keynes. Il remet en cause le bien-fondé des politiques de relance qui, pour lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il faut lutter. À cette fin, il proposa l’instauration d’un taux constant de croissance de la masse monétaire. Ses idées se diffusèrent progressivement et devinrent populaires parmi les milieux politiques dans les années 1980, influençant profondément les mouvements conservateurs américains. Ses idées économiques sur le monétarisme, la fiscalité, les privatisations et la dérèglementation ont inspiré les politiques économiques de nombreux gouvernements à travers le monde, notamment ceux de Ronald Reagan aux États Unis, de Margaret Thatcher en Grande Bretagne, d’Augusto Pinochet au Chili, ou de Brian Mulroney au Canada. Tous d’éminents progressistes !

Ces économistes et leurs affidés sont les inspirateurs des politiques économiques qui nous ont menés à la crise que nous connaissons aujourd’hui.

L’histoire de la science économique est un balancement entre connaissance et action.

La science économique n’est pas une science exacte. Elle fait partie des sciences humaines. Elle s’attribue le nom de science parce qu’elle essaie d’adopter une démarche scientifique. Elle introduit des calculs mathématiques savants dans ses raisonnements pour se donner une coloration scientifique.

Mais en fait c’est une tentative d’explication, je devrais dire des tentatives d’explication, de l’évolution du monde sur le plan économique, c’est à dire de la production de biens et services et des échanges entre les hommes et les nations ainsi que des moyens utilisés pour favoriser, restreindre ou développer ces échanges. Inutile de s’étendre beaucoup pour comprendre que ces explications ne manquent pas d’être très liées à l’environnement politique et social du moment où elles sont formulées, quelle que soit la bonne foi des auteurs.

Comme le dit René PASSET, Professeur émérite à l’Université Paris I – Panthéon – Sorbonne, dans son livre intitulé « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire », les mutations qui caractérisent l’évolution des sociétés humaines et le regard que les hommes portent sur l’Univers s’expriment sur le plan économique par des systèmes explicatifs, des modes d’organisation et des programmes d’action différents.

Ces systèmes explicatifs viennent enrichir nos connaissances mais ils servent aussi l’action.

L’économie c’est aussi un moyen d’agir sur le monde….

A titre d’exemple voyons le débat actuel sur le choix entre politique de l’offre ou politique de la demande. Aujourd’hui en France, en Europe, dans l’ensemble du monde occidental développé le débat se polarise entre partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande.

La restauration de la compétitivité de l’économie française, en particulier de l’industrie, et son adaptation à la concurrence ouverte est un diagnostic largement partagé. Le besoin d’une politique de l’offre est indéniable. Limiter cette politique uniquement à une plus grande flexibilité du marché du travail relève d’une vision purement idéologique plus que d’une vision objective. La recherche, l’innovation, les difficultés de financement des entreprises, l’adaptation à la globalisation de l’économie et la nouvelle répartition du travail au niveau mondial sont des facteurs au moins aussi importants sinon plus que la rigidité du marché du travail.

Ne pas trop fragiliser la demande est aussi largement admis. De plus en plus d’économistes de tous bords considèrent que la croissance des économies avancées bute sur une crise généralisée de la demande. Pourtant réduire les déficits publics quand la charge des intérêts de la dette est le premier poste budgétaire est une nécessité absolue. Cela fait monter au créneau les partisans de moins d’Etat dont la seule motivation est purement idéologique. Ils en oublient que trop d’austérité ne fera qu’affaiblir la demande et accroitre en bout de course le déficit.

La politique économique ne peut être qu’un subtil équilibre entre politique de l’offre et politique de la demande selon les circonstances et l’environnement. Les pays qui ont réussi ce type d’ajustement par le passé, États-Unis, Royaume-Uni, les pays scandinaves, ou l’Allemagne ont été aidé, par une conjoncture porteuse et/ ou par un relâchement de la discipline monétaire. L’Allemagne, en partant d’une situation de ses finances bien plus saine a évité les à-coups budgétaires, et a pu contrairement à ses partenaires s’éviter une cure d’austérité depuis 2010. Les États-Unis tout comme le Royaume-Uni, ont laissé filer leurs déficits et ont joué sur la dépréciation de leur taux de change réel, ce que ne peuvent pas faire les pays européens avec une monnaie commune.

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que la politique monétaire ne peut pas tout et qu’un soutien à la demande globale européenne doit accompagner les politiques de l’offre.

De mon point de vue partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande adoptent des postures politiques plus que des visions opposées de la politique économique à développer.

Pour André BELLON, dans la revue « Humanisme » n°291 de février 2011, l’économie comme Janus, a deux faces : l’une théorique, l’autre instrument politique.

