Pourquoi n’étions-nous pas prêts ?

Nous constatons que la quasi-totalité des pays occidentaux ont été pris de court par la pandémie de coronavirus. Pourtant il ne manquait pas de lanceurs d’alerte nous mettant en garde contre les risques de développement de nouvelles maladies. Mais comme je l’indiquais dans mon article précédent les thèses néolibérales sont devenues le guide plus ou moins avoué des politiques économiques des pays occidentaux et européens en particulier. Il fallait réduire les déficits budgétaires, déréglementer, libéraliser, privatiser au plus vite le maximum de secteurs. La politique sanitaire des États en a fait les frais.

Le cas de la France est particulièrement intéressant. Rappelons-nous de la violente mise en cause de la ministre de la santé en 2009 pour la politique qu’elle avait mis en place pour lutter contre l’épidémie de la grippe provoquée par le H1N1. Elle avait commandé en masse masques et vaccins. A l’automne 2009, la France compte un stock de 1,7 milliards de masques. Que sont-ils devenus ?

C’est Claude LE PEN, spécialiste de l’économie de la santé, professeur à l’Université Paris-Dauphine, qui nous fournit l’explication dans un article publié dans Le Monde daté du 31 mars 2020. A la suite de l’épidémie de grippe aviaire (H5N1) le gouvernement de l’époque a fait adopter en mars 2007 la « Loi relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur ». Cette loi mettait en place la réserve sanitaire et créait « l’Eprus », établissement public de préparation et de réponse aux urgences sanitaires. Sa mission principale était « l’acquisition, la fabrication, le stockage, la distribution et l’exportation des produits nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves. »

La crise H5N1 avait mis en évidence diverses faiblesses dans la réponse logistique de l’État. Cet établissement a eu les moyens d’acheter des millions de vaccins, d’aiguilles d’embouts et pipettes, de traitements antibiotiques, et antiviraux, des masques de filtration et chirurgicaux, des tonnes de substances actives en cas de pandémie grippale, des tenues de protections, des équipements de laboratoires et des extracteurs ADN/ARN.

Lors de la crise du H1N1 de 2008-2009, la haute administration a eu le sentiment d’en avoir trop fait et d’avoir surestimé la crise. La cour des comptes a estimé que des fonds publics ont été gaspillés inutilement. L’État s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire. Le budget de l’Eprus a été réduit et les stocks n’ont pas été renouvelés. En 2011 un changement doctrinal de l’État a conduit à distinguer deux types de stocks pour les produits médicaux, les stocks « stratégiques » à vocation nationale détenus par l’État avec l’Eprus et les stocks « tactiques » confiés aux établissements de santé pour les besoins locaux. Cela a fragmenté le dispositif d’autant que les hôpitaux ont été soumis à une très forte pression budgétaire et ne se sont pas suffisamment dotés..

De plus l’Eprus a disparu et a été noyé en 2016 dans le nouvel institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique appelé « Santé publique France » . Dans cette intégration se mélangent des questions importantes de santé publique avec la gestion logistique des menaces virales. Cela a conduit à démanteler un remarquable dispositif de préparation à une crise sanitaire majeure estime le professeur Claude LE PEN.

Nous voyons donc qu’en plus de l’obsession de la réduction des déficits budgétaires « quoiqu’il en coûte», la certitude que le monde était à l’abri de tout danger épidémique majeur entrainant un changement doctrinal et institutionnel, explique les cruels manques de produits et de matériel auxquels nous devons faire face.

A l’issue de la crise actuelle, l’État disposera sans doute d’un stock de produits de santé équivalent à celui de 2007. Il lui faudra se préserver de l’immédiateté financière et conserver une vision sur longue période pour protéger la santé publique et  éviter que l’histoire se répète.

31 mars 2020

Le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation

La mondialisation

La mondialisation c’est d’abord la mondialisation de l’économie mais elle comporte aussi de nombreux autres aspects : les flux internationaux des idées et des connaissances, le partage des cultures, la société civile mondiale, l’avenir écologique de la planète etc.… Sur le plan économique, ce que l’on appelle maintenant la globalisation de l’économie, l’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et même de main d’œuvre.
Les tenants de la mondialisation affirment qu’elle va améliorer le sort de tous, élever les niveaux de vie dans le monde entier, ouvrir les marchés extérieurs aux pays pauvres pour leur permettre de vendre leurs produits, développer les investissements étrangers dans les pays pauvres pour leur permettre de produire de nouveaux produits à meilleur prix, ouvrir les frontières pour permettre la circulation des hommes et des produits pour le bien de tous. Ce qui sous-tend cette affirmation c’est la pensée économique libérale qui a muté à partir des années 1980 en un rameau néolibéral.
Dans les années 1990, le « consensus de Washington » établi par le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale, le Trésor des États-Unis, préconisait de réduire l’intervention des États afin de réduire les déficits budgétaires, de déréglementer, de libéraliser, de privatiser au plus vite le maximum de secteurs (voir mon article de décembre 2019 sur la mondialisation).
C’est sur cette base que les politiques économiques se sont déployées dans presque tous les pays.

La crise financière de 2008 a fait la démonstration que contrairement à l’idéologie néolibérale le « laisser faire » ne conduit pas à l’équilibre. Les banques ont été jugées « trop grosses pour faire faillite ». Les gouvernements les ont perfusées d’euros et de dollars pour éponger les frasques de financiers cupides et irresponsables. Mais cela n’a pas entrainé une remise en question de la doxa néolibérale.

La crise sanitaire

En ce début d’année 2020 nous sommes confronté à une nouvelle crise : le coronavirus apparu en Chine est en train de se généraliser sur toute la planète. Les scientifiques estiment que cette maladie est un réel danger. La Covid-19 est au moins autant contagieuse que la grippe saisonnière mais est surtout beaucoup plus mortelle. Les modalités de transmission sont multiples. La transmission se fait de personne à personne mais aussi au contact de surfaces ou d’objets sur lesquels le virus est présent. Les médecins n’ont pas à ce jour de traitement pour l’éradiquer. Ils recommandent la vigilance, la protection et le confinement associé à des mesures de distanciation sociale et d’hygiène.

Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Encore faut-il qu’il soit plus rigoureux et que, avec les soignants, seuls les secteurs essentiels puissent continuer à travailler notamment l’équipement médical, l’alimentaire, les transports, le nettoyage et le traitement des déchets.

Les soignants à l’hôpital et dans les cabinets médicaux demandent pouvoir exercer leur métier sans se mettre en danger ni mettre en danger leurs patients. Ils manquent de masques, de gants, de blouses, de matériels médicaux. L’utilisation de tests est réclamée par certains. Toutes ces demandes mettent en évidence notre dépendance vis à vis d’autres pays. Nous n’avons pas de tests en suffisance car les réactifs sont importés principalement d’Asie, avec difficulté. Nous n’avons pas de stocks suffisant de gants car ils ont été réduits pour des raisons de restriction budgétaire. Ces manques sont les conséquences de la désindustrialisation de notre économie et de la réduction des dépenses publiques.

La crise sanitaire s’est abattue sur un service public de santé affaibli et met en lumière les tares de notre système de soins. Comme l’explique le professeur de médecine André GRIMALDI, l’État a abimé l’hôpital public depuis des années, depuis qu’a commencé le règne des économistes de pensée libérale ou néolibérale pour qui les activités humaines doivent être mesurées, valorisées, et mise en concurrence sur un marché. La tarification à l’activité a mis la santé dans une logique de marché. C’est l’entrée du « new public management » dans l’hôpital.

Les médicaments sont devenus des marchandises comme les autres. Les laboratoires abandonnent la production des principes actifs à l’Inde et à la Chine au nom de la rentabilité. Les stocks deviennent une immobilisation financière. L’hôpital devient une entreprise aux mains de managers. On ne répond plus à des besoins on gagne des parts de marché. On travaille à flux tendus. La novlangue a envahi l’hôpital et s’est emparée des esprits. C’est ce qui explique la diminution des lits de réanimation, le manque de médicaments, la pénurie de masques et de tests, etc…

Nous payons cash l’application dogmatique des mesures préconisées par le néolibéralisme.

Le Président de la République, dans son allocution du 12 mars 2020, ne dit pas autre chose. Il a déclaré que « la santé gratuite sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe » et que « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie à d’autres est une folie, nous devons en reprendre le contrôle ». Il a aussi promis qu’il assumera « dans les prochaines semaines, les prochains mois des décisions de rupture en ce sens ».

C’est un discours humaniste auquel le Président ne nous a pas habitué. Attendons la suite.

Mars 2020

Libres propos sur la République, la Liberté, l’Égalité, la Fraternité et la Laïcité

La devise de la République est « Liberté, égalité, fraternité ». Nous pouvons lire cette devise sur les frontons des édifices publics. Depuis quelques années la laïcité occupe une place importante dans le débat public. Ce thème est indissociable de notre république. C’est pourquoi il m’est apparu intéressant de réfléchir sur « la République, la Liberté, l’Égalité, la Fraternité et la Laïcité », ces mots qui sont constitutifs de notre état de citoyen.

LA REPUBLIQUE

Le mot république vient du latin « res publica » c’est-à-dire « la chose publique ». Étymologiquement la « res publica » c’est le bien commun à tous, à distinguer de « la chose privée » propre à certains.
La république avec un « r » minuscule désigne un régime politique où les dirigeants sont désignés par le peuple ou ses représentants. Un régime où la souveraineté et la légitimité du ou des chefs provient du peuple directement ou de ses représentants. C’est un régime politique antinomique des régimes comme la royauté où la souveraineté ne vient pas des hommes mais est de droit divin. A la révolution française s’est établi à la suite de la monarchie un régime politique qui est baptisé « république ». En conséquence de l’abolition de la royauté la première république française est proclamée. La République française est la fille de la révolution.


1792 première République. 1848 deuxième République, 1875 troisième République, 1946 quatrième république et 1958 cinquième République. Aujourd’hui, à part quelques illuminés nostalgiques de l’ancien régime, personne ou presque n’envisage de sortir de la République pour revenir à la royauté.
La République, avec un R majuscule, est l’ensemble des éléments de la puissance publique propre à un État qui a choisi comme forme de régime politique la république. Cet État est accessible également à tous ses citoyens et est la propriété collective de tous. La chose publique comprend tout ce qui est public dans un pays donné, le domaine public (les routes, les fleuves, le domaine maritime, …), les services publics, la justice, les lois et règlements d’administration publique, le gouvernement, le parlement, la force publique etc… donc tout ce qui n’est pas privé. La République est propre à un État donné mais est indépendante de la forme de gouvernement. Le mot république est souvent confondu avec le mot démocratie par opposition avec le despotisme. Mais l’histoire de France montre que la République n’est pas forcément démocratique.
La république est aujourd’hui la forme de régime politique la plus répandue dans le monde : sur 193 pays, 136 sont des républiques, 34 des royaumes ou sultanats, trois des principautés et neuf des unions ou fédérations qui peuvent mélanger plusieurs formes d’États.

En France la constitution de 1958 est le texte fondateur de la Ve République. Adoptée par référendum le 28 septembre 1958, elle organise les pouvoirs publics, définit leur rôle et leurs relations. Elle est le quinzième texte fondamental de la France depuis la Révolution Française (ou le vingt-deuxième si l’on compte les textes qui n’ont pas été appliqués).
Norme suprême du système juridique français, elle a été modifiée à vingt-quatre reprises depuis sa publication par le pouvoir constituant, soit par le Parlement réuni en Congrès, soit directement par le peuple à travers l’expression du référendum. Son Préambule renvoie directement et explicitement à trois autres textes fondamentaux : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la constitution de 1946, la charte de l’environnement de 2004.

La constitution de 1958 dans sa forme actuellement en vigueur précise :
Article 1 – La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.
Article 2 – La langue de la République est le français.
L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L’hymne national est la « Marseillaise ».
La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Article 3 – La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.
Article 4 – Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.
Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi c’est-à-dire l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.
La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation.

Ces quatre articles contiennent l’essentiel des principes sur lesquels repose l’organisation de l’État en France. – La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Elle respecte toutes les croyances. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les partis et groupements politiques contribuent à l’exercice de la démocratie. La loi garantie les expressions pluralistes des opinions.

Les principes c’est une chose et la pratique une autre. Les différentes modifications de la constitution de 1958 et sa pratique font qu’elle est qualifiée de monarchie républicaine. De plus en plus de voix s’élèvent pour souhaiter une sixième république plus en conformité avec ces principes.

LA LIBERTE

La constitution dans son préambule fait référence explicitement à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui indique que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Elle définit la Liberté comme ce qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
La Loi n’a le droit d’empêcher que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas interdit par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. En clair dans une république démocratique tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Si l’on ne peut faire que ce qui est autorisé alors nous sommes dans une société dictatoriale où l’État décide de ce qui peut être fait, ce qui est contraire aux droits de l’homme et à la liberté de chacun.


La liberté doit être très large mais elle n’est pas illimitée, elle s’arrête à partir du moment où elle nuit à autrui. Certains comme les libertariens défendent la liberté sans limite ce qui ne peut qu’aboutir à la loi du plus fort. Toute société qui n’organise pas les limites de la liberté dans le respect de chacun ne peut que mener à ce que certains soient plus libres que d’autres. Donc chaque citoyen est libre dans un cadre donné défini par la loi.
La loi garantit l’expression du pluralisme des opinions et donc la liberté de conscience.
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi (article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen).

L’EGALITE

L’article 1 de la constitution précise que la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Les hommes naissent égaux en droit mais que se passe-t-il après la naissance ? La République nourrit ses enfants et les instruit. L’histoire nous prouve que l’égalité des droits n’empêche pas les inégalités.

Même si tous les gouvernants affirment orienter l’action de la puissance publique dans le sens d’une plus grande égalité entre les citoyens, nous voyons bien, notamment ces dernières années, que les inégalités s’accroissent.

Les privilèges de la naissance ont été abolis sans complètement disparaitre et ont été remplacé par les privilèges de la richesse économique qui se répercute sur le plan culturel, social et régional. Même l’école qui a été un formidable instrument d’éducation et d’émancipation reste encore trop un facteur de reproduction sociale.

LA FRATERNITE

Pendant la Révolution française « Salut et fraternité » est le salut des citoyens. A cette époque il est institué des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution et entretenir la fraternité entre les citoyens et les attacher à la constitution. Il ne fait pas de doute que l’introduction de la fraternité dans la devise républicaine y trouve son origine.
La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies à Paris en 1948 parle de la notion de fraternité dans son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Il ne faut pas confondre fraternité et solidarité comme c’est souvent le cas. La devise républicaine invite, en vertu de l’unité du genre humain, de l’égalité entre les hommes, de l’égale dignité de l’homme et de la femme, du respect des droits de chacun, de l’humanisme, à considérer l’autre comme mon frère. La fraternité républicaine n’est pas une fraternité de l’immédiateté, fusionnelle et sentimentale. C’est la constitution d’esprits libres décidés à défendre les droits de tous. Les sujets libres et égaux en droit sont frères parce qu’ils produisent la chose publique qui à son tour les unit.
Si je dis que l’autre est mon frère, cela signifie qu’il est un autre moi-même. Qu’il a les mêmes droits que moi, mais que je lui dois, comme je me le dois à moi-même, le respect de ce qu’il est, la volonté de le voir grandir de la même façon que je travaille à ma propre croissance. Je lui dois de l’attention et de la bienveillance.

Mais ne faisons pas preuve de naïveté excessive, il y a parfois loin de l’idéal à la réalité. Là aussi l’histoire nous enseigne que la volonté de fraternité entre les hommes ne permet pas d’éviter les conflits meurtriers individuels et collectifs.
Comme l’écrit Victor Hugo dans « Le Droit et la loi », Liberté, Égalité, Fraternité sont les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là.
Depuis des années de glissements en glissements l’idéologie différentialiste se fait entendre et est en passe de devenir l’idéologie dominante. Le racisme avance, l’antisémitisme ressurgit, l’homophobie s’installe, l’indifférence vis-à-vis des plus faibles s’étend … Il faut réaffirmer une conception de l’humanité qui transcende les héritages biologiques, sociaux, culturels et religieux et restaurer l’universalisme républicain qui seul libère l’individu et bâtit le collectif. La fraternité est la condition d’un cadre commun qui permet l’émancipation de tous.

LA LAÏCITE

Nous pouvons constater que la laïcité a été malmenée depuis quelques décennies. Paradoxalement c’est dans une période caractérisée par une majorité croissante de non croyants que nous assistons à un retour de la question religieuse dans tous les domaines de la vie sociale et civile. Les fondamentalistes de tout poil prétendent imposer leur vérité à l’ensemble de la société.
L’article 2 de la constitution de 1958 cité en début de cet article précise que :
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.

La laïcité c’est
• la liberté de conscience qui ne peut se réduire à la seule liberté religieuse qui n’en est qu’une version particulière,
• l’égalité de droits de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions,
• le primat de l’intérêt général, du bien commun à tous.

La laïcité est une règle de vie en société démocratique. Elle impose que soient donnés aux hommes, sans distinction de classe, d’origine, de confession, les moyens d’être eux-mêmes, libres de leurs engagements, responsables de leur épanouissement et maîtres de leur destin.

La laïcité est un idéal d’émancipation.
La laïcité est un idéal qui permet à tous, croyants et athées, de vivre ensemble sans que les uns ou les autres soient stigmatisés en raison de leurs convictions particulières.
L’État laïque incarne la promotion simultanée de la liberté de conscience et de l’égalité, de la culture émancipatrice et du choix sans entrave de l’éthique de vie personnelle.

