Universalisme, Vous avez dit Universel ? Quel Humanisme ! – deuxième partie –

L’universalisme humaniste

Le fondement de l’Humanisme

Pour l’humaniste, l’homme est l’unique source de valeur. Certains pensent que des valeurs lui sont supérieures : la nation, le prolétariat, le socialisme, la race aryenne … D’autres pensent que l’humanité ne tire sa valeur que d’êtres qui la surpassent et qui sont source de toute valeur : Dieu ou la Nature. Laissons ces approches qui ne manquent pas de générer de nombreuses contradictions. Essayons de fonder rationnellement l’humanisme.

L’homme est capable d’accéder à la science, un mode de connaissance de la nature, qui le hisse au-dessus de la nature. Il est capable de normes d’action qui le distinguent des autres êtres naturels : la moralité. Admettre que l’homme n’est pas seulement un être de nature mais de culture permet d’expliquer pourquoi l’univers humain est un univers de règles, de normes et de symboles. La culture est la finalité interne de tout être humain, ce vers quoi il tend pour être lui-même.

L’être de l’homme c’est la raison dialogique c’est-à-dire la disposition anthropologique au langage, la capacité des hommes à se parler les uns aux autres à propos du monde, à raisonner ensemble. C’est l’union indissociable du langage et de la raison qui permet d’expliquer les autres qualités propres aux humains. Grâce au langage la conscience humaine est en relation avec elle-même, avec le monde et avec toute autre conscience.

Une autre spécificité du langage humain est la négation. Parler humain c’est affirmer ou nier, prétendre que ce que l’on dit est vrai et que ce qui le nie est faux. Ce que l’un dit doit pouvoir être contredit par l’autre. L’identification alternée de l’un à l’autre, l’interaction originaire entre un humain et tout autre humain, le oui et le non du dialogue, l’entente et le différend, la coopération et la rivalité et le monde commun sur fond d’un réel à partager c’est ce qui fait l’humanité de l’être humain.

Par le fait qu’il dispose du langage, l’être humain peut accéder au jugement. Les êtres humains en tant qu’ils parlent et se répondent, peuvent distinguer le réel de l’illusoire, le vrai du faux, l’objectif du subjectif. L’être humain est aussi capable de justifier auprès des autres la vérité de ses jugements. Parler c’est répondre de ce que l’on affirme ou de ce que l’on nie, en répondre devant autrui, devant tout autre. La justification est l’œuvre de la raison dialogique contre l’arbitraire.

Valeurs

L’action se fait souvent devant autrui et donc selon des normes ou des valeurs collectives. La personne agit selon des valeurs qu’elle s’efforce de partager ou de faire partager. La justification par des valeurs est donc une démarche rationnelle. Ce qui fait la grandeur de l’humain c’est qu’il peut aspirer à un bien qu’il place au-dessus de son plaisir, de sa tranquillité, de sa survie même. En tant qu’elles sont partageables, les valeurs répondent à une tendance anthropologique fondamentale : être soi en étant nous, dire et penser nous pour pouvoir être vraiment soi.

Les valeurs sont multiples et contradictoires. Toutes les valeurs ne se valent pas et quiconque l’admet doit aussi admettre qu’il y a de l’universel.

Science

La science est une connaissance à la fois rationnelle et empirique. Elle ne se contente pas d’observer et de recueillir des faits, elle a aussi vocation à les expliquer. Une théorie scientifique doit être réfutable c’est-à-dire susceptible d’entrer en conflit avec des observations possibles ou concevables. Un énoncé scientifique n’est justifié que par sa reproductibilité donc son invariance. La science se définit par ses procédures universelles, elle est le discours des savoirs universellement partageables. Les trois normes de la connaissance scientifique sont : impersonnalité, désintéressement, doute systématisé.

L’idéal scientifique c’est le monde objectif vu de nulle part sans sujet pour le voir. 

La science est la finalité interne de la rationalité théorique humaine.

L’idéal éthique

L’idéal éthique c’est le monde interlocutif vu de toute parts par tout sujet possible. Au contraire de la morale, l’éthique c’est l’unité du bien pour soi et du bien en soi. Le bien de tout être humain est de tenir tout autre humain pour un être de même valeur que lui-même et réciproquement. Les règles qui se déduisent du principe de réciprocité ne sont pas morales, elles sont éthiques parce qu’elles ne distinguent pas conduites intéressées et désintéressées. Ce sont des règles de vie bonnes pour l’humanité.

Le fondement de l’universel éthique n’est pas le principe à priori de l’égalité et de la réciprocité entre personnes discutant mais la conséquence à postériori que chacun peut en déduire pour son propre bien et pour le bien de la communauté. Tout être humain rationnel choisit de vivre selon les règles rationnelles de la réciprocité parce que, destiné à vivre en communauté (il ne se suffit pas à lui-même) et dialogiquement rationnel (il peut échanger avec qui que ce soit), il sait qu’il ne peut trouver son bien que sous des règles d’égalité et de réciprocité.

Le bien a priorité sur les valeurs. Le bien concerne chacun en tant qu’humain aspirant à vivre humainement. Il est le bien réel de ceux qui sont humains par définition, parce qu’ils peuvent se parler les uns aux autres. Le bien éthique représente un plus haut degré de rationalité que les valeurs morales. Celles-ci sont collectives, le bien éthique est universel. Il est le bien de l’humanité comme telle. Parce qu’il est l’achèvement de la relation d’interlocution, fondement même du logos, il a priorité sur toute justification dont il est la condition. Pour la raison dialogique il y a un bien universel. Il suppose le monde vu de toute parts, de toutes les places où se trouve un sujet d’interlocution. Telle est l’éthique humaniste fondée sur la raison.

Conclusion

Pour terminer je reprendrais l’essentiel de la conclusion du « Plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf. Un humanisme effectif est possible à condition qu’il intègre l’idée que les êtres humains se pensent toujours concrètement, à partir de leurs différences et qu’ils se définissent par des identités multiples et mouvantes. Le vrai humanisme repose à la fois sur une éthique de l’égalité, de la réciprocité et sur une politique des différences. L’humanisme d’aujourd’hui ne peut être fondé que sur la singularité de l’être humain comme animal parlant. La globalisation semble rendre l’humanisme impossible car elle menace la diversité culturelle sans laquelle il n’y a pas d’humanité ; elle le rend pourtant nécessaire contre les faux refuges dans des identités imaginaires antagoniques. L’universel ainsi défini est notre seul point fixe et assuré dans le chaos des valeurs.

26 décembre 2020

Références bibliographiques

Pour le titre j’ai imité une célèbre répartie de Louis Jouvet dans un vieux film dont je ne me souviens pas du nom : « bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre ! … »

Intéressé de longue date par l’universalisme j’ai souvent dialogué sur ce thème avec des amis qui se reconnaîtrons. Il y a quelques mois j’ai écouté à la radio un échange sur France Culture entre Francis Wolf et Chantal Delsol. Cela m’a donné l’idée d’écrire cet article qui est principalement inspiré par « le plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf mais aussi par d’autres écrits listés ci-dessous.

Monique Atlan et Roger-Pol Droit – « Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies » Flammarion – 2012

Chantal Delsol – « Le crépuscule de l’universel » Cerf – 2020

Henri Pena Ruiz – « Dictionnaire amoureux de la Laïcité » Plon – 2016

Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018

Francis Wolf – « Plaidoyer pour l’universel » Fayard – 2019

Charles Coutel dans revue Sisyphe n°2– article « Pour l’Europe des lumières et la république universelle »  novembre 2020

Mazarine Pingeot sur le site The conversation – article « de l’universalisme au différencialisme » du 7 octobre 2018

Universalisme, Vous avez dit Universel ? Quel Humanisme ! -première partie-

L’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et de main d’œuvre, la globalisation de l’économie mais aussi le développement des transports et de tous les moyens de communication, du tourisme, la circulation des idées et des connaissances, le partage des cultures, l’avenir écologique de la planète, la crise sanitaire sont autant d’éléments qui viennent renforcer notre conscience de l’unité de l’humanité. Et pourtant cette unité recule dans les représentations collectives. Partout nous assistons aux mêmes replis identitaires : nouvelles radicalités religieuses, nouvelles revendications communautaristes, développement de la xénophobie etc…

Les critiques de l’universalisme

Un universalisme de façade

Au XVIIIème siècle qu’on appelle le siècle des Lumières, les philosophes, dans le prolongement des idées héritées de la Renaissance, ont combattu l’obscurantisme, la superstition et l’irrationnel des siècles passés. Ils ont renouvelé les connaissances et l’éthique de leur temps. La philosophie des Lumières considère que l’humanité est source de toute valeur et que tous les êtres humains ont une valeur égale. Ces idées d’humanité et d’humanisme sont liées à l’universel qui englobe la raison, la science, l’égalité, la moralité et la philosophie.