A titre d’exemple il cite les débats sur la dette. Faire de l’équilibre budgétaire un principe intangible transforme une école de pensée en gardienne des tables de la loi. L’imposition de ce qu’il faut bien appeler un dogme permet de réduire le débat politique à sa plus simple expression. Le néolibéralisme se présente aujourd’hui comme la vérité et fonctionne comme une religion.

L’économie pour comprendre le monde

Comme nous l’avons vu plus haut, selon Adam SMITH père du libéralisme, la recherche privée de l’intérêt personnel conduit au bien-être de tous. Au lendemain de la crise financière, qui peut soutenir que la recherche par les banquiers de leur intérêt personnel a conduit au bien-être de tous ? Elle a conduit, tout au plus au bien-être des banquiers et le reste de la société a payé la facture. C’est en ces termes que Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie et ancien conseiller du président CLINTON, stigmatise les marchés livrés à eux-mêmes dans son dernier livre « le prix de l’inégalité ». Il pense que laissés à eux-mêmes, les marchés se révèlent souvent incapables de produire des résultats efficaces et souhaitables, et dans ce cas l’État a un rôle à jouer : corriger les échecs des marchés. Voilà ce que pense un économiste qui croit au marché mais qui est convaincu que si l’on veut une économie plus efficace et moins inégalitaire il faut que les pouvoirs publics régulent les marchés. Il voudrait que L’Etat tempère les excès des marchés plutôt que de coopérer avec le marché pour aggraver les différences de revenu et de fortune comme c’est le cas aux États Unis depuis 1980.

La globalisation de l’économie au niveau mondial s’est installée avec l’expansion universelle de l’économie néolibérale. Cette expansion s’est accompagnée de celle du capitalisme, qui elle-même s’est accompagnée de la domination du capital financier. Pour Edgar MORIN dans « la voie » ce processus à trois faces (mondialisation, développement, occidentalisation) en produisant de grandes richesses, a réduit d’anciennes pauvretés, créé une nouvelle classe moyenne à l’occidentale dans les pays émergents. Ce processus a aussi dégradé en misère, partout dans le Sud, la pauvreté des petits paysans déplacés dans d’énormes bidonvilles. Il a accru les inégalités, engendré d’énormes fortunes et de non moins énormes infortunes. Il a entrainé destructions culturelles et décroissance des solidarités.

La compétitivité internationale a conduit au dépérissement d’industrie en Europe et aux États Unis, à la destruction massive d’emplois, à d’innombrables délocalisations, à la précarité accrue des travailleurs. Les endettements suscitent la rigueur économique, la rigueur suscite le chômage et la baisse des revenus, lesquels peuvent avoir d’énormes conséquences politiques.

Économie et inégalités

Dans « l’homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux », Daniel COHEN, professeur d’économie à l’École Normale Supérieure analyse la naissance d’une Hyperclasse depuis 1990. Les inégalités franchissent un nouveau seuil. Aux États Unis, alors que le centième le plus riche gagnait 7% du revenu total au début des années 70, il gagne désormais le quart du revenu total. En France le niveau médian se situe à 1500 €. Pour entrer dans le top 10%, il faut gagner plus de 3000 €, dans le top 5%, plus de 5500 € dans le top 1%, plus de 10000 €. Pour rentrer dans les stratosphères des ultra-riches, le top 0.01% donc un centième de pourcent, il faut gagner le désormais célèbre million par an. 6000 français sont dans ce cas. Avec 1% de la population mondiale la France compte 10% des millionnaires dans le monde.

Dans son dernier livre, « Le capital au XXIème siècle », Thomas PIKETTY confirme l’augmentation de ces inégalités et montre qu’elles s’accentuent si l’on prend en compte non seulement le revenu du travail mais aussi toutes les formes de revenu. Selon son analyse les perspectives vont plus dans le sens d’une aggravation des inégalités plutôt qu’une diminution. En effet PIKETTY démontre que ce sont les guerres, dans une large mesure, qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au XXème siècle. Les impôts représentaient moins de 10% du revenu national dans tous les pays au XIXème siècle. Aujourd’hui les prélèvements obligatoires représentent près de la moitié du revenu national en Europe. Cette évolution correspond à la mise en place d’un « Etat social » au cours du XXème siècle. Jusqu’en 1914 la puissance publique assurait les grandes missions régaliennes. Ces missions mobilisent toujours un peu moins du dixième du revenu national. Les dépenses d’éducation et de santé représentent entre 10 et 15% du revenu national. Les revenus de remplacement et de transfert représentent entre 10 et 15% du revenu national des pays riches. Les retraites représentent entre les deux tiers et les trois quarts du total des revenus de remplacement et de transfert. Les allocations de chômage et les minima sociaux ne représentent chacun d’eux que 1 à 2% du revenu national. Personne n’imagine sérieusement à ce que l’on revienne à une réduction des dépenses publiques à 10% du revenu national. Cela reviendrait à démanteler l’État social. Mais les inégalités continuent de s’accentuer au sein des pays riches comme entre les pays riches et les pays pauvres.

