Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.
Lors du premier tour de ces élections présidentielles les électeurs se sont comportés en stratèges et ont plébiscité le vote utile quel que soit leur choix d’orientation réelle. C’est en tout cas le sentiment que l’on peut avoir en analysant les résultats.
A l’extrême droite, c’est la candidate du Rassemblement National qui a bénéficié du vote utile. Les électeurs de droite radicale ont préféré l’apparente modération aux discours excessifs du polémiste d’extrême droite. Ils ont sans doute estimé que c’était le plus sûr moyen d’accéder au second tour. Pari couronné de succès.
A la droite républicaine la candidate écartelée entre une tendance modérée et une tendance clairement identitaire a vu les intentions de vote en sa faveur fondre comme neige au soleil. Une partie de ses électeurs se sont ralliés au président candidat de centre droit et une partie des identitaires préférant la candidate du Rassemblement National. Au-delà du meeting raté c’est cette division qui a probablement annulé les ambitions de ce camp.
Le candidat des insoumis, se qualifiant lui-même de gauche radicale, a très vite appelé au vote utile, estimant qu’il était le seul à espérer arriver au deuxième tour. Malgré son attitude dominatrice à gauche son appel a été entendu et lui a permis de passer de 9% des intentions de vote à un résultat frisant les 22% des votants attirant une bonne partie des électeurs de Europe écologie les verts, du Parti communiste et du Parti socialiste. Ces derniers, sans pour autant adhérer au programme des insoumis, motivés sans doute par l’espoir que la gauche soit présente au second tour, se sont ralliés au candidat des insoumis.
Alors que les sondages depuis de nombreux mois indiquaient que les français dans leur grande majorité ne voulaient pas se retrouver avec un deuxième tour en 2022 semblable à celui de 2017 avec un duel centre droit contre droite radicale. Dans cette perspective la droite républicaine estimait être la seule à pouvoir accéder au second tour et battre le président sortant au deuxième tour. Le polémiste d’extrême droite espérait battre la candidate du Rassemblement national avec, pour aller vite, de la surenchère identitaire. La gauche divisée animée de la volonté de ne pas renouveler le sortant, a permis au candidat insoumis de profiter de la faiblesse de ses concurrents de gauche sans pouvoir accéder au second tour. La stratégie des différents candidats additionnée aux stratégies des électeurs a donné un résultat à l’opposé de ce que souhaitait la majorité des français.
Les électeurs de gauche comme les électeurs de la droite républicaine se retrouvent devant le choix qu’ils souhaitaient éviter à savoir de choisir entre La République en Marche et le Rassemblement National. Est-ce qu’ils refuseront de choisir ou est-ce qu’ils voteront pour éliminer le candidat le plus néfaste de leur point de vue ? Que va faire l’électeur stratège ? La réponse au soir du deuxième tour !
Ceci étant dit, les choses ne seront pas réglées du point de vue de ces électeurs frustrés de n’avoir que la possibilité d’éviter le pire. Quelque soit la personne élue au deuxième tour Président de la République, il restera aux français à se prononcer aux élections législatives. Le seul moyen de peser sur la politique des cinq prochaines années, en dehors de la mobilisation dans la rue pour ceux qui aspirent à la baisse des inégalités et au progrès social et écologique, sera d’éviter de donner une majorité parlementaire « godillot » au prochain Président. La droite républicaine devra s’appuyer sur son implantation locale si elle ne veut pas disparaitre au bénéfice du centre droit et de la droite radicale. La gauche diverse devra trouver le chemin du dialogue et du compromis si elle ne veut pas être réduite à une portion congrue. A force de répéter que le clivage gauche droite n’a plus de signification aussi bien dans les médias que dans les forces politiques adeptes du flou artistique, nous avons assisté à un marché de dupe qui risque d’avoir des conséquences graves pour l’avenir de la démocratie.
Le Parti Socialiste dominant dans la gauche française en 2012 a accédé à la magistrature suprême, à une majorité au Parlement et une majorité dans un grand nombre de territoires. Aujourd’hui la candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle a peu de chance de dépasser les 5% de vote selon les sondages à deux semaines de l’élection. L’ensemble des force politiques qui se réclament de la gauche ne peuvent espérer beaucoup plus que les 25% au premier tour de cette élection. Comment en est-on arrivé là ? Ce recul d’influence peut s’expliquer par de multiples facteurs, d’abord internes à la gauche mais aussi externes.
La gauche est diverse et divisée. La montée progressive de la petite musique indiquant que gauche et droite de gouvernement c’est la même chose justifiant le « ni gauche ni droite » et permettant l’apparition du « et de droite et de gauche » rassemblant le centre gauche, le centre droit et une partie de la droite modérée.
Mais le mal est plus profond. D’abord la chute du mur à l’est et le sentiment courant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme et à l’économie de marché. Mais aussi le nécessaire développement de l’Union Européenne, la division sociale du travail dans une économie globalisée, la nouvelle révolution industrielle, la société numérisée, l’évolution des rapports de production, la menace du réchauffement climatique, le recul de la biodiversité et les changements de meurs et de mentalité ont entrainé une mutation de la société qui nécessite le changement du logiciel de la gauche.
Une gauche diverse et divisée
Historiquement la gauche a toujours été diverse. En France les partis de gauche n’ont pu accéder au pouvoir que lorsqu’ils ont trouvé la voie de l’union : le Cartel des gauches (1924-1926), le Front populaire (1936-1938), à la Libération (1944-1948), l’Union de la gauche (1981-1984), la gauche plurielle (1997-2002).
Dans la période plus récente la division s’explique par une rivalité exacerbée des appareils politiques. Le Parti Socialiste dominant a soit exclu de s’allier à certains jugés trop radicaux, soit considéré ses partenaires comme des supplétifs. De plus il lui a été reproché aussi bien en interne (les frondeurs) que par les autres partis de gauche, certains reniements tant au niveau économique que social. En conséquence le Président socialiste sortant en 2017, a renoncé à se représenter.
La faiblesse des socialistes a donné à la gauche radicale (Le Front de gauche puis Les Insoumis) l’idée de devenir dominant à leur tour. Leur posture de critiques, parfois justifiées, se transformant trop souvent en injures d’abord envers le Parti Socialiste mais aussi envers le Parti Communiste et même Europe Écologie les Verts (EELV). Le candidat des Verts à cette élection a lui-même été atteint par ce syndrome de domination après un succès notable pour son parti aux élections européennes mais restant modeste (13%). C’est la course à celui qui fera le meilleur score, ce qui lui donnera le pouvoir de dominer les autres tout en assurant en final un échec collectif.
Au jour où j’écris ces lignes c’est le candidat des Insoumis qui après avoir copieusement dénigré ses concurrents de gauche appelle au vote utile et donc à voter pour lui. Après avoir distribué des coups de pieds il espère des coups de pouce pour accéder au second tour estime Frédéric Says, journaliste à France Culture. Sauf retournement de l’opinion publique il y a peu de chance que cela se traduise favorablement. De plus les sondages, qui ne sont pas « paroles d’évangile », donnent très peu de chance au second tour quelque soit le candidat face au Président candidat sortant. Une fois de plus la preuve sera faite que la gauche ne peut accéder au pouvoir que si ses composantes sont capables de faire l’union.
Mais au-delà des égos des chefs de file, les gauches sont-elles irréconciliables comme ont pu le dire certains ? Leurs divergences sont-elles insurmontables ? Les objectifs communs ne sont-ils pas suffisamment nombreux et importants pour leur permettre d’élaborer des compromis acceptables par tous ou au moins de trouver une méthode pour faire trancher ces divergences par la voie de la consultation populaire ? Il faudrait que cesse les querelles de chapelle si la gauche veut gagner en crédibilité et retrouver la confiance de la majorité des français !
Une union pour quoi faire ?
Dans son ensemble la gauche se doit de faire face aux grands défis de ce premier quart de XXIème siècle en tenant compte des mutations de la société (voir notre article du 20 mars 2022) : préserver la planète du recul de la biodiversité et du réchauffement climatique ; rejeter les politiques néolibérales qui ne font qu’accroitre les inégalités de revenus et de patrimoine qui sont à l’origine d’inégalités de culture, d’éducation, de formation, de santé ; repenser la philosophie politique de l’action publique en cessant d’affaiblir les services publics et en privilégiant le temps long sur le court terme et donc en réhabilitant la planification ; réindustrialiser notre économie dans le but de développer la souveraineté et l’autonomie stratégique de la France dans le cadre de l’Europe; œuvrer pour une concertation mondiale pour faire face aux crises auxquelles se trouve confrontée la planète ; enfin mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité.
Dans le cadre de ces grands défis, la Gauche doit répondre aux aspirations de la majorité des français qui placent aux premiers rangs de leur préoccupations le recul de leur pouvoir d’achat, leur système de santé à la dérive, l’école laïque publique comme moyen d’émancipation et de progrès social, la sauvegarde de notre système de protection sociale. Elle doit aussi proposer de sortir du monarchisme républicain et retrouver un fonctionnement plus démocratique de nos institutions qui ne peut se réduire au vote tous les cinq ans pour un homme ou une femme qui devra décider de tout pendant son quinquennat avec une majorité parlementaire qui lui est dévouée parce que dépendante. Elle doit faire preuve d’imagination et de créativité pour améliorer la participation des citoyens à la vie politique du pays. Toutes les forces qui se définissent de gauche et qui ont la prétention de gouverner doivent adhérer globalement à ces objectifs. Mais le diable se loge dans les détails. Il se peut que sur la manière de répondre à ces objectifs il subsiste des différences. Quand on analyse les catalogues de mesures que chaque camp propose nous pouvons constater des divergences notamment sur l’Europe, le mix énergétique et le nucléaire, la réforme de la constitution, etc… mais si la gauche veut être crédible il faut qu’elle soit capable de régler ces divergences par la négociation et le compromis.
L’échange et la confrontation des points de vue est un élément essentiel de la démocratie. S’il subsiste l’une ou l’autre question d’importance la seule issue est une solution démocratique et par conséquent l’engagement de la faire trancher par un large débat populaire suivi d’un vote sur une question simple et sans ambiguïté.
Retrouver le débat gauche droite
C’est l’extrême droite qui la première a remis en cause l’opposition droite gauche qui monopolisait le débat politique. Rappelons-nous de la dénonciation de « l’UMPS ». Ni droite ni gauche mais polarisation sur l’immigration et la défense de l’identité nationale. Puis au sein de cette musique s’est engouffré le centre gauche et le centre droit qui a pris le pouvoir en 2017 avec la promesse de faire du « et de droite et de gauche ». A chacun de juger du résultat de cette alliance et de la politique menée sur les cinq dernières années.
Cette élection va probablement se décider à droite car la Gauche sera absente du second tour. Seuls son éparpillement et sa désorientation en sont l’explication. Elle doit se refonder et clarifier les directions qu’elle souhaite prendre pour se retrouver sur des valeurs de progrès. Elle doit définir « une nouvelle voie politique-écologique-économique-sociale », qui englobe les esprits de gauche, tout en rassemblant les Français humanistes, comme le dit Edgar Morin dans son livre « Réveillons-nous » publié aux Éditions Denoël.
Retrouver le débat gauche droite est non seulement important pour la gauche mais aussi pour la droite républicaine qui doit se libérer de l’influence néfaste des identitaires nationalistes qui, comme l’analyse le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, ramènent tout à des questions d’identité, d’enfermements nationalistes comme cette expression absurde de « grand remplacement » qui n’a de sens que « dans le cadre d’une pensée tribaliste, où une tribu s’inquiète d’être remplacée par une autre ».
Le retour de ce débat est aussi important pour la France, pour lui permettre de sortir du flou et de la confusion générée par le « et de droite et de gauche » qui participe au désintérêt des Français pour la politique, ce qui se traduit par une abstention de 30% prévue par les sondages.
La pandémie a conduit à une intervention puissante de l’État aux États Unis et en Europe, en particulier en France. Le recul de la biodiversité et le réchauffement climatique rendent indispensable une coordination internationale de l’action des États. La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine met en évidence, entre autres, l’interdépendance au niveau énergétique. Il est de plus en plus question de souveraineté, d’autonomie et d’indépendance dans plusieurs domaines considérés comme stratégiques. La puissance publique doit reprendre la main. Les États doivent faire face à l’instabilité et intervenir massivement pour faire face aux crises qui surviennent régulièrement. Il faut mettre fin au dogme néolibéral qui prétend que le « laisser faire » est la garantie de l’équilibre, que l’État ne doit pas se mêler d’économie et que l’enrichissement des plus dynamiques bénéficiera par ruissellement à tous. La démonstration est faite que cela ne mène qu’à l’augmentation des inégalités. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées. Sans un rééquilibrage des taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à la remise en question de la propriété privée comme le fait Thomas Piketty dans son dernier livre ?
Dans une étude publiée en décembre 2021, le conseil d’analyse économique montre que la part de la fortune héritée dans le patrimoine total est passée, depuis les années 1970, de 35 % à 60 %. Peut-être faut-il aussi se demander comme le fait dans une enquête Anne Chemin, journaliste au journal Le Monde, si l’héritage va de soi. Après une éclipse de plus d’un siècle, le débat sur le bien-fondé de la transmission héréditaire refait surface. Les Français semblent contre mais ils ignorent que 40% d’entre eux n’héritent de rien.
Xavier Ragot, président de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifiques), dans un entretien au journal Alternatives économiques défend l’idée qu’en France, il faut penser les forces productives à l’horizon de dix ans et retrouver un commissariat au Plan, « lieu de rencontres entre universitaires, chefs d’entreprises, syndicats, fonctionnaires etc. pour réfléchir ensemble à l’avenir et construire des compromis ». Nous avons à faire des choix de société dont il faut débattre collectivement. Le capitalisme a de plus en plus besoin de l’État-providence pour la santé, l’éducation, la dépendance etc. Le sujet de fond, c’est comment lui assurer une place plus importante et comment traiter le sujet au niveau européen pour éviter une course au moins-disant social. »
En conclusion, pour autant qu’il soit possible de conclure, je dirais que l’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective. Il n’est plus possible de laisser une petite minorité s’accaparer l’essentiel des richesses car cela entraine un développement de la désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.