Aujourd’hui l’universalisme est battu en brèche. Il est interprété comme l’origine du colonialisme et de l’impérialisme, le symbole de l’oppression, la justification du racisme et de l’islamophobie. Il lui est reproché d’être purement formel. L’égalité de tous les êtres humains est affirmée mais elle coexiste avec des inégalités réelles. Les colonisateurs ont prétendu apporter la civilisation et ont minimisé l’oppression et la spoliation des colonisés tout en occultant leurs propres intérêts. L’universalisme leur a servi de justification.

Pourtant rien dans l’universel lui-même ne le condamne à n’être que de façade. L’idéal universaliste n’est pas un obstacle aux combats pour l’émancipation, il doit au contraire demeurer leur objectif. Il ne faut pas confondre les moyens de l’émancipation avec sa fin qui ne peut être qu’universelle. Il faut s’en prendre à ses usages pervertis et pas à l’Universel lui-même. L’universel est l’horizon de toute émancipation. La notion d’humanité a pu être dévoyée ou détournée mais elle a pu aussi servir à justifier des interventions selon un principe de justice. Le motif d’humanité sert les causes des dominés et n’est pas seulement un prétexte à domination.

Les Droits de l’Homme

La Déclaration universelle des Droits de l’homme adopté par l’ONU en 1948 indique que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Elle définit la Liberté comme ce qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Elle garantit l’expression du pluralisme des opinions et donc la liberté de conscience. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme.

Pourtant les Droits de l’Homme sont accusés d’ethnocentrisme ou d’occidentalocentrisme. C’est un hommage bien immérité à « l’Occident » car il existe bien des initiatives antérieures en Asie et en Afrique qui intègrent les notions de respect de la vie humaine, de droit à la vie, les principes d’égalité, de liberté individuelle, de justice, d’équité et de solidarité. Les droits de l’homme n’imposent aucune conception occidentale du Bien et du Juste, mais définissent un ensemble d’exigences générales valable pour tout système juridique. Ils sont seulement une condition formelle, et à ce titre universelle, compatible avec le maximum de conceptions substantielles particulières du Bien et du Juste.

 Lors des « printemps arabes » face au despotisme, à l’arbitraire, à la corruption, les manifestants réclamaient les mêmes libertés fondamentales. Avec leurs mots ils ont exigé le respect de ce que « nos » Déclarations avaient nommé les droits naturels inaliénables et sacrés des individus ou la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains.

Des droits humains anthropocentrés

Une autre critique de l’universalité des droits humains est qu’ils sont anthropocentrés. Ils seraient l’expression de la domination des humains sur les non-humains. Il faudrait reconnaître de nouveaux sujets naturels de droit : les animaux, les plantes, les vivants en général, voire des forêts, des écosystèmes … La proclamation des droits humains institue une égalité des êtres humains. Étendre au-delà de l’humanité cette notion est peu pertinente. Les droits accordés à la nature peuvent entrer en contradiction avec les droits humains. Les animaux ne sont pas égaux entre eux et les droits accordés aux uns contrediraient ceux des autres.

Nous pouvons retenir la continuité fondamentale de la nature, des animaux et des humains mais en ne perdant pas la spécificité et la responsabilité humaines. L’être humain est un animal pas tout à fait comme les autres. Il dispose du langage et de la raison. Il fait partie de la nature, il est une partie d’un tout mais une partie qui a la particularité d’être responsable de la conservation de ce tout. Les êtres humains ont la spécificité d’assumer la responsabilité de préserver la nature et la vie. Mais au-delà de l’humanité la notion de droit subjectif n’est plus valable et se heurte à de nombreuses contradictions

Le différencialisme

En réaction contre l’imposture ethnocentriste, l’insistance sur la diversité des cultures peut conduire à nier tout type de référence universelle. La différence au nom de la culture, de l’histoire, de la communauté, de la singularité, de la liberté même est mise en avant pour rejeter l’universel. Le respect de la différence en devient presque un fétichisme. Il se transforme en revendication identitaire. Des groupements qui, au départ militent pour l’égalité des droits, font de leur différence une identité agressive qui se doit d’être reconnue comme entité fermée et versent ainsi dans le différencialisme. L’idéologie différentialiste affirme l’existence de différence essentielle entre les groupes humains puis les hiérarchise en conséquence. La négation de l’universel consiste à attribuer une dimension essentielle à des données particulières. Si la différence est un fait, ce qui est en jeu c’est de ne pas être discriminé du fait de sa différence. Les êtres humains comme individus sont singuliers. Ils possèdent certains traits particuliers mais l’espèce humaine est fondamentalement une. Comme êtres porteurs d’humanité ils sont universels. L’essentiel universalise, là où l’accidentel particularise. On croit invalider l’universel alors qu’on ne rejette que sa contrefaçon.

Le relativisme culturel

Le représentant des Lumières doit défendre le relativisme culturel qui s’inscrit dans une tradition humaniste. Le relativisme culturel est un puissant antidote à l’ethnocentrisme et le meilleur gage de reconnaissance de la variété humaine. Mais si toutes les valeurs sont culturellement variables cela ne veut pas dire que toutes les valeurs sont relatives à des cultures. La relativité culturelle n’est pas la relativité des cultures. Si les individus sont ce que fait d’eux leur culture, s’ils pensent nécessairement comme leur culture, ils ne peuvent jamais s’en libérer. Cette idée culturaliste empêche toute émancipation. Il faut admettre qu’il y a place dans toute société pour des voix individuelles porteuses d’un universel éthique. Les cultures, entités fermées et homogènes n’existent pas. L’ouverture d’une société est la valeur formelle qui permet l’existence en son sein de valeurs diverses. Ce qui ne signifie nullement qu’elles sont de même valeur ou qu’elles soient également vraies ou fausses. Toute société reconnaît à côté de normes socialement variables des normes morales socialement constantes relevant du respect dû à l’humanité comme telle, comme par exemple ne pas tuer, ne pas agresser, ne pas mentir, et plus généralement ne pas porter préjudice à autrui.

26 décembre 2020 

     – A suivre –

Références bibliographiques

Pour le titre j’ai imité une célèbre répartie de Louis Jouvet dans un vieux film dont je ne me souviens pas du nom : « bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre ! … »

Intéressé de longue date par l’universalisme j’ai souvent dialogué sur ce thème avec des amis qui se reconnaîtrons. Il y a quelques mois j’ai écouté à la radio un échange sur France Culture entre Francis Wolf et Chantal Delsol. Cela m’a donné l’idée d’écrire cet article qui est principalement inspiré par « le plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf mais aussi par d’autres écrits listés ci-dessous.

Monique Atlan et Roger-Pol Droit – « Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies » Flammarion – 2012

Chantal Delsol – « Le crépuscule de l’universel » Cerf – 2020

Henri Pena Ruiz – « Dictionnaire amoureux de la Laïcité » Plon – 2016

Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018

Francis Wolf – « Plaidoyer pour l’universel » Fayard – 2019

Charles Coutel dans revue Sisyphe n°2– article « Pour l’Europe des lumières et la république universelle »  novembre 2020

Mazarine Pingeot sur le site The conversation – article « de l’universalisme au différencialisme » du 7 octobre 2018

Améliorer la gouvernance mondiale, une nécessité

En ce premier quart de XXIème siècle, plus que jamais le monde est confronté à de multiples défis. Dérives financières, épuisement des ressources naturelles, dérèglement climatique, productivisme agricole, manipulations génétiques dangereuse pour notre alimentation, destruction de la biodiversité, rareté croissante de l’eau potable, développement des inégalités inter et intra nationales, menaces terroriste et nucléaire, pandémies virales, dérèglements politiques, … cette liste n’est hélas pas exhaustive. Il s’agit d’une conjonction de crises d’envergure mondiale.

Collegium international

Aucun État ne peut prétendre répondre seul à ces défis. Ce constat a été fait déjà en 2002 et a suscité la création d’une association intitulée Collegium international éthique, scientifique et politique. Cette association basée en France a été fondée par Milan Kucan, président de la Slovénie, Michel Rocard, ancien Premier ministre français, coprésidents, Stéphane Hessel, vice-président, et Sacha Golman, secrétaire-général. Parmi les membres nous pouvons citer entre autres Edgar Morin, Peter Sloterdijk, Jurgen Habermas, René Passet, Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Mireille Delmas-Marty.

Son objectif : « Prendre la mesure des dérèglements et des contradictions de notre monde, imaginer et proposer des orientations qui soient à la hauteur des périls qui menacent l’équilibre de la planète, rechercher un nouveau sens à donner aujourd’hui à l’aventure humaine, marquée par la mondialisation et l’Interdépendance de tous les pays, tous les peuples et de tous les êtres humains ».

Le Collegium s’appuie sur la diversité de ses membres, leur sagesse politique et leurs connaissances scientifiques, ainsi que leur expérience et leur intégrité. Par sa composition, réunissant aussi bien des hommes de pensée dans les domaines philosophique, scientifique et artistique, que des dirigeants politiques de grande responsabilité, le Collegium veut tenter de répondre pour les hommes et les femmes du XXI siècle aux trois questions essentielles, inspirées d’Emmanuel Kant :

  • Que voulons-nous faire de notre planète ?
  • Que voulons-nous faire de l’espèce humaine ?
  • Que voulons-nous faire de notre vie ?

