La raison économique, un poison démocratique ?

Après la dissolution de l’assemblée nationale par le président de la République et les élections législatives qui s’en sont suivies, la France se trouve dans une situation plus difficile qu’avant. En effet la gauche unie dans le Nouveau Front populaire (NFP) est arrivée en tête mais sans avoir une majorité à l’assemblée nationale. Toutes les autres forces politiques estiment que son programme est irréaliste. Ces forces revendiquent leur subordination aux lois de l’économie et de la gestion érigées en science. Elles présentent la rigueur comme une antidote aux dérives démagogiques et populistes sans s’interroger sur l’acceptabilité de ce discours voire la violence symbolique ou réelle qu’il véhicule.

La raison économique

Les sciences économiques dans leur version orthodoxe s’accordent sur un point : la maximisation du profit ou de la valeur actionnariale qui gouverne les choix d’investissement dans un cadre concurrentiel, n’ont d’autre vocation que d’instaurer une juste rémunération de tous les facteurs et d’accroître l’efficacité du système productif pour majorer le gâteau à partager au bénéfice de tous. Et là où le marché est défaillant, il revient à l’État de suppléer par une intervention correctrice sociale ou environnementale.

Ce propos raisonnable ne nous dit rien des rapports de force qui se nouent entre les différentes parties prenantes, notamment entre les détenteurs du capital et du travail. Au sommet de la chaîne de décision économique ce sont les grands fonds d’investissement et les banques d’affaires qui règnent en maître sur les choix d’investissement, la performance exigée du capital, la configuration de nos usages et l’avenir de la planète.

Ces décideurs économiques négligent le bien commun pour engranger des plus-values immédiates au profit des gros patrimoines financiers soit une infime portion de la société. Ainsi le contrôle économique se concentre et produit des mastodontes au pouvoir de marché et d’acquisition exorbitant. Cette finance patrimoniale ne se préoccupe pas de savoir que derrière les transactions financières il y a des organisations humaines, des traumatismes à chaque cession, une pression sur la performance, tout cela au bénéfice d’un tout petit nombre et au détriment d’un développement harmonieux et soutenable des entreprises, des territoires et des hommes.

Les sciences de gestion fournissent une caution à cette violence larvée et consacrent un déséquilibre de plus en plus poussé dans le rapport entre le capital et le travail, et entre le capital financier et le capital réel. Les États et les banques centrales, se détournant de leur mission première (régalienne, sociale, infrastructurelle) deviennent les grands serviteurs de cette domination économique.

Les dérives oligarchiques du capitalisme n’ont rien de nouveau et ont pour premier effet de miner la démocratie. Il faut prendre conscience de la violence du logiciel de ceux qui prétendent être au centre du jeu et dont la raison flirte avec la déraison. (voir l’article d’Olivier PASSET – Directeur d’études chez Xerfi, société privée d’études et d’analyses – publié le «  juillet 2024 sur XERFI Canal).

Financiarisation de l’économie

Nous venons de vivre ces dernières années une grande transformation qui a conduit au capitalisme financier. C’est ce que l’on a appelé la financiarisation de l’économie. Le pouvoir économique a été capté par une minorité d’acteurs de la finance et de firmes multinationales sous la coupe de grands actionnaires qui sont parvenus à imposer leurs vues aux politiques. Ils ont imposé la dérégulation, le libre-échange, les paradis fiscaux, les niches fiscales, la forte réduction de la progressivité de l’impôt, les privatisations des services publics, la réduction de l’intervention de l’État dans l’économie donc la baisse des dépenses publiques, etc…

Nous vivons, disait Jean GADREY, professeur émérite à l’Université de Lille, une crise systémique profonde où crise financière et économique, crise sociale, crise écologique, crise démocratique et crise du pouvoir économique sont interdépendantes. Pour s’en sortir il faut s’attaquer à l’ensemble des causes de chacune de ces crises et à leurs interactions.

Hégémonie culturelle du néolibéralisme

Le néolibéralisme amène les dominés à adopter la vision du monde des dominants et à l’accepter comme « allant de soi ». Cette hégémonie se constitue et se développe à travers la diffusion de valeurs qui peu à peu dominent les esprits et permettent d’atteindre le consentement du plus grand nombre. Ces valeurs sont l’affirmation de l’universalité des logiques de concurrence, de propriété privée, de profit, de fongibilité monétaire, de rareté.

Karl Polanyl (1886-1964) dans son livre « the Great Transformation » pense que, contrairement à la lecture contemporaine superficielle du néolibéralisme considéré comme anti-étatiste, l’État joue un rôle central dans son émergence. Il a été mis au service d’une soumission très forte à une logique de concurrence. Celle-ci n’est pas un ordre naturel et son application nécessite une puissante pression politique et idéologique des institutions publiques pour soumettre la société à cette logique. Pour en sortir, il s’agit de penser l’économie en dehors de l’échange marchand.

Économie et humanisme

L’économie a toujours été une activité multidimensionnelle mettant en relation l’individu, la société et la nature. Elle est condamnée à retrouver sa vraie nature d’activité finalisée par la satisfaction des besoins humains et transformant aussi efficacement que possible, à cette fin, les milieux physiques ou vivants sur lesquels se développe la vie des hommes. Gérer rationnellement les ressources utiles et rares de ce monde, afin de satisfaire au mieux et au moindre coût les aspirations humaines, ne constitue qu’une partie des activités des hommes. Il y a aussi ce qui s’étend à l’esthétique, à la gratuité, aux valeurs socioculturelles qui donnent un sens à la vie et à la mort et finalisent les comportements. La sphère de l’économique est un sous-ensemble de celle des activités humaines et socioculturelles.

Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure inédit qui prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. SEN estime que les politiques publiques doivent donner à chacun la «capabilité» de vivre une vie digne de ses attentes. C’est une magnifique ambition de vouloir toujours replacer au centre des dispositifs chaque homme et chaque femme à la fois dans son humanité défendue dans le cadre éthique des droits de l’homme et dans sa qualité d’acteur et d’être humain dont il faut respecter et renforcer la liberté de mener la vie qu’il ou qu’elle souhaite mener et pas seulement comme réceptacle d’objets divers de confort.

Pour conclure

La mise en cause de l’État providence et l’aggravation des inégalités a donné naissance à une forte demande de justice sociale. Il n’est pas possible de continuer à imposer un discours de nature transcendante, incontestable dans ses présupposés comme dans ses conséquences, imposant ses décisions dans presque tous les domaines de la vie sociale et, dans le même temps, prétendre agir en fonction de principes fondamentalement humanistes sur le plan individuel et démocratiques sur le plan collectif (voir l’article d’André BELLON dans la revue « Humanisme » n°291 de février 2011).

Le dénouement de la crise que nous vivons dépend in fine de la sortie du dogmatisme des sciences économiques version orthodoxe pour adopter une version des sciences économiques au service des hommes et des femmes, de la satisfaction de leurs besoins dans le respect des droits humains, au service de tous et pas d’une minorité. Pour cela les pouvoirs publics doivent retrouver leur mission première. Ils ont l’obligation d’investir dans l’avenir, prioriser la santé, la formation, la recherche, les infrastructures de transport, la production d’énergie, la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité, etc…

Ces investissements sont indispensables, ils sont au bénéfice de toutes et de tous. Ils vont nécessairement fortement augmenter face à la dégradation de la situation. Pour les financer soit on refuse par idéologie toute hausse fiscale et l’on se met dans les mains des financements privés, synonymes d’inégalités d’accès et d’une efficacité collective plus que douteuse comme le démontrent les dernières décennies. Soit on assume l’entrée dans un nouveau cycle de socialisation croissante alimentée par une réforme profonde de la fiscalité plus progressive où chacun, citoyen ou entreprise, contribuera en fonction de ses capacités.

Comme le dit Edgar Morin (voir mon article du 30 juin « une voie nouvelle ») il s’agit de « bâtir une nouvelle conception du monde, de l’homme, de l’histoire… »

Politique de la ville et emploi dans les quartiers populaires

En juin 2022 la Cour des comptes vient de communiquer à l’Assemblée Nationale un rapport sur « les dispositifs en faveur de l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (exercices 2015-2021). Ce rapport, établi à la demande du Président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée Nationale, est le résultat d’une enquête sur ces dispositifs. Il constitue, ce qui n’est pas souvent le cas, une évaluation de l’action publique en la matière.

Qui est concerné ?

Sont concernés 1514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) répartis sur 859 communes du territoire national. Selon l’Insee ces quartiers prioritaires accueillaient au 1er janvier 2018 8% de la population française soit 5,4 millions d’habitants. Ces quartiers se définissent par un critère unique de bas revenu. Il s’agit de territoires où des difficultés, liées entre elles et autoentretenues, se combinent et présentent un effet de masse rendant nécessaire une approche globale de la part des pouvoirs publics, à la fois quantitative et qualitative.

Dans ces quartiers, le revenu disponible médian est beaucoup plus faible (13770 €) que celui du reste de la population métropolitaine (21 730 €) et provient beaucoup plus des prestations sociales (22,9%) ; le revenu issu de l’activité rémunérée en représente 62,7% contre 74,5% hors de ces quartiers. Le revenu de solidarité active est perçu par 25% de la population.  La part des jeunes âgés de moins de 25 ans est de 39,1%, quand elle n’est que de 29,9% en métropole. Les jeunes habitant ces quartiers sortent plus tôt du système éducatif et sont plus fréquemment concernés par le décrochage scolaire : le taux de scolarisation des 15-24 ans y est plus faible et la part des 16-25 ans non scolarisés et sans emploi y est presque le double de la moyenne nationale. Le niveau de qualification des habitants de ces quartiers est en moyenne plus faible que celui des autres habitants. Il y a une forte présence d’étrangers (21,8%) principalement en Île-de-France et dans les grandes unités urbaines.

Les données en matière d’emploi

En matière d’emploi les données produites depuis une vingtaine d’années montrent que le taux de chômage de ces populations a toujours été supérieur que dans les autres quartiers (entre 1,9 et 2,7 fois). Les autres indicateurs en matière d’emploi confirment le caractère constant de la situation dégradée de ces quartiers.

A défaut d’un suivi précis des dépenses réalisées en faveur de l’emploi des habitants de ces quartiers prioritaires par le ministère chargé de l’emploi, la Cour estime à environ 0,8 Md€ en 2018 ainsi qu’en 2019 le montant des dépenses imputées au budget de la mission Travail et Emploi en faveur de ces quartiers, soit une part du total des dépenses d’intervention inférieure à la part des habitants des quartiers prioritaires dans les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi. Pourtant leurs besoins d’accompagnement et de formation devraient conduire à une dépense individuelle plus élevée en leur faveur que pour la moyenne des autres demandeurs d’emploi.

Les analyses réalisées par la Cour sur les quartiers prioritaires montrent que les dispositifs de droit commun donnent des résultats assez similaires à ceux obtenus dans les autres quartiers, ce qui ne permet pas à la situation des habitants de ces quartiers de se rapprocher de celle des habitants des autres quartiers.

Évaluation des politiques de l’État

Les politiques de l’État en faveur de l’emploi dans ces quartiers prioritaires n’avaient jamais été évaluée.  Selon la Cour des comptes ces politiques n’ont pas permis de réduire entre 2015 et 2021 l’écart y existant avec les autres quartiers.

Le critère déterminant qui distingue ces habitants est leur éloignement du marché du travail. Outre la mise à disposition de dispositifs spécifiques en complément des outils de droit commun de la politique de l’emploi et les efforts réalisés pour surmonter les difficultés rencontrées en matière de qualification, de santé, de logement ou de mobilité, la Cour estime que la recherche d’approches visant à susciter, chez les jeunes de ces quartiers, intérêt et motivation pour s’engager dans une démarche d’insertion socio-professionnelle est indispensable. Si les dispositifs comme la garantie jeunes, l’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) et les contrats aidés remplissent leur objectif de procurer temporairement un emploi aux jeunes, ils ne constituent pas pour autant un véritable tremplin vers le monde du travail et peinent à s’inscrire dans la durée.

Constats

Si les politiques de l’emploi peinent à faire effet dans les quartiers prioritaires c’est avant tout parce qu’elles ne leurs sont pas spécifiques. Pour expliquer la persistance d’une situation dégradée sont souvent cités la mobilité résidentielle et le trafic de stupéfiants. Il convient de ne pas sous-estimer les effets indirects de ces éléments qui contribuent à la détérioration globale de l’image de ces quartiers et alimentent leur manque d’attractivité et les phénomènes de discrimination en matière d’emploi.

Deux caractéristiques socio-éducatives devraient davantage être prises en compte car leurs effets sur l’insertion économique et l’emploi sont importants : la pauvreté et l’échec scolaire.

La pauvreté n’est pas seulement une forte entrave à l’insertion professionnelle, c’est aussi une caractéristique transmissible aux enfants qui se traduit par des difficultés scolaires dès le plus jeune âge et, à terme des difficultés d’intégration sur le marché du travail de la génération suivante.

L’échec scolaire caractérise une part importante des jeunes habitants des quartiers prioritaires. L’orientation scolaire est souvent subie et les possibilités de réorientation sont faibles. Les efforts pour faciliter l’accès des jeunes à l’apprentissage a peu bénéficié aux jeunes de ces quartiers malgré plusieurs initiatives.

Comment améliorer les dispositifs ?