Plus de la moitié des êtres humains vivent toujours avec moins de deux euros par jour. Daniel COHEN cite dans son livre op cité, une étude de BANERJEE et DUFLO, « Repenser la pauvreté », aux éditions du Seuil. Comprendre la pauvreté aujourd’hui c’est comprendre comment l’espèce humaine se débat lorsqu’elle est privée de tous ces biens qui sont devenus l’ordinaire des pays riches. Alors que certains économistes sont tentés de voir dans la pauvreté un défaut de rationalité des pauvres eux-mêmes, ils montrent qu’elle révèle bien davantage la rationalité humaine, lorsqu’elle est privée du soutien d’institutions compétentes et légitimes pour les aider à décider. Le pauvre comme le riche a besoin d’un support institutionnel pour gérer rationnellement son cycle de vie.

Certains font l’apologie de l’inégalité parce qu’ils pensent que cela stimule la croissance et que tout le monde en profite. C’est ce qu’on appelle l’économie du ruissellement. Mais la réalité nous montre que l’inégalité n’a pas accéléré la croissance et que les écarts de revenus entre les riches et les pauvres, loin de se réduire, se sont agrandis au cours des trente dernières années alors que la richesse a augmenté.

Économie et progrès

Après la révolution de la machine à vapeur au XVIIIème siècle, la révolution de l’électricité au  XIXème nous vivons la révolution informatique. Elle est d’une nature différente. Elle n’est pas un moyen de faire d’énormes progrès de productivité dans l’industrie comme les deux précédentes. Elle est une révolution dans la gestion de l’information, une révolution managériale qui modifie profondément l’organisation du travail. C’est l’intensification du travail qui devient le principal vecteur des gains de productivité. C’est toujours le même processus ! On recherche une amélioration de la richesse produite. Il reste alors de savoir comment cette richesse se répartit. L’histoire nous révèle que c’est toujours un tout petit nombre qui s’accapare l’essentiel des richesses produites.

Galilée et Newton ont bouleversé les conceptions traditionnelles sur la place de l’homme dans la nature et l’univers. Ils ont ainsi préparé la révolution industrielle du XVIIIème siècle et ouvert la voie au capitalisme moderne. De même aujourd’hui estime Daniel COHEN dans son livre déjà cité, la révolution génétique bouscule les conceptions philosophiques de l’homme. Il cite Ray Kurzweil qui annonce pour 2060 un monde transhumain. Ce prophète néo futuriste parie sur une amélioration progressive des mécanismes qui vont permettre de « régénérer » le corps et retarder le vieillissement. Le ministère de la Défense américain a investi des millions de dollars pour étudier la connexion entre ordinateurs et cerveau humain. De substitut, la machine devient le complément de l’homme. Pour les économistes ces évolutions peuvent être l’annonce d’un nouveau modèle de croissance. 

Financiarisation de l’économie

Nous venons de vivre ces dernières années une grande transformation qui a conduit au capitalisme financier. C’est ce que l’on a appelé la financiarisation de l’économie. Le pouvoir économique a été capté par une minorité d’acteurs de la finance et de firmes multinationales sous la coupe de grands actionnaires qui sont parvenus à imposer leurs vues aux politiques. C’est une des fonctions du  « Club de Davos ». Ils ont imposé la dérégulation, le libre-échange, les paradis fiscaux, les niches fiscales, la forte réduction de la progressivité de l’impôt, les privatisations des services publics, la réduction de l’intervention de l’Etat dans l’économie donc la baisse des dépenses publiques, etc…

Jean GADREY, professeur émérite d’économie à l’université de Lille estime dans la revue Humanisme (déjà citée) que nous vivons une crise systémique profonde qui n’est pas terminée. Il distingue plusieurs crises, mais chacune dépend des autres d’où le qualificatif de « systémique ». Crise financière et économique, crise sociale, crise écologique, crise démocratique et crise du pouvoir économique. Pour en sortir il faudra s’attaquer à l’ensemble des causes de chacune de ces crises et à leurs interactions.

Économie et humanisme

L’économie a toujours été une activité multidimensionnelle mettant en relation l’individu, la société et la nature. Elle est condamnée à retrouver sa vraie nature d’activité finalisée par la satisfaction des besoins humains et transformant aussi efficacement que possible, à cette fin, les milieux physiques ou vivants sur lesquels se développe la vie des hommes. C’est ce que René PASSET appelle la bio économie (op cité). Gérer rationnellement les ressources utiles et rares de ce monde, afin de satisfaire au mieux et au moindre coût les aspirations humaines ne constitue qu’une partie des activités des hommes. Il y a aussi ce qui s’étend à l’esthétique, à la gratuité, aux valeurs socioculturelles qui donnent un sens à la vie et à la mort et finalisent les comportements. La sphère de l’économique est un sous-ensemble de celle des activités humaines et socioculturelles.