L’école laïque a pour tâche de réaliser cette émancipation. Elle doit tenir à distance la société civile et ses fausses urgences. La laïcité à l’école c’est le fait de refuser aux puissances de conditionnement d’entrer dans les classes, d’ouvrir à chaque esprit la chance de penser sans tutelle, sans emprises.
L’acquisition de savoirs et l’élévation culturelle sont les instruments d’une émancipation individuelle et collective. L’émancipation par l’instruction doit être à la portée de tous c’est-à-dire gratuite, obligatoire, laïque, et la puissance publique doit en assurer la promotion partout et pour tous.
L’école laïque fournit à la liberté de conscience le pouvoir de juger qui lui donne sa force.

L’enseignement public doit être affranchi de tout prosélytisme religieux ou idéologique.
C’est en vertu de ce principe qu’il est inconcevable d’apposer sur le mur de la classe une croix, un croissant ou une étoile de David symbole d’une religion. C’est aussi la raison de l’interdiction du voile et de tout signe ostentatoire d’appartenance religieuse à l’école.
De même impensable dans un État laïque d’orner les salles de tribunaux ou les chambres d’hôpitaux publics de signes religieux ou de faire prêter serment sur la bible ou le coran.

L’école est un moyen de transmission du savoir mais c’est aussi le moyen de fabriquer une communauté nationale de citoyens.

L’humanisme laïque repose sur le principe de la liberté absolue de conscience.
Liberté de l’esprit c’est à dire émancipation à l’égard de tous les dogmes ; droit de croire ou de ne pas croire en Dieu ; autonomie de la pensée vis-à-vis des contraintes religieuses, politiques, économiques ; affranchissement des modes de vie par rapport aux tabous, aux idées dominantes et aux règles dogmatiques.
La laïcité vise à libérer l’enfant et l’adulte de tout ce qui aliène ou pervertit la pensée, notamment les croyances ataviques, les préjugés, les idées préconçues, les dogmes, les idéologies opprimantes, les pressions d’ordre culturel, économique, social, politique ou religieux.
La laïcité vise à développer en l’être humain, dans le cadre d’une formation intellectuelle, morale et civique permanente, l’esprit critique ainsi que le sens de la solidarité et de la fraternité.
La laïcité vise dans ce contexte à donner les moyens à l’être humain d’acquérir une totale lucidité et une pleine responsabilité de ses pensées et de ses actes.

La liberté d’expression est le corollaire de la liberté absolue de conscience. Elle est le droit et la possibilité matérielle de dire, d’écrire et de diffuser la pensée individuelle ou collective.

Le refus du racisme et de la ségrégation sous toutes ses formes est inséparable de l’idéal laïque. La société ne peut pas être la simple juxtaposition de communautés qui, au mieux s’ignorent, au pire s’exterminent.
L’éthique laïque mène inévitablement à la justice sociale : égalité des droits et égalité des chances. L’éducation laïque, l’école, le droit à l’information, l’apprentissage de la critique sont les conditions de cette égalité.
La séparation des Églises et de l’État est la pierre angulaire de la laïcisation de la société.
Elle ne saurait souffrir ni exception, ni modulation, ni aménagement. Cette séparation est la condition de son existence. Elle est la seule façon de permettre à chacun de croire ou de ne pas croire en libérant les églises elles-mêmes des logiques de liaisons conventionnelles avec l’État. Si les églises veulent exister, que les fidèles leur en fournissent les moyens, la religion étant affaire de conviction personnelle.
Si l’État garantit la totale liberté des cultes comme de l’expression et de la diffusion de la pensée, il n’en favorise aucun, ni aucune communauté, pas plus financièrement que politiquement.
La loi républicaine ne saurait par conséquent reconnaître le délit de blasphème ou de sacrilège qui déboucherait inévitablement sur l’institutionnalisation de la censure.
La première manifestation du caractère laïque d’un pays est l’indépendance de l’État et de tous les services publics vis-à-vis des institutions ou influences religieuses.

La laïcité n’est pas une notion passéiste mais au contraire une idée de progrès.
La laïcité est action et volonté. Elle implique la plénitude de l’égalité de traitement, par la République, des athées et des croyants. Cette égalité est la condition d’une véritable fraternité, dans la référence au bien commun, qui est de tous.
Dans l’Église catholique, le laïc, avec un « c », est un simple fidèle par opposition au clerc investi d’une mission officielle dans l’organisation ecclésiastique.
Laïque, avec « que », découle de la même racine, du terme grec laos qui veut dire peuple, population comprise dans son unité. Laïque signifie indépendant de la religion. La laïcité implique l’égalité des droits sans distinction de convictions personnelles. Laïque ne s’oppose pas à religieux mais à clérical. L’esprit clérical, c’est la prétention des clercs à dominer au nom d’une religion. La laïcité ne se confond pas avec l’athéisme et ne se réduit pas au combat anticlérical.

Admettre que chacun puisse à titre individuel ne pas croire ou pratiquer le culte de son choix sans que la société n’en impose aucun est un principe qui consiste à laisser chacun libre de ses choix selon ses propres règles morales avec pour seule limite de ne pas nuire à autrui, sans subir celles que lui imposerait la religion ou n’importe quelle idéologie totalitaire d’État.

L’humanisme laïque est le ciment qui donne toute sa force et sa plénitude à la devise républicaine.

avril 1919

L’Humain, les sciences et la technologie

Il est d’une grande banalité de dire que nous sommes dans un monde en pleine mutation. Mais l’histoire de l’humanité n’est-elle pas l’histoire de son évolution ? A chaque période l’homme pense qu’il vit une accélération du changement. Nous n’échappons pas à cette vision. Plus le temps passe plus l’action de l’homme accélère ces mutations. Sommes-nous arrivés à un moment où l’accélération est telle que l’homme va être submergé par ses propres créations ? Ou, est-il encore temps d’œuvrer à la maîtrise de ces bouleversements ? Quels rapports entre l’humain, les sciences et les technologies ?

N’ayant pas de prétention encyclopédique je me limiterai en matière de mutations technologiques à ce qu’on appelle les NBIC, nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Je verrais dans un premier temps la notion d’humain puis succinctement les NBIC et le Transhumanisme pour terminer par les rapports entre sciences, technologies et progrès de l’humanité.

Qu’est-ce que l’humain ?

Dans « L’Origine des espèces » DARWIN bouleverse la façon de concevoir l’humain. Il propose une théorie de l’évolution qui modifie la place de l’homme. Sa thèse majeure est la sélection naturelle. Elle résulte des variations innombrables et aléatoires qui se produisent dans l’anatomie des individus et leur conservation ou leur élimination en fonction des avantages qu’elles présentent ou non pour la survie de l’espèce. Les espèces animales ne sont pas fixes et immuables telles que le Créateur les avait conçues comme le prétendent certains. La vie se façonne et se transforme dans le temps sur des populations très importantes sans que la moindre intention ne dicte ces changements. Ce ne sont pas les plus forts physiquement qui sont sélectionnés mais ceux qui peuvent s’adapter à leur environnement.
L’être humain n’est pas une exception. Son anatomie, sa physiologie, sa biologie sont identiques à celles des grands singes. Pour DARWIN tout est évolutif. L’histoire des espèces passe graduellement et d’elle-même, des protozoaires aux mollusques, des reptiles aux vertébrés, des grands singes à l’homme. L’homme n’est pas à part, il s’inscrit dans l’évolution, il est un animal parmi les animaux. Il n’y a pas rupture mais continuité.

Charles DARWIN

Depuis de nouveaux travaux ont conforté cette théorie de l’évolution établissant que c’est dans les gènes qu’interviennent les variations produisant les différences individuelles sur lesquelles s’exerce la sélection naturelle. L’évolution se fait au hasard d’accidents génétiques entrainant des mutations dont certaines permettent l’adaptation à l’environnement.

L’humain n’est pas un animal tout à fait comme les autres ! La raison est constitutive de son humanité. Il dispose de la parole. Le langage est au cœur de toutes les constructions et activités humaines. Il constitue la voie d’accès privilégiée à toutes les créations humaines, qu’il s’agisse des rites religieux, de l’organisation du pouvoir, des mythes, du psychisme, de l’intime, du social … Il existe chez l’homme des pensées, des désirs, des émotions. FREUD parle aussi de pensées qui peuvent échapper à la conscience totalement ou partiellement. L’inconscient psychique est le résultat de conflits enfouis et oubliés, mais toujours actifs. L’humain est un être singulier, sexué, divisé entre pensées consciente et inconsciente, qui parle, crée, rêve, s’inquiète … L’homme n’est pas que biologique. L’homme sait qu’il va mourir et c’est sans doute ce qui le motive à donner un sens à sa vie.

L’humain n’est pas pensable isolément. Le sens ne surgit que de la relation à l’autre. Cette relation à l’autre est constitutive de l’humain. Elle le construit, le façonne et lui permets d’exister. Sa propre subjectivité émerge de tout ce que les autres tissent, par leur existence, leurs discours, leurs désirs, leur présence. Par imitation, échange, opposition, ses connaissances, ses goûts, ses convictions se sont formés et développés en relation avec les autres.
Sa subjectivité est entièrement issue d’une intersubjectivité. L’individu émerge d’un vaste réseau qui existe avant lui, sans lui, hors de lui. Sa singularité résulte du mélange constitué de ces éléments. Humain n’a de sens que sur fond d’exigence éthique, de société et d’histoire. L’intersubjectivité occupe le centre de l’existence et de l’identité humaine. L’individu évolue et se constitue autrement à mesure que bougent les techniques, l’histoire et les sociétés. Il se construit différemment, s’inscrit dans de nouveaux schémas.
Les mutations scientifiques et techniques ont des effets profonds sur l’identité humaine. Le progrès médical a provoqué au XXème siècle un allongement considérable de la vie. Dans le même temps la médecine brouille la définition de la mort. Les enfants qui naissent aujourd’hui ont une espérance de vie de cent ans. La procréation médicalement assistée ne permet pas simplement la naissance d’enfants qui autrement ne seraient pas nés. Elle modifie le désir même d’enfant. Savoir ce qui nous a permis de venir au monde est une question centrale de notre identité subjective. Notre rapport à la santé, à la douleur, au temps, à la mort et à la transmission de la vie, notre manière de nous représenter l’humain et son évolution sont en train de changer. Cela constitue une cassure par rapport à la totalité de l’expérience humaine, ce que Marcel GAUCHET, philosophe, appelle une « rupture anthropologique ».

Les NBIC et le Transhumanisme

• Les nanotechnologies

Un nanomètre est égal à un milliardième de mètre. Il y a le même rapport de taille entre la Terre et une orange qu’entre une orange et une nanoparticule. La physique quantique est la science qui explique le monde de l’infiniment petit, à l’échelle atomique.
Il est devenu possible de déplacer les atomes un par un. A partir de nano objets, les physiciens font évoluer la nanoélectronique, l’électromagnétisme et l’optique.
La nanotechnologie est déjà à l’œuvre dans beaucoup de secteurs qui touchent à la vie quotidienne, depuis les cosmétiques jusqu’à internet en passant par la carte de fidélité des firmes de la grande distribution. Autant de moyens de nous situer, de nous pister, de connaître nos centres d’intérêt, nos achats, notre consommation etc…
Les nanotechnologies permettent de manipuler la matière et de construire de nouvelles structures à l’échelle du nanomètre c’est-à-dire la taille de quelques atomes. Elles ouvrent la voie à la fabrication de matériaux nouveaux mais aussi à des applications biologiques, médicales et pharmaceutiques, notamment à travers des implants artificiels dans le corps humain.

• Le monde numérique

Du milieu du XXème siècle au début du XXIème nous avons basculé dans un autre monde. L’informatique est partout. Le monde entier en porte la marque dans les moindres aspects du quotidien et dans le développement des sciences et des techniques. Plus personne ne peut s’y soustraire. L’industrie informatique pèse 29% du PIB de la planète soit pratiquement le tiers des activités économiques mondiales. Chaque année la capacité numérique générale augmente de 28%.
En 2010 en Europe il y a 362 millions d’internautes qui passent en moyenne plus de 24h par mois en ligne dont un quart sur les réseaux sociaux. 47% des internautes ont moins de 35 ans. Domination des réseaux sociaux et chute du trafic des mails, accroissement de la vidéo en ligne et passage de l’internet fixe à l’internet mobile sont les tendances lourdes actuellement constatées.
Cette technique dont les usagers s’emparent, et qui les transforme, mais qu’ils modifient en retour, alimente les interactions entre sciences et société.


Les technologies de l’information et de la communication (les TIC) permettent d’organiser la communication entre des nano puces, c’est-à-dire la création de processeurs miniaturisés à l’échelle micrométrique et des systèmes informatiques situés dans leur environnement.
Le monde numérique va-t-il contribuer au bien être de l’humanité ou au contraire la mène-t-il à sa perte ?

• La biologie de synthèse

La biologie de synthèse nous laisse entrevoir que l’humain est sur le point de fabriquer des formes de vie nouvelles. Le 20 mai 2010 le biologiste américain Craig VENTER a annoncé la naissance de la première cellule artificielle, première créature vivante synthétique au génome entièrement fabriqué par l’homme. Même si ce génome n’était que la copie d’un chromosome naturel cet exploit n’est pas négligeable. Cette découverte va déboucher sur une nouvelle industrie pouvant produire des OGM aux propriétés inédites, des médicaments, des biocarburants fabriqués à partir de micro algues pourvues d’un génome artificiel. A terme au lieu de transplanter des organes on devrait pouvoir les faire pousser directement dans le corps, les reconstituer du dedans.
La biologie peut agir dans deux directions : la reprogrammation cellulaire c’est-à-dire parvenir à transformer les capacités des cellules et la génomique c’est-à-dire introduire dans l’ADN de nouvelles séquences pour produire des organismes aux propriétés nouvelles.


La reprogrammation cellulaire permet d’envisager la transformation de cellules malades en cellules saines mais aussi de cellules âgées en cellules jeunes. Une fois les maladies vaincues rien ne s’opposerait à l’allongement de la vie humaine.
La frontière entre le vivant et le non-vivant s’estompe. Sommes-nous vraiment que des assemblages de matériaux inertes ? Les biotechnologies peuvent elles changer l’humain ? Intervenir directement sur le vivant, modifier l’homme dans sa nature biologique, le faire passer à une autre espèce plus développée ou moins développée, plus évoluée ou moins évoluée est-ce envisageable ?
Les enjeux de la biologie de synthèse sont trop importants pour être laissés à la seule appréciation des scientifiques même au sein de groupes pluridisciplinaires. L’intervention de penseurs humanistes et philosophes ainsi que le contrôle citoyen démocratique sont indispensables.

• Sciences cognitives et neurosciences

Grâce aux progrès vertigineux de l’imagerie cérébrale par résonnance magnétique (IRM) les neurosciences se déploient à grande vitesse. Comprendre comment nous recevons les données de l’extérieur, voir en temps réel sur un écran comment le cerveau fonctionne de l’intérieur, c’est l’objet de recherches en neurosciences.


De nombreuses expériences montrent que l’impulsion du mouvement pour exécuter une action précède systématiquement la conscience que le sujet a de passer à l’action. Peut-on trancher expérimentalement des questions comme celles du libre arbitre, des relations entre corps et esprit, de la nature de la conscience ? Que sommes-nous ? Sommes-nous essentiellement en tant qu’être humain, les 1500 cm3 de matière cérébrale contenue dans notre boite crânienne ?
Les explorations du cerveau sont influencées et influencent à leur tour les représentations que nous nous faisons de l’homme. Sur des milliards de neurones reliés par quelque 60 milliards de synapses, les plus fines études ne repèrent encore que des phénomènes lacunaires.
Les derniers travaux mettent l’accent sur l’importance de l’épigénèse qui englobe tous les mécanismes qui se superposent à l’action des gènes. Le cerveau d’un individu est modelé à la fois par sa croissance biologique et par ses interactions avec son environnement.


Selon David CHALMERS (cognitiviste cité dans « HUMAIN » de M. Atlan & R.P. Droit) les avancées des neurosciences ne proposent jusqu’à présent aucune méthode pour résoudre le problème de la conscience. Le vrai défi de la conscience est celui du problème corps-esprit, celui des débuts de la philosophie. Comment expliquer la présence de notre expérience intérieure subjective ? Entre ce qui s’observe dans nos circuits cérébraux et ce que nous éprouvons, comment faire le lien ? Soit on considère que le cerveau peut produire la conscience, perspective matérialiste qui attribue à la matière cérébrale la capacité de générer les états mentaux, c’est globalement la perspective des neuroscientifiques. Soit la conscience reste une singularité irréductible à toutes les explications qu’on s’efforce de fournir, ce qui mène à soutenir qu’il existe une réalité de la conscience indépendante de ce que les neurosciences mettent en lumière. Cette dernière position est celle que soutient David CHALMERS qui dit y avoir été conduit par l’examen rigoureux de l’insuffisance des arguments opposés.

• Le Transhumanisme

Julian HUXLEY, premier directeur général de l’UNESCO, est le créateur du mot « transhumanisme ». Il avait une croyance dans les capacités bienfaitrices du progrès des sciences qui pousseraient vers le dépassement des limites de l’humanité actuelle. Certains transhumanistes vont jusqu’à parler de « posthumanisme ». Avant de devenir des « post » nous serions des « Trans » œuvrant à la grande mutation.