Le cloisonnement entre les politiques publiques menées par le ministère chargé de l’emploi et celui chargé de la ville aboutit à un pilotage national très insatisfaisant. Faute de pilotage national il n’existe pas de diagnostic partagé. Il faut simplifier la palette des dispositifs de la politique de l’emploi et harmoniser les conditions d’éligibilité, mieux piloter l’accès des jeunes de ces quartiers à l’apprentissage, développer le travail collaboratif entre les services pour établir un diagnostic partagé et mieux intégrer les spécificités des publics concernés.

Orienter les demandeurs d’emploi vers la formation constitue, à ce jour, l’un des meilleurs moyens de faire progresser le taux d’emploi dans les quartiers. La formation professionnelle entraine 50% de sorties supplémentaires en emploi pour les demandeurs d’emploi en quartier prioritaire. Selon la Cour des comptes c’est la seule des politiques de l’emploi à privilégier parmi celles existants.

Une attention particulière doit être portée aux associations de proximité, qui sont essentielles pour toucher les publics les plus éloignés des institutions. Elles ont besoin de moyens financiers stables afin d’inscrire leur action dans la durée. Les entreprises devraient être intégrées dans toute démarche d’insertion dans l’emploi par la mise en place de plateformes d’échanges, d’actions de parrainage, d’immersions ou l’organisation d’évènements sportifs et culturels permettant la mise en contact entre les employeurs et les personnes en recherche d’emploi.

La Cour des comptes

Cet organisme est une juridiction financière, chargée principalement de contrôler la régularité des comptes publics. Il informe le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la régularité des comptes. La page d’accueil de son site internet contient en exergue la phrase suivante : « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer les citoyens ».

Les rapports de la Cour des comptes se distinguent depuis plusieurs années par leur orthodoxie budgétaire. La trame de ces rapports s’apparente plus à la doxa néolibérale, met régulièrement le doigt sur les déficits budgétaires et rappelle systématiquement la nécessité impérieuse de réduire les dépenses publiques.

La communication dont je viens de vous livrer un court résumé change un peu de ce qu’on a l’habitude de lire sous la plume des conseillers de la Cour des comptes mais correspond bien à l’objectif de s’assurer du bon emploi de l’argent public qui est un bien commun destiné à répondre aux besoins des citoyens.

A propos de l’évolution historique des inégalités

Depuis l’apparition des humains sur la terre, les générations se succèdent, chacun luttant pour sa propre survie et celle de ses proches. La maîtrise de la nature, le développement des techniques et des sciences, l’évolution des formes d’organisation sociale sont à la base du progrès humain. Étudier l’Histoire de l’humanité c’est essayer de comprendre comment et pourquoi les choses se sont passées de telle ou telle manière et pas autrement. Au cours des siècles les études historiques ont évolué. Il y a là aussi différentes façons d’aborder l’Histoire. Pour situer l’approche comparative de l’Histoire des inégalités telle que développée par Thomas Piketty et la World Inequality Database, j’aborderais dans un premier temps des conceptions de l’Histoire avant de dérouler les éléments moteurs de l’évolution des inégalités, pour terminer par la vision néolibérale de la prospérité.

Différentes approches de l’Histoire

La conception idéaliste de l’Histoire

Selon la conception idéaliste de l’histoire telle que Hegel l’entendait, l’univers évolue selon un processus continuel de dépassement. Cette conception pose les principes d’une approche dialectique de l’histoire. Elle confère à l’idée, ou à l’esprit le rôle de moteur premier dans le déroulement du processus dialectique. L’homme appréhende les choses par le travail de l’esprit et de la raison. L’esprit est la contradiction suprême qui met le monde en mouvement et transforme le réel.

Le matérialisme historique

Partisan d’une conception matérialiste de l’Histoire, Marx conteste l’idéalisme de la vision d’Hegel. Il estime que la dialectique hégélienne « marche sur la tête », c’est la vie qui détermine la conscience et non la conscience qui détermine la vie. Mais il souligne la portée révolutionnaire de la conception dialectique de Hegel et voit en celle-ci le mécanisme annonciateur de la disparition du capitalisme dans son dépassement par une autre forme de société issue de ses contradictions. Les forces productives déterminent les rapports de production ou structure sociale qui, dans le système capitaliste, se décompose en deux classes aux intérêts opposés. Les forces productives et les rapports de production déterminent ensemble le mode de production. Pour Marx l’Histoire est l’étude des formations sociales concrètes considérées non pas comme données statiques mais comme des processus de reproduction sociale. Le matérialisme historique est l’étude des formations sociales, c’est-à-dire l’analyse du processus complexe par lequel une formation sociale se produit et se reproduit comme unité, comme un tout structuré.

Deux écueils à éviter dans l’histoire comparative des inégalités

Sans tourner le dos à ces conceptions de l’Histoire, Thomas Piketty, professeur à l’École d’économie de Paris, a adopté une approche plus pragmatique. Il est l’auteur du « Capital au XXIème siècle » en 2013, de « Capital et idéologie » en 2019, et vient de publier « Une brève histoire de l’Égalité » en 2021 aux éditions du Seuil. C’est un spécialiste de l’étude des inégalités économiques dans une perspective historique et comparative. En collaboration avec d’autres économistes au sein de la World Inequality Database, il a effectué un travail comparatif sur la dynamique des inégalités dans les pays développés à partir de la création de séries statistiques couvrant la totalité du XXe siècle, constituées notamment à partir de données des administrations fiscales.

Ces études ont permis de montrer que les pays occidentaux, après avoir connu une baisse des inégalités économiques sur le temps long de l’histoire, sont entrés dans une phase de reconstitution de très fortes inégalités depuis plusieurs décennies, non seulement au niveau des revenus mais aussi au niveau des patrimoines.

Dans son dernier livre Thomas Piketty indique s’appuyer sur de nombreux travaux internationaux qui ont profondément renouvelé les recherches en histoire économique et en sciences sociales. Il précise que deux écueils sont à éviter : « l’un consistant à négliger le rôle des luttes et des rapports de force dans l’histoire de l’égalité, l’autre consistant au contraire à les sanctifier et à négliger l’importance des débouchés politiques et institutionnels ainsi que le rôle des idées et des idéologies dans leur élaboration ».

Les éléments moteurs de l’évolution des inégalités

Esclavagisme et colonialisme ont joué un rôle primordial

Le développement du capitalisme industriel occidental est intimement lié à la division internationale du travail, à l’exploitation des ressources naturelles et à la domination militaire européenne. L’esclavagisme et le colonialisme ont joué un rôle primordial dans l’enrichissement occidental. A titre d’exemple, citons les recherches de Sven Beckert sur « l’empire du coton » reprises par Thomas Piketty. Ces recherches ont montré l’importance cruciale de l’esclavagisme dans la prise de contrôle de la production textile mondiale entre 1750 et 1860 par les britanniques et les européens.

 Le colonialisme et la domination militaire ont permis aux pays occidentaux d’organiser l’économie-monde à leur profit. A cela s’ajoutent des facteurs religieux, idéologiques et anthropologiques pour expliquer la trajectoire historique des puissances européennes. L’Histoire de l’État et du pouvoir joue aussi un rôle important dans cette évolution. Pendant des siècles les États ont généralement été contrôlés par les classes dominantes. Les révoltes et les luttes sociales ont joué un rôle croissant à partir de la fin du XVIIIème siècle et contribuent à la détermination du type de pouvoir étatique.

Rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales 2022

Le rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales publié ce mardi 7 décembre 2021 par la World Inequality Database, nous apporte un nouvel éclairage sur les multiples inégalités. Les excès de la mondialisation financière expliquent en partie le creusement des écarts de revenus et de patrimoine ces dernières décennies. Les inégalités culminent à des niveaux historiquement élevés. En moyenne les 10% des adultes les plus riches de la planète captent 52% des revenus mondiaux, lorsque 50% des plus pauvres s’en partagent 8,5%.

Les disparités de patrimoine sont plus fortes que celles de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale ne possède que 2% de la richesse des ménages tandis que les 10% les plus aisés en détiennent 76%.

La crise liée au Covid-19 a exacerbé un peu plus encore la captation des richesses mondiales par les plus fortunés, elle a profité aux multimillionnaires. Depuis 1995, les multimillionnaires (le 1 % le plus aisé) ont capté 38 % de la richesse additionnelle créée, contre 2 % pour la moitié des plus pauvres.

Ces dernières décennies, d’importants transferts du patrimoine public vers le privé ont été opérés. La hausse des prix de l’immobilier et des Bourses a contribué à gonfler les patrimoines privés, et la hausse des dettes publiques expliquent la chute des patrimoines publics nets.

Les inégalités de genre restent fortes : les femmes ne touchent que 35% des revenus mondiaux, 38% en Europe de l’Ouest. Les disparités de richesse se traduisent aussi en inégalités en termes d’empreinte écologique. Les émissions de carbone des 1 % les plus riches de la planète dépassent celles des 50 % les plus pauvres.

La vision néolibérale de la prospérité

Les prophètes de la révolution néolibérale

De nombreux discours conservateurs tentent de donner des fondements naturels et objectifs aux inégalités et expliquent que les disparités sociales en place sont dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Selon eux les inégalités sont nécessaires pour accroitre la productivité et la croissance.

Dans la deuxième partie du XXème siècle les prophètes du néo-libéralisme de « l’école de Chicago » sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien-être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.

Ronald Reagan aux États Unis et Margaret Thatcher au Royaume Uni ont été les premiers dirigeants à mettre en œuvre ce tournant politique des années 1980 qui a eu un impact considérable sur l’évolution des inégalités. Après une période d’après-guerre où les inégalités ont régressé, les politiques néolibérales sont devenues culturellement dominantes et ont bouleversé le panorama des inégalités. La promesse néolibérale de dynamisation de la croissance par la baisse de la fiscalité des plus riches n’a pas marché. La théorie du ruissellement n’a pas généré la prospérité pour tous. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées.

Cette vision met la démocratie en danger

Depuis que cette vision néolibérale s’est imposée le taux de croissance des revenus du capital s’est accéléré alors que la croissance des revenus du travail a stagné voire reculé. Sans un rééquilibrage de ces taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à la remise en question de la propriété privée comme le fait Thomas Piketty dans son dernier livre ?

 L’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective.

Cette évolution s’accompagne d’une augmentation inquiétante de l’abstentionnisme aux élections et d’une offre politique de droite extrême qui tente, avec démagogie et un certain succès, de gagner les voix des catégories populaires défavorisées. L’inégalité est à la fois la cause et la conséquence de la faillite du système politique comme dit Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie. Si l’État continue à laisser le 1% de la population s’accaparer l’essentiel des richesses et met à contribution les classes moyennes et populaires, il laisse se développer une désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.

Carburants, prix, taxe, et prime, à vos calculettes !

prix du super 95
source CARBU.COM

Depuis quelques mois nous assistons à une hausse des prix de l’énergie. Avec l’augmentation du Gaz et de l’électricité nous subissons une flambée du prix des carburants.

Le gouvernement, pour compenser cette dernière, a décidé d’attribuer une indemnité inflation de 100 euros aux Français gagnant moins de 2 000 euros nets par mois. Le plafond retenu correspond au salaire hexagonal médian soit 1,6 smic. Le coût budgétaire annoncé par le premier ministre sera de 3,8 milliards d’euros, étalés entre 2021 et 2022. Cette indemnité ne sera soumise ni aux cotisations sociales ni à l’impôt sur le revenu. Elle ne cible pas uniquement les automobilistes mais un ensemble de ménages sur critères de revenus. Le gouvernement a préféré cette solution à une baisse des taxes car elle est moins couteuse et vise ceux qui en ont le plus besoin.

Image par Pixabay

Il faut savoir que deux taxes principales s’appliquent sur le prix hors taxes de l’essence et du gazole en France : la TICPE (Taxe Intérieure sur la Consommation des Produits Énergétiques) et la TVA. Ces taxes représentent 57% en moyenne du prix du carburant à la pompe. Le ministre de l’économie s’est opposé à la baisse des taxes en signalant que diminuer d’un centime par litre de la TICPE coûte déjà 400 millions à 500 millions d’euros par an. En fait cette prime est un tour de passe-passe qui ne va rien couter au budget de l’État. Tous à vos calculettes !

image par Pixabay

Il s’agit d’un calcul approximatif à partir d’hypothèses mais assez proche de la réalité.

Prenons le cas d’un automobiliste qui fait 14000 kms par an et qui dispose d’un véhicule qui consomme 7 litres de carburant aux 100 kms. Sa consommation annuelle sera de 7 x 140 soit 980 litres. 

Le prix moyen du carburant est aujourd’hui de 1,60 € soit une augmentation de 0,30 € sur un an. Le coût supplémentaire pour l’automobiliste sera sur un an, en supposant que le prix du carburant n’augmente plus, de 980 x 0,30 € soit 294 €. La prime de 100 €, pour ceux qui la touchent, ne représente qu’un tiers du surcoût annuel pour l’automobiliste.

structuration des prix à la pompe

Après ce calcul au niveau individuel, élargissons le calcul sur l’ensemble des français toujours en supposant que le prix du litre de carburant n’augmente pas pendant un an.  Sur les 0,30 € d’augmentation moyen du prix du litre de carburant, 57% en moyenne vont à l’État. Donc sur un an, un automobiliste en consommant ses 980 litres va rapporter 0,171 € x 980 soit 167,58 € de taxes supplémentaires. Pour 35 millions d’automobilistes l’encaissement par l’État d’un supplément de taxes sera de 167,58 € x 35 000 000 soit 5,865 milliards.