L’homme de l’économie réelle, poursuit René PASSET, n’est pas seulement une force de production ou une créature maximisatrice d’utilités, mais aussi un être biologique dont les besoins physiologiques doivent être couverts. En même temps il est une personne porteuse de valeurs dont les aspirations intellectuelles, artistiques et spirituelles doivent pouvoir s’accomplir. Si l’économie est une science de l’action aux prises avec le réel c’est l’ensemble de ces dimensions qu’elle doit prendre simultanément en considération. Peut-on qualifier de développement une croissance du produit par tête qui s’accompagne d’une régression des valeurs socioculturelles, d’une dégradation des conditions de la vie humaine (stress, chômage, etc…) et d’une détérioration de la relation des hommes entre eux ou avec leur milieu de vie ?

Économie et croissance

A l’intérieur de la sphère économique, développement et sous-développement ne sont pas des phénomènes indépendants l’un de l’autre : la division internationale du travail se forme au niveau  du système mondial et ne dépend plus du choix souverain des nations considérées isolément.

C’est désormais le monde qui est devenu le niveau pertinent d’analyse des politiques économiques.

Pour René PASSET quand l’économie se trouve confrontée aux questions du « trop » et des inégalités de répartition, la question des finalités fait surface. Lorsque le « plus » cesse de constituer le critère du « mieux », on voit surgir la question du « pourquoi », c’est-à-dire des finalités et des valeurs socioculturelles.

Produire plus, peut-être mais pour quoi faire ? La performance s’apprécie directement en termes de couverture des besoins et de bien-être. Quand la libre concurrence aboutit à la ruine des agricultures vivrières des pays pauvres, cela se traduit par la substitution de structures plus productives aux modes traditionnels de production. Alors la seule réponse possible, c’est le droit à la souveraineté alimentaire des peuples, garanti par la protection aux frontières contre la concurrence des agricultures industrialisées et subventionnées notamment par l’Europe et les États Unis.

Cet impératif s’étend à tous les droits et les besoins fondamentaux de la personne : l’éducation, la santé, la culture, etc.…

Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure  inédit qui prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. SEN estime que les politiques publiques doivent donner à chacun la «capabilité» de vivre une vie digne de ses attentes. C’est une magnifique ambition de vouloir toujours replacer au centre des dispositifs chaque homme et chaque femme à la fois dans son humanité défendue dans le cadre éthique des droits de l’homme et dans sa qualité d’acteur et d’être humain dont il faut respecter et renforcer la liberté de mener la vie qu’il ou qu’elle souhaite mener et pas seulement comme réceptacle d’objets divers de confort.

Pour terminer je reprendrais la conclusion

de l’article d’André BELLON

dans le numéro de la revue « Humanisme », n° 291 Février 2011

Il n’est pas possible de continuer à imposer un discours de nature transcendante, incontestable dans ses présupposés comme dans ses conséquences, imposant ses décisions dans presque tous les domaines de la vie sociale et, dans le même temps, prétendre agir en fonction de principes fondamentalement humanistes sur le plan individuel et démocratiques sur le plan collectif.

La réaffirmation de l’humanisme passe donc inévitablement par une réflexion critique sur la question économique.

Depuis plus d’un siècle, on veut enfermer l’homme dans des schémas économiques théoriques, transformant l’humain en capital, voire en matériel. Retrouver tout le sens de l’humain est un enjeu majeur pour dépasser un siècle d’aliénation. 

Bibliographie :

Revue HUMANISME n° 291 Février 2011 – dossier « L’économie contre l’humanisme »

Joseph STIGLITZ – « le prix de l’inégalité » – Éditions les liens qui libèrent – 2012

René PASSET – « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire » –

Éditions les liens qui libèrent – 2010

Daniel COHEN – « Homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux » – Éditions Albin Michel – 2012

Edgar MORIN – « la voie » sous-titre « Pour l’avenir de l’humanité » – Éditions Fayard – 2011

Thomas PIKETTY – « Le capital au XXIème siècle » – Éditions du Seuil – 2013

« La mondialisation de l’économie, un progrès pour l’humanité ?»