Ray KURZWEIL, ingénieur et businessman, que Bill GATES considère comme « la personne la plus douée qu’il connaisse en matière d’anticipation de l’avenir de l’intelligence artificielle », estime que l’existence humaine ne dépend pas d’un corps biologique. Quitter le corps ne signifierait pas quitter l’humanité. Ainsi il prévoit de vaincre la mort en transférant son cerveau sur une machine. Il décrit une ultime évolution de l’univers où tout deviendrait intelligence. Il pense que nous aurons un jour des créatures artificielles plus intelligentes que les êtres humains. C’est ce qu’il appelle l’avènement de la « singularité ». La question qui se pose est de savoir si ces créatures seront conscientes ou simplement intelligentes. L’intelligence artificielle sera-telle toujours amicale ? Certains craignent qu’un jour elle se retourne contre les humains et soit à l’origine de la disparition de l’humanité.

Antonio DAMASIO, neurobiologiste, Université de Californie du Sud, estime que la science est en train de remplacer la philosophie par des études expérimentales, de substituer à des discussions sans fin des vérités rigoureusement établies. Pour lui nous sommes déterminés par nos gênes. Le développement in utéro fait que dans le tout début de la vie on en sait déjà beaucoup. Puis vient ensuite l’influence de la parenté et de la culture. Nous sommes déterminés par toutes ces influences.
Nous savons maintenant que nos neurones peuvent se régénérer. La mise en lumière de la neurogénèse permet de comprendre que le cerveau adulte a la possibilité de s’adapter aux changements qui surviennent au cours de la vie. Si notre cerveau peut se régénérer indéfiniment n’est-ce pas à terme une remise en question de notre finitude ?
Depuis toujours perception, mémoire, intelligence, calcul, langage, conscience, identité sont des domaines privilégiés de réflexion pour les philosophes. Si la science du cerveau parvenait à expliquer la conscience sous toutes ses formes, tout serait élucidé et la philosophie dissoute, c’est la thèse d’Antonio DAMASIO (cité dans « HUMAIN » de M. Atlan & R.P. Droit).

Autour du cerveau et des enjeux de son exploration ce sont des affrontements philosophiques qui se déroulent et qui engagent des représentations de l’humain et de ses relations à la nature.
Qu’il y ait une relation étroite entre notre cerveau et nos pensées, personne n’en doute. Mais qu’il s’agisse d’un lien de causalité, de production cela n’est nullement établi. Les avancées scientifiques de la neurobiologie ne risquent-elles pas de négliger d’autres conceptions de l’humain, de l’esprit, du sens, d’autres représentations mentales du réel que celles induites par l’imagerie ?

Sciences, techniques et progrès de l’humanité

Pourquoi la technique, au lieu d’être en harmonie avec ce qui l’entoure, est-elle devenue perturbatrice, voire dangereuse ?
Le mouvement transhumaniste voit l’être humain accéder à un stade supérieur de son évolution grâce aux technosciences. Il promeut l’avènement d’un surhomme technologique soustrait à tout ancrage naturel. Il prétend défendre un modèle d’amélioration de l’être humain qui se veut en continuité avec celui promu par le siècle des Lumières. Mais le sociologue, Nicolas Le DEVEDEC dans la revue Esprit de novembre 2015, démontre que le transhumanisme a une conception de l’émancipation humaine étroitement technoscientifique, biocentrée et individualiste. Jamais il n’est question d’apporter une réponse sociale et politique aux problèmes sociaux qui se présentent. L’amélioration de l’individu et de ses performances physiques, intellectuelles et émotionnelles n’est envisagée que sous l’angle technoscientifique. Cette quête biotechnologique de l’amélioration et de l’augmentation de l’humain occulte la dimension sociale du combat des Lumières pour l’institution d’une société plus juste.

En biologie le clivage entre vivant et non vivant devient problématique. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, la différence entre machine et conscience se brouille. Dans le monde numérique, où par définition on ignore les frontières, la prétention est de les abolir. Le rêve est de s’affranchir des limites du corps, du temps, de l’espace, nous nous efforçons d’augmenter indéfiniment nos capacités productives, notre confort de vie. Mais une conscience aigüe des limites émerge comme l’autre face de notre présent et révèle une tension entre le désir d’illimité et la conscience des limites.

Sur les mutations en cours, quel est notre pouvoir d’agir ? Qu’est-ce qui nous incombe ? Sur quelle image de l’humain, de sa dignité, de ses capacités pouvons-nous guider nos choix ? Quelles représentations de la science, de la technique et de l’avenir sous-tendent et mobilisent ces réflexions ? Comment ne pas oublier que l’être humain est un individu qui vit en société et que le sort de chacun est lié au sort de tous ? L’humain n’est pas pensable isolément. Le sens ne surgit que de la relation à l’autre. Cette relation à l’autre est constitutive de l’humain. Elle le construit, le façonne et lui permets d’exister. Sa propre subjectivité émerge de tout ce que les autres tissent, par leur existence, leurs discours, leurs désirs, leur présence. Par imitation, échange, opposition, ses connaissances, ses goûts, ses convictions se sont formés et développés en relation avec les autres. Sa subjectivité est entièrement issue d’une intersubjectivité. L’individu émerge d’un vaste réseau qui existe avant lui, sans lui, hors de lui. Sa singularité résulte du mélange constitué de ces éléments. L’humain n’a de sens que sur fond d’exigence éthique, de société et d’histoire. L’intersubjectivité occupe le centre de l’existence et de l’identité humaine. L’individu évolue et se constitue autrement à mesure que bougent les techniques, l’histoire et les sociétés. Il se construit différemment, s’inscrit dans de nouveaux schémas.

Longtemps nous avons cru avec le siècle des lumières que la responsabilité des humains était de faire progresser les savoirs, perfectionner les techniques, et ainsi permettre à l’humanité de gagner sa liberté sur terre. Mais l’histoire du XXème siècle a prouvé que sciences et techniques, loin de rendre les humains meilleurs, pouvaient leur permettre de tuer plus. Les progrès des sciences et les raffinements de la culture ne constituent en rien des digues contre la barbarie.

Pour certains philosophes la technique est autonome et échappe à ses créateurs. Le monde de la technique moderne vide la réalité de toute épaisseur, déshumanise le quotidien, ravale l’existence au statut de marchandise. Hannah ARENDT dans « la condition de l’homme moderne » développe l’idée que le travail dans la société moderne, conditionnée par la technique, transforme profondément le rapport des êtres humains à leur propre vie. Notre responsabilité est de contrôler le pouvoir de nuire de la technique. Sa puissance est devenue telle qu’une catastrophe pourrait mettre un terme à l’humanité.

Face à ce catastrophisme d’autres philosophes mettent l’accent sur la continuité de la technique et la vie. Georges CANGUILHEM, philosophe des sciences, plutôt que d’opposer la technique et la vie, propose de concevoir la technique comme un fait de la vie, son véritable prolongement, sa manière de construire sa relation avec ce qui l’entoure, et ce dans un processus dynamique. Gilbert SIMONDON, philosophe contemporain, s’est efforcé de réhabiliter la technique comme une réalité humaine, une composante de la culture. Il ne s’agit plus d’attendre de la technique l’émancipation de l’humanité, pas plus que de craindre sa déshumanisation ou son anéantissement. Nous sommes responsables de notre compréhension de ce que signifie la réalité humaine de la technique. Avec les nouvelles possibilités de manipulation du vivant, de réorganisation de l’ADN, cette analyse se révèle d’une actualité brulante.

Selon Jürgen HABERMAS, philosophe allemand contemporain le risque principal est celui d’un nouvel eugénisme, c’est-à-dire d’une tentative volontaire d’amélioration de l’espèce humaine. Comment faire le tri entre une technique scientifique constituant un progrès légitime et une technique qui menacerait la nature humaine dans son essence biologique ? Comment préserver la nature humaine ?


Laissons la parole à Jürgen HABERMAS.
« Les hommes sont des êtres sociaux qui ne peuvent exister qu’inscrits dans des formes culturelles de vie, et ces formes n’apparaissent qu’au pluriel. Dès le commencement, notre espèce est impliquée dans un processus de développement culturel qui n’a cessé de s’accélérer. Par le biais des progrès techniques cette « seconde » nature empiète sur notre constitution organique. ….
La technologie a servi d’abord à améliorer nos organes.
Dans cette perspective, on peut être tenté de tenir également pour tout à fait « naturelle » la nanopuce qu’il faudra un jour implanter dans le cerveau afin d’améliorer sa fonction de mémoire. …
Tant que les interventions chirurgicales restaurent une fonction organique endommagée, nous considérons qu’elles sont inoffensives. ….
Mais, au bout de la chaîne, nous atteignons une zone grise où la limite entre interventions chirurgicales à caractère thérapeutique et interventions chirurgicales visant une amélioration devient floue. …
Il est difficile pour les profanes d’apprécier jusqu’où, au juste, on peut aller dans le développement des technologies permettant une « amélioration » de l’organisme humain. Parce que tout cela a lieu en dehors de toute publicité, au sein d’entreprises privées. Le véritable scandale réside dans la naïveté, qui consiste, en accord avec la recherche et l’industrie, à partir du principe que les améliorations eugéniques seraient souhaitables par elles-mêmes. …
Nous ne devons pas abandonner les cas les plus évidents « d’augmentation de l’humain », que nous pouvons anticiper aujourd’hui, à la loi du marché. La problématique morale et juridique de ce développement exige une régulation politique. Le véritable défi n’est pas la nouveauté du problème, mais surtout la croissance rapide des développements technologiques commandés par le capital. Ils sont tellement importants qu’une politique volontariste, réactive, doit s’en occuper à temps. Comme d’autres développements à risques, ceux-ci exigent une évaluation morale des suites techniques envisageables, probables. Étant donné que cette estimation ne saurait être abandonnée aux soi-disant experts, c’est finalement une affaire qui relève de la formation de la volonté démocratique – à condition que règne le pluralisme idéologique. …
Dans les conceptions abstruses de l’homme de certains « technofreaks » – adeptes fous de la technologie -, les conditions préalables pour une vie en commun ne sont plus satisfaites, je veux dire pour une vie en commun qui pourrait être soumise à une évaluation morale. C’est pour cela que j’ai introduit le concept « d’éthique de l’espèce humaine », qui permet d’évaluer si demeurent réunies les conditions pour un mode de vie en commun, qui soit encore sensible aux questions de justice en général. »


Préserver les conditions d’une vie éthique collective et démocratique, d’une pensée de la dignité de l’humain, d’une résistance à la prolifération des techniques sous la pression du marché c’est le souci constant de Jürgen HABERMAS, convaincu que nous pouvons demeurer responsables des techniques sans être submergés par elles.

Jean-Claude MILNER, linguiste et philosophe contemporain, contrairement à ceux qui considèrent qu’il n’existe qu’un seul vaste ensemble fusionnant sciences et techniques dans la technoscience, maintient la distinction. La technique n’est pas la science, elle peut devenir de la marchandise, la science pas nécessairement. Pour le philosophe c’est l’usage capitaliste des techniques, leur rentabilisation immédiate dans la recherche du profit qui favorisent et introduisent ces mutations accélérées. La technique est rendue dangereuse par sa prolifération marchande incontrôlée.

Toutes les cultures et toutes les philosophies s’accordent sur le fait que ce qui définit l’homme, c’est qu’il ne se produit pas en série. Il n’est ni « sérialisable » ni « sérialisé ». Un individu humain ne peut jamais être un autre, l’un n’est pas substituable à l’autre. Si le clonage humain est possible cela introduit la sérialisation et le substituable. L’éventualité d’une marchandisation des biotechnologies devient d’autant plus forte que le règne de la biologie a désormais succédé à celui de la physique. Pour MILNER il y a une responsabilité générale qui concerne tout le monde, celle de résister à la mise en série par la pression du système marchand qui est pour lui in-distinguable aujourd’hui du système technique.

Finalement les travaux scientifiques nous racontent des histoires de toujours : ne plus souffrir, cesser d’être malade, demeurer durablement jeune, ne pas mourir… Le propre de l’humain est de tisser des histoires, construire des récits. Pas d’humain sans mythes, fables, récits, narrations, autant de manières d’assembler les évènements, de leur donner sens, d’avoir prise sur le monde. C’était vrai dans les huttes de feuillage ou dans les cabanes de pierres sèches, c’est toujours vrai au sein des sciences. Découvrir, pour les scientifiques, c’est aussi raconter une histoire. Nous vivons dans un monde d’innovations permanentes et nos représentations se transforment plus vite que les humains. Certains revivifiés par les nouvelles technologies prolongent le vieux mythe de « l’homme nouveau ». En finir avec l’humain, le transcender, passer à autre chose. Comme au XXème siècle cette histoire d’homme nouveau a provoqué les plus grands amoncellements de cadavres humains, nous avons toutes les raisons d’être méfiants.

La bioéthique est un pont entre les sciences de la vie et les valeurs humanistes.
La confiance aveugle envers les sciences et les techniques est une erreur, la défiance systématique en est une autre. La technologie n’est pas, dans son essence, radicalement différente des outils les plus simples. Un marteau peut servir à assembler des planches ou à défoncer des crânes. Dans un cas comme dans l’autre il n’est en rien responsable, seuls le sont ses utilisateurs. Ce n’est pas la technique qui est en soit bénéfique ou maléfique, mais les usages qu’on choisit d’en faire.

La complexité des technologies actuelles n’est pas comparable à un marteau. Leurs usages ne sont pas simplement individuels et le choix lui-même se complexifie. Ce choix ne doit pas être une affaire de spécialistes mais être ouvert à un large public. La bioéthique est l’affaire de tous. Nous devons rester vigilants quant aux possibles dérives, aux possibles mauvais usages des découvertes scientifiques. Aidons le plus grand nombre à comprendre, à avoir accès aux connaissances, pour que chacun ait les moyens d’un jugement approprié. L’ignorance laisse à un petit nombre la responsabilité des choix qui peuvent être sujet à toutes les influences et notamment à la pression économique dès lors que les découvertes qui ont des applications à grande échelle, laissent entrevoir une rentabilité financière. Gardons un œil critique sur les conséquences sociales et les dérives possibles de la recherche et ses applications. Veillons à faire participer la société au débat sur les orientations de la recherche en biologie et ses applications.

L’interdépendance des différentes espèces au sein d’un écosystème n’est plus à démontrer. Les activités humaines détruisent des équilibres naturels, produisent des gaz à effet de serre, provoquent le réchauffement climatique, épuisent les stocks d’énergie que l’on sait limités. L’idée que l’humain peut détruire le monde terrestre et ainsi se détruire lui-même émerge et pose le problème des limites de l’activité humaine et de sa responsabilité vis-à-vis de la nature. L’humain n’est pas la seule source des valeurs, il est une partie d’un tout qui a la particularité d’être responsable de la conservation de ce tout. Les partisans de « l’éthique de la terre » nous font prendre conscience de nos limites et nous obligent à développer un humanisme différent, un humanisme de la diversité et de l’altérité.

Corinne PELUCHON, philosophe, nous propose de retenir la continuité fondamentale de la nature, des animaux et des humains mais en ne perdant pas la spécificité et la responsabilité humaines. Le point de vue humain sur le non-humain peut évoluer, prendre en compte l’écosystème. Il peut aller de l’instrumentalisation au respect, de l’indifférence à la reconnaissance. Il n’en demeure pas moins le point de vue humain.

Aujourd’hui c’est la définition même de l’humain qui est mise en cause, ce qui explique la difficulté qu’il a de se définir, de s’identifier. Nous assistons à la naissance de ce que l’on peut appeler le « posthumain », ou le « transhumain », issu d’une science et d’une technique qui ignorent la morale, effacent la limite entre le permis et l’interdit, n’ont pas à se poser la question du Bien et du Mal. …
« Demain avec les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) que restera-t-il de l’humain originel avec ses pulsions, ses désirs, ses fourvoiements ?

Nous devons prendre la mesure du bouleversement en cours, peut-être le plus important de l’histoire de l’humanité, puisqu’il touche à ce qui fait de l’homme et de la femme, des êtres humains, penser cette mutation anthropologique et entreprendre avec ces nouveaux outils l’édification de l’avenir de l’humanité.

Plus que jamais, avec sens des responsabilités et sagesse, l’homme a besoin des principes éthiques des Lumières pour mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité et non l’inverse.

Références bibliographiques

« La mort de la mort – comment la techno médecine va bouleverser l’humanité » – Dr Laurent ALEXANDRE – JC Lattès
« Humain – une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies » – Monique ATLAN et Roger-Pol DROIT – Flammarion
« L’avenir de la nature humaine » – Jürgen HABERMAS – tel Gallimard
« La condition de l’homme moderne » – Hannah Arendt – Agora Pocket
« La technologie et la science comme idéologie » – Jürgen HABERMAS – NRF Gallimard
« Habermas, dernier philosophe » dans Revue Esprit Août-septembre 2015
« Retour vers le futur transhumaniste » de Nicolas LE DEVEDEC dans Revue Esprit novembre 2015

Ça n’a rien à voir avec l’Islam ?

introduction

Combien de fois n’avons-nous pas entendu ou lu cette expression suivie d’un point d’exclamation dans la bouche de journalistes ou d’hommes politiques ?