Conclusion

En clair une prime de 100 € pour 38 millions de français qui va couter 3,8 milliards d’euros entre décembre 2021 et janvier 2022, va être largement compensée par une recette supplémentaire des taxes sur un an de 5,865 milliards d’euros. C’est ce que j’appelle un beau tour de passe-passe un peu comme le blocage du prix du gaz qui sera compensé ultérieurement quand le prix du gaz baissera. Petites mesures qui prennent les citoyens pour des billes et qui ne sont pas à la hauteur des enjeux de la transition écologique.

Que faire de la « dette Covid »

La pandémie du coronavirus bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.
Beaucoup de certitudes sont à remiser. Le niveau de la dette atteint un sommet abyssal. Que faire avec cette dette? La rembourser ? Comment ? Cela fait l’objet de débats. Il n’y a pas de solution économique clé en mains, c’est une question de projet de société.

Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Elle bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.

Les crédos économiques remis en question

Dans une vidéo Xerfi, Olivier Passet, directeur de la recherche, en ce début de mois nous explique que les crédos économiques dominants depuis la fin des années 2000 sont un champ de ruines.

L’austérité et la baisse des dépenses pour réduire l’endettement public. Rigueur = confiance = reprise. Les réformes structurelles seules peuvent modifier le cours de la croissance et le niveau de chômage à long terme. La baisse du chômage se mue inexorablement en accélération des salaires, au détriment de la profitabilité des entreprises. Le taux d’intérêt équilibre l’offre d’épargne et d’investissement et donc à taux zéro il n’y a plus d’incitation à épargner. L’ouverture des échanges, la mondialisation, le moins d’État, la destruction créatrice etc. … La liste n’est pas exhaustive.

Toutes ces certitudes ne laissaient pas de place au débat. La crise de 2008 et la crise sanitaire présente montrent que « face à l’incertitude radicale l’économie produit des conventions qui peuvent être stabilisantes un temps… Jusqu’au jour où elles ne le sont plus ! »

Le niveau de la dette attendue

La crise sanitaire et l’avènement du « quoi qu’ils en coûte » ont conduit les gouvernements à intervenir massivement pour soutenir l’économie. Toutes les certitudes, au moins temporairement, sont mises de côté. En décembre 2019, l’Insee révélait que la dette française avait franchi les 100 % du produit intérieur brut (PIB) au troisième trimestre de l’année. L’économie française a plongé dans la récession, l’État a déboursé des milliards pour soutenir les entreprises et les salariés, et la trajectoire budgétaire du pays en a été bouleversée. Autrefois tabou infranchissable, le seuil des 100 % de dette publique n’est plus qu’un lointain souvenir : elle devrait dépasser les 120 % en 2021. Elle aura plus que doublé en 20 ans.

Les taux d’intérêts sont historiquement bas, en raison d’un surplus d’épargne privée très important dans le monde. S’endetter ne coûte plus rien. Les intérêts que nous payons sur notre dette sont passés de l’équivalent de 3 % du Produit Intérieur brut (PIB) à 1,4 %, une division par deux.

Certains économistes considèrent que tant que les paiements d’intérêts sur la dette publique restent inférieurs à leur moyenne historique, les États peuvent continuer à s’endetter. Pour les orthodoxes de la dette, ce genre de raisonnement est de la folie pure. Facile de s’endetter quand les taux d’intérêt sont bas, mais qu’est-ce qu’on fait quand ils remontent et que le coût de la dette explose ?

Pour l’instant nous pouvons considérer que les banques centrales vont continuer à intervenir pendant de longues années pour maintenir bas les taux d’intérêt sur les dettes publiques, comme l’a confirmé la Banque centrale européenne (BCE) le 11 mars dernier. Si l’on admet que les taux d’intérêt peuvent rester bas pendant un moment, l’incertitude reste grande sur leur niveau à long terme.

Le cantonnement de la dette

En décembre 2020, une commission sur l’avenir des finances publiques présidée par l’ancien ministre de l’économie Jean Arthuis, a été mandatée pour réfléchir à la manière de gérer la « dette Covid », les quelque 150 milliards d’euros de facture de la crise sanitaire.

Par principe une dette doit être remboursée, mais comment financer ce remboursement ? Certains se disent favorables au cantonnement de la « dette Covid ». Cela consiste à prendre une partie de la dette et à l’isoler, en la transférant à une caisse d’amortissement dont l’objectif est de la rembourser intégralement (capital et intérêts) sur une période prédéfinie. Cette stratégie a été appliquée plusieurs fois en France au cours du siècle précédent, notamment en 1995 par le gouvernement Juppé avec la création de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Le cantonnement n’est pas une décision optimale dans la mesure où cela augmente le coût d’emprunt. La commission Arthuis a écarté le cantonnement de ses propositions sur l’avenir des finances publiques.

L’annulation de la dette

L’idée d’annuler la dette française détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE) est avancée par plusieurs économistes. Cela représente un quart de la dette française soit un peu plus que 600 milliards d’euros. Au niveau européen les titres détenus par la BCE avoisinent les 3000 milliards. La proposition comporte un double volet : dans un premier temps, la BCE annule toutes les créances qu’elle détient. Dans un second temps, les montants annulés sont réinvestis dans la transition écologique. Il s’agit, selon les auteurs, de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour réaliser un grand plan d’investissement et couper l’herbe sous le   pied aux néolibéraux qui considèrent que notre niveau d’endettement justifie des mesures d’austérité. Pour les pro-annulation aucune solution ne permet de dégager autant d’argent que l’annulation des créances par la BCE qui permet un plan d’investissement gratuit.

Cette question soulève un certain nombre de questions juridiques et comptables. Elle est rejetée par les partisans d’une stricte orthodoxie monétaire mais aussi par des économistes hétérodoxes. Ces derniers considèrent que la France a encore, dans les conditions de marché actuelles, des marges d’endettement. Il faudrait profiter des taux bas pour investir davantage, au lieu de risquer de perdre la confiance des marchés financiers, à qui l’on emprunte également et qui pourraient exiger une prime de risque plus élevée suite à une annulation de la dette détenue par la BCE.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde dans le Journal du dimanche du 7 février a souligné que l ’annulation de la dette Covid-19 est « inenvisageable » et serait « une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États.

Partisans et opposant de l’annulation de la dette se retrouvent pour souhaiter une réforme du fonctionnement de la BCE certains allant jusqu’à remettre en cause son indépendance. Obtenir l’unanimité des 27 pays sur de telles mesures quand on sait que le plan de relance européen est bloqué par un recours juridique en Allemagne, ne sera pas aisé.

Indispensables réformes

Le choc de la Covid 19 a mis en évidence l’exacerbation d’énormes inégalités et le fait que nos sociétés ne sont pas équipées pour y faire face. Les spécialistes nous prédisent d’autres pandémies, et d’autres chocs sont à venir, en particulier la crise climatique.

En France, mais aussi à l’étranger, un changement de mentalité s’opère. Même si les vieux réflexes sont robustes, certains dogmes sont en train de tomber. Après la crise financière de 2008, les pays ont trop vite mis en œuvre des mesures d’austérité pour redresser leurs finances publiques et ont été entrainés dans la « grande récession ». Les organisations internationales, tels le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui, hier, préconisaient aux États de mener réformes et mesures d’économies au pas de course, ont fait leur mea culpa. En Europe et même en Allemagne, où la discipline budgétaire est une valeur constitutionnelle, le ton a aussi évolué.

En réalité le problème n’est pas économique et il n’y a pas de solution clé en mains. C’est une question de projet de société à laquelle il faut répondre par un processus démocratique. La priorité reste d’investir pour sécuriser la reprise et assurer une croissance durable. Il faudra trouver un mode de financement favorisant un régime de croissance respectueux pour notre planète, une meilleure répartition des richesses et une réduction drastique des inégalités.

13 avril 2021

Bibliographie

Vidéo Xerfi canal : « idées dominantes en économie invalidées » Olivier Passet – 05 avril 2021

Alternatives économiques n°411 avril 2021 : Dossier « Vive la dette »

Le Monde : « l’avenir de la dette Covid, un débat politique autant qu’économique » Audrey Tonnelier – 29 janvier 2021

Le Monde : tribune « L’annulation des dettes publiques que détient la BCE… » collectif – 05 février 2021

Le Monde : « Surenchères politiques autour de la dette Covid » Audrey Tonnelier et Claire Gatinois – 6 février 2021

Le Monde : tribune « D’autres solutions que l’annulation de la dette… » collectif – 27 février 2021

Extraordinaire !

Extraordinaire, disons extrêmement différent de ce qu’on a l’habitude de lire dans le rapport annuel de la Cour des Comptes. Cette honorable institution dont les Conseillers maîtres sont l’élite de l’élite, leur recrutement se fait exclusivement parmi les élèves les mieux classés issus de l’École Nationale d’Administration, vient de nous livrer son rapport et il ne manque pas de nous surprendre.

La Cour des comptes

Cet organisme est une juridiction financière, chargée de contrôler le régularité des comptes publics, de l’État, de tous les établissements publics et des organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État ou faisant appel à la générosité du public. Il informe le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la régularité des comptes.

La page d’accueil de son site internet contient en exergue la phrase suivante : « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer les citoyens ». Chaque année est publié un rapport public qui depuis de nombreuses années se distingue par son orthodoxie budgétaire. La trame de ces rapports s’apparente plus à la doxa néolibérale, met régulièrement le doigt sur les déficits budgétaires et rappelle systématiquement la nécessité impérieuse de réduire les dépenses publiques.

La crise sanitaire

A titre d’exemple, je ferais référence à mes articles du mois de mars 2020, intitulés « Pourquoi n’étions-nous pas prêts ? » et « le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation ». A la suite de l’épidémie de grippe aviaire (H5N1) qui avait mis en évidence diverses faiblesses dans la réponse logistique de l’État, le gouvernement de l’époque avait créé un établissement public de préparation et de réponses aux urgences sanitaires. Sa mission principale était l’acquisition, la fabrication, le stockage, la distribution et l’exportation des produits nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves. Cet établissement a eu les moyens d’acheter des millions de vaccins, d’aiguilles, d’embouts et pipettes, de traitements antibiotiques, et antiviraux, des masques de filtration et chirurgicaux, des tonnes de substances actives en cas de pandémie grippale, des tenues de protections, des équipements de laboratoires et des extracteurs ADN/ARN.

Lors de la crise du H1N1 de 2008-2009, la haute administration a eu le sentiment d’en avoir trop fait et d’avoir surestimé la crise. L’État s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire. La Cour des comptes a estimé que des fonds publics ont été gaspillés inutilement.

La vision néolibérale de la société s’est introduite à l’hôpital. Gérer les établissements sanitaires comme des entreprises est devenu l’objectif prioritaire. Comme l’explique le professeur de médecine André GRIMALDI, l’État a abimé l’hôpital public depuis des années, depuis qu’a commencé le règne des économistes de pensée libérale ou néolibérale pour qui les activités humaines doivent être mesurées, valorisées, et mise en concurrence sur un marché. La tarification à l’activité a mis la santé dans une logique de marché. C’est l’entrée du « new public management » dans l’hôpital. Les autorités sanitaires ont ainsi fermé des établissements, réduit le nombre de lits et géré les stocks en flux tendus. La logique comptable s’est imposée au détriment de l’objectif prioritaire de ces institutions chargée d’assurer la santé publique sur l’ensemble du territoire et sur le long terme.

L’obsession de la réduction des déficits budgétaires et la certitude que le monde était à l’abri de tout danger épidémique majeur entrainant un changement doctrinal et institutionnel, explique les cruels manques de produits et de matériel auxquels nous avons dû faire face en 2020.

Le rapport annuel 2021

Dans son rapport annuel 2021, la Cour des comptes à propos de la crise du Covid 19 semble changer ses critères d’évaluation. Elle dénonce l’impréparation de l’État face à la crise sanitaire. Le rapport est concentré sur les effets concrets et la gestion opérationnelle de la crise notamment la tension dans les hôpitaux au niveau de la réanimation et des soins critiques. Il constate que depuis plusieurs années « l’offre de soins critiques a décroché par rapport aux besoins d’une population française qui vieillit ».

Le nombre de lits en réanimation a progressé dix fois moins vite que le nombre de personnes âgées. Les recommandations de l’institution sont centrées autour du renforcement des personnels de ces services si particuliers, dans la droite ligne des demandes de nombreux médecins et infirmiers de réanimation depuis des mois.

De manière inattendue, la Cour des comptes, garante de l’orthodoxie budgétaire, remet en cause le mode de financement des services de soins critiques. Le rapport note que le système de « tarification à l’activité » fortement décrié chez les médecins comme le cœur de « l’hôpital-entreprise », fait de la réanimation une « activité structurellement déficitaire ». Il relève les limites de la « planification hospitalière » qui a abouti à la concentration des unités de soins critiques, certes souhaitable, mais qui devrait aussi rechercher  « l’adaptation du nombre de lits aux besoins croissants d’une population qui vieillit, et corriger les inégalités territoriales ».

Conclusion

Après le « quoi qu’il en coûte » du Président de la République qui mettait de côté, au moins temporairement, l’orthodoxie budgétaire voilà la Cour des comptes qui estime que la concentration de l’offre ne peut être le seul acte de la politique sanitaire. Tout n’est pas perdu, peut-être que nos dirigeants réalisent que la recherche du bien-être humain prime sur la logique économique et comptable ! Ne soyons pas trop optimistes, une hirondelle ne fait pas le printemps. Attendons de voir !