Appel pour une gouvernance mondiale solidaire et responsable

Dès sa création le Collegium a lancé un Appel pour une gouvernance mondiale solidaire et responsable, aujourd’hui toujours d’actualité de mon point de vue.

Pour résumer cet appel :

Les crises que nous vivons sont fortement interconnectées et forment une seule « polycrise » menaçant ce monde d’une « polycatastrophe ». Aucun État ni aucune Institution Internationale n’est aujourd’hui en mesure de faire respecter un ordre mondial et d’imposer les indispensables régulations globales. L’inter-gouvernementalisme est un échec. Il faut repenser les principes juridiques internationaux et bâtir des mécanismes de prise de décisions planétaires dans l’intérêt de l’humanité. Le premier pas vers cette communauté mondiale est la reconnaissance universelle d’un principe nouveau qui résulte de l’interdépendance, l’intersolidarité planétaire. Principe qui devra préserver la diversité dans un esprit de tolérance et de pluralisme.

Trois mesures sont à prendre d’urgence : l’éradication effective des paradis fiscaux, la séparation des banques de dépôt et d’investissement spéculatif, la taxation des transactions financières.

Relancer des négociations fondamentales relatives

  • d’une part aux mesures de régulation et de contrôle d’une économie mondialisée tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques et
  • d’autre part pour la survie de la planète la sauvegarde de la biosphère, la suppression des armes de destruction massive et le contrôle de l’énergie nucléaire.

Selon le Collegium la mise en œuvre de cet Appel suppose :

  • de réaffirmer l’ensemble des droits fondamentaux des individus dans le respect de l’ordre public national et supranational ;
  • de reconnaître que la détention d’un pouvoir d’échelle globale implique le corollaire d’une responsabilité globale ;
  • d’inciter les États souverains à reconnaître la nécessité d’intégrer l’ordre public supranational à la défense des valeurs et des intérêts communs
  • de favoriser le développement des institutions représentatives des communautés internationales régionales, en même temps que de renforcer la communauté mondiale et l’émergence d’une citoyenneté globale.

Cet Appel invite à concevoir et construire ensemble une communauté mondiale de destin.

Plaidoyer pour une charte d’interdépendance

Depuis sa création, le Collegium a produit de nombreux travaux en rapport avec son objet. Il travaille notamment sur le concept d’interdépendance solidaire et responsable et son application à une gouvernance mondiale qui ne saurait être conçue sur le seul modèle étatique, mais englobe les acteurs supra-étatiques et trans-étatiques, publics (Collectivités territoriales et Organisations internationales) ou privés (Entreprises transnationales), et la société civile.

Les humains sont partie intégrante de l’écosystème constitué par la nature. Doués de raison et de conscience leur spécificité est d’assumer la préservation de la nature. La relation des humains avec les vivants non humains est asymétrique et sans réciprocité. C’est donc aux seuls humains qu’il revient de s’engager sur une véritable « Charte d’Interdépendance » proposant trois principes d’action : préserver les différences, promouvoir des solidarités, répartir les responsabilités.

Ainsi en décembre 2018, le Collegium International a entrepris la création d’une CHARTE D’INTERDEPENDANCE réalisée comme un Appel solennel aux Nations Unies et à son Secrétaire Général, qui a, d’ailleurs, fait part de son soutien à ce projet.

Comme le publie le Collegium, « Adaptée à notre Humanité à la fois unique et multiple, cette Charte n’oppose pas la diversité à l’unité, le différent au commun, le relatif à l’universel. Elle se sert du droit comme d’une boussole afin de rendre compatibles les différences et répartir les responsabilités de façon différenciée. C’est la condition d’une mondialité apaisée qui ne prétend garantir ni la Paix perpétuelle imaginée par Emanuel Kant, ni la Grande paix des Classiques chinois, mais plus modestement préparer le cheminement vers une paix toujours réinventée. »

Dépasser l’inter gouvernementalisme

L’Organisation des Nations unies (ONU) a été créée en 1945 par la Charte de San Francisco, à la fin de la seconde guerre mondiale, en remplacement de la Société des Nations. Elle est née de la volonté de 51 pays qui voulaient construire un monde de paix. Elle regroupe aujourd’hui 193 États. Selon sa Charte l’ONU est un lieu où se construit un avenir meilleur pour tous les êtres humains. Après des débuts prometteurs, notamment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en décembre 1948, et la création d’institutions spécialisées comme la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International, l’Organisation internationale du Travail, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, l’Organisation mondiale du commerce,… l’ONU a vu ses actions mises en échec par les grands pays occidentaux qui ont montré à chaque occasion peu d’empressement à partager le pouvoir.

Dans les années 80 la vision friedmanienne de l’économie inspirée par l’École de Chicago s’est imposée en quelques années. Toutes les règlementations par nature antiéconomiques selon la doxa néolibérale sont remises en cause. Les nouvelles règles du jeu définies sont simples et ne font l’objet d’aucune contestation : libéralisation généralisée des échanges, liberté totale de mouvement des capitaux, respect sans nuance du dogme de la concurrence, mise au pas des institutions internationales considérées incompétentes. Les multiples discussions dans un cadre onusien concernant la régulation des divers marchés furent bloquées sous la pression des gouvernements des grands pays occidentaux qui considéraient que les errements interventionnistes devaient prendre fin, seul le marché étant habilité à décider du bien et du mal. La marginalisation du système onusien a ainsi été programmée au nom de son immobilisme et de son irréalisme. Un cadre renouvelé de coopération internationale lui a été substitué, d’abord le G5, puis le G7/G8 élargi finalement aux leaders de pays émergents incontournables en devenant le G20.

Pour répondre aux problèmes mondiaux il faut des réponses mondiales. Des éléments de régulation internationale et quelques institutions agissent à l’échelle mondiale mais c’est loin d’être suffisant. Les intérêts nationaux prévalent encore en transformant chaque rencontre internationale en séance de marchandages. Comme l’a définie Stéphane Hessel, « la gouvernance mondiale c’est la capacité de s’élever au-delà des marchandages entre intérêts nationaux pour prendre des décisions politiques planétaires au nom de l’humanité. »

Pour le Collegium international les défis planétaires du XXIème siècle, le réchauffement climatique, la destruction de la biodiversité, les pandémies virales, les difficultés économiques et le développement des inégalités, remettent en question la notion de souveraineté étatique et son expression internationale : l’inter gouvernementalisme. La réforme en profondeur du seul embryon de gouvernance mondiale existant aujourd’hui, l’ONU, semble indispensable. Il reste la seule institution légitime malgré ses faiblesses pour établir un véritable dialogue et affronter les problèmes qui se posent au monde dans un cadre universel démocratique et rénové.

26 novembre 2020

Après

Constats 

L’individualisme et le chacun pour soi a connu son apogée au XXIème siècle. Le néo libéralisme, à la fois sa conséquence et son origine, a exacerbé les inégalités.

L’activité humaine débridée avec pour objectif la maximisation du profit à court terme est une réalité qui a pour effet l’augmentation de l’émission de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité.

La pandémie due au Covid 19 a mis en évidence que l’ensemble de l’humanité est sur un même bateau. Personne n’est à l’abri de la crise sanitaire même si tous ne sont pas atteints de la même façon ni au même moment ni avec la même intensité. Le néolibéralisme et la chasse aux dépenses publiques a affaibli les hôpitaux et donc la capacité de réaction à la crise sanitaire. Nous n’en sortirons qu’avec la mise au point de traitements efficaces et d’un vaccin. Cela rend indispensable une réaction coordonnée de tous les pays.

Au niveau international le repli sur soi de chaque pays est quasi général à part l’Europe qui après quelques difficultés semble se ressaisir.

Et après ?

L’humain n’est pas pensable isolément. La relation à l’autre est constitutive de l’humain. L’émancipation humaine ne peut être que collective dans le respect de chaque individu. Combattre l’individualisme et réduire les inégalités, cela fait partie de l’ADN de l’action pour l’épanouissement de l’humanité.

Nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète. Le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité représentent un danger que le développement des sciences et des techniques ne suffira pas à contenir. Le coup d’arrêt à l’activité économique dû à la pandémie nous montre que si la décroissance peut réduire le réchauffement climatique elle ne fait qu’aggraver les inégalités. Il nous faut trouver un chemin qui donne satisfaction sur ces deux objectifs. Il y a des choses qu’il faut réduire mais il y a des choses qu’il faut augmenter. L’économie doit être au service des hommes et pas l’inverse. Il nous faut développer tout ce qui concoure au développement de la vie et au bien-être des humains, des animaux et de la nature. Les humains font partie de la nature et ils ont la spécificité d’assumer la responsabilité de la préserver. 

La préservation de la nature et de toutes ses composantes doit être partie intégrante de notre action pour l’amélioration matérielle et sociale de l’humanité.