Préambule

Intuitivement la réaction première est qu’il est vain d’essayer de s’opposer à ce mouvement de fond qu’est la mondialisation. Ceux qui sont opposés à cette évolution du monde me font penser à la réaction des opposants au développement du chemin de fer qui craignaient que le passage des locomotives à vapeur rende les vaches moins productives en lait. Tout progrès dans l’histoire a généré des oppositions par crainte des effets néfastes. La mondialisation est la poursuite d’une longue évolution qui a commencé le jour de l’apparition de l’homme sur la Terre. De tout temps l’homme a cherché à étendre son territoire, à dominer la nature, à développer ses connaissances, à augmenter ses échanges, etc. … Ce développement ne s’est fait ni dans la continuité ni dans l’harmonie, souvent même en passant par des périodes de régression et de violents affrontements mais aussi par des périodes d’accélération. Globalement la tendance de long terme est à l’amélioration de la condition humaine.

Il est d’ailleurs significatif que les premiers opposants à ce que l’on a commencé à appeler la mondialisation, qui s’appelaient les antimondialistes, ont très vite décidé de s’appeler les altermondialistes, donc pour une autre mondialisation et non plus contre la mondialisation.

Réflexion sur la globalisation de l’économie

En 2007 j’ai eu l’occasion d’écouter à la radio un économiste américain, Joseph STIGLITZ, qui présentait son livre intitulé « un autre monde » sous-titré « contre le fanatisme du marché ». Il est reconnu comme un spécialiste des problèmes de la mondialisation, prix Nobel d’économie en 2001, conseiller économique à la Maison Blanche auprès de Bill Clinton, et puis économiste en chef et vice-président de la banque mondiale entre 1997 et 2000.

L’essentiel des éléments exposés puise abondamment dans les thèses et les arguments développés par STIGLITZ. J’ai aussi utilisé d’autres ouvrages mais dans une moindre mesure : « Une économie de rêve » de René PASSET, professeur émérite d’économie à l’Université de PARIS I – Panthéon – Sorbonne et ancien président du conseil scientifique d’ATTAC, « La Dissociété » de Jacques GENEREUX, professeur à Sciences PO Paris, « Une brève histoire de l’avenir » de Jacques ATTALI, et dans l’actualité récente « Le rapport sur la mondialisation » remis au président de la République française le 5 septembre 2007 par Hubert VEDRINE ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lionel JOSPIN.

J’ai conçu cet article comme une introduction à la réflexion sur la globalisation de l’économie. Ce serait d’ailleurs bien prétentieux que de vouloir faire le tour complet d’une question aussi vaste, même en compagnie d’un prix Nobel d’économie.

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique « la mondialisation » a remplacé « la rivalité des deux blocs » comme thème principal des préoccupations géopolitiques de la planète. Les Etats-Unis, sans rival, se font les gendarmes du monde et leur modèle économique est le modèle de référence. De plus en plus, les Etats-Unis, par mimétisme du vieil adage stalinien, estiment que ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le monde entier. Ainsi leur tendance fondamentale est d’imposer leur vision du monde de manière assez unilatérale.

La mondialisation c’est d’abord la mondialisation de l’économie mais elle comporte aussi de nombreux autres aspects : les flux internationaux des idées et des connaissances, le partage des cultures, la société civile mondiale, l’avenir écologique de la planète etc.… Je me limiterai à l’aspect économique, ce que l’on appelle maintenant la globalisation de l’économie, l’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et même de main d’œuvre.

Les tenants de la mondialisation affirment qu’elle va améliorer le sort de tous, élever les niveaux de vie dans le monde entier, ouvrir les marchés extérieurs aux pays pauvres pour leur permettre de vendre leurs produits, développer les investissements étrangers dans les pays pauvres pour leur permettre de produire de nouveaux produits à meilleur prix, ouvrir les frontières pour permettre la circulation des hommes et des produits pour le bien de tous.

Ce qui sous-tend cette affirmation c’est la pensée économique libérale qui a muté à partir des années 1980 en un rameau néolibéral.

L’économie libérale dont le père spirituel est Adam SMITH a été conceptualisée lors de la naissance de l’industrie en Angleterre. Selon SMITH la richesse vient du travail de l’homme. C’est la perception de son intérêt personnel qui pousse l’homme à l’épargne et au travail donc l’intérêt privé est le moteur de l’économie. En conséquence la société se doit de garantir la libre concurrence des intérêts privés seule capable d’assurer l’adéquation automatique entre l’offre et la demande. C’est la « main invisible » qui amène la recherche de l’intérêt personnel et les marchés à l’efficacité économique.

Les prophètes du néo-libéralisme ont pour noms Friedrich HAYEK, Milton FRIEDMAN et « l’école de Chicago », George BILDER et son « économie de l’offre ». Ils sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.