20 mars 2021

Évaluation des réformes de la fiscalité du capital

France stratégie

France stratégie est un organisme créé par un décret du 22 avril 2013 qui a pris la suite du Commissariat général du Plan et du Centre d’analyse stratégique. Chargé d’expertise et d’analyse prospective sur les grands sujets sociaux et économiques il est placé auprès du Premier Ministre. Il formule notamment des recommandations au pouvoir exécutif et contribue à l’évaluation ex-post des politiques publiques.

Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital

Piloté par France stratégie, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital a été installé en décembre 2018 c’est-à-dire un an après la réforme de la fiscalité du Capital. Cette réforme remplaçait l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), instaurait un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus de l’épargne et programmait en complément sur toute la durée du quinquennat une baisse de l’impôt sur les sociétés (IS).

Dans un premier rapport publié en octobre 2019 le Comité avait fait un point sur la fiscalité du capital en France et son poids dans l’ensemble de la fiscalité. Il présentait le contenu précis de la réforme et rassemblait les enseignements à priori que l’on pouvait tirer d’une revue de la littérature économique théorique et empirique en la matière. Faute de disposer du recul temporaire suffisant le comité n’avait pu donner beaucoup d’éléments sur une évaluation ex-post. Il ne pouvait conclure sur l’efficacité des réformes en matière de fiscalité du capital.

Les riches plus riches

Ce 8 octobre 2020 le comité a publié un deuxième rapport qui indique de nouveau qu’une évaluation complète reste impossible mais qui fournit des informations plus précises.

Les dividendes sont concentrés sur un petit nombre de personnes. La suppression de l’ISF et l’instauration du PFU a eu pour effet de faire augmenter les revenus des 0,1% des français les plus riches. En 2018, 38000 personnes soit 0,1% des foyers fiscaux ont perçu les deux tiers des montants totaux alors qu’ils n’en recevaient que la moitié en 2017. Les ultra riches, 3800 personnes (0,01% des foyers fiscaux), en ont perçu le tiers alors qu’ils n’en recevaient qu’un cinquième. Les dividendes distribués ont augmenté de plus de 60% en 2018. Ils sont passés de 14,3 milliards d’euros en 2017 à 23,2 milliards en 2018 et la hausse se poursuit en 2019.

La réforme de 2018 avait aussi pour objectif d’endiguer l’exil fiscal. Le nombre de départs hors de France des contribuables aisés a baissé dès 2017 et le nombre de retours tend à augmenter mais cette évolution porte sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines à comparer avec les 130 000 contribuables assujettis à l’IFI en 2018.

Selon le rapport la forte hausse des dividendes en 2018 est en partie causée par la réforme du PFU. Reste à savoir ce que les français aisés ont fait et vont faire de cet argent. Selon la théorie des « premiers de cordée », ils devraient l’investir dans l’économie. C’est la théorie du ruissellement. Selon les tenants de la politique de l’offre, soutenir massivement les entreprises permet de doper finalement la croissance et l’emploi.

Impact sur l’économie

En conclusion, le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital se déclare incapable de répondre par oui ou par non à la question de savoir si la réforme de 2018 a eu un impact positif sur l’économie. La seule chose qui est certaine c’est que les plus aisés ont bénéficié d’une augmentation de leurs revenus et que les inégalités se sont accrues.

La crise de 2020, provoquée par la pandémie de covid-19, va avoir un impact important sur le financement de l’économie et sur les choix d’investissements des ménages. Cela rendra plus complexe l’évaluation à moyen terme des effets des réformes de 2018. Le montant des dividendes reçus par les ménages va probablement diminuer en 2020 sans qu’il y ait de lien entre cette chute et les réformes de 2018. Il est donc peu probable que le comité d’évaluation de la réforme puisse répondre avant longtemps sur les effets de cette réforme.

Une seule chose est sûre les inégalités s’aggravent, la pandémie ne fait que les augmenter et la réforme de la fiscalité du capital n’a pas eu à ce jour d’impact probant sur l’économie en matière d’investissements et d’emploi.

12 octobre 2020

Retour de la planification en France ?

Le Plan Monnet

C’est entre les deux guerres mondiales que l’idée de la planification a fait ses premiers pas en France sans qu’aucune réalisation n’ait pu se concrétiser. Le projet de faire un plan est apparu dans les propositions de la résistance intérieure et dans celle de la France libre à Londres. Il voit le jour en 1946 à l’initiative de Jean Monnet. A la libération le pays a besoin de se reconstruire et de se moderniser et Jean Monnet pense qu’il ne peut le faire par lui-même et que seuls les États Unis peuvent contribuer au redressement de la France. [1].

Jean Monnet

L’élaboration de ce plan fait l’objet de nombreuses négociations en interne avec les partis politiques, les syndicats et le patronat mais aussi au niveau international notamment avec les États-Unis. Ainsi les objectifs du plan sont précisés par secteurs et dans le temps et bénéficient d’une approbation globale. Le Plan Marshall participe à la réalisation du Plan Monnet en finançant une grande partie des investissements. Ce plan peut être interprété à la fois comme un moyen d’obtenir des crédits américains et comme un ensemble d’actions pour reconstruire et moderniser le pays.

Les objectifs de ce premier plan (1946-1952) consistent à faire redémarrer l’outil de production, satisfaire les besoins essentiels de la population, reconstituer les outillages et les équipements publics et privés endommagés ou détruits du fait de la guerre. Très sélectif, il est centré sur six secteurs de base : charbon, électricité, ciment, machinisme agricole, transport et acier. A cette époque le rôle de l’État dans l’économie est important et le plan bénéficiant d’une large approbation est bien exécuté ce qui met la France sur la voie du redressement.

Les plans suivants

Les plans suivants se succèdent environ tous les quatre ans avec plus ou moins de succès. Après être sortie d’une situation de pénurie la France connait une situation de relative abondance. L’approche est de plus en plus macro-économique. Dans une conjoncture de croissance mondiale le quatrième plan (1962-1965) s’articule autour d’une croissance forte, d’une progression des équipements collectifs et de corrections des inégalités sociales et régionales. Le sixième plan (1971-1975) sous la présidence Pompidou privilégie le développement industriel, l’amélioration des conditions de vie et un taux d’inflation faible. Dans un contexte de croissance mondiale très ralentie et devant les incertitudes de l’environnement international le septième plan (1976-1980) est réalisé dans un climat de mise en cause de la planification. Suite au changement de majorité en 1981, le huitième plan (1981-1985) n’est pas mis en application. Après l’échec de la relance par la consommation, le tournant de la rigueur, la décentralisation, l’entrée en vigueur du marché unique au niveau européen, la planification française va s’étioler pour laisser la place aux contrats de plan signés entre l’État et les Régions.

Une expérience originale

La planification française était indicative et incitative. Plusieurs éléments en font une expérience originale. La réussite du premier plan doit beaucoup au plan Marshall qui a assuré son financement. Le quatrième plan s’est réalisé dans un contexte exceptionnel de prospérité des finances publiques. La réussite du plan a reposé sur l’abondance du financement et sur un consensus des acteurs économiques, chefs d’entreprises, syndicats, partis politiques, intellectuels, milieux associatifs, etc… L’État s’appuyant sur les grandes entreprises publiques nationales et sur des hauts fonctionnaires servant de relais dans toute l’administration intervenait pour domestiquer le marché. Il se donnait des objectifs quantitatifs ou qualitatifs définis d’un commun accord entre les partenaires sociaux pour orienter les investissements dans les secteurs prioritaires.    

La mort du plan

L’entrée de la France dans la mondialisation et l’Europe de la concurrence sont à l’origine de la mort du plan. La conversion progressive des pays occidentaux dont la France au néolibéralisme et à une confiance aveugle au marché, l’exposition croissante aux aléas du commerce international et la nécessaire adaptation aux marchés ont rendu pratiquement impossible toute idée de programmation volontariste.

Un Plan Post-Covid

Aujourd’hui le gouvernement, pour faire face à la crise économique conséquente de la crise sanitaire, veut remettre la planification au cœur de son action. Le Conseil des Ministres du 3 septembre a désigné le président d’une des composantes de la majorité parlementaire à la tête du Haut-Commissariat au Plan et à la Prospective.

Le plan c’est l’instrument d’un volontarisme politique se traduisant en actes.  C’est construire une économie sur la base d’une vision prospective, de la définition de priorités d’investissements bâtis sur la concertation, d’un lieu de coconstruction de l’avenir où coopèrent les acteurs économiques. C’est opérer le tournant Post-Covid sur la base d’une vision partagée et d’une gouvernance où l’État regagne son influence dans les choix stratégiques des entreprises. Il s’agit donc de reconstituer une culture et restaurer une tutelle sur des entreprises financiarisées.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain ni en quelques mois d’autant qu’il faudra sans doute passer par des nationalisations si l’on veut répondre aux conséquence des crises sanitaire, économique et sociale, relocaliser certaines activités qui ont mis en évidence notre manque de souveraineté, réduire de manière suffisante les émissions de gaz à effet de serre et ses conséquences sur le climat, stopper l’industrialisation de l’agriculture et ses conséquences en matière de sécurité alimentaire et préserver la biodiversité.

Le plan s’il ne réunit pas les conditions de réussite des premiers plans énumérées ci-dessus risque de n’être qu’un dispositif parmi d’autres dans une liste de mesures constituant un catalogue qui restera une déclaration d’intention sans avenir.

9 septembre 2020


[1] Mioche Philippe. Le démarrage du Plan Monnet : comment une entreprise conjoncturelle est devenue une institution prestigieuse. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 31 N°3, Juillet-septembre 1984. pp. 398-416;

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1984_num_31_3_1281

Croissance -Décroissance ?

Nous venons de vivre pendant presque trois mois une des plus graves crises sanitaires que le monde ait connues. Et nous n’en sommes toujours pas complètement sortis. Nous n’avons pas encore de traitement efficace pour soigner la maladie et pas de vaccin pour nous en préserver.

Le confinement

Pendant cette période l’objectif premier dans tous les pays a été d’éviter que le nombre de patients gravement atteints dépasse les capacités des hôpitaux à les prendre en charge.  Les gouvernements, conseillés par les autorités médicales, ont recommandé la vigilance, la protection et le confinement associé à des mesures de distanciation physique et d’hygiène. Les mesures de confinement ont été le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Tous les pays n’ont pas été atteints avec la même intensité, certains ont souffert plus que d’autres. Mais tous ont été surpris par ce nouveau virus et ses effets que nous avons, encore aujourd’hui, du mal à maitriser. Tous ont souffert plus ou moins de l’impréparation des gouvernants face à une telle pandémie. Tous ont manqué de produits et matériels médicaux pour y faire face.

A ce jour la pandémie, au moins pour ce qui concerne l’Asie et Europe, semble sous contrôle et le dé-confinement progressif est en cours. Cette étape fait apparaître l’ampleur de la crise économique conséquente de la crise sanitaire. Les activités non essentielles ont été arrêtées pendant le confinement. Les frontières ont été fermées pour éviter la circulation du virus. Les avions sont restés au sol. Les déplacements ont été considérablement ralentis. La consommation de carburant a chuté et fait baisser le prix du baril de pétrole. Les ventes de voitures sont au point mort. Les activités de service ont été immobilisées. Cafés, restaurants, hôtels, activités sportives, le tourisme, les écoles, les administrations, tout s’est arrêté ou extrêmement ralenti.

La casse économique

Nous commençons à mesurer l’ampleur des dégâts : risque de faillite d’entreprises en chaîne dans plusieurs secteurs d’activités, augmentation du chômage, perte de pouvoir d’achat, etc… La crise sanitaire a mis encore plus en évidence et accentué les inégalités générées par notre système économique. Les dépenses publiques ont explosé pour compenser économiquement le recul de l’activité économique tant au niveau des particuliers que des entreprises. Il va falloir mettre en œuvre des plans de relance pour surmonter la crise économique puis la crise sociale qui ne manquera pas de s’ensuivre. Et la crise climatique ?

En France le gouvernement table sur une réduction de 8% du Produit intérieur Brut (PIB) dans la préparation du budget révisé. Il est difficile aujourd’hui de mesurer précisément le recul de la production tant que la machine économique n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. La récession risque d’être plus importante au final. La consommation des ménages pourrait reculer de 10% et l’investissement de 11%. Le déficit budgétaire serait multiplié par trois. Le nombre de chômeurs dépasse les 4,5 millions. La crise sociale qui s’annonce sera très importante.

Réagir

De nombreuses voix s’élèvent pour s’interroger sur le monde d’après. Va-t-on recommencer comme avant ? Va-t-on en profiter pour revoir notre modèle de développement ? A-t-on déjà oublié la menace du changement climatique provoqué par l’augmentation des rejets de gaz à effets de serre ?

Ceux qui pensent que la décroissance est la seule perspective possible pour faire face au réchauffement climatique peuvent en mesurer concrètement les conséquences sociales. L’ensemble de l’humanité est loin de vivre dans l’opulence, les inégalités sont encore considérables aussi bien entre pays qu’à l’intérieur de chaque pays. La crise sanitaire a mis en avant et exacerbé les inégalités. Le développement humain ne peut se mesurer qu’à l’échelle de la production de biens et de services matériels. Le PIB est un piètre instrument de mesure. Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure inédit prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. Si l’on peut s’interroger sur la production de certains biens, il y a encore beaucoup de choses qui doivent être développée pour améliorer le bien-être des humains et des vivants en général.