En démocratie le politique doit primer sur l’économique. Nous devons faire l’éloge de la régulation démocratique dans tous les domaines de l’activité humaine. Les institutions de gouvernance mondiales, si imparfaites soient-elles, doivent être soutenues notamment l’OMS qui doit nous permettre d’éradiquer la Covid 19 et éviter que la course au vaccin soit l’objet de spéculations financières sans égard pour la santé de toute l’humanité.

15 novembre 2020

Hommage à Samuel PATY

Une barbarie insupportable

Le 16 octobre 2020 un attentat islamiste d’une barbarie insupportable a été commis dans les rues de Conflans-Sainte-Honorine. Un professeur d’histoire-géographie a été décapité pour avoir illustré un cours sur la liberté d’expression en présentant aux élèves des caricatures publiées dans le journal Charlie Hebdo. La consternation et l’émotion sont immenses. Des manifestations d’hommage à cet enseignant et de soutien à sa famille et au monde enseignant sont organisées dans toute la France. Demain mercredi 21 octobre une cérémonie d’hommage national lui sera rendu dans la cour de la Sorbonne, monument symbolique de l’esprit des Lumières et du rayonnement culturel. Au-delà des réactions institutionnelles il est nécessaire que chaque citoyen individuellement et collectivement contribue à amplifier le travail des enseignants pour la promotion des principes de la République Française. C’est le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Samuel PATY. C’est ce que je vais m’attacher à faire dans cet article en reprenant l’essentiel du contenu d’un article écrit en avril 2019 et publié dans ce blog en mars 2020.

Une République indivisible, laïque, démocratique et sociale

En France la constitution de 1958 est le texte fondateur de la Ve République. Elle organise les pouvoirs publics, définit leur rôle et leurs relations. C’est la norme suprême du système juridique français. Les quatre premiers articles de la constitution contiennent l’essentiel des principes sur lesquels repose l’organisation de l’État en France.

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Elle respecte toutes les croyances. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les partis et groupements politiques contribuent à l’exercice de la démocratie. La loi garantit les expressions pluralistes des opinions.

La liberté

La constitution dans son préambule fait référence explicitement à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui indique que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Elle définit la Liberté comme ce qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté doit être très large mais elle n’est pas illimitée. Toute société qui n’organise pas les limites de la liberté dans le respect de chacun ne peut que mener à ce que certains soient plus libres que d’autres. Chaque citoyen est libre dans un cadre donné défini par la loi.

La loi garantit l’expression du pluralisme des opinions et donc la liberté de conscience.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi (article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen).

L’Égalité

L’article 1 de la constitution précise que la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Les hommes naissent égaux en droit. La République nourrit ses enfants et les instruit. L’histoire nous prouve que l’égalité des droits n’empêche pas les inégalités. Même si tous les gouvernants affirment orienter l’action de la puissance publique dans le sens d’une plus grande égalité entre les citoyens, nous voyons bien, notamment ces dernières années, que les inégalités s’accroissent. Les privilèges de la naissance ont été abolis sans complètement disparaitre et ont été remplacés par les privilèges de la richesse économique qui se répercutent sur le plan culturel, social et régional.

La Fraternité

La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies à Paris en 1948 parle de la notion de fraternité dans son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

La devise républicaine invite, en vertu de l’unité du genre humain, de l’égalité entre les hommes, de l’égale dignité de l’homme et de la femme, du respect des droits de chacun, de l’humanisme, à considérer l’autre comme son frère. La fraternité républicaine n’est pas une fraternité de l’immédiateté, fusionnelle et sentimentale. C’est la constitution d’esprits libres décidés à défendre les droits de tous. Les sujets libres et égaux en droit sont frères parce qu’ils produisent la chose publique qui à son tour les unit. La fraternité est la condition d’un cadre commun qui permet l’émancipation de tous.

La Laïcité

C’est dans une période caractérisée par une majorité croissante de non croyants que nous assistons à un retour de la question religieuse dans tous les domaines de la vie sociale et civile. Les fondamentalistes de tout poil prétendent imposer leur vérité à l’ensemble de la société. L’article 2 de la constitution précise que : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.

La séparation des Églises et de l’État est la pierre angulaire de la laïcisation de la société.

La laïcité c’est la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est l’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions. C’est le primat de l’intérêt général, du bien commun à tous.

La laïcité est une règle de vie en société démocratique, un idéal d’émancipation. Elle permet à tous, croyants et athées, de vivre ensemble sans que les uns ou les autres soient stigmatisés en raison de leurs convictions particulières. L’État laïque incarne la promotion simultanée de la liberté de conscience et de l’égalité, de la culture émancipatrice et du choix sans entrave de l’éthique de vie personnelle.

La laïcité vise à développer en l’être humain l’esprit critique ainsi que le sens de la solidarité et de la fraternité. La laïcité vise dans ce contexte à donner les moyens à l’être humain d’acquérir une totale lucidité et une pleine responsabilité de ses pensées et de ses actes.

La liberté d’expression est le corollaire de la liberté de conscience. Elle est le droit et la possibilité matérielle de dire, d’écrire et de diffuser la pensée individuelle ou collective. Le refus du racisme et de la ségrégation sous toutes ses formes est inséparable de l’idéal laïque.

L’éthique laïque mène inévitablement à la justice sociale : égalité des droits et égalité des chances. L’éducation laïque, l’école, le droit à l’information, l’apprentissage de la critique sont les conditions de cette égalité.

L’école laïque

L’école laïque a pour tâche de réaliser cette émancipation. Elle doit tenir à distance la société civile et ses fausses urgences. La laïcité à l’école c’est le fait de refuser aux puissances de conditionnement d’entrer dans les classes, d’ouvrir à chaque esprit la chance de penser sans tutelle, sans emprises. L’acquisition de savoirs et l’élévation culturelle sont les instruments d’une émancipation individuelle et collective. L’émancipation par l’instruction doit être à la portée de tous c’est-à-dire gratuite, obligatoire, laïque, et la puissance publique doit en assurer la promotion partout et pour tous. L’école laïque fournit à la liberté de conscience le pouvoir de juger qui lui donne sa force.

L’enseignement public doit être affranchi de tout prosélytisme religieux ou idéologique. C’est un moyen de transmission du savoir mais c’est aussi le moyen de fabriquer une communauté nationale de citoyens.

Une réponse citoyenne à l’obscurantisme

La promotion de nos principes républicains, leur large diffusion, leur popularisation sont l’indispensable réponse citoyenne à l’obscurantisme liberticide et meurtrier. Elle complétera utilement la nécessaire fermeté de la puissance publique qui doit réaffirmer que la seule loi qui prévaut en France est la loi républicaine, votée par la représentation nationale. Jamais la loi de Dieu ou d’une toute autre croyance, brandie pour contester la règle républicaine, ne doit pouvoir s’imposer à la souveraineté nationale.

20 octobre 2020

Évaluation des réformes de la fiscalité du capital

France stratégie

France stratégie est un organisme créé par un décret du 22 avril 2013 qui a pris la suite du Commissariat général du Plan et du Centre d’analyse stratégique. Chargé d’expertise et d’analyse prospective sur les grands sujets sociaux et économiques il est placé auprès du Premier Ministre. Il formule notamment des recommandations au pouvoir exécutif et contribue à l’évaluation ex-post des politiques publiques.

Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital

Piloté par France stratégie, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital a été installé en décembre 2018 c’est-à-dire un an après la réforme de la fiscalité du Capital. Cette réforme remplaçait l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), instaurait un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus de l’épargne et programmait en complément sur toute la durée du quinquennat une baisse de l’impôt sur les sociétés (IS).

Dans un premier rapport publié en octobre 2019 le Comité avait fait un point sur la fiscalité du capital en France et son poids dans l’ensemble de la fiscalité. Il présentait le contenu précis de la réforme et rassemblait les enseignements à priori que l’on pouvait tirer d’une revue de la littérature économique théorique et empirique en la matière. Faute de disposer du recul temporaire suffisant le comité n’avait pu donner beaucoup d’éléments sur une évaluation ex-post. Il ne pouvait conclure sur l’efficacité des réformes en matière de fiscalité du capital.

Les riches plus riches

Ce 8 octobre 2020 le comité a publié un deuxième rapport qui indique de nouveau qu’une évaluation complète reste impossible mais qui fournit des informations plus précises.

Les dividendes sont concentrés sur un petit nombre de personnes. La suppression de l’ISF et l’instauration du PFU a eu pour effet de faire augmenter les revenus des 0,1% des français les plus riches. En 2018, 38000 personnes soit 0,1% des foyers fiscaux ont perçu les deux tiers des montants totaux alors qu’ils n’en recevaient que la moitié en 2017. Les ultra riches, 3800 personnes (0,01% des foyers fiscaux), en ont perçu le tiers alors qu’ils n’en recevaient qu’un cinquième. Les dividendes distribués ont augmenté de plus de 60% en 2018. Ils sont passés de 14,3 milliards d’euros en 2017 à 23,2 milliards en 2018 et la hausse se poursuit en 2019.