Au cours de cette année électorale 2022 nous allons être amenés à faire le choix d’un président de la République et d’élire une majorité parlementaire pour cinq ans. Année importante pour la démocratie française que beaucoup trouve mal en point. Notre pays se trouve confronté comme la plupart des pays à de grands défis que l’on aimerait voir émerger dans cette campagne électorale. Ce qui n’est toujours pas le cas au moment d’écrire ces lignes à moins d’un mois du premier tour de l’élection.
Quels sont ces défis de mon point de vue ?
Le défi climatique
Recul de la biodiversité
La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.
La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie ne font qu’un. Cette crise n’inclut pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale.
Le changement climatique
La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale. Le projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C.
Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté en 2017 après avoir été stables pendant les trois précédentes années. Cette augmentation souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C.
Au cours des Cop suivantes de légers progrès ont été enregistrés mais la communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse significative des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde. Lors de la Cop26 en novembre 2021 à Glasgow les pays développés se sont engagés à doubler l’aide consacrée à l’adaptation, mais ils sont loin de respecter leurs engagements.
Le nouveau rapport du GIEC
Le nouveau rapport du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) publié le 28 février 2022 dresse à nouveau un bilan alarmant. Le changement climatique, causé par les émissions de gaz à effets de serre, a déjà entamé des effets négatifs généralisés et causé des dégâts irréversibles à l’ensemble des sociétés et de la nature. Toute vie sur terre est devenue vulnérable au réchauffement et en particulier aux évènements extrêmes qui ne cessent de se multiplier. Contenir le réchauffement climatique à 1,5°C réduirait considérablement les conséquences sans pouvoir les éliminer. En cas de dépassement de cette limite les effets négatifs et les dégâts irréversibles augmenteront. Il est donc impératif de contenir ce réchauffement et de prendre rapidement des mesures d’adaptation à toutes ses conséquences. Les auteurs du rapport estiment qu’un développement résilient au changement climatique est possible sur la base de l’équité et de la justice. Mais cela sera de plus en plus difficile si l’on tarde à agir.
Le secrétaire général de l’ONU dit que « ce rapport du GIEC est un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l’échec du leadership climatique. Les plus grands pollueurs du monde sont coupables de l’incendie criminel de notre seule maison. » Il appelle les pays à sortir du charbon, à faire une transition vers les énergies renouvelables et à financer l’adaptation aux conséquences du réchauffement à hauteur de 50% des fonds climat.
La rupture de l’équilibre entre la planète et les humains qui l’habitent s’appelle l’Anthropocène. Cette rupture fait ressortir notre immense responsabilité mais crée aussi l’opportunité de redéfinir notre rapport à la terre.
Le défi économique et social
Développement des inégalités
Les études de la World Inequality Database sur les inégalités mondiales publiées en décembre 2021 ont permis de montrer que les pays occidentaux, après avoir connu une baisse des inégalités économiques sur le temps long de l’histoire, sont entrés dans une phase de reconstitution de très fortes inégalités depuis plusieurs décennies, non seulement au niveau des revenus mais aussi au niveau des patrimoines.
Les excès de la mondialisation financière expliquent en partie le creusement des écarts de revenus et de patrimoine ces dernières décennies. Les inégalités culminent à des niveaux historiquement élevés. En moyenne les 10% des adultes les plus riches de la planète captent 52% des revenus mondiaux, lorsque 50% des plus pauvres s’en partagent 8,5%. Les disparités de patrimoine sont plus fortes que celles de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale ne possède que 2% de la richesse des ménages tandis que les 10% les plus aisés en détiennent 76%.
L’hégémonie culturelle du néolibéralisme
De nombreux discours conservateurs tentent de donner des fondements naturels et objectifs aux inégalités et expliquent que les disparités sociales en place sont dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Selon eux les inégalités sont nécessaires pour accroitre la productivité et la croissance.
Dans la deuxième partie du XXème siècle les prophètes du néo-libéralisme de « l’école de Chicago » sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien-être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.
Les politiques néolibérales sont devenues culturellement dominantes et ont bouleversé le panorama des inégalités. La promesse néolibérale de dynamisation de la croissance par la baisse de la fiscalité des plus riches n’a pas marché. La théorie du ruissellement n’a pas généré la prospérité pour tous. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées.
Repenser la philosophie politique de l’action publique
Depuis que cette vision néolibérale s’est imposée le taux de croissance des revenus du capital s’est accéléré alors que la croissance des revenus du travail a stagné voire reculé. Sans un rééquilibrage de ces taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer.
Le mouvement des « gilets jaunes », la crise sanitaire et la guerre en Ukraine remettent l’État et son intervention stratégique au cœur de la dynamique économique. Depuis deux ans les politiques publiques volontaristes visent à limiter les conséquences de la crise sanitaire et à relancer l’économie. Il est nécessaire de repenser la philosophie politique de l’action publique dans l’économie. Le développement économique tant au niveau national qu’européen ne peut être pensé indépendamment des enjeux environnementaux, des exigences sanitaires, des questions de réindustrialisation, des logiques redistributives et ce dans la perspective d’une diminution de notre dépendance dans tous les secteurs stratégiques que sont l’énergie, l’alimentaire et le sanitaire. Les enjeux sont tels qu’ils nécessitent le retour d’une planification sur le temps long structurant et guidant l’action publique au niveau économique.
La réalisation du profit maximum à court terme ne peut plus être la seule motivation en matière d’activité économique. L’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective. Si l’État continue à laisser le 1% de la population s’accaparer l’essentiel des richesses et mettre à contribution les classes moyennes et populaires, il laisse se développer une désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.
Le défi politique
La fin de l’histoire
Il y a trente ans, Francis Fukuyama prédisait le triomphe du modèle libéral sur toute la planète. Il pense que la 3ème guerre mondiale n’aura jamais lieu mais craint une résurgence du terrorisme et des guerres de libération nationale. Il prédit la fin des idéologies du XXème siècle au profit d’un marché mondial ouvert. Dans les mois qui suivent, le bloc soviétique s’effondre et le monde se transforme. La mondialisation mute en globalisation. La financiarisation de l’économie au niveau mondial, le développement d’un capitalisme dominateur sans limite qui ignore les frontières, la concurrence de tous contre tous entrainent un bouleversement de l’ordre du monde qui ne crée pas le bien-être de tous mais une explosion des inégalités entre les pays développés et les pays en développement et à l’intérieur des pays les inégalités entre riches et défavorisés ainsi qu’un appauvrissement des classes moyennes.
Yoshihiro Francis Fukuyama
Un nouvel affrontement
L’affrontement monde capitaliste contre monde socialiste disparait progressivement et laisse la place à l’affrontement entre démocraties et autocraties. La Chine et la Russie multiplient depuis plusieurs mois les déclarations agressives contre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et contre les ingérences extérieures. La Chine a pris violement le contrôle total de Hong Kong et a maté les revendications de démocratie dans l’île. Elle ne cache pas sa volonté de se rattacher Taïwan Aujourd’hui c’est la Russie qui, après avoir défié l’occident en Syrie, a envahi l’Ukraine avec pour ambition de la ramener dans le giron russe. Les dirigeants chinois et russes ne cachent pas leur mépris du système démocratique qui est faible et incapable d’assumer des risques importants. Ils louent ensemble l’efficacité de leur système autocratique et se promettent une amitié sans limite.
Le retour de l’arme nucléaire
Alors que, pendant la guerre froide, l’arme nucléaire était destinée à ne pas être employée, son utilisation est aujourd’hui brandie comme possible. Depuis le début de l’offensive en Ukraine, le Président russe agite la menace nucléaire. Il a averti les pays qui s’opposeraient à son intervention qu’ils s’exposeraient à des conséquences « comme ils n’en ont jamais vu ». Les enjeux de la dissuasion reviennent au premier plan.
Souveraineté et autonomie stratégique de l’Europe
L’invasion de l’Ukraine oblige les États Unis à ne pas regarder que du côté de l’Asie et à respecter leurs engagements en Europe. L’Union Européenne doit prendre conscience qu’elle doit d’abord compter sur elle-même pour sa défense devant les orientations futures de la puissance américaine en direction de l’Asie. La guerre en Ukraine aide à cette prise de conscience qu’il n’est plus possible devant ce nouvel ordre du monde, s’il ne l’a jamais été, d’être uniquement dépendant des Américains. Les chars russes en Ukraine et une agression à ses frontières par une puissance nucléaire ont réveillé l’Union Européenne.
Après la crise sanitaire et maintenant la guerre à ses portes qui ont mis en évidence les faiblesses de l’UE et ses dépendances stratégiques, la souveraineté européenne et son autonomie stratégique sont une priorité incontournable.
La nécessité d’une gouvernance mondiale
Plus que jamais le monde est confronté à de multiples défis : dérives financières, épuisement des ressources naturelles, dérèglement climatique, productivisme agricole, manipulations génétiques dangereuses pour notre alimentation, destruction de la biodiversité, rareté croissante de l’eau potable, développement des inégalités inter et intra nationales, menaces terroriste et nucléaire, pandémies virales, dérèglements politiques, … cette liste n’est hélas pas exhaustive. Il s’agit d’une conjonction de crises d’envergure mondiale.
Pour répondre aux problèmes mondiaux il faut des réponses mondiales. Des éléments de régulation internationale et quelques institutions agissent à l’échelle mondiale mais c’est loin d’être suffisant. Les intérêts nationaux prévalent encore en transformant chaque rencontre internationale en séance de marchandages. Comme l’a définie Stéphane Hessel, « la gouvernance mondiale c’est la capacité de s’élever au-delà des marchandages entre intérêts nationaux pour prendre des décisions politiques planétaires au nom de l’humanité. »
L’envergure mondiale des différentes crises auxquelles nous sommes confrontées rend nécessaire, même si cela apparait complètement utopique, au moins une concertation de l’ensemble des pays de la planète. La réforme en profondeur du seul embryon de gouvernance mondiale existant aujourd’hui, l’ONU, semble indispensable. Il reste la seule institution légitime malgré ses faiblesses pour établir un véritable dialogue et affronter les problèmes qui se posent au monde dans un cadre universel démocratique et rénové.
Le défi technologique
Les mutations scientifiques et techniques
Les mutations scientifiques et techniques ont des effets profonds sur l’identité humaine. Le progrès médical a provoqué au XXème siècle un allongement considérable de la vie. Dans le même temps la médecine brouille la définition de la mort. Les enfants qui naissent aujourd’hui ont une espérance de vie de cent ans. La procréation médicalement assistée ne permet pas simplement la naissance d’enfants qui autrement ne seraient pas nés. Elle modifie le désir même d’enfant. Savoir ce qui nous a permis de venir au monde est une question centrale de notre identité subjective. Notre rapport à la santé, à la douleur, au temps, à la mort et à la transmission de la vie, notre manière de nous représenter l’humain et son évolution sont en train de changer. Cela constitue une cassure par rapport à la totalité de l’expérience humaine, ce que Marcel GAUCHET, philosophe, appelle une « rupture anthropologique ».
Confrontation de l’humanité au progrès technologique
Le mouvement transhumaniste voit l’être humain accéder à un stade supérieur de son évolution grâce aux technosciences. Il promeut l’avènement d’un surhomme technologique soustrait à tout ancrage naturel. Il prétend défendre un modèle d’amélioration de l’être humain qui se veut en continuité avec celui promu par le siècle des Lumières. L’amélioration de l’individu et de ses performances physiques, intellectuelles et émotionnelles n’est envisagée que sous l’angle technoscientifique. Cette quête biotechnologique de l’amélioration et de l’augmentation de l’humain occulte la dimension sociale du combat des Lumières pour l’institution d’une société plus juste.
En biologie le clivage entre vivant et non vivant devient problématique. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, la différence entre machine et conscience se brouille. Dans le monde numérique, où par définition on ignore les frontières, avec la mondialisation on prétend les abolir. On rêve de s’affranchir des limites du corps, du temps, de l’espace, on s’efforce d’augmenter indéfiniment nos capacités productives, notre confort de vie. Mais une conscience aigüe des limites émerge comme l’autre face de notre présent et révèle une tension entre le désir d’illimité et la conscience des limites.
Contrôler le pouvoir de nuire de la technique
L’individu évolue et se constitue autrement à mesure que bougent les techniques, l’histoire et les sociétés. Il se construit différemment, s’inscrit dans de nouveaux schémas. Longtemps nous avons cru avec le siècle des lumières que la responsabilité des humains était de faire progresser les savoirs, perfectionner les techniques, et ainsi permettre à l’humanité de gagner sa liberté sur terre. Mais l’histoire du XXème siècle a prouvé que sciences et techniques, loin de rendre les humains meilleurs, pouvaient leur permettre de tuer plus. Les progrès des sciences et les raffinements de la culture ne constituent en rien des digues contre la barbarie.
Notre responsabilité est de contrôler le pouvoir de nuire de la technique. Sa puissance est devenue telle qu’une catastrophe pourrait mettre un terme à l’humanité. Avec les nouvelles possibilités de manipulation du vivant, de réorganisation de l’ADN, cette analyse se révèle d’une actualité brulante. Comment faire le tri entre une technique scientifique constituant un progrès légitime et une technique qui menacerait la nature humaine dans son essence biologique ? Préserver les conditions d’une vie éthique collective et démocratique, d’une pensée de la dignité de l’humain, d’une résistance à la prolifération des techniques sous la pression du marché.