Faut-il pour autant ignorer l’urgence d’accélérer la transition écologique ? Le Programme des Nations Unies pour l’environnement souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C. Le rapport propose aux gouvernements des moyens concrets de réduire leurs émissions, notamment par le biais de la politique fiscale, de technologies innovantes, d’actions non étatiques, etc… En décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. La communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Bien évidemment le monde s’est polarisé sur la crise sanitaire au cours de ce premier semestre mais avec le ralentissement de la pandémie la relance économique, sociale et climatique devient la priorité. Les promoteurs de la mondialisation demandent déjà de reprendre comme avant et pour cela réclament un moratoire sur les quelques timides contraintes qui leur sont imposées en évoquant la priorité à l’emploi.

D’autres préconisent de profiter de l’occasion pour dé-mondialiser. Comme le dit Bertrand BADIE, politologue spécialiste des relations internationales dans un entretien publié par Le Monde le 10 mai 2020, « Parler de façon hâtive de « démondialisation » c’est aller vers un non-sens ou de fausses illusions. En revanche, ce qui apparaît de manière très claire et correspond à l’un des grands enjeux des décennies à venir, c’est le besoin d’encadrement, d’accompagnement, de réglementation de la mondialisation, qui s’est construite pratiquement sans aucun contrôle ».

Néanmoins il nous faudra penser à notre sécurité sanitaire et à la réindustrialisation de notre pays. Relocaliser certaines activités pour veiller à préserver, au moins au niveau européen, notre indépendance pour tous les secteurs stratégiques de la santé, de l’énergie, des transports, de l’éducation, de la culture…

La relance de l’activité est la priorité des prochains mois mais ne devra pas ignorer les engagements de l’accord de Paris sur le climat visant à maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C sans oublier la sauvegarde de la biodiversité.  L’État doit reprendre sa place et ne pas se contenter de collectiviser les pertes. Nous devons réhabiliter l’État-providence et réduire les inégalités. Nous devons abandonner le court-termisme et définir des objectifs à moyen et long terme, remettre à l’ordre du jour la planification, en un mot réorienter massivement notre économie. Mais aussi rénover notre démocratie et développer différents moyens de participation des citoyens à la définition de ces objectifs car c’est le seul moyen de ne pas laisser décider seules les puissances financières et technologiques.

8 juin 2020

Les conséquences économiques de la crise sanitaire

Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle estime le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de Développement économiques (OCDE).

En considérant que le confinement va s’étendre au moins jusque fin avril soit sur 45 jours, c’est comme si l’année était réduite de 12,5%.
L’activité industrielle est en baisse de 44% en moyenne dans le pays. L’industrie automobile est pratiquement à l’arrêt.
L’industrie manufacturière est aussi substantiellement affectée, avec une perte d’activité de près de moitié, de même que les autres services marchands, avec une baisse d’environ un tiers.
Les secteurs les plus touchés sont la construction, qui a perdu environ les trois quarts de son activité normale, et ceux du commerce, des transports, de l’hébergement et de la restauration, pour lesquels l’activité a reculé des deux tiers environ.
Air France a signalé que 90% de sa flotte est au sol. Son activité est ainsi réduite jusqu’au moins fin avril. La SNCF a aussi considérablement réduit son activité.
L’agriculture et l’industrie agroalimentaire, la cokéfaction, le raffinage et la production d’énergie, les services non marchands ou les services financiers et immobiliers sont moins sévèrement touchés.

La Banque de France a annoncé le mercredi 8 avril que la production intérieure brute (PIB) avait reculé de 6% au premier trimestre 2020 et déclaré que le pays était entré en récession.
L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) confirme ce jeudi 9 avril, que la perte d’activité économique est évaluée à plus d’un tiers du produit intérieur brut (PIB, – 36 %) et maintient l’estimation, donnée le 26 mars, d’une perte de PIB de 3 points par mois de confinement.

Plus de 400 000 sociétés françaises ont déposé un dossier pour passer en activité partielle. Les secteurs du commerce, de la réparation automobile, de l’hébergement, de la restauration et de la construction sont les plus touchés. Le ministère du travail a indiqué que dans le privé plus d’un salarié sur cinq est en chômage partiel.
L’ensemble de ces éléments donnent une idée de la violence du coup de frein qui est infligé à l’économie française.

La situation est plus ou moins comparable dans toute l’Europe. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE) estime que l’Union Européenne est face à « l’un des plus grands cataclysmes macroéconomiques des temps modernes ». Elle plaide pour un total alignement des politiques budgétaires et monétaires et un traitement égal des pays à un moment où les dirigeants de l’Union Européenne n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les modalités d’intervention.

Le confinement de plus de la moitié de la population mondiale et la réduction pour ne pas dire l’arrêt des activités non essentielles de la majorité des pays a pour conséquence un ralentissement drastique de l’activité économique au niveau mondial.
Les économistes de l’Organisation Mondiale du commerce (OMC) prédisent une chute du commerce mondial de marchandises comprise entre 13% et 32% en 2020.

La crise est mondiale et seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement. Malheureusement chaque pays croit qu’il s’en sortira mieux tout seul et c’est le règne du chacun pour soi.


9 avril 2020

L’Europe à l’épreuve du Covid 19

La construction européenne

Au lendemain de la seconde guerre mondiale différents pays européens ont décidé de se regrouper, de s’associer, de se solidariser pour tenter d’éviter de nouvelles guerres et pour, ensemble, peser plus dans les rapports de force mondiaux. Les fondateurs devant la difficulté de l’entreprise ont opté pour la politique des petits pas : la CECA, puis la CEE à 6 et par augmentation successives pour finir à 27 pays (28- 1) au sein de l’Union Européenne en 2020.

La dernière étape a été la création de la zone euro. L’Euro n’est pas seulement un projet économique c’est surtout un projet politique qui devait stimuler l’intégration politique de l’Europe et rapprocher les pays européens en assurant leur coexistence pacifique. Mais dans une région où la diversité économique et politique est énorme une monnaie unique a besoin d’institutions capables d’aider les pays pour lesquels les politiques suivies sont inadaptées, et l’union européenne ne s’est pas dotée de ces institutions. Pire elle ne s’est pas donné les moyens de réussir. Le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% de son produit intérieur brut.

Les fondateurs de l’euro savaient probablement que le projet de la zone euro était incomplet mais ils espéraient sans doute que la dynamique impulsée par l’euro contraindrait à créer les institutions nécessaires qui manquaient. Ils étaient guidés par une foi inébranlable dans les marchés. Ces fanatiques du marché étaient convaincus que si l’inflation était maintenue à un niveau faible et stable les marchés garantiraient la croissance et la prospérité pour tous. Cette conviction maintenue avec une telle certitude malgré l’accumulation de preuves contraires relève de la pure idéologie (voir le livre de Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie, ancien économiste en chef de la Banque mondiale : « L’euro, comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe » aux éditions LLL, Les liens qui libèrent – septembre 2016).

Du point de vue néolibéral, pour retrouver de la compétitivité les pays en difficulté doivent imposer une forte dose d’austérité pour ramener à la santé leur pays en récession. L’austérité c’est l’augmentation du chômage, la baisse ou au moins la stagnation des salaires, la baisse des prix à l’exportation dans l’espoir d’exporter plus et retrouver le chemin de la croissance.

Le rééquilibrage aurait pu se faire en augmentant les salaires et les prix dans les pays les plus forts. Pour qu’un tel ajustement se fasse il eut fallu que des mécanismes de solidarité soient mis en place dans la zone euro. Quand un groupe de pays a la même monnaie, il faut un consensus sur un minimum de solidarité et de cohésion sociale et les pays qui sont en position de force doivent aider ceux qui sont dans le besoin.  Mais les pays forts, notamment l’Allemagne, disent que la zone euro n’est pas une union de transfert c’est-à-dire un regroupement économique au sein duquel un pays transfère des ressources à un autre.

Gouverner c’est choisir. La politique monétaire au niveau européen aurait été différente si elle s’était donnée pour but de maintenir le taux de chômage au-dessous de 5% et non le taux d’inflation au-dessous de 2%. Les politiques monétaires et macro-économiques ont contribué à la montée de l’inégalité dans tous nos pays.

L’ambition du projet européen est de rassembler les pays dans une union politique qui reflète les valeurs européennes fondamentales. L’enjeu ne se limite pas seulement à l’économie, il porte aussi sur les questions de justice sociales et de démocratie.

La crise sanitaire du Covid 19

En ce début d’année 2020 l’Europe et le monde se trouvent confrontés à une nouvelle crise : le coronavirus apparu en Chine est en train de se généraliser sur toute la planète. Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Il est en cours de généralisation dans pratiquement la totalité des pays. Ce confinement accompagné de distanciation sociale et de mesures d’hygiène a pour conséquence l’arrêt des activités économiques non essentielles.

La Santé n’est pas de la compétence des institutions européennes. Mais dans une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie. Tous les pays européens ou presque ayant appliqué la réduction drastique des déficits budgétaires prônée par la doxa néolibérale ont réduit leurs dépenses publiques et la santé publique n’a pas échappée à cet impératif. Même si l’on peut avancer que personne ne pouvait prévoir une pandémie aussi virulente et si vite généralisée, la prudence la plus élémentaire était d’éviter de se démunir d’un minimum de stocks de produits et matériels médicaux, et ce d’autant plus que nous devons faire face tous les dix ans à une épidémie provoquée par un virus ( H1N1, H5N1, Covid 19).

Cette crise sanitaire met à l’épreuve la solidarité européenne. Dans un premier temps la réaction des pays a été le repli et le chacun pour soi, la fermeture des frontières, la concurrence dans la course aux approvisionnements de médicaments et de matériels médical. Mais, très vite, les choses ont bougé. Les pays les moins touchés ont accepté des transferts de malades en provenance des pays où les hôpitaux sont au bord de la rupture. Des cessions de produits et de matériels ont été réalisés.

Une riposte commune ?

Sur le plan institutionnel, le pacte de stabilité et les contraintes budgétaires ont été suspendus, le régime des aides d’État a été assoupli pour permettre aux gouvernements de voler au secours de leurs entreprises sans contrevenir aux règles du marché intérieur. La Commission a mis à disposition 37 milliards d’euros pour aider les pays à financer les ravages causés par le virus. La Banque centrale européenne s’est engagée à injecter plus de 1 000 milliards d’euros dans l’économie… C’est plus que ce que l’on aurait pu imaginer avant la crise.

Le confinement quasi généralisé des populations va mettre l’économie des 27 pays en grande difficulté. Cela rend nécessaire d’adopter un plan de relance fort et coordonné pour sortir au plus vite d’une récession qui s’annonce commune.

Les chefs d’États et de gouvernement des 27 pays européens doivent trouver un terrain d’entente sur la riposte économique commune à apporter pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Lors du Conseil des chefs d’État et de gouvernement du jeudi 26 mars, après six heures de discussion par visioconférence, la réunion a retrouvé les éléments de la crise de 2010-2012 et ses traumatismes, quand des dizaines de milliards d’euros d’aide avaient été accordés à des pays en difficulté en contrepartie de sévères réformes de leurs systèmes de soins, de retraite ou de chômage. Chacun sa conception de la solidarité. Les pays du Nord estiment que le Mécanisme Européen de stabilité (MES), c’est-à-dire un dispositif d’aide sous conditions est un bon instrument. Les pays du Sud soutenus par la France et sept autres pays proposent l’émission d’obligations par l’Union (corona bonds) parce qu’il faut agir ensemble, mutualiser l’effort à faire pour sortir de cette crise commune.

Une fois de plus pour sortir de la crise l’Union Européenne devra trouver un compromis entre ces deux formules où il ne sera question ni de Mécanisme de stabilité ni de corona bonds. Sinon cette crise pourrait être fatale à l’Union. Si elle ne fait pas la preuve qu’elle peut tenir ses promesses de prospérité et qu’elle sait défendre ses valeurs humanistes, l’Union Européenne risque de se fracturer et peut être même de disparaitre, même si elle doit céder la place à un chaos bien pire.

5 avril 2020

L’économie : comprendre et agir sur le monde pour le progrès de l’humanité, à la recherche du bonheur ?

Quel est le sens de l’économie ?

Le mot sens nous renvoie à plusieurs dimensions :

  • Le sens comme orientation, dans quelle direction je vais.
  • Le sens comme valeur objective, qu’est-ce que cela veut dire
  • Le sens comme raison, fondement, justification, intention, quelle est la raison d’être d’une proposition ou d’une action

Je vais au cours de cet article essayer de satisfaire à ces trois dimensions à propos  de l’économie.

Commençons par définir l’économie et pour cela rechercher son origine et son évolution.

Économie vient du grec « économia », de « oikos » maison au sens de patrimoine.

A l’origine il s’agit de l’art de bien administrer une maison, de bien gérer les biens d’un particulier. Cela s’est étendu à la gestion de l’État et à la société d’où l’appellation  « économie politique ».

Raymond Barre (professeur d’économie à l’Université de Paris) disait que « l’économie politique est un schéma d’interprétation de la réalité concrète.»

Au sens moderne l’économie est une science qui a pour objet la connaissance des phénomènes concernant la production, la distribution, l’échange, la consommation des biens et services dans la société humaine. Il est alors question de science économique. Comme le mot est polysémique, il a plusieurs sens, l’expression utilisée est au pluriel : sciences économiques.

Économie, économie politique et science économique sont interchangeables même si aujourd’hui l’expression la plus utilisée pour évoquer cette activité est « sciences économiques » de manière à couvrir l’ensemble de ses facettes : macroéconomie, microéconomie, économétrie, théories économiques, analyses économiques, économie internationale, économie du développement, etc.…

Science vient du latin « scientia » qui signifie connaissance, ce que l’on sait pour l’avoir appris, ce que l’on sait pour vrai au sens large. Les connaissances scientifiques sont produites à partir de méthodes d’investigation rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Le but est de comprendre et d’expliquer le monde. La science est ouverte à la critique. Les connaissances scientifiques, ainsi que les méthodes, sont toujours ouvertes à la révision. Les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes, et d’en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles ; leurs résultats sont sans cesse confrontés à la réalité.