L’intention est louable. Il s’agit de briser l’équation simpliste : islam = islamisme = terrorisme. Il s’agit de prévenir « l’amalgame ». Éviter les stigmatisations et les violences qu’elles peuvent déclencher.
Pour viser la paix sociale, affirmer que les djihadistes n’ont rien à voir avec l’Islam c’est considérer que le monde musulman n’est pas concerné par les fanatiques qui se réclament du Coran. C’est suggérer que les djihadistes n’ont aucun lien avec l’islamisme qui n’a lui-même aucun rapport avec l’islam.
Ces prises de position présentent deux inconvénients comme le souligne Jean BIRNBAUM, journaliste au « Monde » dans son livre « un silence religieux » publié au seuil.
D’une part il occulte la diversité du monde musulman qui n’est pas un. D’autre part il prend à revers tous les musulmans qui opposent la quête spirituelle à la violence. Selon l’islamologue Christian JAMBET l’islam se présente comme la religion du Livre qui parachêve le judaîsme et le christianisme. Mais la question est de savoir comment on envisage le Livre, comme un texte qui appelle une interprétation symbolique ou comme une collection de commandements à respecter à la lettre ?
Pour lutter contre le racisme, les préjugés, écarter les amalgames, objectifs sur lesquels nous ne pouvons qu’être d’accord, plutôt que de marteler l’idée selon laquelle « l’islam n’a rien à voir » avec les terroristes, admettons que le djihadisme constitue la manifestation la plus sanglante d’une conception de l’islam, son instrumentalisation politique, et son utilisation à des fins idéologiques et étatiques.
Voyons dans un premier temps ce que contient le coran sur lequel s’appuient les plus radicaux.
Puis je rappellerai que les autres religions ont eu aussi et peuvent avoir encore leurs intégristes.
En suivant, je citerai quelques intellectuels de culture musulmanne partisans d’un islam des lumières qui veulent moderniser l’islam.
Nous verrons ensuite les valeurs fondamentales de la république qui ne sont pas négociables. A titre d’exemple nous évoquerons les accomodements raisonnables au Québec qui ne font que mener dans l’impasse.
Pour terminer nous verrons l’importance fondamentale de la laïcité pour faire face à la situation avec un appendice sur le voile qui est l’objet de tant de controverses.

  • Que contient le coran ?

L’islam s’appuie sur le coran
Il y a dans le Coran des sourates qui invitent à la guerre, au massacre et à l’égorgement des infidèles. Mahomet lui-même a été un chef de guerre qui allait personnellement au combat. Les textes qui décrivent les faits et gestes du prophète nous donnent des informations : le prophète égorge, tranche des têtes , ordonne des exécutions. Ses propos sont raportés : « Sachez que le paradis est sous l’ombre des épées ».
Michel ONFRAY, dans son livre « penser l’islam » publié chez Grasset, cite ces textes du Coran qu’il dit avoir lu crayon à la main. Voici quelques citations.
Sur les incrédules :
« Exterminez les incrédules jusqu’au dernier »
«Ce n’est pas vous qui les avez tués, mais Dieu qui les a tués »
« Combattez les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition »

Sur l’antisémitisme :
« Les juifs s’efforcent de corrompre la terre »
« C’est un peuple criminel »
« Tout juif qui vous tombe sous la main, tuez le »

Sur les polythéistes :
« tuez les polythéistes partout où vous les trouverez »

Sur la misogynie :
« Les femmes ont des droits équivalents à leurs obligations, et conformémént à l’usage. Les hommes ont cependant une prééminence sur elles – Dieu est puissant et juste »
Les hommes ont autorité sur les femmes, en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé sur elles »
« Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité »

Sur le mariage ;
« la famille décide pour elle »
Sur l’homophobie :
L’homosexuel est la figure de l’abomination »

Il y a donc des textes belliqueux cela ne fait aucun doute.
Mais il y a aussi des textes pacifiques et des messages non bellicistes. La contradiction est dans le texte.

  • Les autres religions

Il y avait dans le nouveau testament les mêmes contradictions. Pendant plus de mille ans, loin d’une vision de paix, de tolérence, d’amour, l’Eglise, le vatican, les croisades, l’Inquisition, les génécides des amérindiens se sont appuyés sur le Jésus en colère. Que n’a-t-on pas tué au nom de Dieu ?
L’Eglise a longtemps fait et défait les puissants de l’occident. La papauté avait un programme politique. Depuis la révolution française jusque 1905 c’est une longue bataille qui est livrée pour se libérer de l’lingérence de l’Eglise sur la vie politique. La gestion des cimetières, le droit à des funérailles civiles, l’état civil, le droit de divorcer, l’instruction publique, la laïcisation de l’hôpital, la suppression des prières publiques à l’ouverture des cessions parlementaires, le financement des cultes, etc…. la liste n’est évidemment pas exhaustive ! Pour résumer rappelons la phrase de Victor Hugo : « L’Eglise chez elle et l’Etat chez lui ! ». Déjà à l’époque ce qui était en jeu c’était la domination des consciences. À partir du XXe siècle, malgré quelques soubresauts, l’Eglise a du peu à peu abandonner son pouvoir temporel. Mais toutes les occasions sont bonnes pour tenter des retours en arrière notamment sur l’école privée confessionnelle.

Le judaïsme, bien que non prosélyte et ayant subi des violentes persécutions durant vingt siècles n’a pas échappé à ces questionnements. Les ultrats ortodoxes juifs occupent des quartiers entiers de Jérusalem, absorbés dans la lecture incessante de la Torah, interdisant à leurs enfants toute autre étude, séparant les femmes des hommes dans les transports publics. Dans plusieurs avions de la compagnie israêlienne des passagers ont demandé à être séparés des femmes, qui sont un danger pour l’âme. Devant le refus du commandant de bord ils sont restés debout dans les couloirs, en chantant des psaumes.
Si aujourd’hui certains justifient l’existence de l’État d’Israël par une promesse divine, ils empêchent l’établissement d’une paix future avec les pays arabes qui, eux aussi, en appellent à Dieu pour expliquer guerres et attentats meurtriers.
Toutes les religions ont leurs fondamentalistes et aucune n’échappe à des dérives intégristes.
Dans tous les cas la séparation du spirituel et du temporel est ce qui permet d’en sortir.

  • Moderniser l’islam

Mais cette séparation ne semble pas prendre pour l’instant au niveau de l’islam.
Et pourtant cette idée de séparation accompagne toute l’histoire de l’Islam. Nabil MOULINE, historien et politologue, chercheur au CNRS, dans son ouvrage intitulé : « le Califat », histoire politique de l’Islam, nous décrit comment la recherche de l’unité de l’Oumma (communauté des musulmans) est jalonnée de luttes entre pouvoirs politiques et tenants de l’orthodoxie religieuse, chacun voulant s’appuyer sur l’autre et vice versa mais toujours pour s’assurer la domination du monde arabo-musulman, le califat étant la symbiose des deux.
Au XIXème siècle des intellectuels musulmans commencent à plaider pour une modernisation de l’Islam et influencés par les démocraties occidentales poussent à une séparation du politique et du religieux.
Leur analyse est la suivante :
Dès la disparition du fondateur de l’Islam, une monarchie s’installe. Le califat est une institution humaine. Son titulaire n’est pas le chef religieux de la communauté mais un leader politique dont le pouvoir repose sur la force militaire, ce qui fait de lui un tyran. Donc les musulmans n’ont pas à regretter la chute de régimes autoritaires qui n’ont rien à voir avec l’Islam.
Dans son livre « Le retour du califat » publié chez Gallimard, Mathieu GUIDER, professeur des universtés et agrégé d’arabe énumère les différents califats qui se sont succédés depuis la mort du prophète pour aboutir finalement à l’état Islamique en Irak et au Levant, Daech en arabe.
Aujourd’hui de nombreux intellectuels de culture musulmane s’investissent dans la modernisation de l’Islam. Quelques exemples !
Malek CHEBEl, Anthropologue des religions et philosophe algérien a écrit un « Manifeste pour un islam de lumières », 27 propositions pour réformer l’islam. Il rappelle que l’islam est pluriel, et qu’il est aussi vivant. Il rappelle que dans le passé, l’islam a été novateur dans bien des aspects de la vie.
Rachid BENZINE, islamologue politologue et enseignant franco-marocain, est une des figures de proue de l’Islam libéral francophone. Il plaide pour humaniser les croyances et inscrire l’islam dans le temps des hommes. En 2004, il a publié « Les Nouveaux Penseurs de l’Islam », dans lequel il présente des intellectuels musulmans qui préconisent une relecture du Coran à l’aune des sciences humaines.
Abdelwahab MEDDEB, écrivain et poète tunisien, a écrit trois ouvrages dénonçant l’islamisme et appelant à une réforme radicale de l’islam, plus exactement du Coran et de son exégèse.
Adonis, poète syrien, estime que les Européens ont réussi à s’adapter à la modernité. Il faut séparer l’islam de l’État et aider les Arabes à rompre avec leur passé et l’obscurantisme. Si on est d’accord sur le principe de laïcité, on peut changer beaucoup de choses. La foi est comme l’amour, elle relève de l’expérience personnelle. La France est le pays des droits de l’homme, de Descartes et de Baudelaire, et elle doit aider à refonder la société laïque arabe, à promouvoir la liberté, la création, l’ouverture vers l’autre.
Abdel SAMAD, politologue germano égyptien, ancien membre des « frères musulmans » repenti devenu athée, estime que l’Occident a intérêt à soutenir les forces laïques et démocratiques dans le monde musulman. Et en Egypte, il faut encourager la critique de l’islam au lieu de la réprimer sous prétexte de discours de haine. En apaisant les islamistes et en accommodant leurs demandes obscurantistes dans nos institutions, on ne fait que retarder un processus qui serait salutaire pour les musulmans eux-mêmes, et pour l’humanité. Selon cet auteur il est impossible pour le monde islamique de progresser et d’innover avant qu’il ne se libère de ses démons, de ses complexes, de ses interdits et avant qu’il ne transforme l’islam en religion purement spirituelle invitant ses adeptes à une relation personnelle avec le créateur sans interférence de la part de quiconque fusse un prophète, un individu, une institution ou une mafia religieuse dans sa pratique de la religion ou dans sa vie quotidienne.

Salman RUSHDIE, écrivain, auteur des « Versets sataniques » dans un entretien publié par « Marianne » le 16 décembre 2012, à propos de l’islamophobie dit « qu’on assiste depuis quelques années à des tentatives répétées de musulmans pour éviter toute discussion, toute critique de l’islam, en les qualifiant d’«islamophobie». Il est vrai que se développent en Europe des mouvements d’extrême droite qui s’en prennent aux minorités. Ce n’est évidemment pas acceptable, mais ce n’est pas la même chose de défendre des individus et de défendre leurs idées en interdisant de les discuter. L’islam n’est pas une race et l’idéologie n’est pas une catégorie éthnique. »

Accordons plus de place à ces idées de modernisation de l’islam en mettant en avant ces intellectuels de culture musulmane qui ne sont pas moins représentatifs que les fous de dieu ou ces « associations de lutte contre l’islamophobie » qui sont plus actifs à dénoncer les défenseurs de la laïcité qu’à condamner les terroristes islamistes.

  • Regardons les choses en face

Déjà après les attentats du 11 septembre, le philosophe Jacques DERIDA appelait à tout faire pour que dans le monde arabo musulman ne prédominent pas les courants qui poussent au fanatisme, à l’obscurantisme, au mépris cruel des droits de l’homme et de la démocratie, au non respect de la vie. Il faut aider ceux qui luttent dans ce sens de l’intérieur.

Nous ne devons pas, comme le dit Elisabeth BADINTER, avoir peur d’être traité d’islamophobe en défendant la laïcité. Pas plus d’être assimilé à l’extrême droite. Ne nous laissons pas intoxiquer par les arguments des défenseurs des intégristes.
Nous avons le droit et même le devoir d’avoir vis-à-vis de l’islam les mêmes exigences que vis-à-vis des autres confessions c’est-à-dire :
• la séparation du religieux et de l’Etat, le respect de la liberté de conscience,
• la primauté de la démocratie sur la théocratie donc de la loi répubilcaine sur la loi religieuse ,
• le respect des droits de l’homme
• l’égalité homme femme.
C’est aux musulmans de faire évoluer l’Islam mais, en revanche c’est aux républicains de s’assurer que la pratique des cultes et leur organisation respectent les principes de la République.
Nous devons empêcher que le religieux revienne en force, car c’est le religieux fondamentaliste qui est incompatible avec la démocratie, lorsqu’il prétend se substituer à la loi commune.
Ce n’est pas en abandonnant ou en renonçant aux principes fondateurs de notre République que l’on aidera les musulmans en désarroi à se soumettre à la loi commune.

  • Les accommodements raisonnables

Certains plaident pour plus de compréhension et de bienveillance et souhaitent trouver des compromis avec les revendications identitaires.
Dans ce domaine l’exemple du Quebec est édifiant. L’écrivain et essayiste d’origine algérienne Djemila Benhabib*, qui vit au Québec, décrypte ce pays, où l’Etat semble s’enliser dans la logique des « accommodements raisonnables ».
Port d’un casque à l’école maternelle exigée par les parents pour que leur enfant n’entende pas la mécréante mélopée d’une comptine pour enfants ou l’impureté d’un morceau de flûte à bec.

A propos d’un différent sur le port du Kirpan à l’école – un poignard considéré comme un symbole religieux par les tenants de l’orthodoxie sikhe – à l’école, Les juges ont estimé que l’interdiction absolue n’était ni logique ni raisonnable. «La prohibition totale de porter le kirpan à l’école dévalorise ce symbole religieux et envoie aux élèves le message que certaines pratiques religieuses ne méritent pas la même protection que d’autres.
Dans une recommandation écrite datant de 2007, classée comme «fiche culturelle», le service de police de la Ville de Montréal conseille par exemple à ses policières de faire appel à leurs collègues de patrouille de sexe masculin lors d’interventions dans la communauté juive hassidique.
L’accommodement qui a fait couler le plus d’encre récemment concerne Zunera Ishaq. Arrivée au Canada en 2008, cette pakistanaise de 29 ans contestait un décret ministériel qui imposait aux femmes de se présenter à visage découvert à la cérémonie d’assermentation pour l’obtention de la citoyenneté. Face à l’offensive de la jeune Pakistanaise, le décret ministériel a été invalidé. C’est finalement le 9 octobre 2015 qu’elle est devenue canadienne… le visage couvert, son mari à ses côtés, vêtu d’un costume gris rayé et filmant la scène. C’est une Victoire symbolique typique du «djihad juridique» dans lequel se sont lancés les islamistes.
Pris à son propre piège, l’État s’est enlisé dans la logique des particularismes religieux. Mais comment distinguer une religion de l’intégrisme religieux, d’une secte ou encore d’une croyance marginale ? C’est là le principal reproche à l’égard des accommodements qu’a formulé l’ancienne juge de la Cour suprême, Claire L’Heureux-Dubé. Une fois à la retraite, cette inconditionnelle de la laïcité et de l’égalité a estimé que «les raisonnements juridiques ont ouvert la porte à des accommodements déraisonnables»
Dans le monde anglo-saxon enlisé dans le communautarisme certains vont jusqu’à envisager l’instauration de tribunaux islamiques respectant la charia pour la communauté musulmane.

  • La seule solution : la laïcité

La loi de 1905 dans son article 1 indique que « la république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.» Dans son article deux « la République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Déjà à l’époque il s’agissait de combattre l’intolérence, le racisme et l’antisémitisme. Jaurès lors des nombreux débats sur la loi de séparation dit que « l’église est devenue le centre de résistance à la démocratie et au progrès humain. Tout cela est d’une actualité brulante mais doit s’appliquer à un autre intégrisme.
Pour Caroline FOUREST c’est en faisant front contre l’intégrisme que l’on fera baisser le racisme. Ni capitulation devant l’islamisme ni persécution dit-elle pour paraphraser Ferdinand BUISSON. Nous devons faire face aux deux dangers que sont le racisme et l’intégrisme. Il ne faut pas nier l’existence de réactions racistes, il s’agit de racisme au sein de la société mais pas d’un racisme d’Etat. Au contraire l’Etat est protecteur de la liberté de religion, de croire ou de ne pas croire. Aujourd’hui l’Etat est moins dûr vis-à-vis de l’intégrisme islamique qu’il ne l’a été vis-à-vis de l’intégrisme catholique.
L’école publique laïque est l’instrument de lutte contre le racisme et l’intégrisme islamique. Déjà Condorcet assignait à l’instruction publique la lutte contre les préjugés, l’intolérance et les superstitions… ». Enseigner la laïcité, son histoire et la spécificité de la conception française de la laïcité est essentiel. Démontrons comme le fait Caroline FOUREST que la laïcité n’est pas un glaive contre les religions mais un bouclier contre l’intégrisme religieux et le racisme.

  • Le voile

Quelque mots sur le port du voile qui est l’objet de tant de discussions et d’inquiétudes.
Le voile intégral est interdit par la loi car il n’est pas acceptable de cacher son visage dans l’espace public. La raison justifiant cette loi est la sécurité pas la laïcité. Tout signe religieux ostentatoire est interdit par la loi dans les services publics et à l’école pour les élèves. Là aussi cela a été justifié par la necessité de maintenir l’ordre public dans l’école.
Donc pas de voile pour les agents des services publics et pour les élèves.

Dans la République française chacun est libre de s’habiller comme il l’entend. Dans quelle société serions-nous si la loi devait décider de comment chacun doit se vétir ? Mais cela ne nous interdit pas non plus de débattre de ce que signifie le port du voile contraint ou volontaire pour l’image et la place que l’on se fait de la femme dans le couple et la société.