La technique n’est pas la science, elle peut devenir de la marchandise, la science pas nécessairement. C’est l’usage capitaliste des techniques, leur rentabilisation immédiate dans la recherche du profit qui favorisent et introduisent des mutations accélérées. La technique est rendue dangereuse par sa prolifération marchande incontrôlée.
La bioéthique, pont entre les sciences de la vie et les valeurs humanistes
La confiance aveugle envers les sciences et les techniques est une erreur, la défiance systématique en est une autre. Ce n’est pas la technique qui est en soit bénéfique ou maléfique, mais les usages qu’on choisit d’en faire. Nous devons rester vigilants quant aux possibles dérives, aux possibles mauvais usages des découvertes scientifiques. Aidons le plus grand nombre à comprendre, à avoir accès aux connaissances, pour que chacun ait les moyens d’un jugement approprié. L’ignorance laisse à un petit nombre la responsabilité des choix qui peuvent être sujet à toutes les influences et notamment à la pression économique dès lors que les découvertes qui ont des applications à grande échelle, laissent entrevoir une rentabilité financière. Gardons un œil critique sur les conséquences sociales et les dérives possibles de la recherche et ses applications. Veillons à faire participer la société au débat sur les orientations de la recherche en biologie et ses applications.
Mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité
L’interdépendance des différentes espèces au sein d’un écosystème n’est plus à démontrer. Les activités humaines détruisent des équilibres naturels, produisent des gaz à effet de serre, provoquent le réchauffement climatique, épuisent les stocks d’énergie que l’on sait limités. L’idée que l’humain peut détruire le monde terrestre et ainsi se détruire lui-même émerge et pose le problème des limites de l’activité humaine et de sa responsabilité vis-à-vis de la nature. L’humain est une partie d’un tout qui a la particularité d’être responsable de la conservation de ce tout. Nous devons prendre conscience de nos limites et développer un humanisme différent, un humanisme de la diversité.
Plus que jamais, avec sens des responsabilités et sagesse, l’homme a besoin des principes éthiques des Lumières pour mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité et non l’inverse.
Conclusion
Selon la constitution française l’élection présidentielle, quoiqu’on en pense, devrait être un moment privilégié pour permettre aux citoyens de faire des choix importants pour les cinq années à venir. Plutôt que des catalogues de mesures déterminées le plus souvent par des analyses de marketing politiques destinées aux catégories de population dont on souhaite s’attirer les suffrages, mesures qui le plus souvent seront rendues obsolètes par l’évolution du monde, nous aimerions savoir comment les différents candidats comptent faire face à ces grands défis que nous venons d’énumérer et quel type de société ils comptent mettre en œuvre. Ce sont les réponses à ces défis et les grands choix sociétaux qui, en fonction de l’évolution de la situation, détermineront avec un minimum de cohérence les mesures qui devront être prises par les gouvernants en principe sous le contrôle des citoyens. C’est en sollicitant les citoyens sur ces grands choix que l’on pourra revivifier notre système démocratique et les faire se prononcer sur ce qui influencera vraiment leur vie à venir.
Plusieurs sondages montrent que l’opinion publique en France est favorable à plus de 90% à une législation permettant l’euthanasie et le suicide assisté. De quoi s’agit-il et quelles sont les évolutions possibles ? Voyons dans un premier temps quelques définitions permettant de clarifier le débat. Dans une deuxième partie nous examinerons la législation française en matière de fin de vie. Ensuite nous aborderons ce qui devrait être notre dernière liberté, le choix d’une mort douce et sans souffrance.
Rappel de quelques définitions utiles
Rappelons quelques définitions pour préciser de quoi l’on parle et éviter si possible toute confusion quand on aborde les différentes façons de concevoir la fin de vie.
Euthanasie signifie étymologiquement mort douce et sans souffrance. C’est l’usage de procédés qui permettent d’anticiper ou de provoquer la mort. Ces procédés sont destinés à abréger l’agonie d’un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes. L’euthanasie est dite « active » si elle consiste à administrer des substances destinées à provoquer la mort. Elle est dite « passive » si elle consiste à suspendre les soins ou à s’abstenir de toute thérapeutique.
Le suicide assisté est le procédé où c’est la personne elle-même qui absorbe la substance létale. Encore faut-il que cette substance lui soit accessible d’où la nécessité de l’intervention d’un professionnel habilité.
L’acharnement thérapeutique, selon le Code de déontologie médicale, est une obstination déraisonnable à poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.
Les soins palliatifs ont pour objectif de prévenir et de soulager les douleurs physiques, les symptômes inconfortables ou encore la souffrance psychologique. La médecine palliative a pour mission d’améliorer la qualité de vie des patients atteints d’une maladie évolutive grave mettant en jeu le pronostic vital ou en phase terminale.
La sédation permet au patient de ne pas souffrir et de ne pas avoir conscience de ce qui arrive pendant un laps de temps. Elle peut être profonde et continue maintenue jusqu’au décès du patient.
La législation française
Beaucoup de pays ont légalisé l’arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l’acharnement thérapeutique et institué des initiatives d’accompagnement des patients en fin de vie. L’euthanasie ou le suicide assisté est autorisé en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays Bas, en Colombie et dans certains États des États-Unis.
La fin de vie en France est encadrée principalement par la loi de 2002 sur le droit des malades, la loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie et la loi Claeys-Léonetti, loi de fin de vie du 2 février 2016. La législation française interdit l’euthanasie et le suicide assisté et favorise les soins palliatifs. Elle empêche le médecin de pratiquer une obstination déraisonnable dans le soin des malades. La loi de 2016 introduit les directives anticipées, la désignation de la personne de confiance et instaure également la sédation profonde et continue jusqu’au décès.
Les directives anticipées sont un document écrit, daté et signé par lequel une personne rédige ses volontés quant aux soins médicaux qu’elle veut ou ne veut pas recevoir dans le cas où elle serait devenue inconsciente et se trouverait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Les directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux.
La personne de confiance est la personne désignée pour transmettre aux professionnels de santé, par le biais des directives anticipées, les volontés du patient qui serait devenu hors d’état de s’exprimer.
Une nouvelle proposition de loi a été faite en avril 2021 visant à permettre le libre choix de la fin de vie et à définir un protocole d’aide active à mourir. Cette proposition non soutenue par le gouvernement a fait l’objet de plus de 3000 amendements dont le but était de la faire échouer. Cet épisode montre qu’une partie de la classe politique n’est pas prête à faire évoluer la loi en cette matière.
Choisir une mort douce et sans souffrance
Plusieurs sondages commandés par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) indique que plus de 90 % des personnes interrogées seraient favorables à ce qu’une législation permettant une mort douce et sans souffrance soit adoptée.
Cette aspiration rencontre plusieurs oppositions, les croyants, le corps médical, les risques de dérives. Ces oppositions sont respectables et méritent de se voir apporter des réponses.
Aux croyants il faut souligner que le fait de légiférer n’oblige personne. La loi ne ferait que permettre, à ceux qui en font le choix, d’exercer leur dernière liberté en décidant de cesser de vivre au vu de leur état. Ceux qui pensent que seul Dieu a donné la vie et donc lui seul peut reprendre ce qu’il a donné, ne sont soumis à aucune obligation.
Aux médecins qui ont fait le choix de sauver les vies et qui estiment qu’il n’est pas dans leur rôle de donner la mort, il est légitime de leur accorder une clause de conscience. De plus il s’agit de permettre à l’intéressé, aidé de sa ou ses personnes de confiance, la possibilité d’acquérir et d’absorber une potion létale.
Les risques de dérives doivent être pris en considération en encadrant ce nouveau droit par un contrôle collégial des conditions d’exercice de ce droit à la mort douce. Si la personne concernée est lucide au moment de l’exercice de ce droit et qu’elle confirme un choix philosophique fait plusieurs fois au court de sa vie, son choix doit être respecté et le risque de dérive est réduit. De même si l’intéressé n’est plus lucide mais qu’il a confirmé antérieurement sa volonté plusieurs fois et qu’il a désigné une personne de confiance qui confirme, là aussi le risque de dérive est réduit. Le plus sûr moyen d’éviter les dérives est de populariser la possibilité de rédiger ses directives anticipées. Il devrait être obligatoire, dans tout établissement de santé, de proposer la rédaction de ces directives avant toute hospitalisation. Si la personne n’est pas lucide et si elle n’a pas rédigé ses directives anticipées le recours à l’euthanasie doit rester interdit.
Dès l’instant où une personne estime que sa situation ne lui permet plus d’avoir une vie digne (soit à cause de la dégradation de sa santé, soit parce qu’elle est atteinte d’une maladie incurable, soit parce qu’elle subit des souffrances difficilement supportables, soit parce qu’elle ne peut plus vivre sans être dépendante pour ses besoins les plus intimes…) elle doit pouvoir recourir à ce droit à une mort douce et sans souffrance.
Ne pas lui permettre d’accéder à ce droit, qui relève d’un choix personnel et intime, est une limitation de sa liberté. Alors que lui reconnaître ce droit ne lèse personne.
L’humanisme consiste à mettre la personne humaine et son épanouissement au centre de toute préoccupation. L’adoption d’une loi permettant le choix de sa fin de vie ne nuit en rien à l’égalité de traitement des citoyens et ne contraint personne. Par contre maintenir l’interdiction de donner la mort dans les circonstances précisées ci-dessus empêche ceux des citoyens qui aspirent à choisir le moment de leur mort, crée une inégalité par rapport à ceux qui ont une option philosophique différente. La France est une république laïque qui garantit le droit de croire ou de ne pas croire. Le respect de la liberté de conscience est un des fondements de la République. La légalisation de l’euthanasie active et du suicide assisté en France, encadrée dans le respect des inquiétudes des opposants et visant à lutter contre les dérives éventuelles sera indéniablement une avancée humaniste.
Une loi sur la fin de vie respectant la liberté de conscience de chaque citoyen doit autoriser ceux qui ont rédigé leurs directives anticipées, à obtenir le droit à une mort douce et sans souffrance. C’est le droit à leur dernière liberté.
La langue anglaise est parfois plus expéditive et directe que le français : « to nudge » veut dire donner un coup de coude. C’est un geste que l’on peut faire pour encourager ou pour inciter quelqu’un à faire quelque chose.
Le nudge est une méthode d’influence douce issue des progrès des recherches en psychologie cognitive et en neurosciences, qui a été développée par les tenants de la « behavioural économy » (l’économie comportementale). Elle a été théorisée par l’économiste Richard Thaler.
Ses travaux portent sur le fait que, contrairement à certaines théories économiques, les êtres humains ne se comportent pas toujours de manière rationnelle notamment en raison de biais cognitifs. Nous n’aimons pas changer de comportement si cela nous demande des efforts, nous préférons en général rester dans les normes plutôt que se distinguer, nous appréhendons l’échec, nous remettons à plus tard ce qui aurait peut-être intérêt à être fait tout de suite, nous préférons une action qui rapporte immédiatement à une action rapportant plus mais plus tard. Autant d’exemples de comportements qui ne correspondent pas forcément à notre intérêt immédiat. Selon Richard Thaler ce sont des facteurs très divers qui déterminent nos décisions. Il s’agit de comprendre comment les individus font des choix de manière à les inciter à modifier leur comportement.
Cette méthode est utilisée par le marketing mais aussi dans le monde politique d’abord au Royaume Uni et aux États-Unis. Depuis quelques années en France, la méthode est préconisée pour l’ensemble des politiques publiques. Pendant la pandémie le gouvernement s’est appuyé sur des experts en sciences comportementales pour inciter les français à suivre les recommandations sanitaires. Je vous laisse juge de l’efficacité de la méthode. En tous cas cela n’a pas empêché le cafouillage autour du port du masque.
Les partisans de cette technique la préconisent en remplacement de la taxation ou de l’incitation financière en argumentant sur le fait que le bâton n’est pas toujours la meilleure façon de parvenir à ses fins. Ils préfèrent l’incitation douce à la contrainte. Le délégué interministériel à la transformation publique cite comme exemple la ville de Chicago qui a modifié le marquage au sol à l’approche des virages pour donner l’impression d’une plus grande vitesse aux automobilistes. Le nombre d’accidents a baissé de 36% alors que les répressions classiques avaient échoué. Autre exemple l’aéroport d’Amsterdam a collé des images de mouches dans les urinoirs pour inciter les utilisateurs à viser juste et réduire les coûts d’entretien.
Même si les chercheurs en sciences comportementales disent qu’ils sont bien intentionnés, qu’ils agissent au nom de l’intérêt général, qu’ils respectent un cadre éthique précis et une méthodologie rigoureuse avec une évaluation systématique des résultats, le « nudge » laisse entrevoir des dérives inquiétantes. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Cette méthode n’en est qu’à ses premiers balbutiements dans l’action publique et peut verser dans l’infantilisation ou la manipulation. Dans un contexte de suspicion généralisée à l’égard du politique et de complotisme galopant, les initiatives visant à modifier le comportement des citoyens ne peut qu’interroger. Dans certains cas l’intérêt collectif est clair mais dans d’autres les choses sont moins évidentes. Alors, qui décide de ce qui est bon pour tous ? Comment réagirons les citoyens qui prendront peu à peu conscience d’être des individus « nudgés » c’est-à-dire poussé sans le savoir à choisir l’option que le gouvernement juge préférable ?
Le nudge fait l’objet de nombreuses critiques. Cette technique, qui s’apparente au marketing publicitaire, est-elle compatible avec la démocratie et la citoyenneté ? Plutôt que d’amener les citoyens à changer inconsciemment de comportement ne vaudrait-il pas mieux, dans le cadre d’un débat démocratique, les convaincre de le faire en toute conscience ? Les techniques de marketing publicitaire influencent déjà beaucoup trop la vie politique, est-il nécessaire qu’elles envahissent aussi les politiques publiques ?