Après Porto Alegre au Brésil, en janvier 2004 aux abords de Bombay en Inde les dizaines de milliers de participants au Forum social mondial estiment que la réalité est toute autre et que la mondialisation est responsable de l’appauvrissement d’une grande partie de la population de la planète, du chômage et de la décomposition sociale, de la surexploitation de la planète, de la marchandisation du corps humain, de l’écrasement des faibles etc….

Le processus actuel de mondialisation génère des déséquilibres entre les pays et à l’intérieur des pays.

Les mécontents de la mondialisation soulèvent en gros cinq problèmes :

  • Les règles du jeu qui régissent la mondialisation sont injustes. Elles ont été conçues pour profiter aux pays industriels avancés
  • La mondialisation de l’économie fait passer les valeurs matérielles avant d’autres, telles que le souci de l’environnement ou de la vie même.
  • La façon dont la mondialisation est gérée prive les pays d’une grande partie de leur souveraineté. En ce sens, elle mine la démocratie.
  • Les partisans de la mondialisation ont prétendu que tout le monde allait y gagner économiquement, mais, tant dans les pays en développement que dans les pays développés, il y a beaucoup de perdants des deux cotés.
  • Le système économique qu’on a recommandé aux pays en développement et dans certains cas que l’on leur a imposé est inadapté et leur fait un tort énorme. Mondialisation ne doit pas être synonyme d’américanisation, et c’est souvent le cas.

Dans les années 1990 libéralisation du commerce et libéralisation des marchés des capitaux, mesures inspirées directement des thèses néolibérales, étaient deux composantes d’une conception plus générale qu’on appelle le « consensus de Washington » établi par le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale, le Trésor des Etats-Unis, sur les politiques les mieux à même de promouvoir le développement.

Ce consensus préconisait de réduire l’intervention de l’Etat, de déréglementer, de libéraliser et de privatiser au plus vite.

Mais au début du nouveau millénaire la confiance dans ce consensus s’est trouvée remise en question car il accordait trop peu d’attention aux questions de justice sociale, d’emploi, de concurrence, au rythme et à l’enchainement des réformes, au mode opératoire des privatisations, au fait que la seule croissance du PIB n’est pas le seul facteur qui affecte le niveau de vie et qu’il ne pose pas le problème de la durabilité de la croissance.

Aujourd’hui dans le monde tel qu’il est, avec une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays, qu’il soit en développement ou développé, de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie sans voir le niveau de vie de sa population régresser ou au minimum cesser de croitre.

La seule issue est de réformer la mondialisation.

Réformer la mondialisation

  • REDUIRE LA PAUVRETE

Il faut œuvrer davantage au niveau mondial pour réduire la pauvreté qui n’est pas seulement une insuffisance de revenu mais aussi  notamment une insuffisance de soins médicaux et d’accès à l’eau.  La banque mondiale et le FMI, officiellement du moins, ce qui n’était pas le cas au paravent font de la réduction de la pauvreté une priorité.

  • ALLEGER LA DETTE

Lors de la Conférence internationale sur le financement du développement  qui s’est tenu en mars 2002 à Monterrey au Mexique, avec la participation de 50 chefs d’Etat ou de gouvernement et de 200 ministres, les pays industriels avancés se sont engagés à accroître leur aide en la portant à 0.7% de leur PIB. Non seulement le besoin d’une augmentation de l’aide mais un large accord s’est fait pour qu’elle soit versée davantage sous forme de dons et moins de prêts. A ce jour, rares sont ceux qui ont tenu parole, notamment les E.U. Mais le plus révélateur est le changement d’approche à l’égard de la conditionnalité. Les conditions de l’aide devront être revues et allégées. Au sommet du G8 de 2005, les dirigeants des grands pays industriels ont accepté d’effacer complètement les sommes dues au FMI et à la Banque mondiale par les 18 pays les plus pauvres du monde dont 14 sont en Afrique.

  • RENDRE LE COMMERCE EQUITABLE

La libéralisation du commerce devait conduire à la croissance. Le bilan réel est au mieux mitigé. Les accords de commerce internationaux sont souvent déséquilibrés : ils autorisaient les pays industriels avancés à lever sur les produits des pays en développement des droits de douane en moyenne quatre fois plus élevés que ceux qui frappaient les produits des autres pays industriels avancés.

Les accords commerciaux ont en fait aggravé la situation des pays les plus pauvres. Les négociations se sont concentrées sur la libéralisation des flux de capitaux et l’investissement souhaitée par les pays développés et pas sur la libéralisation des flux de main d’œuvre qui aurait bénéficié aux pays en développement.

Le renforcement des droits de propriété intellectuelle a largement bénéficié aux pays développés.

Les négociations sont aujourd’hui bloquées par le refus du monde développé de réduire ses subventions agricoles. La vache européenne reçoit en moyenne 2 dollars par jour alors que plus de la moitié des habitants du monde en développement vivent avec moins.