La réforme de 2018 avait aussi pour objectif d’endiguer l’exil fiscal. Le nombre de départs hors de France des contribuables aisés a baissé dès 2017 et le nombre de retours tend à augmenter mais cette évolution porte sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines à comparer avec les 130 000 contribuables assujettis à l’IFI en 2018.

Selon le rapport la forte hausse des dividendes en 2018 est en partie causée par la réforme du PFU. Reste à savoir ce que les français aisés ont fait et vont faire de cet argent. Selon la théorie des « premiers de cordée », ils devraient l’investir dans l’économie. C’est la théorie du ruissellement. Selon les tenants de la politique de l’offre, soutenir massivement les entreprises permet de doper finalement la croissance et l’emploi.

Impact sur l’économie

En conclusion, le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital se déclare incapable de répondre par oui ou par non à la question de savoir si la réforme de 2018 a eu un impact positif sur l’économie. La seule chose qui est certaine c’est que les plus aisés ont bénéficié d’une augmentation de leurs revenus et que les inégalités se sont accrues.

La crise de 2020, provoquée par la pandémie de covid-19, va avoir un impact important sur le financement de l’économie et sur les choix d’investissements des ménages. Cela rendra plus complexe l’évaluation à moyen terme des effets des réformes de 2018. Le montant des dividendes reçus par les ménages va probablement diminuer en 2020 sans qu’il y ait de lien entre cette chute et les réformes de 2018. Il est donc peu probable que le comité d’évaluation de la réforme puisse répondre avant longtemps sur les effets de cette réforme.

Une seule chose est sûre les inégalités s’aggravent, la pandémie ne fait que les augmenter et la réforme de la fiscalité du capital n’a pas eu à ce jour d’impact probant sur l’économie en matière d’investissements et d’emploi.

12 octobre 2020

Après les masques, les tests !

Le « n’importe quoi » des masques 

Les autorités sanitaires françaises ont commencé par nous expliquer que les masques n’étaient pas utiles. Dangereux à manipuler et mal utilisés ils pouvaient être contreproductifs. Et tout le monde y est allé de sa démonstration, responsables politiques comme responsables scientifiques mobilisés par le gouvernement, pour rendre crédibles ses déclarations.

En fait, voir notre article du 31 mars 2020 intitulé « pourquoi n’étions-nous pas prêts », la France n’avait pas renouvelé ses stocks et avait été coupable d’un manque de prévoyance évident d’autant que nous n’avions plus de capacité de production suffisante pour faire face aux besoins en cas de pandémie que certains spécialistes ne manquaient d’annoncer comme possible. Nous nous sommes donc trouvés sur les marchés internationaux pour nous approvisionner, en Chine notamment, en même temps que tous les autres pays partageant notre imprévision, hélas très nombreux puisque la réduction des dépenses publiques est le souci le plus partagé dans le monde.

Il eût mieux valu à l’époque dire que nos stocks permettaient tout juste de satisfaire les besoins prioritaires des soignants plutôt que de raconter n’importe quoi sur l’utilité du masque.

Puis soudainement, dès que l’approvisionnement a été suffisant, les masques sont devenus très utiles et même deviennent de plus en plus indispensables et dans certains cas obligatoires. Comment s’étonner dès lors du scepticisme de certains de nos compatriotes devant les déclarations de l’autorité publique ?

Les risques de contamination varient en fonction du type d’activité, du milieu et de la circulation de l’air. Le British Médical Journal a publié une étude sur le niveau de risque de transmission du virus par des porteurs asymptomatiques selon l’endroit où ils se trouvent, l’aération ou la densité humaine. Les milieux clos sont la source d’une majorité de contaminations, parce qu’ils sont souvent moins bien ventilés, avec une population plus dense que dans les espaces extérieurs. Plus il y a de personnes au même endroit, plus les postillons et micro gouttelettes expulsées par la bouche peuvent être inhalés par d’autres. Plus le niveau de bruit ambiant est élevé, plus les participants devront parler fort, et expulser plus de postillons pour se faire entendre. Le masque réduit efficacement la quantité de postillons émise dans l’air, son absence accroît les chances que d’éventuelles particules virales soient inhalées.

Une synthèse des travaux scientifiques publiée par l’Organisation mondiale de la santé estime que le risque de transmission du virus est cinq fois moindre à deux mètres qu’à un mètre.

Même scénario pour les tests

Nous avons assisté, à peu de chose près, au même scénario avec les tests. Pas utiles, non significatifs puis indispensables en corrélation avec nos stocks de tests.

Catherine Hill, épidémiologiste, ancienne chercheuse à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy, dans une tribune publiée dans « Le Monde » le 21 août 2020, explique que « pour contrôler l’épidémie, il faut chercher systématiquement les porteurs du virus en testant massivement la population, plutôt que cibler les « clusters » comme le font les autorités françaises ». En effet une personne contagieuse qui se déplace peut contaminer d’autres personnes ici où là, sans que ces contaminations correspondent à un foyer identifiable.

photo franceinfo

Après avoir énuméré les différents moyens qui s’offrent aux autorités pour suivre l’épidémie, Catherine Hill estime que le nombre de cas connus n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle en conclut « qu’à l’heure actuelle, les tests se font sans aucune stratégie identifiable : ils sont certes gratuits et sans ordonnance, mais les personnes les plus probablement positives ne sont pas particulièrement incitées à se faire dépister. Ce n’est pas ainsi que l’épidémie va être contrôlée. »

Les délais d’accès et de résultats des tests n’ont cessé de s’allonger et empêchent d’identifier à temps les personnes contaminées et de les isoler. Tester plus d’un million de personne c’est bien mais être incapable de donner les résultats rapidement diminue l’intérêt de ces tests. Il est indispensable de définir les personnes prioritaires de façon à désengorger les laboratoires.

Même si la critique est facile et l’art difficile, avec de telles performances il n’est pas étonnant que de nombreuses voix s’élèvent pour taxer les autorités publiques d’amateurisme.

Le 18 septembre 2020

Retour de la planification en France ?

Le Plan Monnet

C’est entre les deux guerres mondiales que l’idée de la planification a fait ses premiers pas en France sans qu’aucune réalisation n’ait pu se concrétiser. Le projet de faire un plan est apparu dans les propositions de la résistance intérieure et dans celle de la France libre à Londres. Il voit le jour en 1946 à l’initiative de Jean Monnet. A la libération le pays a besoin de se reconstruire et de se moderniser et Jean Monnet pense qu’il ne peut le faire par lui-même et que seuls les États Unis peuvent contribuer au redressement de la France. [1].

Jean Monnet

L’élaboration de ce plan fait l’objet de nombreuses négociations en interne avec les partis politiques, les syndicats et le patronat mais aussi au niveau international notamment avec les États-Unis. Ainsi les objectifs du plan sont précisés par secteurs et dans le temps et bénéficient d’une approbation globale. Le Plan Marshall participe à la réalisation du Plan Monnet en finançant une grande partie des investissements. Ce plan peut être interprété à la fois comme un moyen d’obtenir des crédits américains et comme un ensemble d’actions pour reconstruire et moderniser le pays.

Les objectifs de ce premier plan (1946-1952) consistent à faire redémarrer l’outil de production, satisfaire les besoins essentiels de la population, reconstituer les outillages et les équipements publics et privés endommagés ou détruits du fait de la guerre. Très sélectif, il est centré sur six secteurs de base : charbon, électricité, ciment, machinisme agricole, transport et acier. A cette époque le rôle de l’État dans l’économie est important et le plan bénéficiant d’une large approbation est bien exécuté ce qui met la France sur la voie du redressement.

Les plans suivants

Les plans suivants se succèdent environ tous les quatre ans avec plus ou moins de succès. Après être sortie d’une situation de pénurie la France connait une situation de relative abondance. L’approche est de plus en plus macro-économique. Dans une conjoncture de croissance mondiale le quatrième plan (1962-1965) s’articule autour d’une croissance forte, d’une progression des équipements collectifs et de corrections des inégalités sociales et régionales. Le sixième plan (1971-1975) sous la présidence Pompidou privilégie le développement industriel, l’amélioration des conditions de vie et un taux d’inflation faible. Dans un contexte de croissance mondiale très ralentie et devant les incertitudes de l’environnement international le septième plan (1976-1980) est réalisé dans un climat de mise en cause de la planification. Suite au changement de majorité en 1981, le huitième plan (1981-1985) n’est pas mis en application. Après l’échec de la relance par la consommation, le tournant de la rigueur, la décentralisation, l’entrée en vigueur du marché unique au niveau européen, la planification française va s’étioler pour laisser la place aux contrats de plan signés entre l’État et les Régions.