Depuis l’apparition des humains sur la terre, les générations se succèdent, chacun luttant pour sa propre survie et celle de ses proches. La maîtrise de la nature, le développement des techniques et des sciences, l’évolution des formes d’organisation sociale sont à la base du progrès humain. Étudier l’Histoire de l’humanité c’est essayer de comprendre comment et pourquoi les choses se sont passées de telle ou telle manière et pas autrement. Au cours des siècles les études historiques ont évolué. Il y a là aussi différentes façons d’aborder l’Histoire. Pour situer l’approche comparative de l’Histoire des inégalités telle que développée par Thomas Piketty et la World Inequality Database, j’aborderais dans un premier temps des conceptions de l’Histoire avant de dérouler les éléments moteurs de l’évolution des inégalités, pour terminer par la vision néolibérale de la prospérité.
Différentes approches de l’Histoire
La conception idéaliste de l’Histoire
Selon la conception idéaliste de l’histoire telle que Hegel l’entendait, l’univers évolue selon un processus continuel de dépassement. Cette conception pose les principes d’une approche dialectique de l’histoire. Elle confère à l’idée, ou à l’esprit le rôle de moteur premier dans le déroulement du processus dialectique. L’homme appréhende les choses par le travail de l’esprit et de la raison. L’esprit est la contradiction suprême qui met le monde en mouvement et transforme le réel.
Le matérialisme historique
Partisan d’une conception matérialiste de l’Histoire, Marx conteste l’idéalisme de la vision d’Hegel. Il estime que la dialectique hégélienne « marche sur la tête », c’est la vie qui détermine la conscience et non la conscience qui détermine la vie. Mais il souligne la portée révolutionnaire de la conception dialectique de Hegel et voit en celle-ci le mécanisme annonciateur de la disparition du capitalisme dans son dépassement par une autre forme de société issue de ses contradictions. Les forces productives déterminent les rapports de production ou structure sociale qui, dans le système capitaliste, se décompose en deux classes aux intérêts opposés. Les forces productives et les rapports de production déterminent ensemble le mode de production. Pour Marx l’Histoire est l’étude des formations sociales concrètes considérées non pas comme données statiques mais comme des processus de reproduction sociale. Le matérialisme historique est l’étude des formations sociales, c’est-à-dire l’analyse du processus complexe par lequel une formation sociale se produit et se reproduit comme unité, comme un tout structuré.
Deux écueils à éviter dans l’histoire comparative des inégalités
Sans tourner le dos à ces conceptions de l’Histoire, Thomas Piketty, professeur à l’École d’économie de Paris, a adopté une approche plus pragmatique. Il est l’auteur du « Capital au XXIème siècle » en 2013, de « Capital et idéologie » en 2019, et vient de publier « Une brève histoire de l’Égalité » en 2021 aux éditions du Seuil. C’est un spécialiste de l’étude des inégalités économiques dans une perspective historique et comparative. En collaboration avec d’autres économistes au sein de la World Inequality Database, il a effectué un travail comparatif sur la dynamique des inégalités dans les pays développés à partir de la création de séries statistiques couvrant la totalité du XXe siècle, constituées notamment à partir de données des administrations fiscales.
Ces études ont permis de montrer que les pays occidentaux, après avoir connu une baisse des inégalités économiques sur le temps long de l’histoire, sont entrés dans une phase de reconstitution de très fortes inégalités depuis plusieurs décennies, non seulement au niveau des revenus mais aussi au niveau des patrimoines.
Dans son dernier livre Thomas Piketty indique s’appuyer sur de nombreux travaux internationaux qui ont profondément renouvelé les recherches en histoire économique et en sciences sociales. Il précise que deux écueils sont à éviter : « l’un consistant à négliger le rôle des luttes et des rapports de force dans l’histoire de l’égalité, l’autre consistant au contraire à les sanctifier et à négliger l’importance des débouchés politiques et institutionnels ainsi que le rôle des idées et des idéologies dans leur élaboration ».
Les éléments moteurs de l’évolution des inégalités
Esclavagisme et colonialisme ont joué un rôle primordial
Le développement du capitalisme industriel occidental est intimement lié à la division internationale du travail, à l’exploitation des ressources naturelles et à la domination militaire européenne. L’esclavagisme et le colonialisme ont joué un rôle primordial dans l’enrichissement occidental. A titre d’exemple, citons les recherches de Sven Beckert sur « l’empire du coton » reprises par Thomas Piketty. Ces recherches ont montré l’importance cruciale de l’esclavagisme dans la prise de contrôle de la production textile mondiale entre 1750 et 1860 par les britanniques et les européens.
Le colonialisme et la domination militaire ont permis aux pays occidentaux d’organiser l’économie-monde à leur profit. A cela s’ajoutent des facteurs religieux, idéologiques et anthropologiques pour expliquer la trajectoire historique des puissances européennes. L’Histoire de l’État et du pouvoir joue aussi un rôle important dans cette évolution. Pendant des siècles les États ont généralement été contrôlés par les classes dominantes. Les révoltes et les luttes sociales ont joué un rôle croissant à partir de la fin du XVIIIème siècle et contribuent à la détermination du type de pouvoir étatique.
Rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales 2022
Le rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales publié ce mardi 7 décembre 2021 par la World Inequality Database, nous apporte un nouvel éclairage sur les multiples inégalités. Les excès de la mondialisation financière expliquent en partie le creusement des écarts de revenus et de patrimoine ces dernières décennies. Les inégalités culminent à des niveaux historiquement élevés. En moyenne les 10% des adultes les plus riches de la planète captent 52% des revenus mondiaux, lorsque 50% des plus pauvres s’en partagent 8,5%.
Les disparités de patrimoine sont plus fortes que celles de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale ne possède que 2% de la richesse des ménages tandis que les 10% les plus aisés en détiennent 76%.
La crise liée au Covid-19 a exacerbé un peu plus encore la captation des richesses mondiales par les plus fortunés, elle a profité aux multimillionnaires. Depuis 1995, les multimillionnaires (le 1 % le plus aisé) ont capté 38 % de la richesse additionnelle créée, contre 2 % pour la moitié des plus pauvres.
Ces dernières décennies, d’importants transferts du patrimoine public vers le privé ont été opérés. La hausse des prix de l’immobilier et des Bourses a contribué à gonfler les patrimoines privés, et la hausse des dettes publiques expliquent la chute des patrimoines publics nets.
Les inégalités de genre restent fortes : les femmes ne touchent que 35% des revenus mondiaux, 38% en Europe de l’Ouest. Les disparités de richesse se traduisent aussi en inégalités en termes d’empreinte écologique. Les émissions de carbone des 1 % les plus riches de la planète dépassent celles des 50 % les plus pauvres.
La vision néolibérale de la prospérité
Les prophètes de la révolution néolibérale
De nombreux discours conservateurs tentent de donner des fondements naturels et objectifs aux inégalités et expliquent que les disparités sociales en place sont dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Selon eux les inégalités sont nécessaires pour accroitre la productivité et la croissance.
Dans la deuxième partie du XXème siècle les prophètes du néo-libéralisme de « l’école de Chicago » sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien-être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.
Ronald Reagan aux États Unis et Margaret Thatcher au Royaume Uni ont été les premiers dirigeants à mettre en œuvre ce tournant politique des années 1980 qui a eu un impact considérable sur l’évolution des inégalités. Après une période d’après-guerre où les inégalités ont régressé, les politiques néolibérales sont devenues culturellement dominantes et ont bouleversé le panorama des inégalités. La promesse néolibérale de dynamisation de la croissance par la baisse de la fiscalité des plus riches n’a pas marché. La théorie du ruissellement n’a pas généré la prospérité pour tous. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées.
Cette vision met la démocratie en danger
Depuis que cette vision néolibérale s’est imposée le taux de croissance des revenus du capital s’est accéléré alors que la croissance des revenus du travail a stagné voire reculé. Sans un rééquilibrage de ces taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à la remise en question de la propriété privée comme le fait Thomas Piketty dans son dernier livre ?
L’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective.
Cette évolution s’accompagne d’une augmentation inquiétante de l’abstentionnisme aux élections et d’une offre politique de droite extrême qui tente, avec démagogie et un certain succès, de gagner les voix des catégories populaires défavorisées. L’inégalité est à la fois la cause et la conséquence de la faillite du système politique comme dit Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie. Si l’État continue à laisser le 1% de la population s’accaparer l’essentiel des richesses et met à contribution les classes moyennes et populaires, il laisse se développer une désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.
Dans une tribune parue dans le journal « Le Monde », des médecins de Nouvelle Aquitaine, principalement des réanimateurs, devant faire face à une recrudescence des hospitalisations et des réanimations notamment des personnes non-vaccinées sont confrontés à une série de questions qui ne peuvent que nous interpeller.
Les services de réanimation sont, au moment d’écrire ces lignes, occupés à 70% par des personnes non vaccinées. Les 30% restants sont des personnes vaccinées atteintes de comorbidités.
Est-ce normal de priver des malades de lit de réanimation ou de soins chirurgicaux, même non urgents, pour s’occuper de personnes qui ont fait le choix de ne pas se vacciner et ainsi prendre délibérément le risque de faire une forme grave de la Covid 19 ?
Est-il juste de faire attendre un patient atteint d’une infection digestive au service d’urgence sur un brancard pendant dix heures parce que le service des maladies infectieuses est rempli par des patients atteints de la Covid 19 ?
Est-il juste de ne pas réaliser une transplantation hépatique car la réanimation prévue pour accueillir ce type de patient a été transformée en unité Covid 19 ?
Faut-il privilégier un malade non vacciné atteint du Covid qui prend un lit de réanimation et empêche un malade vacciné atteint d’un cancer d’être pris en charge ?
Il est compliqué pour les médecins et notamment les réanimateurs de voir des patients non vaccinés qui remplissent les lits et engorgent l’hôpital, ce qui les oblige à reporter des soins pour des patients vaccinés.
C’est une question éminemment éthique que se posent aussi des médecins belges qui souhaitent que la priorisation absolue des patients atteint de la Covid 19 fasse l’objet d’un débat éthique avec toutes les parties concernées.
Bien entendu, pour les médecins comme pour tout citoyen, il est inenvisageable, dans nos sociétés libérales et démocratiques, de ne pas soigner les non-vaccinés. Le code de déontologie médicale a force de loi et est sans appel. Le médecin doit soigner toute personne quelles que soient ses convictions. Mais il est notable que dans la situation d’engorgement des hôpitaux cette obligation n’est pas dénuée de complexité.
Israël Nisand – francetvinfo
Le professeur Israël Nisand, spécialiste des questions bioéthiques et d’éthique médicale, interrogé à ce sujet sur une chaine de télévision, estime que ce dilemme ne se pose pas aux médecins mais se pose aux patients, ceux qui réclament de leur liberté le fait de ne pas se faire vacciner. Il ne s’agit pas que de leur liberté mais aussi de la liberté des autres de se faire soigner et de pouvoir accéder à une réanimation quand on a un AVC (accident vasculaire cérébral), un accident cardiaque ou autre. C’est pourquoi il se déclare extrêmement favorable à une obligation vaccinale en bonne et due forme. Il ne s’agit pas de ménager la liberté des uns ou des autres, il s’agit d’avoir la responsabilité de savoir qu’en ne se vaccinant pas, ils vont condamner d’autres à la mort parce qu’ils ne pourront pas accéder à un lit de réanimation.
Si nous ne voulons pas que les médecins soient obligés de faire face à ce dilemme de faire le tri entre leurs patients, la seule solution est de rendre obligatoire la vaccination contre la Covid 19.
Lluis Quintana-Murci, généticien, professeur au Collège de France, vient de publier chez Odile Jacob un livre intitulé « Le peuple des humains » avec comme sous-titre : Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations. Je viens de terminer la lecture de ce livre passionnant à la portée de tous qui répond à ces questions universelles que se posent les humains depuis leur apparition sur terre : d’où venons-nous ? que sommes-nous ? où allons-nous ?
Je n’ai pas la prétention de vous résumer cet ouvrage mais simplement d’y relever quelques éléments qui vous donneront, je l’espère, envie de le lire dans sa totalité.
Des mythes à la découverte de l’ADN
Les mythes et les religions ont proposé des réponses à la question de nos origines. Aujourd’hui la science apporte un éclairage de nature différente. Elle explique d’où nous venons à partir de la connaissance des processus du vivant que nous accumulons sans cesse. Le cadre général est la théorie de l’évolution de Darwin à laquelle s’ajoutent la découverte de l’ADN, les bases de la génétique et celles de la génétique des populations.
Charles Darwin
La théorie de Darwin (1859) postule que la transformation des espèces se fait par sélection naturelle et de façon graduelle. Les différences observées entre individus sont transmises aux générations suivantes. Petit à petit la sélection naturelle induit des changements graduels et les individus les plus adaptés sont de plus en plus nombreux.
Contemporain de Darwin, Gregor Mendel, à partir de ses travaux sur la transmission des caractères héréditaires, montra que des facteurs se transmettaient de génération en génération de manière prédictible. Il établit les lois de l’hérédité que l’on appela par la suite les « lois de Mendel ». Charles Darwin ne lut jamais ses travaux. Ce n’est que plus tard que l’on fit le lien entre hérédité et évolution.
Entre 1930 et 1960 un consensus interdisciplinaire entre naturalistes, paléontologues, mathématiciens et généticiens constitue « la théorie synthétique de l’évolution ». Leurs travaux établissent que l’évolution est un processus graduel compatible à la fois avec les mécanismes génétiques connus et avec les observations naturalistes. Mais la nature du matériel héréditaire demeurait inconnue. La découverte de la structure en double hélice de l’ADN en 1953 et les découvertes en biologie moléculaire et plus généralement en génétique ont permis de faire d’énormes progrès dans l’explication des phénomènes de la vie. La théorie synthétique de l’évolution permet de mieux comprendre les processus évolutifs qui affectent la diversité génétique d’une population.