Dans le même entretien cité plus haut Salman Rushdie s’exprime sur le voile :
« Je suis personnellement un opposant féroce à toutes les formes de voile. Je viens d’une famille musulmane. Mes parents étaient plutôt laïcs, mais une grande partie de ma famille ne l’était pas. Mon grand-père avait fait le pèlerinage à La Mecque, ma grand-mère était très conservatrice et beaucoup de mes tantes et cousines se décrivaient elles-mêmes comme des musulmanes pratiquantes. Mais aucune de ces femmes n’aurait jamais consenti à porter aucune forme de voile! Elles considéraient toutes que c’était l’un des instruments d’oppression de la femme dans le monde musulman, qui renvoie aux autres interdictions : de conduire, de rencontrer des hommes en public, etc. Le hidjab, le niqab, la burqa, le tchador font partie d’un même projet de réduire la population féminine en esclavage. »

Le problème ce n’est pas la laïcité c’est l’intégrisme comme le dit Catherine KINZLER à propos du burkini dans un entretien au Figarovox. Le port du «burkini» sur une plage publique, pas plus que celui d’une soutane ou d’une kippa dans la rue, ne relève d’une question de laïcité: c’est une fausse question laïque. Cela ne veut pas dire que ce «burkini» ne soulève aucun problème, ni qu’il soit anecdotique. C’est une tentative de banalisation du totalitarisme islamiste. Le port du burkini n’est pas un simple geste communautariste c’est un jalon supplémentaire qui s’ajoute à tous ceux posés par une version ultra-réactionnaire et totalitaire de l’islam politique.
Delphine HORWILLER, rabin très critique du patriarquat au sein de la tradition juive, souligne justement que quand une femme à la tête couverte, généralement élégante, cultivée et se disant «féministe», dit « JE choisis librement de me voiler. Mon droit est bafoué par une société qui décide à ma place que mon voile est un étendard dont je devrais me justifier», le JE resonne comme un NOUS de revendications communautaires, c’est la voix de groupes identitaires qui s’abritent derrière l’histoire individuelle.
Le voile dans son désir d’affichage symbolise un projet politique de domination antiféministe.

En conclusion

Il est absurde de prétendre que tout ça n’a rien à voir avec l’islam, il est la conséquence directe d’une vision litérale et fondamentaliste du coran, un livre écrit il y a 1400 ans dans un contexte aujourd’hui complètement obsolète. Mais il n’y a pas qu’un islam, tous les musulmans ne sont pas des fanatiques. Mais ne soyons pas angéliques sachons que nous devons mener une bataille idéologique et politique car notre conception de la société est mise en cause. Ce combat implique un devoir de réprobation publique, dans le cadre et les limites du droit commun, la défense de la laïcité, la dénonciation de la propagande antilaïque, mais aussi de désenclaver les ghettos, sauver l’école publique, avoir les mêmes exigences vis-à-vis de toutes les religions comme par exemple mettre fin au statut concordataire de l’Alsace Loraine.
La laïcité est une valeur essentielle qui peut unir les hommes et les femmes, elle est indissociable de la défense du triptique républicain, Liberté Egalité Fraternité.
Au travers de la laïcité nous défendons un projet de société qui est universaliste, humaniste, féministe, égalitaire, de liberté et de démocratie. C’est un combat permanent car rien n’est définitivement acquis.
Comme le disait Victor Hugo cité par Mohamed SIFAOUI lors d’un colloque organisé par le Comité Laïcité République et la LICRA : « La liberté consiste à choisir entre deux esclavages, l’égoïsme et la conscience. C’est quand on choisit la conscience que l’on devient libre ! »

Février 2017

Bibliographie :
« La laïcité au quotidien » Régis Debray Didier Leschi
« Fitna au cœur de l’islam » et « La fracture » Gilles Kepel
« Eloge du blasphème » et « Génie de la laïcité » Caroline Fourest
« Croyance » Jean Claude Carrière
« penser l’islam » Michel Onfray
« un silence religieux – la gauche face au djihadisme » Jean Birnbaum
« Islamistan » Claude Guibal
«Le choc des décolonisations » Pierre Vermeren
« Le califat » histoire politique de l’Islam, Nabil MOULINE
« Le retour du califat » Mathieu GUIDERE
Le blog de Catherine KINTZLER et de nombreux articles publiés par l’Obs, Marianne, Le monde, etc…
Colloque organisé par la LICRA et Le Comité Laïcité République : « Faux amis de la laîcité et idiots utiles »

L’économie : comprendre et agir sur le monde pour le progrès de l’humanité, à la recherche du bonheur ?

Quel est le sens de l’économie ?

Le mot sens nous renvoie à plusieurs dimensions :

  • Le sens comme orientation, dans quelle direction je vais.
  • Le sens comme valeur objective, qu’est-ce que cela veut dire
  • Le sens comme raison, fondement, justification, intention, quelle est la raison d’être d’une proposition ou d’une action

Je vais au cours de cet article essayer de satisfaire à ces trois dimensions à propos  de l’économie.

Commençons par définir l’économie et pour cela rechercher son origine et son évolution.

Économie vient du grec « économia », de « oikos » maison au sens de patrimoine.

A l’origine il s’agit de l’art de bien administrer une maison, de bien gérer les biens d’un particulier. Cela s’est étendu à la gestion de l’État et à la société d’où l’appellation  « économie politique ».

Raymond Barre (professeur d’économie à l’Université de Paris) disait que « l’économie politique est un schéma d’interprétation de la réalité concrète.»

Au sens moderne l’économie est une science qui a pour objet la connaissance des phénomènes concernant la production, la distribution, l’échange, la consommation des biens et services dans la société humaine. Il est alors question de science économique. Comme le mot est polysémique, il a plusieurs sens, l’expression utilisée est au pluriel : sciences économiques.

Économie, économie politique et science économique sont interchangeables même si aujourd’hui l’expression la plus utilisée pour évoquer cette activité est « sciences économiques » de manière à couvrir l’ensemble de ses facettes : macroéconomie, microéconomie, économétrie, théories économiques, analyses économiques, économie internationale, économie du développement, etc.…

Science vient du latin « scientia » qui signifie connaissance, ce que l’on sait pour l’avoir appris, ce que l’on sait pour vrai au sens large. Les connaissances scientifiques sont produites à partir de méthodes d’investigation rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Le but est de comprendre et d’expliquer le monde. La science est ouverte à la critique. Les connaissances scientifiques, ainsi que les méthodes, sont toujours ouvertes à la révision. Les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes, et d’en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles ; leurs résultats sont sans cesse confrontés à la réalité.

La science économique est difficile à définir. Elle fait partie de l’ensemble des sciences sociales.

Historiquement chez les grecs l’activité économique était seconde, et subordonnée à la politique, l’art d’administrer la cité. Au Moyen Âge, dans l’atmosphère chrétienne, l’économie était soumise à la morale. L’intérêt du capital appelé « usure » était condamné. Avec la Réforme et la Renaissance et surtout la naissance des Etats, la richesse devient une étape nécessaire à l’acquisition du pouvoir. C’est la période des mercantilistes pour qui la source de la richesse est la détention de métaux précieux. La hausse des prix liée à l’augmentation des quantités d’or en circulation va donner naissance aux premières ébauches de théorie monétaire. Au XVIIIème les physiocrates qui considèrent que seule la terre est réellement productive, se préoccupent de découvrir des lois naturelles. Après les précurseurs succèdent les créateurs : les premiers classiques anglais : Smith, Malthus et Ricardo.

Le père du libéralisme économique est Adam Smith (1723-1790). C’est le père de l’économie politique. Son œuvre majeure est « La richesse des nations », ouvrage qui est le fondement de l’école classique. Il y expose sa conception du développement économique. Pour lui chaque individu guidé par la quête du profit et son intérêt personnel contribue au bienêtre général. Les marchés et la recherche de l’intérêt personnel conduisent à l’efficacité économique. C’est la fameuse « main invisible ». La régulation de la société par le marché mène à l’accroissement des richesses. Le libre-échange et la division du travail sont des facteurs de développement. Le rôle de l’État doit être réduit au minimum c’est à dire aux fonctions régaliennes et les activités que le marché ne peut prendre en charge parce que non rentables mais qui profitent à l’ensemble de la société comme par exemple les grandes infrastructures.

Au XIXème on parle d’économie pure, déductive et abstraite avec Walras. Une science économique se constitue sur le modèle de la mécanique ou de la physique.

Avec la crise de 1929 c’est la fin du laisser-faire et l’émergence du Keynésianisme. Keynes (1883- 1946), auteur de « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » va mettre momentanément au rencart les thèses du libéralisme économique. Les apports de Keynes à la théorie macroéconomique sont très importants. Le cœur de la théorie Keynésienne est le multiplicateur d’investissement. Si l’on injecte via la politique budgétaire 100, une partie va être épargnée, par exemple 20 et le reste, 80 va être consommé. Cette consommation supplémentaire va pousser les entreprises à investir pour répondre à la demande ainsi créée. Ce surcroît d’investissement créera de l’emploi, donc des revenus supplémentaires donc une augmentation de la demande. D’où de nouveaux investissements et ainsi de suite. C’est en s’inspirant de cette thèse que les économies occidentales ont été relevées après la deuxième guerre mondiale.

Mais le redéploiement économique de l’après-guerre va s’accompagner très vite d’un ralentissement du développement, de l’accroissement de l’inflation et du retour du chômage. La thèse keynésienne va être progressivement abandonnée sous le feu des critiques d’économistes comme Friedrich Hayek et Milton Friedman.

Friedrich Hayek (1899-1992) estime que  les politiques keynésiennes de relance économique, fondées sur l’utilisation du budget public, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et augmentation du chômage. Friedman (1912-2006) initia une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent de front à celle de Keynes. Il remet en cause le bien-fondé des politiques de relance qui, pour lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il faut lutter. À cette fin, il proposa l’instauration d’un taux constant de croissance de la masse monétaire. Ses idées se diffusèrent progressivement et devinrent populaires parmi les milieux politiques dans les années 1980, influençant profondément les mouvements conservateurs américains. Ses idées économiques sur le monétarisme, la fiscalité, les privatisations et la dérèglementation ont inspiré les politiques économiques de nombreux gouvernements à travers le monde, notamment ceux de Ronald Reagan aux États Unis, de Margaret Thatcher en Grande Bretagne, d’Augusto Pinochet au Chili, ou de Brian Mulroney au Canada. Tous d’éminents progressistes !

Ces économistes et leurs affidés sont les inspirateurs des politiques économiques qui nous ont menés à la crise que nous connaissons aujourd’hui.

L’histoire de la science économique est un balancement entre connaissance et action.

La science économique n’est pas une science exacte. Elle fait partie des sciences humaines. Elle s’attribue le nom de science parce qu’elle essaie d’adopter une démarche scientifique. Elle introduit des calculs mathématiques savants dans ses raisonnements pour se donner une coloration scientifique.

Mais en fait c’est une tentative d’explication, je devrais dire des tentatives d’explication, de l’évolution du monde sur le plan économique, c’est à dire de la production de biens et services et des échanges entre les hommes et les nations ainsi que des moyens utilisés pour favoriser, restreindre ou développer ces échanges. Inutile de s’étendre beaucoup pour comprendre que ces explications ne manquent pas d’être très liées à l’environnement politique et social du moment où elles sont formulées, quelle que soit la bonne foi des auteurs.

Comme le dit René PASSET, Professeur émérite à l’Université Paris I – Panthéon – Sorbonne, dans son livre intitulé « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire », les mutations qui caractérisent l’évolution des sociétés humaines et le regard que les hommes portent sur l’Univers s’expriment sur le plan économique par des systèmes explicatifs, des modes d’organisation et des programmes d’action différents.

Ces systèmes explicatifs viennent enrichir nos connaissances mais ils servent aussi l’action.

L’économie c’est aussi un moyen d’agir sur le monde….

A titre d’exemple voyons le débat actuel sur le choix entre politique de l’offre ou politique de la demande. Aujourd’hui en France, en Europe, dans l’ensemble du monde occidental développé le débat se polarise entre partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande.

La restauration de la compétitivité de l’économie française, en particulier de l’industrie, et son adaptation à la concurrence ouverte est un diagnostic largement partagé. Le besoin d’une politique de l’offre est indéniable. Limiter cette politique uniquement à une plus grande flexibilité du marché du travail relève d’une vision purement idéologique plus que d’une vision objective. La recherche, l’innovation, les difficultés de financement des entreprises, l’adaptation à la globalisation de l’économie et la nouvelle répartition du travail au niveau mondial sont des facteurs au moins aussi importants sinon plus que la rigidité du marché du travail.

Ne pas trop fragiliser la demande est aussi largement admis. De plus en plus d’économistes de tous bords considèrent que la croissance des économies avancées bute sur une crise généralisée de la demande. Pourtant réduire les déficits publics quand la charge des intérêts de la dette est le premier poste budgétaire est une nécessité absolue. Cela fait monter au créneau les partisans de moins d’Etat dont la seule motivation est purement idéologique. Ils en oublient que trop d’austérité ne fera qu’affaiblir la demande et accroitre en bout de course le déficit.

La politique économique ne peut être qu’un subtil équilibre entre politique de l’offre et politique de la demande selon les circonstances et l’environnement. Les pays qui ont réussi ce type d’ajustement par le passé, États-Unis, Royaume-Uni, les pays scandinaves, ou l’Allemagne ont été aidé, par une conjoncture porteuse et/ ou par un relâchement de la discipline monétaire. L’Allemagne, en partant d’une situation de ses finances bien plus saine a évité les à-coups budgétaires, et a pu contrairement à ses partenaires s’éviter une cure d’austérité depuis 2010. Les États-Unis tout comme le Royaume-Uni, ont laissé filer leurs déficits et ont joué sur la dépréciation de leur taux de change réel, ce que ne peuvent pas faire les pays européens avec une monnaie commune.

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que la politique monétaire ne peut pas tout et qu’un soutien à la demande globale européenne doit accompagner les politiques de l’offre.

De mon point de vue partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande adoptent des postures politiques plus que des visions opposées de la politique économique à développer.

Pour André BELLON, dans la revue « Humanisme » n°291 de février 2011, l’économie comme Janus, a deux faces : l’une théorique, l’autre instrument politique.

A titre d’exemple il cite les débats sur la dette. Faire de l’équilibre budgétaire un principe intangible transforme une école de pensée en gardienne des tables de la loi. L’imposition de ce qu’il faut bien appeler un dogme permet de réduire le débat politique à sa plus simple expression. Le néolibéralisme se présente aujourd’hui comme la vérité et fonctionne comme une religion.

L’économie pour comprendre le monde

Comme nous l’avons vu plus haut, selon Adam SMITH père du libéralisme, la recherche privée de l’intérêt personnel conduit au bien-être de tous. Au lendemain de la crise financière, qui peut soutenir que la recherche par les banquiers de leur intérêt personnel a conduit au bien-être de tous ? Elle a conduit, tout au plus au bien-être des banquiers et le reste de la société a payé la facture. C’est en ces termes que Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie et ancien conseiller du président CLINTON, stigmatise les marchés livrés à eux-mêmes dans son dernier livre « le prix de l’inégalité ». Il pense que laissés à eux-mêmes, les marchés se révèlent souvent incapables de produire des résultats efficaces et souhaitables, et dans ce cas l’État a un rôle à jouer : corriger les échecs des marchés. Voilà ce que pense un économiste qui croit au marché mais qui est convaincu que si l’on veut une économie plus efficace et moins inégalitaire il faut que les pouvoirs publics régulent les marchés. Il voudrait que L’Etat tempère les excès des marchés plutôt que de coopérer avec le marché pour aggraver les différences de revenu et de fortune comme c’est le cas aux États Unis depuis 1980.

La globalisation de l’économie au niveau mondial s’est installée avec l’expansion universelle de l’économie néolibérale. Cette expansion s’est accompagnée de celle du capitalisme, qui elle-même s’est accompagnée de la domination du capital financier. Pour Edgar MORIN dans « la voie » ce processus à trois faces (mondialisation, développement, occidentalisation) en produisant de grandes richesses, a réduit d’anciennes pauvretés, créé une nouvelle classe moyenne à l’occidentale dans les pays émergents. Ce processus a aussi dégradé en misère, partout dans le Sud, la pauvreté des petits paysans déplacés dans d’énormes bidonvilles. Il a accru les inégalités, engendré d’énormes fortunes et de non moins énormes infortunes. Il a entrainé destructions culturelles et décroissance des solidarités.

La compétitivité internationale a conduit au dépérissement d’industrie en Europe et aux États Unis, à la destruction massive d’emplois, à d’innombrables délocalisations, à la précarité accrue des travailleurs. Les endettements suscitent la rigueur économique, la rigueur suscite le chômage et la baisse des revenus, lesquels peuvent avoir d’énormes conséquences politiques.

Économie et inégalités

Dans « l’homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux », Daniel COHEN, professeur d’économie à l’École Normale Supérieure analyse la naissance d’une Hyperclasse depuis 1990. Les inégalités franchissent un nouveau seuil. Aux États Unis, alors que le centième le plus riche gagnait 7% du revenu total au début des années 70, il gagne désormais le quart du revenu total. En France le niveau médian se situe à 1500 €. Pour entrer dans le top 10%, il faut gagner plus de 3000 €, dans le top 5%, plus de 5500 € dans le top 1%, plus de 10000 €. Pour rentrer dans les stratosphères des ultra-riches, le top 0.01% donc un centième de pourcent, il faut gagner le désormais célèbre million par an. 6000 français sont dans ce cas. Avec 1% de la population mondiale la France compte 10% des millionnaires dans le monde.