Les pays développés sont pour la libéralisation des échanges quand c’est à leur profit et sont très imaginatifs pour trouver des obstacles aux échanges quand cela leur est défavorable.

Le monde a besoin d’un vrai cycle du développement, mais il faut que ce soit un jeu à somme positive où chacun peut être gagnant, pays pauvres et pays riches et à l’intérieur des pays. On ne « vendra » pas la mondialisation aux travailleurs des pays développés en leur promettant que malgré tout, s’ils acceptent  de réduire suffisamment leurs salaires, ils pourront trouver un emploi.

Et sans croissance dans les pays en développement, le flot d’immigration sera difficile à endiguer 

  • NECESSITE DE PROTEGER L’ENVIRONNEMENT

La déstabilisation de l’environnement menace gravement le monde à long terme. Le réchauffement de la planète est devenu un vrai défi pour la mondialisation. Les succès du développement en Inde et en Chine ont donné à ces pays les moyens économiques d’accroître leur consommation d’énergie, mais l’environnement planétaire ne peut soutenir cet assaut. Si tout le monde émet des gaz à effet de serre au rythme  où le font les américains, de graves problèmes nous attendent. Cette idée est presque universellement admise sauf à Washington. Mais ajuster les modes de vie ne sera pas facile.

  • CHANGER LA GOUVERNANCE MONDIALE

Hors les E.U. tout le monde s’accorde pour dire que quelque chose ne va pas du tout dans la façon dont sont prises les décisions au niveau mondial, trop d’unilatéralisme et de déficit démocratique dans les institutions économiques internationales issues de la seconde guerre mondiale avant la décolonisation.

Jusqu’à il y a 150 ans l’essentiel du commerce était local. Ce sont les changements du XIXème siècle qui ont conduit à la formation d’économies nationales et contribué à renforcer l’Etat-nation. L’Etat a été amené à assumer des rôles inédits : empêcher les monopoles, jeter les bases d’un système moderne de sécurité sociale, règlementer les banques et les institutions financières. L’Etat nation a mieux permis de dynamiser l’économie et d’accroître le bien-être individuel.

L’idée reçue selon laquelle le développement des E.U. a été l’œuvre d’un capitalisme laissé à lui-même est fausse. Si l’essor économique des E.U. a eu lieu, c’est en particulier grâce au rôle qu’a joué l’Etat pour soutenir le développement, réglementer les marchés et assurer les services sociaux de base. L’Etat pourra-t-il joué dans les pays en développement un rôle comparable ?

La mondialisation  impose de nouvelles tâches aux Etats-nations mais en même temps elle réduit leur capacité à les assumer. De plus en plus les accords internationaux empiètent sur les droits des Etats à prendre souverainement leurs décisions.

La mondialisation économique est allée plus vite que la mondialisation politique. Nous avons besoin d’institutions internationales fortes pour affronter les défis de la mondialisation économique et celles qui existent souffrent d’un déficit démocratique. Il faut prendre une série de mesures pour réduire ce déficit démocratique, changer la structure des droits de vote, accroître la transparence, renforcer la capacité des pays en développement à participer réellement à la prise de décision. Il faut une instance judiciaire mondiale indépendante pour faire mieux respecter le droit international.

Les forces du changement économique, social, politique et environnemental planétaire sont plus fortes à long terme que la capacité d’un pays, même le plus puissant, à modeler le monde en fonction de ses intérêts.

  • REFORMER LE SYSTEME DE RESERVE MONDIALE

Le système financier mondial fonctionne mal. Le pays le plus riche du monde, les Etats-Unis, vit au dessus de ses moyens et emprunte 2 milliards de dollars par jour à des pays pauvres. L’argent coule de bas en haut alors que cela devrait être l’inverse si l’on veut rééquilibrer le développement au niveau mondial. Ce défaut du système financier mondial vient du vice du système de réserve mondiale.

Chaque pays fait des réserves pour l’aider à gérer les risques auxquels il est confronté. Cela renforce la confiance dans le pays et dans sa monnaie notamment vis-à-vis des préteurs, qui sont en général des banques des pays développés et des investisseurs.

La popularité du dollar dans les réserves internationales est essentiellement due à la domination des EU sur l’économie mondiale et à la grande stabilité historique de cette devise.

Les pays en développement paie très cher l’assurance qu’ils fournissent en détenant des dollars dans leur réserve. Ils obtiennent un rendement de 1 à 2% sur leurs réserves de plus de 3000 milliards de dollars. La plupart de ces pays manquent cruellement d’argent pour leurs projets de développement. L’utilisation de ces sommes pour leurs projets pourrait leur rapporter beaucoup plus.