Les études en génétique se sont particulièrement développées avec l’arrivée du séquençage de l’ADN en 1977 et grâce au programme de science collaborative lancé en 1988 pour établir la séquence complète de l’ADN du génome humain. Nous savons aujourd’hui que seulement 2% du génome contient de l’information génétique qui va se traduire en unités essentielles pour faire un être vivant.
L’homme ne descend pas du singe… il est un singe !
Basée essentiellement sur l’anatomie comparée, soulignant la grande proximité entre l’homme et les singes de l’Ancien Monde, Darwin dit que l’homme est un singe qui appartient aux catarhiniens, comme les chimpanzés, les gorilles ou les orangs outangs.
La génétique et ensuite la génomique ont confirmé les hypothèses de Darwin et de beaucoup d’autres sur l’ancêtre commun partagé entre l’homme et les singes. Les techniques de biologie moléculaire appliquées à l’étude du passé des vivants ont montré que l’homme était bien plus proche des singes africains que ceux-ci l’étaient des singes asiatiques. Ils datèrent la divergence entre l’homme et le chimpanzé et le gorille à seulement 5 millions d’années. Les expériences d’hybridation de l’ADN ont apporté les premières preuves génétiques révélant que les humains et les chimpanzés sont plus étroitement liés les uns aux autres qu’ils ne le sont chacun respectivement vis-à-vis des gorilles. La divergence entre l’homme et le chimpanzé est plus récente que celle entre leur ancêtre commun et le gorille. L’orang outan, autre cousin souvent mentionné, est l’espèce la plus éloignée de l’homme.
L’homme est donc un singe mais il n’est pas un singe comme les autres à de nombreux égards. Les différences de génome avec les chimpanzés, si faibles soient-elles en volume, se situent dans des régions génomiques impliquées dans le développement du cortex cérébral. Ces différences pourraient expliquer la taille très supérieure de notre cerveau et être impliquées dans les extraordinaires fonctions cognitives que notre espèce a acquises. Des différences diverses peuvent également expliquer les particularités uniques de l’espèce humaine en matière de morphologie, de fonctions cognitives comme le langage articulé, de relations sociales, de physiologie ou de relations avec les pathogènes entre autres.
Nous sommes le résultat d’une longue histoire de métissage
Après les instruments traditionnels des archéologues et paléoanthropologues, les apports décisifs de la génomique nous permettent de mieux en mieux reconstituer l’épopée de notre espèce, depuis son berceau, l’Afrique, jusqu’aux différentes étapes du peuplement de la terre et de ses continents. Nous sommes le produit de 200 000 ans d’histoire comme espèce, avec à la fin 100 000 ans de voyages et de rencontres multiples. Nous pouvons « lire » dans nos génomes comment notre espèce s’est adaptée à son environnement mais aussi à nos prédateurs, nos pathogènes causant les maladies infectieuses. Mais les humains ont aussi une histoire culturelle qui quelque fois infléchit leur histoire génétique. En retraçant l’histoire des mouvements de population et des métissages tels qu’ils sont révélés par la génétique, la génomique permet de relier le présent au passé.
Le génome de chacun de nous est une mosaïque composée à partir des génomes de tous nos ancêtres. Nous y retrouvons les traces d’une multitude de rencontres qui ont abouti à notre diversité génétique actuelle. Ces rencontres font de nous des métis, quelle que soient nos origines géographiques, ethniques ou culturelles. Toutes les revendications identitaires appuyées sur des héritages exclusifs du « sang » ou de la « race » ne sont que des fantasmes au regard de la réalité génétique. D’un point de vue biologique chez les humains la « race » est pour l’essentiel une construction culturelle.
L’étude de nos génomes montre que la plupart des individus et des populations de la planète, sauf celles d’origine africaine, ne sont pas Sapiens à 100%. Ironiquement, les seuls groupes qui seraient Sapiens à 100%, car ils n’ont pas ou peu de matériel « archaïque » (c’est-à-dire d’origine néandertalienne ou dénisovienne, espèces antérieures à sapiens) dans leurs génomes, sont ceux d’origine africaine. C’est un détail de poids à rappeler aux défenseurs d’idéologies racistes.
Pour les hommes modernes provenant d’Afrique, le métissage avec les néandertaliens et les dénisoviens qu’ils ont rencontrés en investissant de nouvelles régions du monde, il y a environ 50 000 ans, a facilité leur adaptation aux nouveaux environnements. A titre d’exemple une étude publiée en 2016 a révélé que les néandertaliens ont en effet transmis aux Européens des mutations clés pour le contrôle de la réponse immunitaire contre les infections virales, comme la grippe.
Cet article ne donne qu’un aperçu de ce que vous pouvez trouver dans « Le peuple des humains » de Lluis Quintana-Murci. L’auteur nous montre comment l’étude génétique de notre passé nous permet de mieux comprendre les sources de notre diversité génétique actuelle et nos relations aux maladies. Il nous donne des éléments de réponse à la question qui sommes-nous ? Il nous indique que nous pouvons exploiter la connaissance du passé pour mieux comprendre la façon dont nous allons réagir à des changements futurs. Dans son épilogue, l’auteur nous dit que notre espèce continue à évoluer. Les migrations et les métissages entre populations humaines suite à la mondialisation représentent des mécanismes primordiaux d’évolution de notre espèce dans un futur proche. C’est la diversité qui est le moteur de l’évolution et le fondement de l’adaptation de l’homme aux changements environnementaux. Sans diversité, sans différence il n’y a pas d’évolution, ni de progrès.
Le polémiste qui multiplie les déclarations réactionnaires sur les médias depuis quelques années, a déboulé comme un chien dans un jeu de quilles et a bouleversé le paysage politique à l’horizon de la présidentielle de 2022. Le duel annoncé entre Macron et Le Pen est remis en question par la baisse du pourcentage nécessaire pour participer au second tour de la présidentielle.
Qui est ce monsieur ?
Son univers, la nostalgie et la xénophobie, est un recyclage des positions réactionnaires de la droite radicale et catholique. Fervent partisan d’un nationalisme offensif, il est xénophobe et raciste. Il cite Barrés et Maurras. Il se dit passionné d’histoire mais il y applique son filtre idéologique et sa loupe déformante. Il émet des doutes sur l’innocence de Dreyfus, il réhabilite le Pétain de la collaboration en prétendant qu’il aurait sauvé des juifs pendant l’occupation. Il a conscience de ses racines berbères et se reconnait juif, mais cela ne l’empêche pas de jongler avec les clichés antisémites. Ses grands hommes sont Napoléon et De Gaulle. Ses thèmes privilégiés sont l’immigration et l’identité nationale. Il défend la peine de mort. Il est adversaire des contre-pouvoirs et met en cause la faiblesse de la démocratie qui manque d’autorité.
Charles Maurras
Tout va mal, les immigrés ont envahi le pays et « créé un peuple dans le peuple ». Les musulmans sont son obsession. Ils constituent une menace pour la France éternelle, blanche et catholique. La modernité, les communautaristes, les féministes et les homosexuels remettent en cause les valeurs traditionnelles de la France. II fustige les femmes, qui devraient rester à leur place c’est-à-dire à l’église et à la maison.
Pour un programme d’avenir c’est plutôt un vaste retour en arrière. Et pourtant depuis septembre dernier, de sondage en sondage, il progresse de manière fulgurante dans les intentions de vote alors qu’il ne s’est pas encore déclaré candidat, et passe de 4% à 17%. C’est une performance même si la progression semble se stabiliser au moment d’écrire ces lignes. Il s’en prend à la candidate d’extrême droite qui selon lui n’a aucune chance de devenir présidente de la République. Il fait même preuve d’un grand mépris pour sa personne en évoquant son incompétence en référence à son débat raté de la présidentielle 2017. Manifestement son intention est de l’empêcher d’accéder au second tour et pour le moment il semble qu’il pourrait y parvenir.
Il accuse les représentants du parti « Les Républicains » de ne pas avoir appliqué leur programme quand ils étaient au pouvoir. Ils ont préféré ne pas déplaire à la gauche dit-il.
Qui soutient ce monsieur ?
Le polémiste bénéficie du soutien du groupe Bolloré qui contrôle, outre CNews, les radios de Lagardère – Europe 1, Virgin, ses titres de presse (Le JDD, Paris Match) et qui s’étend à l’édition. C’est un groupe de médias très puissant qui s’est constitué ces dernières années. La petite chaine d’information en continu que Vincent Bolloré a voulu appeler CNews en référence à Fox News son modèle outre- atlantique a été une rampe de lancement pour le polémiste.
Pourquoi ce groupe de médias s’est mis au service d’un projet politique ultraconservateur ? Dans un article du journal « Le Monde », Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin analysent la stratégie du milliardaire breton. Selon ces journalistes, Vincent Bolloré juge l’identité de la France menacée. Même s’il a toujours évité d’afficher ses convictions politiques personne n’ignore que c’est un homme de droite. Son idéal est l’union du libéralisme économique et du conservatisme sociétal. Il veut peser sur l’avenir politique du pays. Il ne supporte pas le néoféminisme et la remise en question du « mâle traditionnel ». Le « wokisme », ce concept qui prône la défense de toutes les minorités, l’exaspère. Il juge l’homme blanc menacé par l’idéologie décoloniale. Toujours selon ces journalistes bien plus qu’une éthique personnelle, la religion est un cadre moral nécessaire à ses yeux. La devise de sa famille depuis 1789 : « A genoux devant Dieu, debout devant les hommes ».
Il mobilise son empire médiatique avec comme fer de lance CNews et son polémiste vedette pour orienter les débats de la campagne des prochaines présidentielles dans le sens de ses convictions politiques. Et ça fonctionne ! Le nom du polémiste est partout et ses thèses alimentent les antennes.
Qui utilise qui ?
Manifestement le capitaine d’industrie aimerait, comme le polémiste, voir le chef de l’État battu en avril 2022 et ne juge pas la candidate d’extrême droite capable d’y parvenir. Il est légitime de s’interroger sur le fait que ce chef d’une grande entreprise, qui a mainte fois démontré son sens de la stratégie, croit le polémiste, en mesure lui, d’y parvenir. Il me semble plus probable, c’est mon hypothèse, qu’il l’utilise pour pousser en avant dans l’opinion publique les idées qui lui sont chères. Et surtout peser sur les candidats du parti « Les Républicains » pour qu’ils se radicalisent. Au vu des débats de la primaire de la droite classique l’objectif est en passe d’être atteint. Du fait de la division de la gauche, le candidat « LR » qui sera désigné en décembre est sans doute le seul à pouvoir battre le président sortant s’il s’est suffisamment radicalisé pour pouvoir bénéficier d’un report de voies suffisant au deuxième tour de l’élection en puisant dans les 35% des votes d’extrême droite.
La véritable campagne pour les élections présidentielle commence à peine. Les évolutions de ces prochains mois nous dirons si ces hypothèses se vérifient. Mais déjà une chose est certaine, comme le dit Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences Po, nous devrions tous nous alarmer de l’insuffisante régulation des médias dans notre pays et du manque de protection de l’indépendance des journalistes. Les exemples de canal plus, d’Europe 1, du JDD et de Paris Match sont suffisamment probants et montrent comment la possession du capital d’un groupe de médias permet d’imposer une ligne éditoriale. Pour Julia Cagé il faut séparer, dans les groupes de presse, l’actionnariat de la gouvernance si l’on veut protéger l’indépendance de l’information et donc préserver la démocratie.
Depuis quelques mois nous assistons à une hausse des prix de l’énergie. Avec l’augmentation du Gaz et de l’électricité nous subissons une flambée du prix des carburants.
Le gouvernement, pour compenser cette dernière, a décidé d’attribuer une indemnité inflation de 100 euros aux Français gagnant moins de 2 000 euros nets par mois. Le plafond retenu correspond au salaire hexagonal médian soit 1,6 smic. Le coût budgétaire annoncé par le premier ministre sera de 3,8 milliards d’euros, étalés entre 2021 et 2022. Cette indemnité ne sera soumise ni aux cotisations sociales ni à l’impôt sur le revenu. Elle ne cible pas uniquement les automobilistes mais un ensemble de ménages sur critères de revenus. Le gouvernement a préféré cette solution à une baisse des taxes car elle est moins couteuse et vise ceux qui en ont le plus besoin.
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Il faut savoir que deux taxes principales s’appliquent sur le prix hors taxes de l’essence et du gazole en France : la TICPE (Taxe Intérieure sur la Consommation des Produits Énergétiques) et la TVA. Ces taxes représentent 57% en moyenne du prix du carburant à la pompe. Le ministre de l’économie s’est opposé à la baisse des taxes en signalant que diminuer d’un centime par litre de la TICPE coûte déjà 400 millions à 500 millions d’euros par an. En fait cette prime est un tour de passe-passe qui ne va rien couter au budget de l’État. Tous à vos calculettes !
image par Pixabay
Il s’agit d’un calcul approximatif à partir d’hypothèses mais assez proche de la réalité.
Prenons le cas d’un automobiliste qui fait 14000 kms par an et qui dispose d’un véhicule qui consomme 7 litres de carburant aux 100 kms. Sa consommation annuelle sera de 7 x 140 soit 980 litres.