Dans son dernier livre, « Le capital au XXIème siècle », Thomas PIKETTY confirme l’augmentation de ces inégalités et montre qu’elles s’accentuent si l’on prend en compte non seulement le revenu du travail mais aussi toutes les formes de revenu. Selon son analyse les perspectives vont plus dans le sens d’une aggravation des inégalités plutôt qu’une diminution. En effet PIKETTY démontre que ce sont les guerres, dans une large mesure, qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au XXème siècle. Les impôts représentaient moins de 10% du revenu national dans tous les pays au XIXème siècle. Aujourd’hui les prélèvements obligatoires représentent près de la moitié du revenu national en Europe. Cette évolution correspond à la mise en place d’un « Etat social » au cours du XXème siècle. Jusqu’en 1914 la puissance publique assurait les grandes missions régaliennes. Ces missions mobilisent toujours un peu moins du dixième du revenu national. Les dépenses d’éducation et de santé représentent entre 10 et 15% du revenu national. Les revenus de remplacement et de transfert représentent entre 10 et 15% du revenu national des pays riches. Les retraites représentent entre les deux tiers et les trois quarts du total des revenus de remplacement et de transfert. Les allocations de chômage et les minima sociaux ne représentent chacun d’eux que 1 à 2% du revenu national. Personne n’imagine sérieusement à ce que l’on revienne à une réduction des dépenses publiques à 10% du revenu national. Cela reviendrait à démanteler l’État social. Mais les inégalités continuent de s’accentuer au sein des pays riches comme entre les pays riches et les pays pauvres.

Plus de la moitié des êtres humains vivent toujours avec moins de deux euros par jour. Daniel COHEN cite dans son livre op cité, une étude de BANERJEE et DUFLO, « Repenser la pauvreté », aux éditions du Seuil. Comprendre la pauvreté aujourd’hui c’est comprendre comment l’espèce humaine se débat lorsqu’elle est privée de tous ces biens qui sont devenus l’ordinaire des pays riches. Alors que certains économistes sont tentés de voir dans la pauvreté un défaut de rationalité des pauvres eux-mêmes, ils montrent qu’elle révèle bien davantage la rationalité humaine, lorsqu’elle est privée du soutien d’institutions compétentes et légitimes pour les aider à décider. Le pauvre comme le riche a besoin d’un support institutionnel pour gérer rationnellement son cycle de vie.

Certains font l’apologie de l’inégalité parce qu’ils pensent que cela stimule la croissance et que tout le monde en profite. C’est ce qu’on appelle l’économie du ruissellement. Mais la réalité nous montre que l’inégalité n’a pas accéléré la croissance et que les écarts de revenus entre les riches et les pauvres, loin de se réduire, se sont agrandis au cours des trente dernières années alors que la richesse a augmenté.

Économie et progrès

Après la révolution de la machine à vapeur au XVIIIème siècle, la révolution de l’électricité au  XIXème nous vivons la révolution informatique. Elle est d’une nature différente. Elle n’est pas un moyen de faire d’énormes progrès de productivité dans l’industrie comme les deux précédentes. Elle est une révolution dans la gestion de l’information, une révolution managériale qui modifie profondément l’organisation du travail. C’est l’intensification du travail qui devient le principal vecteur des gains de productivité. C’est toujours le même processus ! On recherche une amélioration de la richesse produite. Il reste alors de savoir comment cette richesse se répartit. L’histoire nous révèle que c’est toujours un tout petit nombre qui s’accapare l’essentiel des richesses produites.

Galilée et Newton ont bouleversé les conceptions traditionnelles sur la place de l’homme dans la nature et l’univers. Ils ont ainsi préparé la révolution industrielle du XVIIIème siècle et ouvert la voie au capitalisme moderne. De même aujourd’hui estime Daniel COHEN dans son livre déjà cité, la révolution génétique bouscule les conceptions philosophiques de l’homme. Il cite Ray Kurzweil qui annonce pour 2060 un monde transhumain. Ce prophète néo futuriste parie sur une amélioration progressive des mécanismes qui vont permettre de « régénérer » le corps et retarder le vieillissement. Le ministère de la Défense américain a investi des millions de dollars pour étudier la connexion entre ordinateurs et cerveau humain. De substitut, la machine devient le complément de l’homme. Pour les économistes ces évolutions peuvent être l’annonce d’un nouveau modèle de croissance. 

Financiarisation de l’économie

Nous venons de vivre ces dernières années une grande transformation qui a conduit au capitalisme financier. C’est ce que l’on a appelé la financiarisation de l’économie. Le pouvoir économique a été capté par une minorité d’acteurs de la finance et de firmes multinationales sous la coupe de grands actionnaires qui sont parvenus à imposer leurs vues aux politiques. C’est une des fonctions du  « Club de Davos ». Ils ont imposé la dérégulation, le libre-échange, les paradis fiscaux, les niches fiscales, la forte réduction de la progressivité de l’impôt, les privatisations des services publics, la réduction de l’intervention de l’Etat dans l’économie donc la baisse des dépenses publiques, etc…

Jean GADREY, professeur émérite d’économie à l’université de Lille estime dans la revue Humanisme (déjà citée) que nous vivons une crise systémique profonde qui n’est pas terminée. Il distingue plusieurs crises, mais chacune dépend des autres d’où le qualificatif de « systémique ». Crise financière et économique, crise sociale, crise écologique, crise démocratique et crise du pouvoir économique. Pour en sortir il faudra s’attaquer à l’ensemble des causes de chacune de ces crises et à leurs interactions.

Économie et humanisme

L’économie a toujours été une activité multidimensionnelle mettant en relation l’individu, la société et la nature. Elle est condamnée à retrouver sa vraie nature d’activité finalisée par la satisfaction des besoins humains et transformant aussi efficacement que possible, à cette fin, les milieux physiques ou vivants sur lesquels se développe la vie des hommes. C’est ce que René PASSET appelle la bio économie (op cité). Gérer rationnellement les ressources utiles et rares de ce monde, afin de satisfaire au mieux et au moindre coût les aspirations humaines ne constitue qu’une partie des activités des hommes. Il y a aussi ce qui s’étend à l’esthétique, à la gratuité, aux valeurs socioculturelles qui donnent un sens à la vie et à la mort et finalisent les comportements. La sphère de l’économique est un sous-ensemble de celle des activités humaines et socioculturelles.

L’homme de l’économie réelle, poursuit René PASSET, n’est pas seulement une force de production ou une créature maximisatrice d’utilités, mais aussi un être biologique dont les besoins physiologiques doivent être couverts. En même temps il est une personne porteuse de valeurs dont les aspirations intellectuelles, artistiques et spirituelles doivent pouvoir s’accomplir. Si l’économie est une science de l’action aux prises avec le réel c’est l’ensemble de ces dimensions qu’elle doit prendre simultanément en considération. Peut-on qualifier de développement une croissance du produit par tête qui s’accompagne d’une régression des valeurs socioculturelles, d’une dégradation des conditions de la vie humaine (stress, chômage, etc…) et d’une détérioration de la relation des hommes entre eux ou avec leur milieu de vie ?

Économie et croissance

A l’intérieur de la sphère économique, développement et sous-développement ne sont pas des phénomènes indépendants l’un de l’autre : la division internationale du travail se forme au niveau  du système mondial et ne dépend plus du choix souverain des nations considérées isolément.

C’est désormais le monde qui est devenu le niveau pertinent d’analyse des politiques économiques.

Pour René PASSET quand l’économie se trouve confrontée aux questions du « trop » et des inégalités de répartition, la question des finalités fait surface. Lorsque le « plus » cesse de constituer le critère du « mieux », on voit surgir la question du « pourquoi », c’est-à-dire des finalités et des valeurs socioculturelles.

Produire plus, peut-être mais pour quoi faire ? La performance s’apprécie directement en termes de couverture des besoins et de bien-être. Quand la libre concurrence aboutit à la ruine des agricultures vivrières des pays pauvres, cela se traduit par la substitution de structures plus productives aux modes traditionnels de production. Alors la seule réponse possible, c’est le droit à la souveraineté alimentaire des peuples, garanti par la protection aux frontières contre la concurrence des agricultures industrialisées et subventionnées notamment par l’Europe et les États Unis.

Cet impératif s’étend à tous les droits et les besoins fondamentaux de la personne : l’éducation, la santé, la culture, etc.…

Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure  inédit qui prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. SEN estime que les politiques publiques doivent donner à chacun la «capabilité» de vivre une vie digne de ses attentes. C’est une magnifique ambition de vouloir toujours replacer au centre des dispositifs chaque homme et chaque femme à la fois dans son humanité défendue dans le cadre éthique des droits de l’homme et dans sa qualité d’acteur et d’être humain dont il faut respecter et renforcer la liberté de mener la vie qu’il ou qu’elle souhaite mener et pas seulement comme réceptacle d’objets divers de confort.

Pour terminer je reprendrais la conclusion

de l’article d’André BELLON

dans le numéro de la revue « Humanisme », n° 291 Février 2011

Il n’est pas possible de continuer à imposer un discours de nature transcendante, incontestable dans ses présupposés comme dans ses conséquences, imposant ses décisions dans presque tous les domaines de la vie sociale et, dans le même temps, prétendre agir en fonction de principes fondamentalement humanistes sur le plan individuel et démocratiques sur le plan collectif.

La réaffirmation de l’humanisme passe donc inévitablement par une réflexion critique sur la question économique.

Depuis plus d’un siècle, on veut enfermer l’homme dans des schémas économiques théoriques, transformant l’humain en capital, voire en matériel. Retrouver tout le sens de l’humain est un enjeu majeur pour dépasser un siècle d’aliénation. 

Bibliographie :

Revue HUMANISME n° 291 Février 2011 – dossier « L’économie contre l’humanisme »

Joseph STIGLITZ – « le prix de l’inégalité » – Éditions les liens qui libèrent – 2012

René PASSET – « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire » –

Éditions les liens qui libèrent – 2010

Daniel COHEN – « Homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux » – Éditions Albin Michel – 2012

Edgar MORIN – « la voie » sous-titre « Pour l’avenir de l’humanité » – Éditions Fayard – 2011

Thomas PIKETTY – « Le capital au XXIème siècle » – Éditions du Seuil – 2013

« La mondialisation de l’économie, un progrès pour l’humanité ?»

Préambule

Intuitivement la réaction première est qu’il est vain d’essayer de s’opposer à ce mouvement de fond qu’est la mondialisation. Ceux qui sont opposés à cette évolution du monde me font penser à la réaction des opposants au développement du chemin de fer qui craignaient que le passage des locomotives à vapeur rende les vaches moins productives en lait. Tout progrès dans l’histoire a généré des oppositions par crainte des effets néfastes. La mondialisation est la poursuite d’une longue évolution qui a commencé le jour de l’apparition de l’homme sur la Terre. De tout temps l’homme a cherché à étendre son territoire, à dominer la nature, à développer ses connaissances, à augmenter ses échanges, etc. … Ce développement ne s’est fait ni dans la continuité ni dans l’harmonie, souvent même en passant par des périodes de régression et de violents affrontements mais aussi par des périodes d’accélération. Globalement la tendance de long terme est à l’amélioration de la condition humaine.

Il est d’ailleurs significatif que les premiers opposants à ce que l’on a commencé à appeler la mondialisation, qui s’appelaient les antimondialistes, ont très vite décidé de s’appeler les altermondialistes, donc pour une autre mondialisation et non plus contre la mondialisation.

Réflexion sur la globalisation de l’économie

En 2007 j’ai eu l’occasion d’écouter à la radio un économiste américain, Joseph STIGLITZ, qui présentait son livre intitulé « un autre monde » sous-titré « contre le fanatisme du marché ». Il est reconnu comme un spécialiste des problèmes de la mondialisation, prix Nobel d’économie en 2001, conseiller économique à la Maison Blanche auprès de Bill Clinton, et puis économiste en chef et vice-président de la banque mondiale entre 1997 et 2000.

L’essentiel des éléments exposés puise abondamment dans les thèses et les arguments développés par STIGLITZ. J’ai aussi utilisé d’autres ouvrages mais dans une moindre mesure : « Une économie de rêve » de René PASSET, professeur émérite d’économie à l’Université de PARIS I – Panthéon – Sorbonne et ancien président du conseil scientifique d’ATTAC, « La Dissociété » de Jacques GENEREUX, professeur à Sciences PO Paris, « Une brève histoire de l’avenir » de Jacques ATTALI, et dans l’actualité récente « Le rapport sur la mondialisation » remis au président de la République française le 5 septembre 2007 par Hubert VEDRINE ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lionel JOSPIN.

J’ai conçu cet article comme une introduction à la réflexion sur la globalisation de l’économie. Ce serait d’ailleurs bien prétentieux que de vouloir faire le tour complet d’une question aussi vaste, même en compagnie d’un prix Nobel d’économie.

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique « la mondialisation » a remplacé « la rivalité des deux blocs » comme thème principal des préoccupations géopolitiques de la planète. Les Etats-Unis, sans rival, se font les gendarmes du monde et leur modèle économique est le modèle de référence. De plus en plus, les Etats-Unis, par mimétisme du vieil adage stalinien, estiment que ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le monde entier. Ainsi leur tendance fondamentale est d’imposer leur vision du monde de manière assez unilatérale.

La mondialisation c’est d’abord la mondialisation de l’économie mais elle comporte aussi de nombreux autres aspects : les flux internationaux des idées et des connaissances, le partage des cultures, la société civile mondiale, l’avenir écologique de la planète etc.… Je me limiterai à l’aspect économique, ce que l’on appelle maintenant la globalisation de l’économie, l’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et même de main d’œuvre.

Les tenants de la mondialisation affirment qu’elle va améliorer le sort de tous, élever les niveaux de vie dans le monde entier, ouvrir les marchés extérieurs aux pays pauvres pour leur permettre de vendre leurs produits, développer les investissements étrangers dans les pays pauvres pour leur permettre de produire de nouveaux produits à meilleur prix, ouvrir les frontières pour permettre la circulation des hommes et des produits pour le bien de tous.

Ce qui sous-tend cette affirmation c’est la pensée économique libérale qui a muté à partir des années 1980 en un rameau néolibéral.

L’économie libérale dont le père spirituel est Adam SMITH a été conceptualisée lors de la naissance de l’industrie en Angleterre. Selon SMITH la richesse vient du travail de l’homme. C’est la perception de son intérêt personnel qui pousse l’homme à l’épargne et au travail donc l’intérêt privé est le moteur de l’économie. En conséquence la société se doit de garantir la libre concurrence des intérêts privés seule capable d’assurer l’adéquation automatique entre l’offre et la demande. C’est la « main invisible » qui amène la recherche de l’intérêt personnel et les marchés à l’efficacité économique.

Les prophètes du néo-libéralisme ont pour noms Friedrich HAYEK, Milton FRIEDMAN et « l’école de Chicago », George BILDER et son « économie de l’offre ». Ils sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.

Après Porto Alegre au Brésil, en janvier 2004 aux abords de Bombay en Inde les dizaines de milliers de participants au Forum social mondial estiment que la réalité est toute autre et que la mondialisation est responsable de l’appauvrissement d’une grande partie de la population de la planète, du chômage et de la décomposition sociale, de la surexploitation de la planète, de la marchandisation du corps humain, de l’écrasement des faibles etc….

Le processus actuel de mondialisation génère des déséquilibres entre les pays et à l’intérieur des pays.

Les mécontents de la mondialisation soulèvent en gros cinq problèmes :

  • Les règles du jeu qui régissent la mondialisation sont injustes. Elles ont été conçues pour profiter aux pays industriels avancés
  • La mondialisation de l’économie fait passer les valeurs matérielles avant d’autres, telles que le souci de l’environnement ou de la vie même.
  • La façon dont la mondialisation est gérée prive les pays d’une grande partie de leur souveraineté. En ce sens, elle mine la démocratie.
  • Les partisans de la mondialisation ont prétendu que tout le monde allait y gagner économiquement, mais, tant dans les pays en développement que dans les pays développés, il y a beaucoup de perdants des deux cotés.
  • Le système économique qu’on a recommandé aux pays en développement et dans certains cas que l’on leur a imposé est inadapté et leur fait un tort énorme. Mondialisation ne doit pas être synonyme d’américanisation, et c’est souvent le cas.

Dans les années 1990 libéralisation du commerce et libéralisation des marchés des capitaux, mesures inspirées directement des thèses néolibérales, étaient deux composantes d’une conception plus générale qu’on appelle le « consensus de Washington » établi par le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale, le Trésor des Etats-Unis, sur les politiques les mieux à même de promouvoir le développement.

Ce consensus préconisait de réduire l’intervention de l’Etat, de déréglementer, de libéraliser et de privatiser au plus vite.

Mais au début du nouveau millénaire la confiance dans ce consensus s’est trouvée remise en question car il accordait trop peu d’attention aux questions de justice sociale, d’emploi, de concurrence, au rythme et à l’enchainement des réformes, au mode opératoire des privatisations, au fait que la seule croissance du PIB n’est pas le seul facteur qui affecte le niveau de vie et qu’il ne pose pas le problème de la durabilité de la croissance.

Aujourd’hui dans le monde tel qu’il est, avec une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays, qu’il soit en développement ou développé, de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie sans voir le niveau de vie de sa population régresser ou au minimum cesser de croitre.

La seule issue est de réformer la mondialisation.

Réformer la mondialisation

  • REDUIRE LA PAUVRETE

Il faut œuvrer davantage au niveau mondial pour réduire la pauvreté qui n’est pas seulement une insuffisance de revenu mais aussi  notamment une insuffisance de soins médicaux et d’accès à l’eau.  La banque mondiale et le FMI, officiellement du moins, ce qui n’était pas le cas au paravent font de la réduction de la pauvreté une priorité.