Les vrais bénéficiaires du système de réserve mondiale sont les pays dont les monnaies sont utilisées comme instruments de réserve.

Devant l’instabilité du système les pays diversifient leurs réserves, ils sortent du dollar. Une sortie désordonnée pourrait se faire sous forme de crise grave. C’est pourquoi STIGLITZ suggère de réformer le système de réserve en organisant une sortie en douceur du système actuel notamment en développant le système des droits de tirage spéciaux, monnaie que le FMI serait autorisé à créer.

  • REGULER LA MONDIALISATION

L’hypertrophie de la sphère financière comme dit Hubert VEDRINE, à savoir la multiplication par milliers de fonds permettant des profits risqués mais faramineux, a modifié en profondeur, en à peine plus de dix ans, la globalisation économique et commerciale.

Une croissance mondiale à 5% et des fonds qui cherchent un profit à court terme d’au moins 15%. Des échanges sur les marchés de change cent cinquante fois plus importants que les échanges commerciaux, des actifs financiers qui représentent trois fois le PIB de la planète.

La crise financière de l’été 2007 aux États-Unis a mis en évidence d’une part la sous estimation des risques par les gendarmes de bourses dépassés par une sophistication opacifiante, et d’autre part des banques centrales en même temps pompiers et pyromanes.

Pour sortir de  l’idée démoralisante que nous n’avons pas d’autre choix que subir les à-coups de cette mondialisation ultralibérale financiarisée, pour que les peuples européens, ouverts et bien intentionnés, n’aient plus le sentiment d’être  » les idiots du village global « , des initiatives régulatrices plus visibles et plus efficaces sont indispensables.

  • TROUVER UN NOUVEL EQUILIBRE

Depuis deux siècles, les démocraties ont appris à modérer les excès du capitalisme, c’est-à-dire à canaliser la puissance du marché pour qu’il y ait plus de gagnants et moins de perdants. Au niveau d’un pays les lois et les règlementations n’ont pas le même impact sur tous les citoyens. L’objectif en général est qu’elles soient justes et qu’elles ne défavorisent pas les plus pauvres. Au niveau international jamais une politique n’est recommandée en faisant valoir qu’elle est juste. Chaque pays demande à ses négociateurs de revenir avec le meilleur accord pour leur pays. Même au sein des institutions internationales, il est rare que la politique mondiale soit analysée en termes de justice sociale.

Pour que la mondialisation fonctionne il faut un régime économique international où le bien-être des pays développés et celui du monde en développement  soient mieux équilibrés :

  • Les pays développés doivent accepter un régime commercial plus équitable
  • Nécessité de reconnaître l’importance de l’accès des pays en développement au savoir, aux médicaments à prix abordables et leur droit à faire protéger leurs connaissances traditionnelles.
  • Accepter d’indemniser les pays en développement pour leurs services environnementaux, c’est-à-dire la préservation de la biodiversité, séquestration du carbone qui contribue à la lutte contre le réchauffement de la planète
  • La lutte contre le réchauffement du climat doit être une priorité
  • Payer équitablement les ressources naturelles sans laisser un environnement dévasté
  • Fournir aux pays pauvres une aide financière suffisante
  • Elargir l’effacement de la dette
  • Réformer l’architecture financière mondiale et réduire son instabilité
  • Réformes institutionnelles et juridiques pour empêcher  l’émergence de monopoles mondiaux et obliger les multinationales à faire face à leurs responsabilités notamment en cas de dommages à l’environnement
  • Renoncer à toutes pratiques fragilisant la démocratie, limiter les ventes d’armes, le secret bancaire et les pots-de-vin
  • Donner plus de poids au Conseil économique et social de l’ONU qui pourrait jouer un rôle important dans la définition du programme de l’action économique mondiale en veillant qu’il ne porte pas sur les seuls problèmes qui intéressent les pays industriels avancés mais sur ceux qui sont essentiels au bien-être du monde entier.

En conclusion quelques mots :

  • L’économie globale de marché est un fait sur lequel il est dans l’immédiat difficile de revenir
  • Il faut démocratiser la mondialisation pour que le développement de tous les pays et à l’intérieur de chaque pays profite au plus grand nombre et dans la plus grande justice sociale
  • Pour atteindre cet objectif il faut réguler cette mondialisation au travers d’institutions internationales fortes mais aussi d’Etats-nations forts capables de respecter les engagements qu’ils prennent
  • L’Europe doit mener une politique beaucoup plus offensive de protection et de solidarité. L’Europe doit devenir un élément fort de la régulation du monde global.
  • Osons un acte de foi en l’avenir, espérons que l’humanité saura se sauver de ses démons qu’elle évitera de se détruire et qu’elle saura construire, en évitant des conflits radicaux, un monde plus démocratique et plus juste socialement.

05 mai 2009