La science économique est difficile à définir. Elle fait partie de l’ensemble des sciences sociales.

Historiquement chez les grecs l’activité économique était seconde, et subordonnée à la politique, l’art d’administrer la cité. Au Moyen Âge, dans l’atmosphère chrétienne, l’économie était soumise à la morale. L’intérêt du capital appelé « usure » était condamné. Avec la Réforme et la Renaissance et surtout la naissance des Etats, la richesse devient une étape nécessaire à l’acquisition du pouvoir. C’est la période des mercantilistes pour qui la source de la richesse est la détention de métaux précieux. La hausse des prix liée à l’augmentation des quantités d’or en circulation va donner naissance aux premières ébauches de théorie monétaire. Au XVIIIème les physiocrates qui considèrent que seule la terre est réellement productive, se préoccupent de découvrir des lois naturelles. Après les précurseurs succèdent les créateurs : les premiers classiques anglais : Smith, Malthus et Ricardo.

Le père du libéralisme économique est Adam Smith (1723-1790). C’est le père de l’économie politique. Son œuvre majeure est « La richesse des nations », ouvrage qui est le fondement de l’école classique. Il y expose sa conception du développement économique. Pour lui chaque individu guidé par la quête du profit et son intérêt personnel contribue au bienêtre général. Les marchés et la recherche de l’intérêt personnel conduisent à l’efficacité économique. C’est la fameuse « main invisible ». La régulation de la société par le marché mène à l’accroissement des richesses. Le libre-échange et la division du travail sont des facteurs de développement. Le rôle de l’État doit être réduit au minimum c’est à dire aux fonctions régaliennes et les activités que le marché ne peut prendre en charge parce que non rentables mais qui profitent à l’ensemble de la société comme par exemple les grandes infrastructures.

Au XIXème on parle d’économie pure, déductive et abstraite avec Walras. Une science économique se constitue sur le modèle de la mécanique ou de la physique.

Avec la crise de 1929 c’est la fin du laisser-faire et l’émergence du Keynésianisme. Keynes (1883- 1946), auteur de « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » va mettre momentanément au rencart les thèses du libéralisme économique. Les apports de Keynes à la théorie macroéconomique sont très importants. Le cœur de la théorie Keynésienne est le multiplicateur d’investissement. Si l’on injecte via la politique budgétaire 100, une partie va être épargnée, par exemple 20 et le reste, 80 va être consommé. Cette consommation supplémentaire va pousser les entreprises à investir pour répondre à la demande ainsi créée. Ce surcroît d’investissement créera de l’emploi, donc des revenus supplémentaires donc une augmentation de la demande. D’où de nouveaux investissements et ainsi de suite. C’est en s’inspirant de cette thèse que les économies occidentales ont été relevées après la deuxième guerre mondiale.

Mais le redéploiement économique de l’après-guerre va s’accompagner très vite d’un ralentissement du développement, de l’accroissement de l’inflation et du retour du chômage. La thèse keynésienne va être progressivement abandonnée sous le feu des critiques d’économistes comme Friedrich Hayek et Milton Friedman.

Friedrich Hayek (1899-1992) estime que  les politiques keynésiennes de relance économique, fondées sur l’utilisation du budget public, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et augmentation du chômage. Friedman (1912-2006) initia une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent de front à celle de Keynes. Il remet en cause le bien-fondé des politiques de relance qui, pour lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il faut lutter. À cette fin, il proposa l’instauration d’un taux constant de croissance de la masse monétaire. Ses idées se diffusèrent progressivement et devinrent populaires parmi les milieux politiques dans les années 1980, influençant profondément les mouvements conservateurs américains. Ses idées économiques sur le monétarisme, la fiscalité, les privatisations et la dérèglementation ont inspiré les politiques économiques de nombreux gouvernements à travers le monde, notamment ceux de Ronald Reagan aux États Unis, de Margaret Thatcher en Grande Bretagne, d’Augusto Pinochet au Chili, ou de Brian Mulroney au Canada. Tous d’éminents progressistes !

Ces économistes et leurs affidés sont les inspirateurs des politiques économiques qui nous ont menés à la crise que nous connaissons aujourd’hui.

L’histoire de la science économique est un balancement entre connaissance et action.

La science économique n’est pas une science exacte. Elle fait partie des sciences humaines. Elle s’attribue le nom de science parce qu’elle essaie d’adopter une démarche scientifique. Elle introduit des calculs mathématiques savants dans ses raisonnements pour se donner une coloration scientifique.

Mais en fait c’est une tentative d’explication, je devrais dire des tentatives d’explication, de l’évolution du monde sur le plan économique, c’est à dire de la production de biens et services et des échanges entre les hommes et les nations ainsi que des moyens utilisés pour favoriser, restreindre ou développer ces échanges. Inutile de s’étendre beaucoup pour comprendre que ces explications ne manquent pas d’être très liées à l’environnement politique et social du moment où elles sont formulées, quelle que soit la bonne foi des auteurs.

Comme le dit René PASSET, Professeur émérite à l’Université Paris I – Panthéon – Sorbonne, dans son livre intitulé « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire », les mutations qui caractérisent l’évolution des sociétés humaines et le regard que les hommes portent sur l’Univers s’expriment sur le plan économique par des systèmes explicatifs, des modes d’organisation et des programmes d’action différents.

Ces systèmes explicatifs viennent enrichir nos connaissances mais ils servent aussi l’action.

L’économie c’est aussi un moyen d’agir sur le monde….

A titre d’exemple voyons le débat actuel sur le choix entre politique de l’offre ou politique de la demande. Aujourd’hui en France, en Europe, dans l’ensemble du monde occidental développé le débat se polarise entre partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande.

La restauration de la compétitivité de l’économie française, en particulier de l’industrie, et son adaptation à la concurrence ouverte est un diagnostic largement partagé. Le besoin d’une politique de l’offre est indéniable. Limiter cette politique uniquement à une plus grande flexibilité du marché du travail relève d’une vision purement idéologique plus que d’une vision objective. La recherche, l’innovation, les difficultés de financement des entreprises, l’adaptation à la globalisation de l’économie et la nouvelle répartition du travail au niveau mondial sont des facteurs au moins aussi importants sinon plus que la rigidité du marché du travail.

Ne pas trop fragiliser la demande est aussi largement admis. De plus en plus d’économistes de tous bords considèrent que la croissance des économies avancées bute sur une crise généralisée de la demande. Pourtant réduire les déficits publics quand la charge des intérêts de la dette est le premier poste budgétaire est une nécessité absolue. Cela fait monter au créneau les partisans de moins d’Etat dont la seule motivation est purement idéologique. Ils en oublient que trop d’austérité ne fera qu’affaiblir la demande et accroitre en bout de course le déficit.

La politique économique ne peut être qu’un subtil équilibre entre politique de l’offre et politique de la demande selon les circonstances et l’environnement. Les pays qui ont réussi ce type d’ajustement par le passé, États-Unis, Royaume-Uni, les pays scandinaves, ou l’Allemagne ont été aidé, par une conjoncture porteuse et/ ou par un relâchement de la discipline monétaire. L’Allemagne, en partant d’une situation de ses finances bien plus saine a évité les à-coups budgétaires, et a pu contrairement à ses partenaires s’éviter une cure d’austérité depuis 2010. Les États-Unis tout comme le Royaume-Uni, ont laissé filer leurs déficits et ont joué sur la dépréciation de leur taux de change réel, ce que ne peuvent pas faire les pays européens avec une monnaie commune.

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que la politique monétaire ne peut pas tout et qu’un soutien à la demande globale européenne doit accompagner les politiques de l’offre.

De mon point de vue partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande adoptent des postures politiques plus que des visions opposées de la politique économique à développer.

Pour André BELLON, dans la revue « Humanisme » n°291 de février 2011, l’économie comme Janus, a deux faces : l’une théorique, l’autre instrument politique.

A titre d’exemple il cite les débats sur la dette. Faire de l’équilibre budgétaire un principe intangible transforme une école de pensée en gardienne des tables de la loi. L’imposition de ce qu’il faut bien appeler un dogme permet de réduire le débat politique à sa plus simple expression. Le néolibéralisme se présente aujourd’hui comme la vérité et fonctionne comme une religion.

L’économie pour comprendre le monde

Comme nous l’avons vu plus haut, selon Adam SMITH père du libéralisme, la recherche privée de l’intérêt personnel conduit au bien-être de tous. Au lendemain de la crise financière, qui peut soutenir que la recherche par les banquiers de leur intérêt personnel a conduit au bien-être de tous ? Elle a conduit, tout au plus au bien-être des banquiers et le reste de la société a payé la facture. C’est en ces termes que Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie et ancien conseiller du président CLINTON, stigmatise les marchés livrés à eux-mêmes dans son dernier livre « le prix de l’inégalité ». Il pense que laissés à eux-mêmes, les marchés se révèlent souvent incapables de produire des résultats efficaces et souhaitables, et dans ce cas l’État a un rôle à jouer : corriger les échecs des marchés. Voilà ce que pense un économiste qui croit au marché mais qui est convaincu que si l’on veut une économie plus efficace et moins inégalitaire il faut que les pouvoirs publics régulent les marchés. Il voudrait que L’Etat tempère les excès des marchés plutôt que de coopérer avec le marché pour aggraver les différences de revenu et de fortune comme c’est le cas aux États Unis depuis 1980.

La globalisation de l’économie au niveau mondial s’est installée avec l’expansion universelle de l’économie néolibérale. Cette expansion s’est accompagnée de celle du capitalisme, qui elle-même s’est accompagnée de la domination du capital financier. Pour Edgar MORIN dans « la voie » ce processus à trois faces (mondialisation, développement, occidentalisation) en produisant de grandes richesses, a réduit d’anciennes pauvretés, créé une nouvelle classe moyenne à l’occidentale dans les pays émergents. Ce processus a aussi dégradé en misère, partout dans le Sud, la pauvreté des petits paysans déplacés dans d’énormes bidonvilles. Il a accru les inégalités, engendré d’énormes fortunes et de non moins énormes infortunes. Il a entrainé destructions culturelles et décroissance des solidarités.

La compétitivité internationale a conduit au dépérissement d’industrie en Europe et aux États Unis, à la destruction massive d’emplois, à d’innombrables délocalisations, à la précarité accrue des travailleurs. Les endettements suscitent la rigueur économique, la rigueur suscite le chômage et la baisse des revenus, lesquels peuvent avoir d’énormes conséquences politiques.

Économie et inégalités

Dans « l’homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux », Daniel COHEN, professeur d’économie à l’École Normale Supérieure analyse la naissance d’une Hyperclasse depuis 1990. Les inégalités franchissent un nouveau seuil. Aux États Unis, alors que le centième le plus riche gagnait 7% du revenu total au début des années 70, il gagne désormais le quart du revenu total. En France le niveau médian se situe à 1500 €. Pour entrer dans le top 10%, il faut gagner plus de 3000 €, dans le top 5%, plus de 5500 € dans le top 1%, plus de 10000 €. Pour rentrer dans les stratosphères des ultra-riches, le top 0.01% donc un centième de pourcent, il faut gagner le désormais célèbre million par an. 6000 français sont dans ce cas. Avec 1% de la population mondiale la France compte 10% des millionnaires dans le monde.

Dans son dernier livre, « Le capital au XXIème siècle », Thomas PIKETTY confirme l’augmentation de ces inégalités et montre qu’elles s’accentuent si l’on prend en compte non seulement le revenu du travail mais aussi toutes les formes de revenu. Selon son analyse les perspectives vont plus dans le sens d’une aggravation des inégalités plutôt qu’une diminution. En effet PIKETTY démontre que ce sont les guerres, dans une large mesure, qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au XXème siècle. Les impôts représentaient moins de 10% du revenu national dans tous les pays au XIXème siècle. Aujourd’hui les prélèvements obligatoires représentent près de la moitié du revenu national en Europe. Cette évolution correspond à la mise en place d’un « Etat social » au cours du XXème siècle. Jusqu’en 1914 la puissance publique assurait les grandes missions régaliennes. Ces missions mobilisent toujours un peu moins du dixième du revenu national. Les dépenses d’éducation et de santé représentent entre 10 et 15% du revenu national. Les revenus de remplacement et de transfert représentent entre 10 et 15% du revenu national des pays riches. Les retraites représentent entre les deux tiers et les trois quarts du total des revenus de remplacement et de transfert. Les allocations de chômage et les minima sociaux ne représentent chacun d’eux que 1 à 2% du revenu national. Personne n’imagine sérieusement à ce que l’on revienne à une réduction des dépenses publiques à 10% du revenu national. Cela reviendrait à démanteler l’État social. Mais les inégalités continuent de s’accentuer au sein des pays riches comme entre les pays riches et les pays pauvres.

Plus de la moitié des êtres humains vivent toujours avec moins de deux euros par jour. Daniel COHEN cite dans son livre op cité, une étude de BANERJEE et DUFLO, « Repenser la pauvreté », aux éditions du Seuil. Comprendre la pauvreté aujourd’hui c’est comprendre comment l’espèce humaine se débat lorsqu’elle est privée de tous ces biens qui sont devenus l’ordinaire des pays riches. Alors que certains économistes sont tentés de voir dans la pauvreté un défaut de rationalité des pauvres eux-mêmes, ils montrent qu’elle révèle bien davantage la rationalité humaine, lorsqu’elle est privée du soutien d’institutions compétentes et légitimes pour les aider à décider. Le pauvre comme le riche a besoin d’un support institutionnel pour gérer rationnellement son cycle de vie.