Une expérience originale

La planification française était indicative et incitative. Plusieurs éléments en font une expérience originale. La réussite du premier plan doit beaucoup au plan Marshall qui a assuré son financement. Le quatrième plan s’est réalisé dans un contexte exceptionnel de prospérité des finances publiques. La réussite du plan a reposé sur l’abondance du financement et sur un consensus des acteurs économiques, chefs d’entreprises, syndicats, partis politiques, intellectuels, milieux associatifs, etc… L’État s’appuyant sur les grandes entreprises publiques nationales et sur des hauts fonctionnaires servant de relais dans toute l’administration intervenait pour domestiquer le marché. Il se donnait des objectifs quantitatifs ou qualitatifs définis d’un commun accord entre les partenaires sociaux pour orienter les investissements dans les secteurs prioritaires.    

La mort du plan

L’entrée de la France dans la mondialisation et l’Europe de la concurrence sont à l’origine de la mort du plan. La conversion progressive des pays occidentaux dont la France au néolibéralisme et à une confiance aveugle au marché, l’exposition croissante aux aléas du commerce international et la nécessaire adaptation aux marchés ont rendu pratiquement impossible toute idée de programmation volontariste.

Un Plan Post-Covid

Aujourd’hui le gouvernement, pour faire face à la crise économique conséquente de la crise sanitaire, veut remettre la planification au cœur de son action. Le Conseil des Ministres du 3 septembre a désigné le président d’une des composantes de la majorité parlementaire à la tête du Haut-Commissariat au Plan et à la Prospective.

Le plan c’est l’instrument d’un volontarisme politique se traduisant en actes.  C’est construire une économie sur la base d’une vision prospective, de la définition de priorités d’investissements bâtis sur la concertation, d’un lieu de coconstruction de l’avenir où coopèrent les acteurs économiques. C’est opérer le tournant Post-Covid sur la base d’une vision partagée et d’une gouvernance où l’État regagne son influence dans les choix stratégiques des entreprises. Il s’agit donc de reconstituer une culture et restaurer une tutelle sur des entreprises financiarisées.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain ni en quelques mois d’autant qu’il faudra sans doute passer par des nationalisations si l’on veut répondre aux conséquence des crises sanitaire, économique et sociale, relocaliser certaines activités qui ont mis en évidence notre manque de souveraineté, réduire de manière suffisante les émissions de gaz à effet de serre et ses conséquences sur le climat, stopper l’industrialisation de l’agriculture et ses conséquences en matière de sécurité alimentaire et préserver la biodiversité.

Le plan s’il ne réunit pas les conditions de réussite des premiers plans énumérées ci-dessus risque de n’être qu’un dispositif parmi d’autres dans une liste de mesures constituant un catalogue qui restera une déclaration d’intention sans avenir.

9 septembre 2020


[1] Mioche Philippe. Le démarrage du Plan Monnet : comment une entreprise conjoncturelle est devenue une institution prestigieuse. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 31 N°3, Juillet-septembre 1984. pp. 398-416;

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1984_num_31_3_1281

Faut-il déboulonner les statues ?

En France, mais aussi dans plusieurs pays au passé colonial, cette question fait débat. Elle est apparue au moment de la contestation des violences policières notamment à l’encontre des minorités visibles et ce en lien avec la motivation raciste de certains policiers.

Depuis la mort de Georges Floyd le 25 mai à Minneapolis aux États-Unis on assiste au développement d’un mouvement international contre le racisme, Black Lives Matter, « les vies noires comptent ». Dans notre pays à Paris et dans plusieurs villes de province, plus de 15000 manifestants ont répondu à l’appel du comité Adama en participant à la marche nationale « vérité et justice ». Progressivement le mouvement antiraciste prend de l’ampleur. La jeunesse se mobilise pour l’égalité des droits et la démocratie. Il faut s’en réjouir.

Dans ce contexte des voix s’élèvent pour demander le déboulonnage de statues : Léopold II en Belgique, Christophe Colomb aux États-Unis, Winston Churchill et Edward Colston au Royaume Uni, Victor Schœlcher en Martinique, Colbert, Gallieni, Faidherbe, etc… en France. Même si les situations européenne et américaine ne sont pas comparables cela dénote notamment dans la jeunesse et pas seulement, une prise de conscience et une volonté d’œuvrer à l’abolition du racisme sous toutes ses formes, du racisme mais aussi des inégalités et de toutes les formes de discrimination.

Déboulonner les statues de certains personnages historiques, débaptiser des lieux publics, changer le nom de rues peut paraître anecdotique mais pour beaucoup, tant les partisans que les opposants, c’est lourd de symboles.

Pour les premiers ces hommages rendus à des personnages liés de près ou de loin au commerce des esclaves et à la colonisation sont une blessure permanente ravivée par les discriminations qu’ils doivent affronter tous les jours. Certains vont jusqu’à évoquer le poids de l’héritage colonial et le caractère systémique des discriminations. En France dans un rapport publié le 22 juin, intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir » le défenseur des droits estime que les discriminations ne sont pas le résultat de logiques individuelles mais que c’est le système qui reproduit les inégalités. Même si de manière majoritaire le monde occidental rejette en principe le racisme, l’injustice et les discriminations, nous sommes loin de les avoir éliminés.  Quand ils sont noirs ou basanés nos concitoyens sont encore souvent victimes de discriminations dans les contrôles de police, l’embauche, le logement, l’éducation, la santé, la formation, les loisirs, etc…

Pour les opposants (je laisse de coté la minorité adepte du suprémacisme blanc et de la supériorité naturelle du monde occidental) tout en partageant les objectifs d’une lutte contre le racisme et les discriminations, il faut se garder de regarder l’histoire exclusivement avec les yeux d’aujourd’hui. L’anachronisme est un danger auquel les historiens sont souvent confrontés. Il était un temps où l’occident comme le monde arabe pratiquait l’esclavage et la traite des êtres humains. Fourier et Proudhon étaient antisémites. Les pères fondateurs des États Unis avaient des esclaves. En France, les dirigeants de la IIIème République étaient colonialistes. La liste pourrait être encore très longue. Déboulonner les statues ne modifiera en rien l’histoire et ses dérives. Pour certains historiens*, dans une tribune publiée dans « Le Monde » du 25 juin 2020, « il faut éviter faire passer l’histoire sous le rabot uniforme d’une déploration rétrospective, mais remettre tout dans son contexte et, dans les divers lieux de la pédagogie républicaine, l’école, l’université et les médias, expliquer, expliquer, expliquer … »

Il est aussi difficile d’oublier les précédents fâcheux du dynamitage des statues géantes des Bouddhas de la vallée de Bâmiyân au centre de l’Afghanistan par les Talibans, la destruction des statues du musée de Mossoul et des mausolées de Tombouctou par des islamistes, volontés d’éradiquer tout témoignage d’un islam de tolérance.

Laissons là le déboulonnage des statues qui n’est que la conséquence de la persistance du racisme et des inégalités et examinons le fond de la question. Les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne de millions d’individus et mettent en cause leurs droits les plus fondamentaux. Comme le souligne le défenseur des droits, « les politiques publiques de lutte contre les discriminations sont insuffisantes et favorisent l’affaiblissement du discours public sur l’égalité au profit du discours sur l’identité. » Comment s’étonner dès lors de la prolifération en réaction d’un discours indigéniste radical, et, chez certains, le remplacement de la lutte des classes par la lutte des races ?

Il faut réaffirmer une conception de l’humanité qui transcende les héritages biologiques, sociaux, culturels et religieux et restaurer l’universalisme républicain qui libère l’individu et bâtit le collectif. L’article 2 de la constitution française précise que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La promotion et le respect de cet article de notre loi fondamentale doit être le fondement de toute l’action des pouvoirs publics.

30 juin 2020

* Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf, Maurice Sartre, Annie Sartre, Michel Winock,

Croissance -Décroissance ?

Nous venons de vivre pendant presque trois mois une des plus graves crises sanitaires que le monde ait connues. Et nous n’en sommes toujours pas complètement sortis. Nous n’avons pas encore de traitement efficace pour soigner la maladie et pas de vaccin pour nous en préserver.

Le confinement

Pendant cette période l’objectif premier dans tous les pays a été d’éviter que le nombre de patients gravement atteints dépasse les capacités des hôpitaux à les prendre en charge.  Les gouvernements, conseillés par les autorités médicales, ont recommandé la vigilance, la protection et le confinement associé à des mesures de distanciation physique et d’hygiène. Les mesures de confinement ont été le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Tous les pays n’ont pas été atteints avec la même intensité, certains ont souffert plus que d’autres. Mais tous ont été surpris par ce nouveau virus et ses effets que nous avons, encore aujourd’hui, du mal à maitriser. Tous ont souffert plus ou moins de l’impréparation des gouvernants face à une telle pandémie. Tous ont manqué de produits et matériels médicaux pour y faire face.