Le prix moyen du carburant est aujourd’hui de 1,60 € soit une augmentation de 0,30 € sur un an. Le coût supplémentaire pour l’automobiliste sera sur un an, en supposant que le prix du carburant n’augmente plus, de 980 x 0,30 € soit 294 €. La prime de 100 €, pour ceux qui la touchent, ne représente qu’un tiers du surcoût annuel pour l’automobiliste.
structuration des prix à la pompe
Après ce calcul au niveau individuel, élargissons le calcul sur l’ensemble des français toujours en supposant que le prix du litre de carburant n’augmente pas pendant un an. Sur les 0,30 € d’augmentation moyen du prix du litre de carburant, 57% en moyenne vont à l’État. Donc sur un an, un automobiliste en consommant ses 980 litres va rapporter 0,171 € x 980 soit 167,58 € de taxes supplémentaires. Pour 35 millions d’automobilistes l’encaissement par l’État d’un supplément de taxes sera de 167,58 € x 35 000 000 soit 5,865 milliards.
Conclusion
En clair une prime de 100 € pour 38 millions de français qui va couter 3,8 milliards d’euros entre décembre 2021 et janvier 2022, va être largement compensée par une recette supplémentaire des taxes sur un an de 5,865 milliards d’euros. C’est ce que j’appelle un beau tour de passe-passe un peu comme le blocage du prix du gaz qui sera compensé ultérieurement quand le prix du gaz baissera. Petites mesures qui prennent les citoyens pour des billes et qui ne sont pas à la hauteur des enjeux de la transition écologique.
Après plus d’un an de crise sanitaire et la mise au point de plusieurs vaccins contre le Covid 19 en un temps record, nous espérons tous pouvoir sortir des restrictions qui nous ont été imposées par ce virus et reprendre une vie « normale ». Mais s’agit-il de retrouver le monde d’avant sans tirer les leçons de cette aventure ? Va-t-on à nouveau laisser libre cours à l’individualisme et au chacun pour soi, relancer l’activité économique débridée avec pour objectif la maximisation du profit à court terme au mépris de l’accroissement des inégalités, ignorer le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité.
Qu’est-ce que le progrès ?
Selon le dictionnaire, le petit Robert, le mot progrès vient du latin progressus qui signifie « action d’avancer », de progredi « aller en avant ». Sont énumérés ensuite les différents sens du mot :
Mouvement en avant ; action d’avancer
Développement, progression dans le temps
Changement d’état qui consiste en un passage à un degré supérieur
Développement en bien – amélioration
L’évolution de l’humanité, de la civilisation (vers un terme idéal)
Les penseurs du siècle des Lumières sur les plans scientifiques et philosophiques voyaient le triomphe de la raison sur la foi et la croyance. Ils voulaient œuvrer pour un progrès du monde. Ils combattaient l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme, et la superstition des siècles passés. Ils ont procédé au renouvellement du savoir à partir des idées héritées de la Renaissance.
statue d’Emmanuel Kant
Un de ces penseurs, Emmanuel Kant, écrit en 1784 la devise des Lumières : « Sapere aude », ose savoir, ose te servir de ton entendement. La non inscription dans une relation avec un dieu ni avec une quelconque transcendance est vécue comme la volonté d’un jugement autonome. La liberté est le fondement de la philosophie des Lumières. L’idée du salut de l’âme est remplacée par l’idée du bonheur compris comme une optimisation incessante du bien-être matériel qui devient le but extrême de l’existence.
Dans « Le triomphe des Lumières » publié aux éditions les arènes, Steven Pinker expose que les Lumières ont une nouvelle façon d’envisager la condition humaine au travers d’un foisonnement d’idées parfois contradictoires mais reliées par quatre thèmes :
La raison : appliquer des critères rationnels pour comprendre le monde. C’est la raison qui les conduisit à rejeter une croyance en un Dieu anthropomorphique qui s’immisçait dans les affaires humaines.
La science : la sortie de l’ignorance et de la superstition a montré comment les méthodes propres à la science sont la manière d’aboutir à des connaissances fiables.
L’humanisme : établir un fondement laïque à la morale et jeter les bases de l’humanisme qui privilégie le bien-être des individus, hommes, femmes, enfants par rapport à la tribu, la race, la religion. L’objectif est de procurer le plus grand bonheur au plus grand nombre et traiter les autres humains comme des fins et non comme des moyens.
Le progrès : Grâce à la meilleure compréhension du monde que permet la science, l’humanité est en mesure d’accomplir des progrès intellectuels et moraux guidés par l’humanisme et faire du monde un endroit meilleur pour tous.
Par Steven Pinker — Rebecca Goldstein, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=17016101
La philosophie des Lumières c’est la primauté de la raison sur le dogme, la sécularisation de la société, le développement des sciences et des techniques, la maîtrise de la nature par l’homme dans la perspective de l’amélioration du bien-être humain et la recherche du bonheur.
A la poursuite du bonheur
Sous l’influence de cette philosophie des Lumières, la recherche du développement de l’humanité s’est traduite au XVIIIème siècle par la révolution de la machine à vapeur, la révolution de l’électricité et du moteur à explosion au XIXème, et la révolution informatique au XXème. Au cours de ces derniers siècles on observe un réel mouvement en avant dans de nombreux domaines qu’il serait absurde de nier. Des effets positifs sont enregistrés en matière d’éducation, de santé, d’espérance de vie, de libertés individuelles, de droits humains, d’avancées sociales, économiques, politiques et d’amélioration du bien-être humain au sens large.
Rousseau pensait que « le développement des sciences et des techniques doit s’accompagner d’une éducation de la conscience humaine ». Les progrès des sciences et des techniques n’impliquent pas nécessairement un progrès humain. Les deux guerres mondiales et leurs barbaries en sont le témoignage incontestable. L’utilisation de l’arme atomique qui selon certains experts en stratégie n’était pas indispensable pour assurer la fin de la deuxième guerre mondiale, a sérieusement mis en cause le mythe du progrès comme une avancée inéluctable de l’amélioration du sort de l’humanité.
Repenser notre notion du progrès
Le réchauffement climatique annoncé depuis plusieurs années et la crise sanitaire que nous affrontons depuis plus d’un an nous incitent à repenser la notion de progrès et à nous interroger sur le sens que nous donnons à nos actes et à leurs conséquences.
Déjà en 1972, le rapport « Meadows » du club de Rome attirait l’attention sur le fait que notre croissance démographique et industrielle mène l’humanité à sa perte si des mesures ne sont pas prises. Depuis les perspectives n’ont cessé de s’aggraver. Nous consommons davantage de ressources qu’il ne s’en régénère et l’environnement se dégrade à toute vitesse. Le réchauffement climatique dépend de l’augmentation de la population mondiale, de la croissance de la production et des échanges, de l’intensité d’énergie consommée pour assurer cette production et de l’intensité carbone de cette énergie consommée. Selon le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) seule une action significative sur ces différents éléments, notamment la transition énergétique, permettra de réduire l’émission des gaz à effets de serre et le réchauffement de la planète.
La pollution des sols, de l’eau, de l’air, la déforestation, la diminution des espaces de vie, la raréfaction des ressources, sont en relation de cause à effet avec l’érosion de la biodiversité et l’augmentation des maladies infectieuses. Tous ces phénomènes se révèlent interdépendants : la pollution atmosphérique aggrave le changement climatique qui accélère la déforestation, réduit la biodiversité et augmente les risques épidémiques.
Beaucoup des maladies nouvelles ou émergentes affectant les humains sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles proviennent des animaux comme probablement le SARS COV 19. Les scientifiques craignent que la fonte du permafrost libère dans l’atmosphère des virus que l’humanité n’a pas connus en même temps que du méthane qui est un gaz à effet de serre. La menace épidémique devient explosive de nos jours du fait de la conjonction de trois facteurs : perte de biodiversité, industrialisation de l’agriculture et développement accéléré du transport de marchandises et de personnes. Notre alimentation est en partie responsable de l’affaiblissement de notre système immunitaire. Les spécialistes disent que les épidémies vont être de plus en plus régulières.
Revenir aux fondamentaux de la philosophie des Lumières
Malgré tous ces faits établis scientifiquement certains vont jusqu’à mettre en cause les conclusions issues des analyses scientifiques qui sont qualifiées de simples opinions collectives dépourvues de liens avec la réalité. Ils rejettent les connaissances scientifiques qui ne leur conviennent pas. Ils contestent l’impartialité des chercheurs et pensent qu’ils sont influencés par leurs croyances.
Comme le dit Etienne Klein, philosophe des sciences, dans « le goût du vrai » publié chez Gallimard : « nous vivons tous dans un océan de préjugés et les scientifiques n’échappent pas à la règle. (…) Ils ne parviennent à s’en défaire dans leur domaine de compétence qu’en adoptant collectivement une méthode critique. (…) Une vérité scientifique n’est déclarée telle qu’à la suite d’un débat contradictoire ouvert, conduisant à un consensus. ». Il faut faire confiance à la science pour affronter les défis qui se présentent à nous.
Mais tout ce qui est possible techniquement et scientifiquement n’est pas toujours humainement souhaitable. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Quelle civilisation souhaitons-nous construire ? Sur quelles valeurs la fonder ? quel sens donner à nos actions ? quels choix faire pour répondre au nouveau défi écologique ?
Construire une réponse planétaire
Changement climatique et préservation de la biodiversité
Depuis quelques années la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et donc de l’humanité. L’espèce dominante sur la planète, les humains, compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or les humains sont une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu. Il leur revient de tout mettre en œuvre pour préserver la planète. Cette action n’a de sens et d’efficacité qu’au niveau de l’ensemble de la planète. C’est le rôle des Conventions de Pays (COP) : organiser la coopération et la solidarité planétaire dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. La COP26 se réunira à Glasgow en Ecosse en novembre 2021 si la pandémie est à cette date maîtrisée. Il faudra passer des recommandations de 2015 à Paris aux engagements fermes sur une hausse impérative des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.
Surmonter la crise sanitaire
L’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019 en Chine. C’est aujourd’hui devenu un évènement planétaire. Après moins d’un an de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements fondés sur des anticorps. Ces thérapies sont encore à l’étude avant d’être autorisées. Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas de manière durable. Cette immunité ne peut être réalisée que si la population mondiale est vaccinée. Il faut donc considérer les vaccins comme un bien commun destiné à être accessible à tous. Encore faut-il être capable de les produire en quantité suffisantes. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires. Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de cette coopération mondiale.
Faire face à la crise économique
La pandémie du coronavirus a entrainé la plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Sur le plan économique une relance coordonnée sera nécessaire pour être efficace. L’économie mondialisée nécessite des mesures de régulation et de contrôle tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques. Il ne s’agit pas de reprendre après comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut tirer les leçons de cette expérience et en premier lieu considérer comme prioritaires les secteurs de la santé car nous ne sommes pas à l’abri de prochaines pandémies. Il est indispensable de sortir de l’économisme qui consiste à considérer que le développement économique est une fin en soi. L’économie doit être au service de la satisfaction des besoins humains réels et nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète.
L‘intersolidarité planétaire
Quel que soit son aspect, sanitaire, économique ou climatique, la crise que nous vivons est mondiale. Aucun État ne peut prétendre répondre seul à tous les défis qui se présentent à tous. Seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement. Les crises que nous vivons sont fortement interconnectées et forment une seule « polycrise » menaçant ce monde d’une « polycatastrophe ». Aucun État ni aucune Institution Internationale n’est aujourd’hui en mesure de faire respecter un ordre mondial et d’imposer les indispensables régulations globales. Comme le propose le Collegium international (voir notre article sur la gouvernance mondiale de novembre 2020), il faut repenser les principes juridiques internationaux et bâtir des mécanismes de prise de décisions planétaires dans l’intérêt de l’humanité. Le premier pas vers cette communauté mondiale est la reconnaissance universelle d’un principe nouveau qui résulte de l’interdépendance, l’intersolidarité planétaire. Ce principe devra préserver la diversité dans un esprit de tolérance et de pluralisme.
31 mai 2021
Références bibliographiques
Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018
Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir – « D’un monde à l’autre – Le temps des consciences » Fayard octobre 2020
Etienne Klein – « Le goût du vrai » tract Gallimard – juillet 2020
La suppression de l’École Nationale d’Administration est-elle le début de la mise en œuvre d’une véritable réforme de la haute administration ou une réponse populiste aux critiques nombreuses qui s’accumulent depuis plusieurs années faisant de cette école, sans doute abusivement, la principale responsable des dysfonctionnements de la société française ?
La création
Depuis la fin du XIXème siècle l’État avait recours au système des concours pour recruter les fonctionnaires responsables de la haute administration. Ce système était considéré comme la seule garantie d’un recrutement impartial et fondé sur le mérite.
Avec l’arrivée au pouvoir du Front Populaire en 1936, Jean Zay ministre de l’éducation nationale dépose à l’assemblée nationale un projet de loi autorisant la création d’une école nationale d’administration. Ce projet restera bloqué au Sénat jusqu’à la guerre. C’est le 9 octobre 1945 qu’une ordonnance du Gouvernement provisoire présidé par le Général De Gaulle crée l’École Nationale d’Administration (ENA). Cette décision avait été préparée par la Mission provisoire de réforme de l’administration placée auprès du chef du gouvernement et dirigée par Maurice Thorez, vice-président du conseil et secrétaire général du Parti Communiste Français.
La création de cette école a pour objectifs d’unifier la fonction publique en recrutant et en formant ses administrateurs en commun, avec la volonté de changer le recrutement, l’apprentissage des cadres de la République et une forte aspiration à l’élargissement du vivier social caractéristique du programme du Conseil national de la Résistance.
L’évolution
L’ambition sociale initiale de la Libération a été atteinte dans les premières décennies. Mais très vite, comme dans la plupart des concours très sélectifs, les enfants de cadres supérieurs et d’enseignants sont devenus prédominants.
Les élèves de l’ENA intègrent à leur sortie de l’école différents corps de la fonction publique d’État. Les premiers sont prioritaires et choisissent les postes les plus prestigieux, Conseil d’État, Inspection générale des Finances et Cour des Comptes.