  • ALLEGER LA DETTE

Lors de la Conférence internationale sur le financement du développement  qui s’est tenu en mars 2002 à Monterrey au Mexique, avec la participation de 50 chefs d’Etat ou de gouvernement et de 200 ministres, les pays industriels avancés se sont engagés à accroître leur aide en la portant à 0.7% de leur PIB. Non seulement le besoin d’une augmentation de l’aide mais un large accord s’est fait pour qu’elle soit versée davantage sous forme de dons et moins de prêts. A ce jour, rares sont ceux qui ont tenu parole, notamment les E.U. Mais le plus révélateur est le changement d’approche à l’égard de la conditionnalité. Les conditions de l’aide devront être revues et allégées. Au sommet du G8 de 2005, les dirigeants des grands pays industriels ont accepté d’effacer complètement les sommes dues au FMI et à la Banque mondiale par les 18 pays les plus pauvres du monde dont 14 sont en Afrique.

  • RENDRE LE COMMERCE EQUITABLE

La libéralisation du commerce devait conduire à la croissance. Le bilan réel est au mieux mitigé. Les accords de commerce internationaux sont souvent déséquilibrés : ils autorisaient les pays industriels avancés à lever sur les produits des pays en développement des droits de douane en moyenne quatre fois plus élevés que ceux qui frappaient les produits des autres pays industriels avancés.

Les accords commerciaux ont en fait aggravé la situation des pays les plus pauvres. Les négociations se sont concentrées sur la libéralisation des flux de capitaux et l’investissement souhaitée par les pays développés et pas sur la libéralisation des flux de main d’œuvre qui aurait bénéficié aux pays en développement.

Le renforcement des droits de propriété intellectuelle a largement bénéficié aux pays développés.

Les négociations sont aujourd’hui bloquées par le refus du monde développé de réduire ses subventions agricoles. La vache européenne reçoit en moyenne 2 dollars par jour alors que plus de la moitié des habitants du monde en développement vivent avec moins.

Les pays développés sont pour la libéralisation des échanges quand c’est à leur profit et sont très imaginatifs pour trouver des obstacles aux échanges quand cela leur est défavorable.

Le monde a besoin d’un vrai cycle du développement, mais il faut que ce soit un jeu à somme positive où chacun peut être gagnant, pays pauvres et pays riches et à l’intérieur des pays. On ne « vendra » pas la mondialisation aux travailleurs des pays développés en leur promettant que malgré tout, s’ils acceptent  de réduire suffisamment leurs salaires, ils pourront trouver un emploi.

Et sans croissance dans les pays en développement, le flot d’immigration sera difficile à endiguer 

  • NECESSITE DE PROTEGER L’ENVIRONNEMENT

La déstabilisation de l’environnement menace gravement le monde à long terme. Le réchauffement de la planète est devenu un vrai défi pour la mondialisation. Les succès du développement en Inde et en Chine ont donné à ces pays les moyens économiques d’accroître leur consommation d’énergie, mais l’environnement planétaire ne peut soutenir cet assaut. Si tout le monde émet des gaz à effet de serre au rythme  où le font les américains, de graves problèmes nous attendent. Cette idée est presque universellement admise sauf à Washington. Mais ajuster les modes de vie ne sera pas facile.

  • CHANGER LA GOUVERNANCE MONDIALE

Hors les E.U. tout le monde s’accorde pour dire que quelque chose ne va pas du tout dans la façon dont sont prises les décisions au niveau mondial, trop d’unilatéralisme et de déficit démocratique dans les institutions économiques internationales issues de la seconde guerre mondiale avant la décolonisation.

Jusqu’à il y a 150 ans l’essentiel du commerce était local. Ce sont les changements du XIXème siècle qui ont conduit à la formation d’économies nationales et contribué à renforcer l’Etat-nation. L’Etat a été amené à assumer des rôles inédits : empêcher les monopoles, jeter les bases d’un système moderne de sécurité sociale, règlementer les banques et les institutions financières. L’Etat nation a mieux permis de dynamiser l’économie et d’accroître le bien-être individuel.

L’idée reçue selon laquelle le développement des E.U. a été l’œuvre d’un capitalisme laissé à lui-même est fausse. Si l’essor économique des E.U. a eu lieu, c’est en particulier grâce au rôle qu’a joué l’Etat pour soutenir le développement, réglementer les marchés et assurer les services sociaux de base. L’Etat pourra-t-il joué dans les pays en développement un rôle comparable ?

La mondialisation  impose de nouvelles tâches aux Etats-nations mais en même temps elle réduit leur capacité à les assumer. De plus en plus les accords internationaux empiètent sur les droits des Etats à prendre souverainement leurs décisions.

La mondialisation économique est allée plus vite que la mondialisation politique. Nous avons besoin d’institutions internationales fortes pour affronter les défis de la mondialisation économique et celles qui existent souffrent d’un déficit démocratique. Il faut prendre une série de mesures pour réduire ce déficit démocratique, changer la structure des droits de vote, accroître la transparence, renforcer la capacité des pays en développement à participer réellement à la prise de décision. Il faut une instance judiciaire mondiale indépendante pour faire mieux respecter le droit international.

Les forces du changement économique, social, politique et environnemental planétaire sont plus fortes à long terme que la capacité d’un pays, même le plus puissant, à modeler le monde en fonction de ses intérêts.

  • REFORMER LE SYSTEME DE RESERVE MONDIALE

Le système financier mondial fonctionne mal. Le pays le plus riche du monde, les Etats-Unis, vit au dessus de ses moyens et emprunte 2 milliards de dollars par jour à des pays pauvres. L’argent coule de bas en haut alors que cela devrait être l’inverse si l’on veut rééquilibrer le développement au niveau mondial. Ce défaut du système financier mondial vient du vice du système de réserve mondiale.

Chaque pays fait des réserves pour l’aider à gérer les risques auxquels il est confronté. Cela renforce la confiance dans le pays et dans sa monnaie notamment vis-à-vis des préteurs, qui sont en général des banques des pays développés et des investisseurs.

La popularité du dollar dans les réserves internationales est essentiellement due à la domination des EU sur l’économie mondiale et à la grande stabilité historique de cette devise.

Les pays en développement paie très cher l’assurance qu’ils fournissent en détenant des dollars dans leur réserve. Ils obtiennent un rendement de 1 à 2% sur leurs réserves de plus de 3000 milliards de dollars. La plupart de ces pays manquent cruellement d’argent pour leurs projets de développement. L’utilisation de ces sommes pour leurs projets pourrait leur rapporter beaucoup plus.

Les vrais bénéficiaires du système de réserve mondiale sont les pays dont les monnaies sont utilisées comme instruments de réserve.

Devant l’instabilité du système les pays diversifient leurs réserves, ils sortent du dollar. Une sortie désordonnée pourrait se faire sous forme de crise grave. C’est pourquoi STIGLITZ suggère de réformer le système de réserve en organisant une sortie en douceur du système actuel notamment en développant le système des droits de tirage spéciaux, monnaie que le FMI serait autorisé à créer.

  • REGULER LA MONDIALISATION

L’hypertrophie de la sphère financière comme dit Hubert VEDRINE, à savoir la multiplication par milliers de fonds permettant des profits risqués mais faramineux, a modifié en profondeur, en à peine plus de dix ans, la globalisation économique et commerciale.

Une croissance mondiale à 5% et des fonds qui cherchent un profit à court terme d’au moins 15%. Des échanges sur les marchés de change cent cinquante fois plus importants que les échanges commerciaux, des actifs financiers qui représentent trois fois le PIB de la planète.

La crise financière de l’été 2007 aux États-Unis a mis en évidence d’une part la sous estimation des risques par les gendarmes de bourses dépassés par une sophistication opacifiante, et d’autre part des banques centrales en même temps pompiers et pyromanes.

Pour sortir de  l’idée démoralisante que nous n’avons pas d’autre choix que subir les à-coups de cette mondialisation ultralibérale financiarisée, pour que les peuples européens, ouverts et bien intentionnés, n’aient plus le sentiment d’être  » les idiots du village global « , des initiatives régulatrices plus visibles et plus efficaces sont indispensables.

  • TROUVER UN NOUVEL EQUILIBRE

Depuis deux siècles, les démocraties ont appris à modérer les excès du capitalisme, c’est-à-dire à canaliser la puissance du marché pour qu’il y ait plus de gagnants et moins de perdants. Au niveau d’un pays les lois et les règlementations n’ont pas le même impact sur tous les citoyens. L’objectif en général est qu’elles soient justes et qu’elles ne défavorisent pas les plus pauvres. Au niveau international jamais une politique n’est recommandée en faisant valoir qu’elle est juste. Chaque pays demande à ses négociateurs de revenir avec le meilleur accord pour leur pays. Même au sein des institutions internationales, il est rare que la politique mondiale soit analysée en termes de justice sociale.

Pour que la mondialisation fonctionne il faut un régime économique international où le bien-être des pays développés et celui du monde en développement  soient mieux équilibrés :

  • Les pays développés doivent accepter un régime commercial plus équitable
  • Nécessité de reconnaître l’importance de l’accès des pays en développement au savoir, aux médicaments à prix abordables et leur droit à faire protéger leurs connaissances traditionnelles.
  • Accepter d’indemniser les pays en développement pour leurs services environnementaux, c’est-à-dire la préservation de la biodiversité, séquestration du carbone qui contribue à la lutte contre le réchauffement de la planète
  • La lutte contre le réchauffement du climat doit être une priorité
  • Payer équitablement les ressources naturelles sans laisser un environnement dévasté
  • Fournir aux pays pauvres une aide financière suffisante
  • Elargir l’effacement de la dette
  • Réformer l’architecture financière mondiale et réduire son instabilité
  • Réformes institutionnelles et juridiques pour empêcher  l’émergence de monopoles mondiaux et obliger les multinationales à faire face à leurs responsabilités notamment en cas de dommages à l’environnement
  • Renoncer à toutes pratiques fragilisant la démocratie, limiter les ventes d’armes, le secret bancaire et les pots-de-vin
  • Donner plus de poids au Conseil économique et social de l’ONU qui pourrait jouer un rôle important dans la définition du programme de l’action économique mondiale en veillant qu’il ne porte pas sur les seuls problèmes qui intéressent les pays industriels avancés mais sur ceux qui sont essentiels au bien-être du monde entier.

En conclusion quelques mots :

  • L’économie globale de marché est un fait sur lequel il est dans l’immédiat difficile de revenir
  • Il faut démocratiser la mondialisation pour que le développement de tous les pays et à l’intérieur de chaque pays profite au plus grand nombre et dans la plus grande justice sociale
  • Pour atteindre cet objectif il faut réguler cette mondialisation au travers d’institutions internationales fortes mais aussi d’Etats-nations forts capables de respecter les engagements qu’ils prennent
  • L’Europe doit mener une politique beaucoup plus offensive de protection et de solidarité. L’Europe doit devenir un élément fort de la régulation du monde global.
  • Osons un acte de foi en l’avenir, espérons que l’humanité saura se sauver de ses démons qu’elle évitera de se détruire et qu’elle saura construire, en évitant des conflits radicaux, un monde plus démocratique et plus juste socialement.

05 mai 2009

Quelles réactions face au réchauffement climatique ?

Depuis quelque temps la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et de l’humanité. Pas un jour ne passe sans qu’un journal, une émission de radio ou de télévision, la publication d’un livre n’aborde ce thème sous différents angles. Ces documents  nous donnent différents points de vue sur l’avenir de la planète et nous permettent d’essayer d’y voir un peu plus clair.

Face à une évolution qui s’accélère, décrite par les scientifiques avec un assez large consensus, quelles sont les réactions ? Cela s’échelonne du déni pur et simple au catastrophisme apocalyptique sur le changement climatique. Sans être exhaustif, citons quelques exemples.

Le déni
Certains n’hésitent pas à placer l’absence de certitudes scientifiques au centre du débat sur le changement climatique. La stratégie du doute a largement fonctionné. Le climatoscepticisme même s’il recule dans les médias et dans l’opinion reste encore bien présent. Les grandes compagnies pétrolières informées de la réalité du changement climatique ont continué à investir dans de nouveaux gisements et même ont financé des campagnes de désinformation sur le climat. Les institutions financières continuent d’investir massivement dans les énergies fossiles, dont elles tirent des profits bien plus élevés que ceux que pourraient leur procurer les énergies renouvelables.

Le fondamentalisme écologique

A l’opposé des climatosceptiques, le fondamentalisme écologique que certains décrivent comme empreint de misanthropie, associant les êtres humains à des agents pathogènes. L’idéologie écologiste voyant dans la Terre une vierge ingénue que la rapacité humaine aurait souillée. Pour les collapsologues la fin de notre monde est proche. La probabilité de voir le système Terre basculer dans un état inconnu est plus élevée que celle de tout autre scénario prospectif. Cette trajectoire chaotique du système Terre conduit les sociétés humaines vers un effondrement systémique global.
Selon l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet, il n’y aura qu’une « moitié survivante de l’humanité dans les années 2040 » (Libération, 23 août 2017). L’auteur et conférencier Pablo Servigne invite à se « réensauvager », pour « renouer avec nos racines profondes », nos « symboles primitifs ».
Comment faire émerger un autre monde possible à partir de celui-ci ? Leurs propositions :
• La première piste est à rechercher du côté de la permaculture en tant que vision du monde et science pragmatique des sols et des paysages, rejeter les leurres de la croissance verte afin de revenir à une juste mesure en réduisant considérablement notre empreinte sur le monde.
• Une deuxième piste d’action, un changement général d’échelle et une politique de décroissance. La dynamique bio régionale stimulera le passage d’un système hyper efficient et centralisé à une organisation forgée par la diminution des besoins de mobilité, la coopération, le ralentissement. Cette organisation sera composée d’une multitude de dispositifs et de sources d’énergie.
• La troisième voie est celle d’un imaginaire social libéré des illusions de la croissance verte, du productivisme et de la vitesse, actionnées par les entreprises transnationales. La ville connectée, emblème d’une techno-euphorie totalement hors-sol, laissera la place à des bourgs et des quartiers « hors réseau » auto producteurs d’énergie. Le nombre de véhicules sera réduit au strict minimum, les flottes seront administrées par les communes, tandis que les champs redessinés en polyculture pourront être traversés à pied.

Le new deal vert

Jérémy RIFKIN est le célèbre prospectiviste américain, auteur du livre publié aux éditions Les Liens qui Libèrent, « la troisième révolution industrielle ». Celle-ci est la conséquence de l’informatisation de la société. RIFKIN préconise un New Deal Vert destiné à métamorphoser les fondements de l’économie et de la société du XXIème siècle et un changement radical du système capitaliste. Dans ce nouveau système économique, la propriété cède le pas à l’accès, les marchés sont remplacés par les réseaux, ce qui donne lieu à un nouveau phénomène l’économie collaborative. Les énergies fossiles sont remplacées par les énergies renouvelables. Le basculement vers l’internet des objets et la troisième révolution industrielle augmenteront l’efficacité énergétique cumulée à 60% ou plus dans les vingt années qui viennent. A terme l’on passera vers une société d’énergie renouvelable et sans carbone à près de 100%.
On imagine sans peine l’énorme bouleversement économique social et politique auquel il faudra faire face.

Peut-on échapper à la décroissance ?

Jean-Marc JANCOVICI, ingénieur français, polytechnicien, enseignant, conférencier et chroniqueur est un spécialiste de l’énergie et du climat. L’énergie c’est ce qui permet au monde moderne d’exister. Il faut se libérer des énergies fossiles qui sont à l’origine du changement climatique. 75% de l’approvisionnement en énergie est fossile. Les énergies renouvelables ne suffiront pas à remplacer les énergies fossiles. Pour lui vouloir réduire le nucléaire est une erreur. Si l’on veut réduire le réchauffement sous les 2°C il faut que les émissions de CO2 baissent de 4% donc réduire l’utilisation du pétrole, du gaz et du charbon. Le pilier de la transition énergétique c’est faire des économies d’énergie donc se mettre au régime, un gros régime pour tout le monde les pauvres comme les riches.

Une critique des collapsologues                                 

Avec leurs prévisions apocalyptiques, les collapsologues ravalent le politique à un mode religieux estime Christophe RAMAUX, membre des économistes atterrés. Pour lui l’écologie mérite mieux que la régression des nouveaux prophètes de l’apocalypse. Elle invite à changer de monde. Mais la prendre au sérieux suppose d’affronter certaines questions. Le capitalisme est par construction productiviste. L’écologie suppose de faire décroître les activités polluantes. Faut-il aller au-delà et prôner une décroissance globale ?

Le réchauffement climatique dépend de quatre variables :

  • la population ;
  • la croissance du produit intérieur brut (PIB) ;
  • l’intensité énergétique du PIB (le ratio énergie/PIB) ;
  • l’intensité carbone de l’énergie (le ratio gaz à effet de serre/énergie).

Le GIEC table surtout sur les deux dernières variables. Car miser sur la réduction de la croissance annihilerait le développement des pays les moins avancés. Ici même, le soulèvement des « gilets jaunes » atteste l’étendue des besoins insatisfaits : fins de mois difficiles, mal-logement, santé, éducation, etc. L’écologie elle-même exige un surcroît de croissance : rénovation du bâti ; transports collectifs, passage à une agriculture (vraiment) raisonnée ou bio (car un kilo de carottes bio plutôt qu’industrielles accroît le PIB en volume, puisque celui-ci intègre le surcroît de qualité), etc.

Le découplage relatif – augmentation des gaz à effet de serre (GES) inférieure à celle du PIB – a déjà commencé à l’échelle mondiale. Le nécessaire découplage absolu – baisse des émissions de GES en dépit de la hausse du PIB – n’est pas hors d’atteinte.