A ce jour la pandémie, au moins pour ce qui concerne l’Asie et Europe, semble sous contrôle et le dé-confinement progressif est en cours. Cette étape fait apparaître l’ampleur de la crise économique conséquente de la crise sanitaire. Les activités non essentielles ont été arrêtées pendant le confinement. Les frontières ont été fermées pour éviter la circulation du virus. Les avions sont restés au sol. Les déplacements ont été considérablement ralentis. La consommation de carburant a chuté et fait baisser le prix du baril de pétrole. Les ventes de voitures sont au point mort. Les activités de service ont été immobilisées. Cafés, restaurants, hôtels, activités sportives, le tourisme, les écoles, les administrations, tout s’est arrêté ou extrêmement ralenti.

La casse économique

Nous commençons à mesurer l’ampleur des dégâts : risque de faillite d’entreprises en chaîne dans plusieurs secteurs d’activités, augmentation du chômage, perte de pouvoir d’achat, etc… La crise sanitaire a mis encore plus en évidence et accentué les inégalités générées par notre système économique. Les dépenses publiques ont explosé pour compenser économiquement le recul de l’activité économique tant au niveau des particuliers que des entreprises. Il va falloir mettre en œuvre des plans de relance pour surmonter la crise économique puis la crise sociale qui ne manquera pas de s’ensuivre. Et la crise climatique ?

En France le gouvernement table sur une réduction de 8% du Produit intérieur Brut (PIB) dans la préparation du budget révisé. Il est difficile aujourd’hui de mesurer précisément le recul de la production tant que la machine économique n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. La récession risque d’être plus importante au final. La consommation des ménages pourrait reculer de 10% et l’investissement de 11%. Le déficit budgétaire serait multiplié par trois. Le nombre de chômeurs dépasse les 4,5 millions. La crise sociale qui s’annonce sera très importante.

Réagir

De nombreuses voix s’élèvent pour s’interroger sur le monde d’après. Va-t-on recommencer comme avant ? Va-t-on en profiter pour revoir notre modèle de développement ? A-t-on déjà oublié la menace du changement climatique provoqué par l’augmentation des rejets de gaz à effets de serre ?

Ceux qui pensent que la décroissance est la seule perspective possible pour faire face au réchauffement climatique peuvent en mesurer concrètement les conséquences sociales. L’ensemble de l’humanité est loin de vivre dans l’opulence, les inégalités sont encore considérables aussi bien entre pays qu’à l’intérieur de chaque pays. La crise sanitaire a mis en avant et exacerbé les inégalités. Le développement humain ne peut se mesurer qu’à l’échelle de la production de biens et de services matériels. Le PIB est un piètre instrument de mesure. Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure inédit prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. Si l’on peut s’interroger sur la production de certains biens, il y a encore beaucoup de choses qui doivent être développée pour améliorer le bien-être des humains et des vivants en général.

Faut-il pour autant ignorer l’urgence d’accélérer la transition écologique ? Le Programme des Nations Unies pour l’environnement souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C. Le rapport propose aux gouvernements des moyens concrets de réduire leurs émissions, notamment par le biais de la politique fiscale, de technologies innovantes, d’actions non étatiques, etc… En décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. La communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Bien évidemment le monde s’est polarisé sur la crise sanitaire au cours de ce premier semestre mais avec le ralentissement de la pandémie la relance économique, sociale et climatique devient la priorité. Les promoteurs de la mondialisation demandent déjà de reprendre comme avant et pour cela réclament un moratoire sur les quelques timides contraintes qui leur sont imposées en évoquant la priorité à l’emploi.

D’autres préconisent de profiter de l’occasion pour dé-mondialiser. Comme le dit Bertrand BADIE, politologue spécialiste des relations internationales dans un entretien publié par Le Monde le 10 mai 2020, « Parler de façon hâtive de « démondialisation » c’est aller vers un non-sens ou de fausses illusions. En revanche, ce qui apparaît de manière très claire et correspond à l’un des grands enjeux des décennies à venir, c’est le besoin d’encadrement, d’accompagnement, de réglementation de la mondialisation, qui s’est construite pratiquement sans aucun contrôle ».

Néanmoins il nous faudra penser à notre sécurité sanitaire et à la réindustrialisation de notre pays. Relocaliser certaines activités pour veiller à préserver, au moins au niveau européen, notre indépendance pour tous les secteurs stratégiques de la santé, de l’énergie, des transports, de l’éducation, de la culture…

La relance de l’activité est la priorité des prochains mois mais ne devra pas ignorer les engagements de l’accord de Paris sur le climat visant à maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C sans oublier la sauvegarde de la biodiversité.  L’État doit reprendre sa place et ne pas se contenter de collectiviser les pertes. Nous devons réhabiliter l’État-providence et réduire les inégalités. Nous devons abandonner le court-termisme et définir des objectifs à moyen et long terme, remettre à l’ordre du jour la planification, en un mot réorienter massivement notre économie. Mais aussi rénover notre démocratie et développer différents moyens de participation des citoyens à la définition de ces objectifs car c’est le seul moyen de ne pas laisser décider seules les puissances financières et technologiques.

8 juin 2020

Le monde tangue

Le monde est en proie avec un virus extrêmement virulent. La crise sanitaire a entrainé dans sa suite une crise économique de grande ampleur. Et cela intervient au moment où la planète commence à prendre conscience du réchauffement climatique et de ses conséquences, qui, selon l’avis de nombreux spécialistes du climat, risque à terme de nuire gravement à l’avenir de la planète et de l’humanité.

Sortir de la crise sanitaire

« Covid-19 » pour Corona (Co), virus (vi), disease (d) qui signifie maladie en anglais, et 19 pour désigner l’année de l’infection. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans un bulletin publié le 12 janvier 2020, indique que l’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019, dans la ville de Wuhan, dans la province de Hubei, en Chine. Des études scientifiques ont constaté de nombreuses similitudes entre ce virus et des coronavirus prélevés sur des chauves-souris qui pourraient avoir été transmis à l’homme par un animal intermédiaire. Le pangolin est le principal suspect. 

Le scénario d’une infection chez l’homme sous sa forme pathogène actuelle et à partir d’une source animale augmente le risque de futures épidémies, car la souche pathogène du virus pourrait encore circuler en population animale et pourrait à nouveau infecter les humains. C’est la conséquence de la présence toujours plus importante des humains dans des « écozones ».

Parti de Chine, la Covid 19 s’est progressivement étendu à l’Asie, le Moyen Orient, l’Europe, les Amériques, l’Afrique. C’est devenu un évènement planétaire. La quasi-totalité des pays est touchée. Les scientifiques estiment que cette maladie est un réel danger. Ce virus est très contagieux et surtout très mortel. A ce jour il n’existe pas de traitement pour l’éradiquer.

Dès le début l’objectif a été de ralentir la propagation du virus par une politique de confinement associé à des mesures de distanciation sociale et d’hygiène. Il s’agit d’éviter que le nombre de patients gravement atteints dépasse les capacités des hôpitaux à les prendre en charge. En Europe seuls les Pays Bas et la Suède ont choisi de miser sur l’immunité collective, ce qui revient à sacrifier une partie de la population et atteindre la contamination d’au moins 60%. Plus de la moitié de la population mondiale est confinée. A ce jour dans le monde, nous avons plus de 2,6 millions de cas et plus de 175500 décès.

La réduction drastique des déficits budgétaires prônée par la doxa néolibérale a entrainé une baisse des dépenses publiques. La santé publique n’a pas échappée à cet impératif. Nous assistons pratiquement partout à un manque de stocks de produits et matériels médicaux permettant de faire face à la pandémie et à une concurrence effrénée des États pour se procurer ce qui leur manque pour protéger leur population. C’est le chacun pour soi qui domine.

Pourtant face à une pandémie mondiale l’histoire nous enseigne que la coopération internationale est nécessaire. La propagation de l’épidémie dans n’importe quel pays met en péril l’humanité entière. L’OMS, quel que soit ses insuffisances par manque de moyen, est le seul instrument mondial permettant de lutter contre la pandémie. La meilleure défense dont nous disposons contre les pathogènes, ce n’est pas l’isolement, c’est l’information. C’est en mettant en commun leurs informations que les scientifiques parviendront à comprendre les mécanismes de l’épidémie et les moyens de la combattre.

Bien que tous les pays ne soient pas touchés avec la même intensité, le pic de l’épidémie est progressivement atteint. Mais le nombre de cas graves reste élevé et conserve un taux de morbidité élevé. Nous ne sortirons vraiment de cette pandémie que lorsque nous aurons découvert un traitement pour diminuer l’impact du virus et des vaccins pour immuniser les populations. En attendant il faudra bien vivre avec.

Sortir de la crise économique et sociale

La crise économique s’est diffusée à la suite de la crise sanitaire. La Chine représente 20% de la Production Intérieure Brute mondiale et plus de 30% du commerce international. Compte tenu du poids de la Chine dans l’économie mondiale et son intervention dans tous les secteurs d’activité, le ralentissement brutal de son activité industrielle du fait de l’épidémie a eu des répercutions sur l’économie mondiale. Les conséquences économiques et sociales de la pandémie sont colossales. La présidente de la Banque Centrale Européenne estime que nous assistons à « l’un des plus grands cataclysmes macroéconomiques des temps modernes ».