Depuis la fin des années 1970 la question de la suppression de cette école est évoquée. Les critiques sont nombreuses. Son manque de mixité sociale lui est reproché mais aussi son manque d’efficacité. En effet c’est une école sans professeurs ou très peu, des gens viennent faire des conférences pour compléter la formation des élèves qui sont censés savoir tout parce qu’ils ont réussi le concours d’entrée. Cette réussite vaut certificat d’aptitude à diriger. L’école ne forme pas des spécialistes mais des hauts fonctionnaires qui souvent après un passage dans les cabinets ministériels sont parachutés à la tête de grandes entreprises nationales sans aucune expérience de gestion ou se lancent rapidement dans une carrière politique. La grande majorité de nos principaux ministres et même de nos Présidents de la République sont d’anciens élèves de l’ENA. La collusion entre élites politiques, administratives, et « pantouflages » industriels a nourri la critique légitime de ce moule trop uniforme des dirigeants français.
L’évolution de l’école est marquée par la domination culturelle du néolibéralisme dans l’ensemble de la société, le manque de culture critique et l’absence d’expérience de terrain. Le croisement entre culture politique et culture de l’entreprise pousse à introduire dans l’action publique la primauté de la rentabilité immédiate comme par exemple, pour citer un cas actuel, le non renouvellement des stocks de masques et la non préparation à l’éventuelle survenance d’une pandémie pourtant annoncée par les épidémiologistes.
Ces critiques ne doivent pas nous faire oublier la qualité et le dévouement au service public de l’immense majorité des hauts fonctionnaires français, mais aussi les mérites sociaux du concours interne et de la troisième voie ouverte, après l’alternance politique de 1981, par le ministre communiste Anicet Le Pors aux acteurs de la société civile.
Par ailleurs il faut noter que le système de formation et de recrutement des administrateurs publics nous est souvent envié à l’étranger d’où l’idée chez certains de préserver la marque ENA. Depuis sa création l’école accueille de nombreux élèves étrangers et a intensifié sa politique d’échanges internationaux.
La suppression
En avril 2021, le Président de la République, confirmant une promesse faite lors de la crise des « gilets jaunes », annonce la suppression de l’ENA et la création d’un Institut du Service Public prenant en charge l’ensemble des élèves administrateurs et qui intégrera un tronc commun à plusieurs écoles de service public. Dans la foulée il souhaite s’attaquer aux grands corps de l’État, l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), sans toutefois supprimer leurs services. D’autres corps pourraient être concernés.
Quel est le sens de ces annonces ?
S’agit-il de renouer avec les objectifs définis à la création, retrouver un recrutement impartial fondé sur le mérite et l’élargissement du vivier social, la fin du « pantouflage » et de « l’entre-soi » ? Va-t-on se donner les moyens d’empêcher la reproduction sociale au sommet de l’administration d’État ? Le contenu de la formation va-t-il être modifié pour laisser une plus large part à l’esprit critique? Imposera-t-on des stages à la base de l’administration pour acquérir de l’expérience avant la nomination à des postes à responsabilité ? Va-t-on retrouver la vocation première de l’école qui était de « développer les sentiments des hauts devoirs que la fonction publique entraîne et les moyens de les bien remplir » selon les mots de Michel Debré, l’un des fondateurs de l’école ?
Ou bien ne s’agit-il que de tout changer pour que rien ne change ? L’avenir nous le dira.
30 Avril 2021
Vue du patio de l’École nationale d’administration (antenne de Paris).
Références
Wikipédia : École Nationale d’Administration (France)
Le Monde :
« Il faudra juger sur actes une transformation qui ne gagnerait rien à oublier les apports de l’ENA » – Pierre Allorant et Pascal Ory – 17/04/2021
« Après l’ENA, Macron s’attaquent aux grands corps » – Benoit Floc’h – 25/04/21
Xerfi : « Suppression de l’ENA : et si on réformait d’abord toute la fonction publique » – Olivier Passet – Directeur de recherche – 02/04/2021
La pandémie du coronavirus bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.
Beaucoup de certitudes sont à remiser. Le niveau de la dette atteint un sommet abyssal. Que faire avec cette dette? La rembourser ? Comment ? Cela fait l’objet de débats. Il n’y a pas de solution économique clé en mains, c’est une question de projet de société.
Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Elle bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.
Les crédos économiques remis en question
Dans une vidéo Xerfi, Olivier Passet, directeur de la recherche, en ce début de mois nous explique que les crédos économiques dominants depuis la fin des années 2000 sont un champ de ruines.
L’austérité et la baisse des dépenses pour réduire l’endettement public. Rigueur = confiance = reprise. Les réformes structurelles seules peuvent modifier le cours de la croissance et le niveau de chômage à long terme. La baisse du chômage se mue inexorablement en accélération des salaires, au détriment de la profitabilité des entreprises. Le taux d’intérêt équilibre l’offre d’épargne et d’investissement et donc à taux zéro il n’y a plus d’incitation à épargner. L’ouverture des échanges, la mondialisation, le moins d’État, la destruction créatrice etc. … La liste n’est pas exhaustive.
Toutes ces certitudes ne laissaient pas de place au débat. La crise de 2008 et la crise sanitaire présente montrent que « face à l’incertitude radicale l’économie produit des conventions qui peuvent être stabilisantes un temps… Jusqu’au jour où elles ne le sont plus ! »
Le niveau de la dette attendue
La crise sanitaire et l’avènement du « quoi qu’ils en coûte » ont conduit les gouvernements à intervenir massivement pour soutenir l’économie. Toutes les certitudes, au moins temporairement, sont mises de côté. En décembre 2019, l’Insee révélait que la dette française avait franchi les 100 % du produit intérieur brut (PIB) au troisième trimestre de l’année. L’économie française a plongé dans la récession, l’État a déboursé des milliards pour soutenir les entreprises et les salariés, et la trajectoire budgétaire du pays en a été bouleversée. Autrefois tabou infranchissable, le seuil des 100 % de dette publique n’est plus qu’un lointain souvenir : elle devrait dépasser les 120 % en 2021. Elle aura plus que doublé en 20 ans.
Les taux d’intérêts sont historiquement bas, en raison d’un surplus d’épargne privée très important dans le monde. S’endetter ne coûte plus rien. Les intérêts que nous payons sur notre dette sont passés de l’équivalent de 3 % du Produit Intérieur brut (PIB) à 1,4 %, une division par deux.
Certains économistes considèrent que tant que les paiements d’intérêts sur la dette publique restent inférieurs à leur moyenne historique, les États peuvent continuer à s’endetter. Pour les orthodoxes de la dette, ce genre de raisonnement est de la folie pure. Facile de s’endetter quand les taux d’intérêt sont bas, mais qu’est-ce qu’on fait quand ils remontent et que le coût de la dette explose ?
Pour l’instant nous pouvons considérer que les banques centrales vont continuer à intervenir pendant de longues années pour maintenir bas les taux d’intérêt sur les dettes publiques, comme l’a confirmé la Banque centrale européenne (BCE) le 11 mars dernier. Si l’on admet que les taux d’intérêt peuvent rester bas pendant un moment, l’incertitude reste grande sur leur niveau à long terme.
Le cantonnement de la dette
En décembre 2020, une commission sur l’avenir des finances publiques présidée par l’ancien ministre de l’économie Jean Arthuis, a été mandatée pour réfléchir à la manière de gérer la « dette Covid », les quelque 150 milliards d’euros de facture de la crise sanitaire.
Par principe une dette doit être remboursée, mais comment financer ce remboursement ? Certains se disent favorables au cantonnement de la « dette Covid ». Cela consiste à prendre une partie de la dette et à l’isoler, en la transférant à une caisse d’amortissement dont l’objectif est de la rembourser intégralement (capital et intérêts) sur une période prédéfinie. Cette stratégie a été appliquée plusieurs fois en France au cours du siècle précédent, notamment en 1995 par le gouvernement Juppé avec la création de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Le cantonnement n’est pas une décision optimale dans la mesure où cela augmente le coût d’emprunt. La commission Arthuis a écarté le cantonnement de ses propositions sur l’avenir des finances publiques.
L’annulation de la dette
L’idée d’annuler la dette française détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE) est avancée par plusieurs économistes. Cela représente un quart de la dette française soit un peu plus que 600 milliards d’euros. Au niveau européen les titres détenus par la BCE avoisinent les 3000 milliards. La proposition comporte un double volet : dans un premier temps, la BCE annule toutes les créances qu’elle détient. Dans un second temps, les montants annulés sont réinvestis dans la transition écologique. Il s’agit, selon les auteurs, de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour réaliser un grand plan d’investissement et couper l’herbe sous le pied aux néolibéraux qui considèrent que notre niveau d’endettement justifie des mesures d’austérité. Pour les pro-annulation aucune solution ne permet de dégager autant d’argent que l’annulation des créances par la BCE qui permet un plan d’investissement gratuit.
Cette question soulève un certain nombre de questions juridiques et comptables. Elle est rejetée par les partisans d’une stricte orthodoxie monétaire mais aussi par des économistes hétérodoxes. Ces derniers considèrent que la France a encore, dans les conditions de marché actuelles, des marges d’endettement. Il faudrait profiter des taux bas pour investir davantage, au lieu de risquer de perdre la confiance des marchés financiers, à qui l’on emprunte également et qui pourraient exiger une prime de risque plus élevée suite à une annulation de la dette détenue par la BCE.
La présidente de la BCE, Christine Lagarde dans le Journal du dimanche du 7 février a souligné que l ’annulation de la dette Covid-19 est « inenvisageable » et serait « une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États.
Partisans et opposant de l’annulation de la dette se retrouvent pour souhaiter une réforme du fonctionnement de la BCE certains allant jusqu’à remettre en cause son indépendance. Obtenir l’unanimité des 27 pays sur de telles mesures quand on sait que le plan de relance européen est bloqué par un recours juridique en Allemagne, ne sera pas aisé.
Indispensables réformes
Le choc de la Covid 19 a mis en évidence l’exacerbation d’énormes inégalités et le fait que nos sociétés ne sont pas équipées pour y faire face. Les spécialistes nous prédisent d’autres pandémies, et d’autres chocs sont à venir, en particulier la crise climatique.
En France, mais aussi à l’étranger, un changement de mentalité s’opère. Même si les vieux réflexes sont robustes, certains dogmes sont en train de tomber. Après la crise financière de 2008, les pays ont trop vite mis en œuvre des mesures d’austérité pour redresser leurs finances publiques et ont été entrainés dans la « grande récession ». Les organisations internationales, tels le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui, hier, préconisaient aux États de mener réformes et mesures d’économies au pas de course, ont fait leur mea culpa. En Europe et même en Allemagne, où la discipline budgétaire est une valeur constitutionnelle, le ton a aussi évolué.
En réalité le problème n’est pas économique et il n’y a pas de solution clé en mains. C’est une question de projet de société à laquelle il faut répondre par un processus démocratique. La priorité reste d’investir pour sécuriser la reprise et assurer une croissance durable. Il faudra trouver un mode de financement favorisant un régime de croissance respectueux pour notre planète, une meilleure répartition des richesses et une réduction drastique des inégalités.
13 avril 2021
Bibliographie
Vidéo Xerfi canal : « idées dominantes en économie invalidées » Olivier Passet – 05 avril 2021
Alternatives économiques n°411 avril 2021 : Dossier « Vive la dette »
Le Monde : « l’avenir de la dette Covid, un débat politique autant qu’économique » Audrey Tonnelier – 29 janvier 2021
Le Monde : tribune « L’annulation des dettes publiques que détient la BCE… » collectif – 05 février 2021
Le Monde : « Surenchères politiques autour de la dette Covid » Audrey Tonnelier et Claire Gatinois – 6 février 2021
Le Monde : tribune « D’autres solutions que l’annulation de la dette… » collectif – 27 février 2021
Nous pouvons constater que le populisme prend de l’ampleur au XXIème siècle. C’est un mot utilisé avec souvent une connotation péjorative mais pas toujours. D’où vient ce mot et que recouvre-t-il ? Sans prétendre faire l’histoire du populisme nous pouvons citer trois moments historiques où le mot « populisme » a émergé.
Les termes populisme et populiste ont fait leur apparition en Russie au cours des années 1870. En révolte face au pouvoir tsariste de jeunes intellectuels issus de classes favorisées voulaient fraterniser avec le peuple. A l’origine le populisme russe célébrait la communauté agraire et l’assemblée villageoise comme fondements de l’histoire et de l’avenir souhaitable de la Russie.
En Amérique du Nord, sans lien avec le populisme russe, ce sont les membres du Peaple’s Party fondé en 1892 dans le Nebraska qui se sont eux-mêmes qualifiés de « populistes ». C’était la révolte des petits agriculteurs des grandes plaines contre les gros, du peuple contre les compagnies de chemins de fer, les grandes banques et les propriétaires intraitables.
En 1929 le mot fait son apparition en France, la aussi sans lien avec ce qui s’est passé en Russie et aux État Unis. Est publié le « Manifeste du roman populiste » qui est une invitation aux romanciers français à prendre davantage comme objet les milieux populaires.
Nous voyons donc qu’il est difficile de parler de populisme sans parler du peuple. Mais qu’est-ce que le peuple ?
Le peuple
Le dictionnaire (le petit Robert) définit le peuple comme « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions. Le peuple c’est le corps de la nation, l’ensemble des personnes soumises aux mêmes lois. » Pour aller plus loin sont énumérées plusieurs citations. Je n’en retiendrais qu’une qui me parait la plus significative pour notre objet. Celle de Valéry : « Le mot peuple désigne tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre, opposé au nombre restreint des individus plus fortunés ou plus cultivés. »
Ainsi le peuple c’est un ensemble d’individus qui constituent le corps de la nation, qui sont soumis aux mêmes lois et vivant en société sur un territoire donné ayant en commun un certain nombre de coutumes et d’institutions. Mais cet ensemble n’est pas un bloc homogène, il est composé de différentes couches et catégories sociales.