Certains font l’apologie de l’inégalité parce qu’ils pensent que cela stimule la croissance et que tout le monde en profite. C’est ce qu’on appelle l’économie du ruissellement. Mais la réalité nous montre que l’inégalité n’a pas accéléré la croissance et que les écarts de revenus entre les riches et les pauvres, loin de se réduire, se sont agrandis au cours des trente dernières années alors que la richesse a augmenté.

Économie et progrès

Après la révolution de la machine à vapeur au XVIIIème siècle, la révolution de l’électricité au  XIXème nous vivons la révolution informatique. Elle est d’une nature différente. Elle n’est pas un moyen de faire d’énormes progrès de productivité dans l’industrie comme les deux précédentes. Elle est une révolution dans la gestion de l’information, une révolution managériale qui modifie profondément l’organisation du travail. C’est l’intensification du travail qui devient le principal vecteur des gains de productivité. C’est toujours le même processus ! On recherche une amélioration de la richesse produite. Il reste alors de savoir comment cette richesse se répartit. L’histoire nous révèle que c’est toujours un tout petit nombre qui s’accapare l’essentiel des richesses produites.

Galilée et Newton ont bouleversé les conceptions traditionnelles sur la place de l’homme dans la nature et l’univers. Ils ont ainsi préparé la révolution industrielle du XVIIIème siècle et ouvert la voie au capitalisme moderne. De même aujourd’hui estime Daniel COHEN dans son livre déjà cité, la révolution génétique bouscule les conceptions philosophiques de l’homme. Il cite Ray Kurzweil qui annonce pour 2060 un monde transhumain. Ce prophète néo futuriste parie sur une amélioration progressive des mécanismes qui vont permettre de « régénérer » le corps et retarder le vieillissement. Le ministère de la Défense américain a investi des millions de dollars pour étudier la connexion entre ordinateurs et cerveau humain. De substitut, la machine devient le complément de l’homme. Pour les économistes ces évolutions peuvent être l’annonce d’un nouveau modèle de croissance. 

Financiarisation de l’économie

Nous venons de vivre ces dernières années une grande transformation qui a conduit au capitalisme financier. C’est ce que l’on a appelé la financiarisation de l’économie. Le pouvoir économique a été capté par une minorité d’acteurs de la finance et de firmes multinationales sous la coupe de grands actionnaires qui sont parvenus à imposer leurs vues aux politiques. C’est une des fonctions du  « Club de Davos ». Ils ont imposé la dérégulation, le libre-échange, les paradis fiscaux, les niches fiscales, la forte réduction de la progressivité de l’impôt, les privatisations des services publics, la réduction de l’intervention de l’Etat dans l’économie donc la baisse des dépenses publiques, etc…

Jean GADREY, professeur émérite d’économie à l’université de Lille estime dans la revue Humanisme (déjà citée) que nous vivons une crise systémique profonde qui n’est pas terminée. Il distingue plusieurs crises, mais chacune dépend des autres d’où le qualificatif de « systémique ». Crise financière et économique, crise sociale, crise écologique, crise démocratique et crise du pouvoir économique. Pour en sortir il faudra s’attaquer à l’ensemble des causes de chacune de ces crises et à leurs interactions.

Économie et humanisme

L’économie a toujours été une activité multidimensionnelle mettant en relation l’individu, la société et la nature. Elle est condamnée à retrouver sa vraie nature d’activité finalisée par la satisfaction des besoins humains et transformant aussi efficacement que possible, à cette fin, les milieux physiques ou vivants sur lesquels se développe la vie des hommes. C’est ce que René PASSET appelle la bio économie (op cité). Gérer rationnellement les ressources utiles et rares de ce monde, afin de satisfaire au mieux et au moindre coût les aspirations humaines ne constitue qu’une partie des activités des hommes. Il y a aussi ce qui s’étend à l’esthétique, à la gratuité, aux valeurs socioculturelles qui donnent un sens à la vie et à la mort et finalisent les comportements. La sphère de l’économique est un sous-ensemble de celle des activités humaines et socioculturelles.

L’homme de l’économie réelle, poursuit René PASSET, n’est pas seulement une force de production ou une créature maximisatrice d’utilités, mais aussi un être biologique dont les besoins physiologiques doivent être couverts. En même temps il est une personne porteuse de valeurs dont les aspirations intellectuelles, artistiques et spirituelles doivent pouvoir s’accomplir. Si l’économie est une science de l’action aux prises avec le réel c’est l’ensemble de ces dimensions qu’elle doit prendre simultanément en considération. Peut-on qualifier de développement une croissance du produit par tête qui s’accompagne d’une régression des valeurs socioculturelles, d’une dégradation des conditions de la vie humaine (stress, chômage, etc…) et d’une détérioration de la relation des hommes entre eux ou avec leur milieu de vie ?

Économie et croissance

A l’intérieur de la sphère économique, développement et sous-développement ne sont pas des phénomènes indépendants l’un de l’autre : la division internationale du travail se forme au niveau  du système mondial et ne dépend plus du choix souverain des nations considérées isolément.

C’est désormais le monde qui est devenu le niveau pertinent d’analyse des politiques économiques.

Pour René PASSET quand l’économie se trouve confrontée aux questions du « trop » et des inégalités de répartition, la question des finalités fait surface. Lorsque le « plus » cesse de constituer le critère du « mieux », on voit surgir la question du « pourquoi », c’est-à-dire des finalités et des valeurs socioculturelles.

Produire plus, peut-être mais pour quoi faire ? La performance s’apprécie directement en termes de couverture des besoins et de bien-être. Quand la libre concurrence aboutit à la ruine des agricultures vivrières des pays pauvres, cela se traduit par la substitution de structures plus productives aux modes traditionnels de production. Alors la seule réponse possible, c’est le droit à la souveraineté alimentaire des peuples, garanti par la protection aux frontières contre la concurrence des agricultures industrialisées et subventionnées notamment par l’Europe et les États Unis.

Cet impératif s’étend à tous les droits et les besoins fondamentaux de la personne : l’éducation, la santé, la culture, etc.…

Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure  inédit qui prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. SEN estime que les politiques publiques doivent donner à chacun la «capabilité» de vivre une vie digne de ses attentes. C’est une magnifique ambition de vouloir toujours replacer au centre des dispositifs chaque homme et chaque femme à la fois dans son humanité défendue dans le cadre éthique des droits de l’homme et dans sa qualité d’acteur et d’être humain dont il faut respecter et renforcer la liberté de mener la vie qu’il ou qu’elle souhaite mener et pas seulement comme réceptacle d’objets divers de confort.

Pour terminer je reprendrais la conclusion

de l’article d’André BELLON

dans le numéro de la revue « Humanisme », n° 291 Février 2011

Il n’est pas possible de continuer à imposer un discours de nature transcendante, incontestable dans ses présupposés comme dans ses conséquences, imposant ses décisions dans presque tous les domaines de la vie sociale et, dans le même temps, prétendre agir en fonction de principes fondamentalement humanistes sur le plan individuel et démocratiques sur le plan collectif.

La réaffirmation de l’humanisme passe donc inévitablement par une réflexion critique sur la question économique.

Depuis plus d’un siècle, on veut enfermer l’homme dans des schémas économiques théoriques, transformant l’humain en capital, voire en matériel. Retrouver tout le sens de l’humain est un enjeu majeur pour dépasser un siècle d’aliénation. 

Bibliographie :

Revue HUMANISME n° 291 Février 2011 – dossier « L’économie contre l’humanisme »

Joseph STIGLITZ – « le prix de l’inégalité » – Éditions les liens qui libèrent – 2012

René PASSET – « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire » –

Éditions les liens qui libèrent – 2010

Daniel COHEN – « Homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux » – Éditions Albin Michel – 2012

Edgar MORIN – « la voie » sous-titre « Pour l’avenir de l’humanité » – Éditions Fayard – 2011

Thomas PIKETTY – « Le capital au XXIème siècle » – Éditions du Seuil – 2013

« La mondialisation de l’économie, un progrès pour l’humanité ?»

Préambule

Intuitivement la réaction première est qu’il est vain d’essayer de s’opposer à ce mouvement de fond qu’est la mondialisation. Ceux qui sont opposés à cette évolution du monde me font penser à la réaction des opposants au développement du chemin de fer qui craignaient que le passage des locomotives à vapeur rende les vaches moins productives en lait. Tout progrès dans l’histoire a généré des oppositions par crainte des effets néfastes. La mondialisation est la poursuite d’une longue évolution qui a commencé le jour de l’apparition de l’homme sur la Terre. De tout temps l’homme a cherché à étendre son territoire, à dominer la nature, à développer ses connaissances, à augmenter ses échanges, etc. … Ce développement ne s’est fait ni dans la continuité ni dans l’harmonie, souvent même en passant par des périodes de régression et de violents affrontements mais aussi par des périodes d’accélération. Globalement la tendance de long terme est à l’amélioration de la condition humaine.

Il est d’ailleurs significatif que les premiers opposants à ce que l’on a commencé à appeler la mondialisation, qui s’appelaient les antimondialistes, ont très vite décidé de s’appeler les altermondialistes, donc pour une autre mondialisation et non plus contre la mondialisation.

Réflexion sur la globalisation de l’économie

En 2007 j’ai eu l’occasion d’écouter à la radio un économiste américain, Joseph STIGLITZ, qui présentait son livre intitulé « un autre monde » sous-titré « contre le fanatisme du marché ». Il est reconnu comme un spécialiste des problèmes de la mondialisation, prix Nobel d’économie en 2001, conseiller économique à la Maison Blanche auprès de Bill Clinton, et puis économiste en chef et vice-président de la banque mondiale entre 1997 et 2000.

L’essentiel des éléments exposés puise abondamment dans les thèses et les arguments développés par STIGLITZ. J’ai aussi utilisé d’autres ouvrages mais dans une moindre mesure : « Une économie de rêve » de René PASSET, professeur émérite d’économie à l’Université de PARIS I – Panthéon – Sorbonne et ancien président du conseil scientifique d’ATTAC, « La Dissociété » de Jacques GENEREUX, professeur à Sciences PO Paris, « Une brève histoire de l’avenir » de Jacques ATTALI, et dans l’actualité récente « Le rapport sur la mondialisation » remis au président de la République française le 5 septembre 2007 par Hubert VEDRINE ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lionel JOSPIN.

J’ai conçu cet article comme une introduction à la réflexion sur la globalisation de l’économie. Ce serait d’ailleurs bien prétentieux que de vouloir faire le tour complet d’une question aussi vaste, même en compagnie d’un prix Nobel d’économie.

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique « la mondialisation » a remplacé « la rivalité des deux blocs » comme thème principal des préoccupations géopolitiques de la planète. Les Etats-Unis, sans rival, se font les gendarmes du monde et leur modèle économique est le modèle de référence. De plus en plus, les Etats-Unis, par mimétisme du vieil adage stalinien, estiment que ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le monde entier. Ainsi leur tendance fondamentale est d’imposer leur vision du monde de manière assez unilatérale.

La mondialisation c’est d’abord la mondialisation de l’économie mais elle comporte aussi de nombreux autres aspects : les flux internationaux des idées et des connaissances, le partage des cultures, la société civile mondiale, l’avenir écologique de la planète etc.… Je me limiterai à l’aspect économique, ce que l’on appelle maintenant la globalisation de l’économie, l’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et même de main d’œuvre.

Les tenants de la mondialisation affirment qu’elle va améliorer le sort de tous, élever les niveaux de vie dans le monde entier, ouvrir les marchés extérieurs aux pays pauvres pour leur permettre de vendre leurs produits, développer les investissements étrangers dans les pays pauvres pour leur permettre de produire de nouveaux produits à meilleur prix, ouvrir les frontières pour permettre la circulation des hommes et des produits pour le bien de tous.

Ce qui sous-tend cette affirmation c’est la pensée économique libérale qui a muté à partir des années 1980 en un rameau néolibéral.

L’économie libérale dont le père spirituel est Adam SMITH a été conceptualisée lors de la naissance de l’industrie en Angleterre. Selon SMITH la richesse vient du travail de l’homme. C’est la perception de son intérêt personnel qui pousse l’homme à l’épargne et au travail donc l’intérêt privé est le moteur de l’économie. En conséquence la société se doit de garantir la libre concurrence des intérêts privés seule capable d’assurer l’adéquation automatique entre l’offre et la demande. C’est la « main invisible » qui amène la recherche de l’intérêt personnel et les marchés à l’efficacité économique.

Les prophètes du néo-libéralisme ont pour noms Friedrich HAYEK, Milton FRIEDMAN et « l’école de Chicago », George BILDER et son « économie de l’offre ». Ils sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.

Après Porto Alegre au Brésil, en janvier 2004 aux abords de Bombay en Inde les dizaines de milliers de participants au Forum social mondial estiment que la réalité est toute autre et que la mondialisation est responsable de l’appauvrissement d’une grande partie de la population de la planète, du chômage et de la décomposition sociale, de la surexploitation de la planète, de la marchandisation du corps humain, de l’écrasement des faibles etc….

Le processus actuel de mondialisation génère des déséquilibres entre les pays et à l’intérieur des pays.