La réduction de la consommation d’énergie suppose de rompre avec l’austérité budgétaire pour réaliser les investissements nécessaires, mais également avec le libre-échange, son transport échevelé de marchandises et son dumping environnemental.

La réduction de l’intensité carbone de l’énergie implique, de son côté, d’abandonner les énergies fossiles au profit d’une énergie électrique décarbonée. La France est bien située sur ce plan, grâce au nucléaire. Les énergies renouvelables sont à encourager. Mais gare aux leurres. Tant que le stockage de l’électricité n’est pas résolu (il ne l’est pas pour l’heure), l’éolien et le photovoltaïque supposent des compléments, ce qui les rend d’ailleurs coûteux. Il serait évidemment préférable de se passer du nucléaire à long terme. Mais pour limiter le réchauffement, pour le portefeuille de l’usager ainsi que pour sa politique industrielle, la France ne doit pas en sortir précipitamment.

Et pour conclure Christophe RAMAUX rappelle que l’histoire fourmille de promesses d’émancipation abîmées par le dogmatisme. Puisse l’écologie y échapper.

La situation est sérieuse mais pas désespérée

C’est ainsi que l’on pourrait résumer la position de Sylvie BRUNEL. Elle est géographe, écrivaine et professeure à l’université Paris- Sorbonne, spécialiste des questions de développement. Elle estime que Non, nous ne courons pas à la catastrophe : certes, les atteintes à la planète sont importantes, mais nous avons désormais les moyens de la réparer. Il n’est aucune irréversibilité. C’est l’innovation et la coopération qui permettent d’inventer les techniques d’atténuation visant à découpler la relation entre consommation de ressources, émission de gaz à effet de serre et production de bien-être.

La ressource est inépuisable car elle dépend de l’ingéniosité humaine et de sa capacité à capitaliser les connaissances, ce qui différencie fondamentalement l’homme de l’animal. Améliorer le bien-être de l’humanité en utilisant mieux les ressources, quel formidable défi ! Mais il suppose la sérénité et la coopération. Pas les anathèmes contre de prétendus surnuméraires ou contre ceux qui travaillent dans le secteur productif. Pas une idéalisation trompeuse du passé, qui a d’ailleurs existé à toutes les époques. Pas les menaces démobilisatrices d’une fin du monde annoncée, qui n’incitent qu’à l’aquoibonisme.

L’écomodernisme                                                             

Steven SPINKER, professeur à l’université Harvard, dans son ouvrage intitulé « Le triomphe des Lumières – pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme », consacre un chapitre à l’environnement. Pour lui l’écomodernisme commence avec la prise de conscience 

  • qu’un certain degré de pollution est une conséquence inéluctable de l’accroissement des activités humaines.
  • que l’industrialisation a été bonne pour l’humanité. Elle a nourri des milliards de personnes, doublé la durée de vie, considérablement réduit l’extrême pauvreté et, en remplaçant les muscles par des machines, facilité l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des femmes et l’éducation des enfants. Tous les inconvénients en termes de pollution et de destruction d’habitats doivent être mis en balance avec ces bienfaits.
  • que le compromis difficile à trouver entre bien-être humain et dégradation de l’environnement peut être négocié par la technologie.

Les écopessimistes ont pour coutume de rejeter en bloc cette approche, la qualifiant de foi aveugle dans le fait que la technologie nous sauvera. SPINKER répond à cela que les catastrophes annoncées par les militants écologistes des années 1970 n’ont pas eu lieu et que des améliorations qu’ils jugeaient impossibles se sont fait sentir. Et de citer différentes améliorations dans la qualité de l’air, la dépollution des fleuves, l’augmentation des zones protégées tant sur terre que dans l’océan.

Le fait que de nombreux indicateurs de la qualité de l’environnement s’améliorent ne signifie pas que tout va bien. Si nous jouissons d’un environnement plus sain c’est grâce à l’activisme, aux lois, aux règlements, aux traités et à l’ingéniosité technique de tous ceux qui ont œuvré à sa protection dans le passé. De nombreux efforts sont encore nécessaires pour empêcher toute régression et surtout les étendre aux problèmes qui perdurent comme la santé des océans et l’émission de gaz à effets de serre dans l’atmosphère.

Pour Steven SPINKER il faut considérer la protection de l’environnement comme un problème à résoudre et remiser les discours moralisateurs et culpabilisants. Les progrès technologiques nous permettent de faire plus avec moins mais les conséquences des gaz à effet de serre sur le climat doivent incontestablement nous alarmer. La réponse éclairée au changement climatique est de découvrir des moyens d’obtenir un maximum d’énergie tout en émettant un minimum de gaz à effet de serre. Les émissions de carbone sont encore trop importantes. La décarbonation a besoin d’un soutien politique et technologique. La mise en place d’une taxe carbone forcerait les gens à prendre en compte les dommages qu’implique chacune de leurs décisions émettrices de carbone. Le défi est de proposer des modifications profondes du dispositif pour le rendre socialement juste. La justice requiert que le partage des coûts de la politique climatique soit équitable.

Par ailleurs un nombre croissant de climatologues estiment qu’il n’existe pas de trajectoire crédible vers une réduction des émissions mondiales de carbone sans expansion considérable de l’énergie nucléaire. La décarbonation aura besoin de percées non seulement dans le domaine nucléaire, mais aussi sur d’autres fronts technologiques : batteries permettant de stocker l’énergie intermittente issue des sources renouvelables ; réseaux intelligents de type internet, capables de distribuer à des utilisateurs de l’électricité produite par des sources dispersées dans l’espace ; technologies électrifiant et décarbonant des processus industriels ; méthodes de capture et de stockage de CO2.  Ce dernier défi est d’une importance critique car même si les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de moitié d’ici à 2050 et ramenées à zéro d’ici 2075, le monde sera toujours lancé sur la trajectoire d’un réchauffement risqué, car le CO2 déjà émis restera très longtemps dans l’atmosphère.

En conséquence il ne suffit pas de cesser d’agrandir la serre il faut la démanteler. Pour ce faire la solution la plus évidente est d’appeler à la rescousse autant de plantes avides de carbone que possible. Il faut passer de la déforestation à la reforestation et à l’afforestation c’est-à-dire à la plantation de nouvelles forêts. Il faut reconstituer des zones humides. Beaucoup d’autres idées sont émises pour capter le carbone, des plus sérieuses aux plus farfelues. Les plus spéculatives relèvent de la géo-ingénierie qui ressemblent aux élucubrations d’un savant fou : disperser dans l’atmosphère de la roche pulvérisée capable d’absorber le CO2, ajouter des substances alcalines aux nuages ou aux océans afin de dissoudre le CO2, et bien d’autres…

Parmi les pistes les plus sérieuses, la technique consistant à récupérer le CO2 émis par les cheminées des usines utilisant des combustibles fossiles et à l’injecter sous la croute terrestre. L’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie avec captage et stockage du carbone.

Il faut intensifier la recherche de méthodes pour minimiser les dommages causés en attendant la mise au point de solutions efficaces au problème du changement climatique. Steven SPINKER conclut que l’histoire nous donne à penser que l’environnementalisme moderne, pragmatique et humaniste peut fonctionner. Il estime qu’il faut être modérément optimiste si l’on investit suffisamment dans la science et les technologies.

Les enjeux de la crise climatique

Christian de Perthuis, professeur à l’Université Dauphine, fondateur de la Chaire Économie du Climat, est l’auteur d’un livre intitulé « Le tic-tac de l’horloge climatique » dans lequel il présente les trois enjeux majeurs de la crise climatique :

  • La transition énergétique doit être fortement accélérée. La transition nécessite une mobilisation à tous niveaux : international, européen, national, local et bien sûr, individuel. Il faut sortir de la dépendance à l’énergie fossile. C’est possible en tarifiant mieux le carbone, en profitant de la baisse du coût des énergies renouvelables, et de la baisse du coût du stockage du carbone.
  • Il faut préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
  • Même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique. Il faudra s’adapter à ce réchauffement et ses conséquences. Comme les pays les plus pauvres sont les plus exposés il faut anticiper et les aider à mieux s’y préparer.

Cette exploration, sans avoir la prétention d’être exhaustive, a satisfait mon envie d’y voir un peu plus clair et de me faire une opinion plus circonstanciée et argumentée. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

Références

  • Articles du Journal Le Monde, série « Vivre avec la fin du monde » publiés en juillet 2019.
  • Rapports du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)
  • Rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC)
  • Les grandes représentations du monde et de l’économie – René PASSET – LLL
  • Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies – Monique ATLAN et Roger-Pol DROIT – Flammarion
  • L’humanité en péril, Virons de bord toute ! – Fred VARGAS – Flammarion
  • Le triomphe des lumières, Pourquoi il faut défendre la raison la science et l’humanisme – Steven PINKER – Les arènes
  • Atlas de l’Anthropocène – François GEMENNE et Aleksandar RANKOVIC – SciencesPo les presses
  • Le new deal vert mondial – Jérémy RIFKIN – LLL
  • Le tic-tac de l’horloge climatique de Christian De PERTHUIS – De Boeck supérieur

L’avenir de la planète, le diagnostic ?

Étymologiquement écologie vient de « oïkos » qui, en grec ancien, signifie l’espace familier où l’on habite, où l’on entretient avec les autres des relations de coexistence. Ce terme a été forgé en 1866 par le biologiste et philosophe allemand Ernst HAEKEL. Il la définit comme « la totalité de la science des relations de l’organisme avec son environnement, comprenant au sens large toutes les conditions de l’existence ». Dans la seconde moitié du XXème siècle s’est imposé le sens courant du terme « écologie ». Au-delà de l’étude scientifique des systèmes c’est aussi le respect de l’environnement, le souci de combattre la pollution, de préserver les ressources énergétiques et la biodiversité, d’éviter la dégradation du climat et les catastrophes qui risquent de s’en suivre, en un mot la volonté de protéger la planète.

C’est une préoccupation déjà ancienne !

Dès 1957, Bertrand DE JOUVENEL, juriste, politologue et économiste, fondateur de la revue « futuribles » consacrée à la réflexion sur les futurs possibles, avait mis en cause l’impact de la croissance économique sur les régulations de la nature.

En 1972 le Club de Rome publiait le rapport Meadows intitulé « halte à la croissance » soulignant le caractère redoutable des croissances exponentielles et l’urgence des problèmes qu’elles soulevaient. Le monde prenait conscience des atteintes infligées à la nature : surexploitation de certaines ressources, dégradation de l’atmosphère des villes, de fleuves, de côtes suite aux naufrages répétés de plusieurs pétroliers géants. A chaque fois étaient prises des mesures spécifiques et on ne s’en tirait pas trop mal. La politique de l’environnement était réduite à une succession de mesures ponctuelles extensibles selon les urgences et les besoins.

Dans les années 1980 apparaissent les atteintes dites « globales » à la nature. Les accidents affectant deux centrales nucléaires, Three Mile Island en 1979 et Tchernobyl en 1986, déclenchent des conséquences susceptibles de s’étendre sur l’ensemble de la planète.

Plus tard les faits se précisent

En 1985 il se vérifie que les chlorofluorocarbones attaquent l’ozone stratosphérique. La question des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et de leur impact sur la température de la planète se trouve confirmée en 1989 par les études de la NASA. On commence à se préoccuper de la réduction de la biodiversité. Ce sont les grandes fonctions régulatrices du milieu naturel qui se trouvent menacées : filtration du rayonnement ultraviolet d’origine solaire sans laquelle la vie n’aurait pu se diversifier et s’étendre ; régulation thermique maintenant la planète dans des limites de températures compatibles avec la pérennité de la vie ; diversité des formes indispensables à la stabilité du vivant.

La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.

La logique du développement économique, pensé en lui-même et pour lui-même, s’oppose en tout point à ce mode de régulation. La nature tend à tirer de l’énergie solaire le maximum de biomasse. La biomasse est la matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme une source d’énergie. Elle peut être valorisée de manière thermique, chimique ou biochimique. L’écosystème tend naturellement à optimiser ses stocks, niveau qui correspond à la quantité la plus importante de biomasse qu’il peut porter compte tenu de la quantité d’énergie solaire qu’il reçoit.

A l’opposé, l’économie s’attache à maximiser le flux des produits qu’elle tire d’un stock limité de moyens de production en n’hésitant pas à surexploiter les réserves naturelles jusqu’à l’épuisement. Les rythmes d’exploitation de l’économie, axés sur les rendements immédiats, ne respectent pas les temps de cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes.

Nous avons donc une espèce dominante qui compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or l’homme est une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu.

Le rapport Brundtland, en 1987, définit le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. »

 Le rapport GEO-4, publié en fin 2007 par le programme des Nations Unies pour l’environnement, précise la nature des problèmes et les perspectives qui en découlent pour l’humanité.

La communauté internationale a réduit de 95% la production de produits chimiques qui abiment la couche d’ozone. Elle a créé un traité de réduction des gaz à effets de serre qui régit le commerce du carbone par des marchés de compensation. Elle a favorisé une hausse des zones terrestres protégées qui couvrent environ 12% de la terre et créé de nombreux instruments concernant la biodiversité, les déchets dangereux et la modification des organismes vivants. Mais cela n’est pas suffisant disent les auteurs.

Des difficultés nouvelles se révèlent allant de la vie des océans à l’apparition de pathologie liées à l’environnement. Aucun des problèmes soulevés ne connait de prévisions d’évolution favorables.

Le monde vit au-dessus de ses moyens et épuise son patrimoine au détriment des générations futures. L’eau est menacée quantitativement et qualitativement. La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La hausse moyenne des températures mondiales est estimée à 0,7°C pour le siècle passé et 1,8°C pour le siècle en cours alors que certains scientifiques pensent qu’une hausse de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels est un seuil au-delà duquel la menace des dégâts majeurs et irréversibles devient plus plausible. Et les inégalités ne cessent de s’accroitre entre les pays riches et les pays pauvres et à l’intérieur de chaque pays entre les plus riches et les plus pauvres.

Le rapport souligne l’interdépendance de ces problèmes : la crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie ne font qu’un. Cette crise n’inclut pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité et la faim mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale, à la hausse de la consommation des riches et au désespoir des pauvres.

Si les tendances actuelles se prolongent, la population atteindra les 9 milliards d’individus en 2050, (hypothèse moyenne de la prévision de l’ONU), le produit intérieur brut sera multiplié par cinq, l’environnement et la société évolueront vers des points de basculement où des changements soudains et irréversibles pourraient survenir.

 Si la population atteint 8 milliards d’habitants en 2050, (hypothèse basse de la prévision de l’ONU), et que le taux de croissance du PIB mondial reste modéré soit un triplement, cela concilierait la sauvegarde de la nature avec l’amélioration de la condition des habitants de la planète.

Le directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement conclut que la destruction systématique des ressources naturelles a atteint un niveau auquel la viabilité des économies est en danger, et auquel la facture que nous passons à nos enfants peut se révéler impossible à payer.

Depuis le rapport des Nations Unies de 2007 les choses n’ont pas grandement évoluées.

La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale : les délégués sont parvenus à un projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C. Lors de la COP 22, 59% des pays ont ratifié l’accord, permettant sa mise en œuvre à partir de 2020.

Selon un nouveau rapport, publié en novembre 2018 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté en 2017 après avoir été stables pendant les trois précédentes années. Cette augmentation souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C.

Ce rapport suit de près le rapport du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique, publié en octobre, qui avertissait que les émissions devraient cesser d’augmenter maintenant si l’on voulait respecter l’objectif de maintenir la hausse de température en dessous de 1,5 °C. Les auteurs du rapport notent que les pays devraient multiplier par trois leurs efforts en matière de lutte contre le changement climatique pour pouvoir respecter la limite de hausse de 2 °C d’ici le milieu du siècle. Pour respecter la limite de 1,5 °C, ils devraient quintupler leurs efforts. La poursuite des tendances actuelles entraînera probablement un réchauffement de la planète d’environ 3 °C d’ici la fin du siècle, puis une augmentation continue de la température.

Le rapport propose aux gouvernements des moyens concrets de réduire leurs émissions, notamment par le biais de la politique fiscale, de technologies innovantes, d’actions non étatiques, etc…

A la COP 24 qui s’est déroulée du 3 au 14 décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. La communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Sommes-nous entrés dans l’anthropocène ?

Comparée à l’Univers et même à la Terre, l’humanité est bien jeune. Les géologues décrivent l’histoire de la Terre en la divisant en périodes. Officiellement la Terre est toujours dans l’époque de l’Holocène, période qui a vu l’accroissement de l’humanité et qui a débuté il y a environ 11700 ans. L’Holocène a bénéficié de conditions particulièrement stables et clémentes durant laquelle Homo sapiens y a connu sa plus grande expansion qui s’est accompagnée des premières modifications écologiques importantes avec notamment l’apparition de l’agriculture à laquelle sont associées les modifications massives de paysages et leurs conséquences climatiques. Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est le nombre, l’étendue et la rapidité de ces changements.

Le changement climatique, la montée du niveau des mers, l’acidification des océans, le changement d’usage des sols, tous ces phénomènes se sont multipliés simultanément.

La Terre a toujours changé depuis des milliards d’années. Mais les transformations imposées par les humains sont saisissantes, tant par leur nombre que par leur rapidité et leur échelle. C’est ce qui amène des scientifiques à émettre l’idée que la Terre est entrée dans une nouvelle période géologique, l’anthropocène, c’est-à-dire « l’Ère de l’homme ».