La nation, une construction sociale
La nation, disait Ernest Renan dans une conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, « ce n’est ni une langue, ni une origine ethnographique, ni une religion, ni un lieu géographique, c’est un principe spirituel constitué d’une histoire commune et d’un consentement actuel, le désir de vivre ensemble. Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposés à faire encore. »
Dans le même sens, Pascal Ory, dans « Qu’est-ce qu’une nation ?» publié chez Gallimard, nous précise que la nation est le fruit de la rencontre entre un peuple et la démocratie. Chaque peuple élabore une conception particulière de la souveraineté populaire. Une culture partagée instaure une conception du politique, une histoire se transforme en géographie, un peuple devient le Peuple. L’expérience politique du pays fabrique elle-même du commun, l’identité collective qui n’est jamais que la somme de toutes les identifications que la vie en société impose aux membres de ladite société. La nation est une construction sociale comme toutes les institutions sociales. Elle est le résultat de la volonté des hommes. Mais les volontés humaines changent. Les nations évoluent et ne sont pas éternelles. Une nation survit tant que les facteurs d’intégration l’emportent sur les vecteurs de désintégration. Une nation en action dit Pascal Ory est une grande machine à intégrer. L’immigré se définit moins par ses origines, ce à quoi veulent le réduire les xénophobes du pays d’arrivée comme les identitaires de son pays de départ. Sur la longue durée l’immigré demeure et « fait souche ».
Une société divisée
Dans « l’archipel français » aux éditions du Seuil, Jérôme Fourquet décrypte les changements de fond sociétaux, sociologiques, et politiques de la période 1981-2017. Sur le plan sociétal il évoque le basculement de notre vie sociale avec le PACS, le mariage gay, la PMA, l’explosion du nombre des prénoms qui sont donnés aux enfants. Au niveau sociologique il cite l’exode rurale qui se termine, la désindustrialisation massive dans plusieurs régions, l’apparition d’une nouvelle immigration de l’Europe de l’Est et des pays d’Afrique noire et la multiplication des échanges dans le cadre de la mondialisation. Les changements politiques majeurs sont l’émergence de l’extrême droite, le « non » au traité constitutionnel européen contourné, les attentats terroristes de 2015. L’ancien clivage droite / gauche n’est plus opérant, il est remplacé par un clivage autour de la mondialisation qui a pour conséquence une division de la société française sur de nouvelles lignes de partage : le niveau de diplôme scolaire, le lieu de résidence – métropole versus périphéries avec une dimension infra-urbaine, et le niveau de revenu. Reste une nation multiple et divisée.
Les populismes
Les gouvernements des démocraties libérales estiment qu’il n’y a pas d’alternative et que le réel doit se plier à l’ordre économique mondial que le capitalisme a créé. Cette démission du politique frappe de discrédit ces gouvernements. La dégradation du lien social constitue un terrain favorable à l’installation de régimes autoritaires et contribuent aux succès électoraux des partis populistes. Les populistes accusent les élites de dévoyer la démocratie, de dessaisir le peuple de sa souveraineté en abusant de leurs fonctions et d’être tellement éloignés de ses intérêts qu’ils n’ont aucune légitimité à le représenter.
Chantal Mouffe, philosophe belge, professeure à l’université de Westminster est proche du parti Podemos en Espagne. Elle estime que tous les partis sociaux-démocrates ont accepté qu’il n’y avait pas d’alternative à la mondialisation néolibérale, et que lorsqu’ils accédaient au pouvoir la seule chose qu’ils pouvaient faire, c’était d’administrer de façon un peu plus humaine cette mondialisation. Pour elle, cette absence d’une véritable alternative de gauche crée les conditions pour l’émergence du populisme de droite. La désindustrialisation a pour conséquence un affaiblissement de la classe ouvrière et des syndicats. Les transformations du capitalisme financiarisé menacent également les classes moyennes, la paupérisation est générale. Il faut s’adresser à tous ceux qui souffrent des conséquences des politiques libérales. La frontière droite-gauche traditionnelle ne doit pas être rétablie, il faut en créer une autre, de manière populiste. Elle fait référence au philosophe argentin Ernesto Laclau qui explique que le populisme n’est pas une idéologie, c’est une construction de la politique. C’est la façon d’établir la frontière entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, le peuple et l’establishment.
Anatomie des populismes
Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, dans son livre intitulé « Le siècle du populisme », publié au seuil, se propose de faire une anatomie du populisme. Il distingue cinq éléments constitutifs de la culture politique populiste.
Une conception du peuple
La conception du peuple des mouvements populistes est fondée sur la distinction entre « eux » et « nous ». Le capitalisme néolibéral a vu émerger de nouvelles formes de domination. Le populiste traduit un ensemble de demandes hétérogènes qui ne peuvent plus être formulées en termes d’intérêts liés à des catégories sociales déterminées. Les conflits qui traversent la société peuvent s’ordonner selon le seul axe de l’opposition entre les dominants détenteurs du pouvoir politique, économique, social ou culturel et le reste de la société soit le peuple.
Une théorie de la démocratie
Les populismes s’inscrivent dans la perspective d’une régénération démocratique. Ils instruisent le procès des démocraties libérales-représentatives accusées d’avoir le culte de l’individu et des minorités au détriment de la souveraineté du peuple. La conception populiste de la démocratie présente trois caractéristiques : privilégier la démocratie directe en appelant à multiplier les référendums d’initiative populaire, dénoncer le caractère non démocratique des autorités non élues et des cours constitutionnelles (le gouvernement des juges), et exalte une conception immédiate et spontanée de l’expression populaire (au travers de l’approbation par acclamation). La critique des médias est au cœur de la rhétorique populiste. Elle participe d’une théorie de la démocratie immédiate qui considère illégitime la prétention des corps intermédiaires dont la presse, à jouer un rôle actif dans l’animation de la vie publique et la constitution de l’opinion.
Une modalité de la représentation
Le populisme célèbre « un peuple-Un » soudé par un rejet des élites et des oligarchies. Un peuple rejetant une caste politique accusée de défendre ses propres intérêts. Le populisme préfère le mouvement au parti comme forme d’organisation politique. Mouvement dont l’ambition est de rassembler toute la société et qui porte un chef considéré comme le pur organe du peuple. C’est lui qui rend présent le peuple, au sens figuré du terme, qui lui donne forme et visage, l’homme-peuple.
Une politique et une philosophie de l’économie
Face au développement de la globalisation de l’économie et la constitution d’un marché-monde, les populismes développent une vision protectionniste offrant la possibilité de protéger la souveraineté et la volonté politique des peuples. Le national-protectionnisme s’inscrit dans une perspective de refondation démocratique qui va bien au-delà d’une simple approche de la question en termes de politique économique. Le protectionnisme est aussi un instrument de sécurité. Le maintien aux frontières des étrangers participe d’une vision élargie de la sécurité qui met à distance des populations jugées dangereuses pour le maintien de la cohésion nationale. Cette approche est prolongée par la notion d’insécurité culturelle qui invite au rejet des idéologies jugées menaçantes pour l’identité du peuple. Le populisme est un souverainisme.
Un régime de passion et d’émotions
Les colères et les peurs semblent constituer les moteurs affectifs et psychologiques à l’œuvre dans l’adhésion au populisme. La propension à se rallier à des « vérités polémiques » constitue un élément clef de ce qui pourrait être défini comme la personnalité populiste. Elle repose sur la tendance au soupçon systématique des visions consensuelles accusées d’être de pures fabrications de l’idéologie dominante. La politique prend du même coup un caractère de type religieux.
Conclusion
Nous pouvons remarquer qu’il règne aujourd’hui « une atmosphère » de populisme. L’ère du temps est marquée par l’effacement des vieux partis devant de nouveaux mouvements politiques formés dans le sillage d’une personnalité dont ils accompagnent l’ascension. Le désenchantement démocratique contemporain s’inscrit dans la culture politique diffuse du populisme. De grands thèmes populistes comme l’appel au développement des référendums et la philosophie nationale-protectionniste imprègnent beaucoup plus qu’avant des sociétés en panne de projets de solidarités. Les différentes passions populistes irriguent les esprits dans les démocraties fragilisées du XXIème siècle, cela évite de se confronter à la complexité du monde réel.
31 mars 2021
Bibliographie
Jan-Werner Müller « Qu’est-ce que le populisme » – folio essais – 2016
Pascal Ory. « Qu’est-ce qu’une nation – une histoire mondiale » – nrf Gallimard -2020
Corine Pelluchon « Les lumières à l’âge du vivant » – Seuil – 2021
Pierre Rosanvallon « Le siècle du populisme » – Seuil – 2020
Jérôme Fourquet « Archipel français » – Seuil – 2019
Ernest Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? » conférence en Sorbonne – 1882
Chantal Mouffe « Pour un populisme de gauche » entretien dans Le Monde – 20 avril 2016
Extraordinaire, disons extrêmement différent de ce qu’on a l’habitude de lire dans le rapport annuel de la Cour des Comptes. Cette honorable institution dont les Conseillers maîtres sont l’élite de l’élite, leur recrutement se fait exclusivement parmi les élèves les mieux classés issus de l’École Nationale d’Administration, vient de nous livrer son rapport et il ne manque pas de nous surprendre.
La Cour des comptes
Cet organisme est une juridiction financière, chargée de contrôler le régularité des comptes publics, de l’État, de tous les établissements publics et des organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État ou faisant appel à la générosité du public. Il informe le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la régularité des comptes.
La page d’accueil de son site internet contient en exergue la phrase suivante : « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer les citoyens ». Chaque année est publié un rapport public qui depuis de nombreuses années se distingue par son orthodoxie budgétaire. La trame de ces rapports s’apparente plus à la doxa néolibérale, met régulièrement le doigt sur les déficits budgétaires et rappelle systématiquement la nécessité impérieuse de réduire les dépenses publiques.
La crise sanitaire
A titre d’exemple, je ferais référence à mes articles du mois de mars 2020, intitulés « Pourquoi n’étions-nous pas prêts ? » et « le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation ». A la suite de l’épidémie de grippe aviaire (H5N1) qui avait mis en évidence diverses faiblesses dans la réponse logistique de l’État, le gouvernement de l’époque avait créé un établissement public de préparation et de réponses aux urgences sanitaires. Sa mission principale était l’acquisition, la fabrication, le stockage, la distribution et l’exportation des produits nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves. Cet établissement a eu les moyens d’acheter des millions de vaccins, d’aiguilles, d’embouts et pipettes, de traitements antibiotiques, et antiviraux, des masques de filtration et chirurgicaux, des tonnes de substances actives en cas de pandémie grippale, des tenues de protections, des équipements de laboratoires et des extracteurs ADN/ARN.
Lors de la crise du H1N1 de 2008-2009, la haute administration a eu le sentiment d’en avoir trop fait et d’avoir surestimé la crise. L’État s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire. La Cour des comptes a estimé que des fonds publics ont été gaspillés inutilement.
La vision néolibérale de la société s’est introduite à l’hôpital. Gérer les établissements sanitaires comme des entreprises est devenu l’objectif prioritaire. Comme l’explique le professeur de médecine André GRIMALDI, l’État a abimé l’hôpital public depuis des années, depuis qu’a commencé le règne des économistes de pensée libérale ou néolibérale pour qui les activités humaines doivent être mesurées, valorisées, et mise en concurrence sur un marché. La tarification à l’activité a mis la santé dans une logique de marché. C’est l’entrée du « new public management » dans l’hôpital. Les autorités sanitaires ont ainsi fermé des établissements, réduit le nombre de lits et géré les stocks en flux tendus. La logique comptable s’est imposée au détriment de l’objectif prioritaire de ces institutions chargée d’assurer la santé publique sur l’ensemble du territoire et sur le long terme.
L’obsession de la réduction des déficits budgétaires et la certitude que le monde était à l’abri de tout danger épidémique majeur entrainant un changement doctrinal et institutionnel, explique les cruels manques de produits et de matériel auxquels nous avons dû faire face en 2020.
Le rapport annuel 2021
Dans son rapport annuel 2021, la Cour des comptes à propos de la crise du Covid 19 semble changer ses critères d’évaluation. Elle dénonce l’impréparation de l’État face à la crise sanitaire. Le rapport est concentré sur les effets concrets et la gestion opérationnelle de la crise notamment la tension dans les hôpitaux au niveau de la réanimation et des soins critiques. Il constate que depuis plusieurs années « l’offre de soins critiques a décroché par rapport aux besoins d’une population française qui vieillit ».
Le nombre de lits en réanimation a progressé dix fois moins vite que le nombre de personnes âgées. Les recommandations de l’institution sont centrées autour du renforcement des personnels de ces services si particuliers, dans la droite ligne des demandes de nombreux médecins et infirmiers de réanimation depuis des mois.
De manière inattendue, la Cour des comptes, garante de l’orthodoxie budgétaire, remet en cause le mode de financement des services de soins critiques. Le rapport note que le système de « tarification à l’activité » fortement décrié chez les médecins comme le cœur de « l’hôpital-entreprise », fait de la réanimation une « activité structurellement déficitaire ». Il relève les limites de la « planification hospitalière » qui a abouti à la concentration des unités de soins critiques, certes souhaitable, mais qui devrait aussi rechercher « l’adaptation du nombre de lits aux besoins croissants d’une population qui vieillit, et corriger les inégalités territoriales ».
Conclusion
Après le « quoi qu’il en coûte » du Président de la République qui mettait de côté, au moins temporairement, l’orthodoxie budgétaire voilà la Cour des comptes qui estime que la concentration de l’offre ne peut être le seul acte de la politique sanitaire. Tout n’est pas perdu, peut-être que nos dirigeants réalisent que la recherche du bien-être humain prime sur la logique économique et comptable ! Ne soyons pas trop optimistes, une hirondelle ne fait pas le printemps. Attendons de voir !