Les mécontents de la mondialisation soulèvent en gros cinq problèmes :

  • Les règles du jeu qui régissent la mondialisation sont injustes. Elles ont été conçues pour profiter aux pays industriels avancés
  • La mondialisation de l’économie fait passer les valeurs matérielles avant d’autres, telles que le souci de l’environnement ou de la vie même.
  • La façon dont la mondialisation est gérée prive les pays d’une grande partie de leur souveraineté. En ce sens, elle mine la démocratie.
  • Les partisans de la mondialisation ont prétendu que tout le monde allait y gagner économiquement, mais, tant dans les pays en développement que dans les pays développés, il y a beaucoup de perdants des deux cotés.
  • Le système économique qu’on a recommandé aux pays en développement et dans certains cas que l’on leur a imposé est inadapté et leur fait un tort énorme. Mondialisation ne doit pas être synonyme d’américanisation, et c’est souvent le cas.

Dans les années 1990 libéralisation du commerce et libéralisation des marchés des capitaux, mesures inspirées directement des thèses néolibérales, étaient deux composantes d’une conception plus générale qu’on appelle le « consensus de Washington » établi par le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale, le Trésor des Etats-Unis, sur les politiques les mieux à même de promouvoir le développement.

Ce consensus préconisait de réduire l’intervention de l’Etat, de déréglementer, de libéraliser et de privatiser au plus vite.

Mais au début du nouveau millénaire la confiance dans ce consensus s’est trouvée remise en question car il accordait trop peu d’attention aux questions de justice sociale, d’emploi, de concurrence, au rythme et à l’enchainement des réformes, au mode opératoire des privatisations, au fait que la seule croissance du PIB n’est pas le seul facteur qui affecte le niveau de vie et qu’il ne pose pas le problème de la durabilité de la croissance.

Aujourd’hui dans le monde tel qu’il est, avec une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays, qu’il soit en développement ou développé, de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie sans voir le niveau de vie de sa population régresser ou au minimum cesser de croitre.

La seule issue est de réformer la mondialisation.

Réformer la mondialisation

  • REDUIRE LA PAUVRETE

Il faut œuvrer davantage au niveau mondial pour réduire la pauvreté qui n’est pas seulement une insuffisance de revenu mais aussi  notamment une insuffisance de soins médicaux et d’accès à l’eau.  La banque mondiale et le FMI, officiellement du moins, ce qui n’était pas le cas au paravent font de la réduction de la pauvreté une priorité.

  • ALLEGER LA DETTE

Lors de la Conférence internationale sur le financement du développement  qui s’est tenu en mars 2002 à Monterrey au Mexique, avec la participation de 50 chefs d’Etat ou de gouvernement et de 200 ministres, les pays industriels avancés se sont engagés à accroître leur aide en la portant à 0.7% de leur PIB. Non seulement le besoin d’une augmentation de l’aide mais un large accord s’est fait pour qu’elle soit versée davantage sous forme de dons et moins de prêts. A ce jour, rares sont ceux qui ont tenu parole, notamment les E.U. Mais le plus révélateur est le changement d’approche à l’égard de la conditionnalité. Les conditions de l’aide devront être revues et allégées. Au sommet du G8 de 2005, les dirigeants des grands pays industriels ont accepté d’effacer complètement les sommes dues au FMI et à la Banque mondiale par les 18 pays les plus pauvres du monde dont 14 sont en Afrique.

  • RENDRE LE COMMERCE EQUITABLE

La libéralisation du commerce devait conduire à la croissance. Le bilan réel est au mieux mitigé. Les accords de commerce internationaux sont souvent déséquilibrés : ils autorisaient les pays industriels avancés à lever sur les produits des pays en développement des droits de douane en moyenne quatre fois plus élevés que ceux qui frappaient les produits des autres pays industriels avancés.

Les accords commerciaux ont en fait aggravé la situation des pays les plus pauvres. Les négociations se sont concentrées sur la libéralisation des flux de capitaux et l’investissement souhaitée par les pays développés et pas sur la libéralisation des flux de main d’œuvre qui aurait bénéficié aux pays en développement.

Le renforcement des droits de propriété intellectuelle a largement bénéficié aux pays développés.

Les négociations sont aujourd’hui bloquées par le refus du monde développé de réduire ses subventions agricoles. La vache européenne reçoit en moyenne 2 dollars par jour alors que plus de la moitié des habitants du monde en développement vivent avec moins.

Les pays développés sont pour la libéralisation des échanges quand c’est à leur profit et sont très imaginatifs pour trouver des obstacles aux échanges quand cela leur est défavorable.

Le monde a besoin d’un vrai cycle du développement, mais il faut que ce soit un jeu à somme positive où chacun peut être gagnant, pays pauvres et pays riches et à l’intérieur des pays. On ne « vendra » pas la mondialisation aux travailleurs des pays développés en leur promettant que malgré tout, s’ils acceptent  de réduire suffisamment leurs salaires, ils pourront trouver un emploi.

Et sans croissance dans les pays en développement, le flot d’immigration sera difficile à endiguer 

  • NECESSITE DE PROTEGER L’ENVIRONNEMENT

La déstabilisation de l’environnement menace gravement le monde à long terme. Le réchauffement de la planète est devenu un vrai défi pour la mondialisation. Les succès du développement en Inde et en Chine ont donné à ces pays les moyens économiques d’accroître leur consommation d’énergie, mais l’environnement planétaire ne peut soutenir cet assaut. Si tout le monde émet des gaz à effet de serre au rythme  où le font les américains, de graves problèmes nous attendent. Cette idée est presque universellement admise sauf à Washington. Mais ajuster les modes de vie ne sera pas facile.

  • CHANGER LA GOUVERNANCE MONDIALE

Hors les E.U. tout le monde s’accorde pour dire que quelque chose ne va pas du tout dans la façon dont sont prises les décisions au niveau mondial, trop d’unilatéralisme et de déficit démocratique dans les institutions économiques internationales issues de la seconde guerre mondiale avant la décolonisation.

Jusqu’à il y a 150 ans l’essentiel du commerce était local. Ce sont les changements du XIXème siècle qui ont conduit à la formation d’économies nationales et contribué à renforcer l’Etat-nation. L’Etat a été amené à assumer des rôles inédits : empêcher les monopoles, jeter les bases d’un système moderne de sécurité sociale, règlementer les banques et les institutions financières. L’Etat nation a mieux permis de dynamiser l’économie et d’accroître le bien-être individuel.

L’idée reçue selon laquelle le développement des E.U. a été l’œuvre d’un capitalisme laissé à lui-même est fausse. Si l’essor économique des E.U. a eu lieu, c’est en particulier grâce au rôle qu’a joué l’Etat pour soutenir le développement, réglementer les marchés et assurer les services sociaux de base. L’Etat pourra-t-il joué dans les pays en développement un rôle comparable ?

La mondialisation  impose de nouvelles tâches aux Etats-nations mais en même temps elle réduit leur capacité à les assumer. De plus en plus les accords internationaux empiètent sur les droits des Etats à prendre souverainement leurs décisions.

La mondialisation économique est allée plus vite que la mondialisation politique. Nous avons besoin d’institutions internationales fortes pour affronter les défis de la mondialisation économique et celles qui existent souffrent d’un déficit démocratique. Il faut prendre une série de mesures pour réduire ce déficit démocratique, changer la structure des droits de vote, accroître la transparence, renforcer la capacité des pays en développement à participer réellement à la prise de décision. Il faut une instance judiciaire mondiale indépendante pour faire mieux respecter le droit international.

Les forces du changement économique, social, politique et environnemental planétaire sont plus fortes à long terme que la capacité d’un pays, même le plus puissant, à modeler le monde en fonction de ses intérêts.

  • REFORMER LE SYSTEME DE RESERVE MONDIALE

Le système financier mondial fonctionne mal. Le pays le plus riche du monde, les Etats-Unis, vit au dessus de ses moyens et emprunte 2 milliards de dollars par jour à des pays pauvres. L’argent coule de bas en haut alors que cela devrait être l’inverse si l’on veut rééquilibrer le développement au niveau mondial. Ce défaut du système financier mondial vient du vice du système de réserve mondiale.

Chaque pays fait des réserves pour l’aider à gérer les risques auxquels il est confronté. Cela renforce la confiance dans le pays et dans sa monnaie notamment vis-à-vis des préteurs, qui sont en général des banques des pays développés et des investisseurs.

La popularité du dollar dans les réserves internationales est essentiellement due à la domination des EU sur l’économie mondiale et à la grande stabilité historique de cette devise.

Les pays en développement paie très cher l’assurance qu’ils fournissent en détenant des dollars dans leur réserve. Ils obtiennent un rendement de 1 à 2% sur leurs réserves de plus de 3000 milliards de dollars. La plupart de ces pays manquent cruellement d’argent pour leurs projets de développement. L’utilisation de ces sommes pour leurs projets pourrait leur rapporter beaucoup plus.

Les vrais bénéficiaires du système de réserve mondiale sont les pays dont les monnaies sont utilisées comme instruments de réserve.

Devant l’instabilité du système les pays diversifient leurs réserves, ils sortent du dollar. Une sortie désordonnée pourrait se faire sous forme de crise grave. C’est pourquoi STIGLITZ suggère de réformer le système de réserve en organisant une sortie en douceur du système actuel notamment en développant le système des droits de tirage spéciaux, monnaie que le FMI serait autorisé à créer.

  • REGULER LA MONDIALISATION

L’hypertrophie de la sphère financière comme dit Hubert VEDRINE, à savoir la multiplication par milliers de fonds permettant des profits risqués mais faramineux, a modifié en profondeur, en à peine plus de dix ans, la globalisation économique et commerciale.

Une croissance mondiale à 5% et des fonds qui cherchent un profit à court terme d’au moins 15%. Des échanges sur les marchés de change cent cinquante fois plus importants que les échanges commerciaux, des actifs financiers qui représentent trois fois le PIB de la planète.

La crise financière de l’été 2007 aux États-Unis a mis en évidence d’une part la sous estimation des risques par les gendarmes de bourses dépassés par une sophistication opacifiante, et d’autre part des banques centrales en même temps pompiers et pyromanes.

Pour sortir de  l’idée démoralisante que nous n’avons pas d’autre choix que subir les à-coups de cette mondialisation ultralibérale financiarisée, pour que les peuples européens, ouverts et bien intentionnés, n’aient plus le sentiment d’être  » les idiots du village global « , des initiatives régulatrices plus visibles et plus efficaces sont indispensables.

  • TROUVER UN NOUVEL EQUILIBRE

Depuis deux siècles, les démocraties ont appris à modérer les excès du capitalisme, c’est-à-dire à canaliser la puissance du marché pour qu’il y ait plus de gagnants et moins de perdants. Au niveau d’un pays les lois et les règlementations n’ont pas le même impact sur tous les citoyens. L’objectif en général est qu’elles soient justes et qu’elles ne défavorisent pas les plus pauvres. Au niveau international jamais une politique n’est recommandée en faisant valoir qu’elle est juste. Chaque pays demande à ses négociateurs de revenir avec le meilleur accord pour leur pays. Même au sein des institutions internationales, il est rare que la politique mondiale soit analysée en termes de justice sociale.

Pour que la mondialisation fonctionne il faut un régime économique international où le bien-être des pays développés et celui du monde en développement  soient mieux équilibrés :

  • Les pays développés doivent accepter un régime commercial plus équitable
  • Nécessité de reconnaître l’importance de l’accès des pays en développement au savoir, aux médicaments à prix abordables et leur droit à faire protéger leurs connaissances traditionnelles.
  • Accepter d’indemniser les pays en développement pour leurs services environnementaux, c’est-à-dire la préservation de la biodiversité, séquestration du carbone qui contribue à la lutte contre le réchauffement de la planète
  • La lutte contre le réchauffement du climat doit être une priorité
  • Payer équitablement les ressources naturelles sans laisser un environnement dévasté
  • Fournir aux pays pauvres une aide financière suffisante
  • Elargir l’effacement de la dette
  • Réformer l’architecture financière mondiale et réduire son instabilité
  • Réformes institutionnelles et juridiques pour empêcher  l’émergence de monopoles mondiaux et obliger les multinationales à faire face à leurs responsabilités notamment en cas de dommages à l’environnement
  • Renoncer à toutes pratiques fragilisant la démocratie, limiter les ventes d’armes, le secret bancaire et les pots-de-vin
  • Donner plus de poids au Conseil économique et social de l’ONU qui pourrait jouer un rôle important dans la définition du programme de l’action économique mondiale en veillant qu’il ne porte pas sur les seuls problèmes qui intéressent les pays industriels avancés mais sur ceux qui sont essentiels au bien-être du monde entier.

En conclusion quelques mots :

  • L’économie globale de marché est un fait sur lequel il est dans l’immédiat difficile de revenir
  • Il faut démocratiser la mondialisation pour que le développement de tous les pays et à l’intérieur de chaque pays profite au plus grand nombre et dans la plus grande justice sociale
  • Pour atteindre cet objectif il faut réguler cette mondialisation au travers d’institutions internationales fortes mais aussi d’Etats-nations forts capables de respecter les engagements qu’ils prennent
  • L’Europe doit mener une politique beaucoup plus offensive de protection et de solidarité. L’Europe doit devenir un élément fort de la régulation du monde global.
  • Osons un acte de foi en l’avenir, espérons que l’humanité saura se sauver de ses démons qu’elle évitera de se détruire et qu’elle saura construire, en évitant des conflits radicaux, un monde plus démocratique et plus juste socialement.

05 mai 2009