La baisse de la production doublée d’un recul de la consommation, l’arrêt des activités industrielles et de services dues au confinement, l’augmentation du chômage et la chute du pouvoir d’achat ont des conséquences sociales très importantes et ce malgré les mesures de compensation prises par les États. Les pays entrent en récession et les économistes prévoient un recul des produits intérieurs bruts variant de 7% à 10% selon les pays, voire plus. Pour faire face à cette situation les États injectent massivement des liquidités dans les circuits afin de lutter contre la récession et ses conséquences sociales. Oubliés le moins d’État et l’austérité budgétaire préconisés par le néolibéralisme. Le rôle de stabilisateur et de régulation de l’État est redécouvert. Après avoir abondamment privatisé les bénéfices, on collectivise les pertes.

Les dommages économiques issus de la pandémie vont affecter le monde entier. La croissance va être en berne voire négative. Les faillites d’entreprise vont se multiplier et le chômage devenir massif. Les inégalités entre pays et à l’intérieur de chaque pays seront encore augmentées. Seuls les États peuvent gérer une crise d’une telle ampleur et organiser nationalement et internationalement la relance de la machine économique. Les pays sont tellement interdépendants économiquement qu’une coordination internationale est indispensable. Malheureusement ce type de crise fait naître et se développer le chacun pour soi et la croyance que le cadre national est le seul permettant d’échapper aux difficultés.

Au moins au niveau européen un plan de relance fort, coordonné, solidaire et coopératif doit être mis en œuvre.  Il faudra bien que les pays de l’Union Européenne trouvent les moyens de surmonter leurs divergences et leurs intérêts immédiats. Ceux qui ont le moins souffert s’ils refusent la solidarité envers les autres qui sont aussi leurs principaux clients, devront vite se rendre à l’évidence.  Ils ne peuvent condamner l’Union à l’impuissance et par là même risquer de la voir sérieusement remise en cause. Si l’union Européenne ne permet pas de faire face solidairement à une telle crise, elle perd une grande partie de sa justification. Faire plus et mieux ensemble que chacun séparément, peser ensemble significativement sur le reste du monde, en être moins dépendant, tenir ses promesses de prospérité et défendre ses valeurs humanistes sont les raisons de son existence.

Cette dimension internationale de la crise ne signifie pas pour autant que l’action au niveau national est devenue obsolète. Pour qu’il y ait une coordination supranationale encore faut-il qu’il y ait des niveaux nationaux à coordonner. Par exemple chacun s’accorde à penser qu’il n’est plus possible d’être dépendant de la Chine pour les médicaments et le matériel médical. Il est peu probable que chaque pays puisse seul fabriquer tout ce qui lui est indispensable à ce niveau, à un prix compétitif dans une économie ouverte. Par contre il est concevable de le faire au niveau européen.

La souveraineté nationale et européenne permet de conserver un espace de décision politique pour faire valoir des préférences collectives (notion développée par Dani Rodrik, économiste américain) qui ne sont pas partagées par d’autres pays. Il faut donc réduire la mondialisation de sorte que les préférences collectives sur lesquelles chaque nation bâtit son contrat social sont respectées. Même si certains y aspirent, Il parait difficile de déconstruire totalement la mondialisation. Il est plus envisageable de la réduire en préservant les activités stratégiques notamment en matière de santé, d’éducation, d’énergie, de transport, de culture. La souveraineté collective nationale et européenne doit permettre le dépassement de la société de marché. La conception du rôle de l’État doit être transformée à l’occasion de cette crise.

Sans oublier la transition écologique

Avant la crise sanitaire et ses conséquences économiques, la prise de conscience du réchauffement climatique pouvait laisser penser que nos sociétés finiraient par s’engager dans la voie de la transition écologique. L’arrêt de la production et de la consommation dans une grande partie du monde a entrainé une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Cela confirme, s’il en était besoin, le lien entre l’activité humaine et le réchauffement climatique.  Cela n’empêche pas les adeptes du néolibéralisme de vouloir revenir au plus vite au monde d’avant.

Les États ne doivent pas se contenter de faire les pompiers. Les fonds publics indispensables à la relance économique doivent permettre à la puissance publique de retrouver sa place centrale. Il faut restaurer une approche planifiée et stratégique, et ne pas s’en remettre uniquement au marché. Et dans le contexte mondialisé cela doit se faire de manière coordonnée au niveau européen. Il faut regagner de la souveraineté économique dans les secteurs stratégiques et organiser la transition écologique. Il ne faut pas injecter de l’argent à l’aveugle, ce serait contre-productif. Il faut orienter les investissements dans le respect de la transition écologique. En clair, à titre d’exemples, ne pas relancer l’industrie automobile sans se préoccuper de la conversion vers la voiture propre, ni de s’engager sur un plan de soutien à l’aérien sans un engagement à moins polluer. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique les propositions sont nombreuses pour relancer l’emploi, notamment dans l’agriculture et l’industrie, et mettre en avant les métiers essentiels pour la satisfaction des besoins sociaux.

25 avril 2020

L’hégémonie culturelle du néolibéralisme

Dans le prolongement de mes articles de mars intitulés « le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation » et « pourquoi n’étions-nous pas prêts ?» je voudrais évoquer les travaux de Barbara Stiegler. Philosophe, elle enseigne à l’université de Bordeaux Montaigne où elle dirige le master « Soin, éthique et santé ».

Le néolibéralisme

Selon son analyse le néolibéralisme est plus qu’une simple théorie économique. C’est une pensée politique structurée et hégémonique qui emprunte à la biologie des catégories comme l’évolution, la sélection, l’adaptation et la compétition et qui domine beaucoup de discours politiques contemporains. Ses travaux se situent dans la lignée de ceux entamés par Michel Foucault sur la biopolitique.

Dans un entretien le 12 avril 2019 dans la revue « Alternatives économiques », à propos de la publication de son essai « Il faut s’adapter », publié aux éditions Gallimard (collection NRF), Barbara Stiegler nous explique que le nouveau libéralisme remet profondément en cause la conception de l’éducation héritée des lumières basée sur l’émancipation, l’autonomie et l’esprit critique.

Le marché mondialisé a besoin pour fonctionner de flexibilité, d’adaptabilité et d’employabilité. Dans un monde globalisé, ouvert, en mutation constante il faut former des citoyens capables de s’adapter. Tous les membres de l’espèce humaine doivent pouvoir participer à la grande compétition mondiale avec le maximum de chance. La « chance » ici ne consiste pas à exprimer ses propres potentialités, mais à entrer dans le jeu réglé de la compétition aussi bien armé que les autres. On est au cœur de l’utopie néolibérale et de son discours sur la justice et l’égalité des chances.

Le néolibéralisme défend une nouvelle conception de la démocratie. Il entend transformer l’espèce humaine et se servir de l’élection comme d’un outil pour obtenir le consentement des populations à leur transformation. La démocratie devient une technique de fabrication du consentement des masses. L’impulsion vient du haut, on connait la direction, une division mondialisée du travail parfaitement intégrée. Il faut s’adapter, se soumettre aux impératifs de la mondialisation.

Plutôt qu’une théorie économique, le néolibéralisme est une théorie politique complète qui a réussi à imposer une forme d’hégémonie culturelle.

La vision néolibérale de la santé publique

Dans un entretien au journal « Le Monde » daté du 10 avril 2020, Barbara Stiegler commente l’impréparation générale des gouvernements néolibéraux face à la pandémie du corona virus. Selon la vision néolibérale de la santé publique nous allons vers un monde immatériel de flux et de compétences, censé être en avance sur le monde d’avant fait de stocks et de vulnérabilités. Nos économies fondées sur « l’innovation » et sur « l’économie de la connaissance » devaient déléguer aux continents du Sud, principalement à l’Asie, la fabrication industrielle des biens matériels. Nos gouvernants ont renvoyé l’épidémie infectieuse et l’industrie manufacturière à un monde sous développé et à des temps anciens que nous, Occidentaux, aurions dépassés. Au fond un tel virus était, comme les stocks de masques, trop archaïque pour concerner nos sociétés, trop performantes pour y être exposées. Quel rapport nos vies aseptisées et nos systèmes de santé ultramodernes pouvaient-ils avoir avec ces images déplaisantes de chauve-souris et de volailles infectées, pourtant emblématiques de notre économie mondialisée qui entasse les vivants dans des environnements industriels de plus en plus dégradés. Le néolibéralisme préfère tourner ses regards vers l’avenir radieux promis par l’innovation biomédicale et continuer d’occulter les facteurs sociaux et environnementaux de toutes les pathologies, tant infectieuses que chroniques.

La vision néolibérale de la médecine est que notre système sanitaire doit en finir avec la vielle médecine clinique. A notre vielle médecine jugée « réactive », la vision « proactive » est une conception qui passe exclusivement par la responsabilité individuelle et qui refuse d’assumer une vision collective des déterminants sociaux de santé, soupçonnée de déboucher sur une action sociale trop collectiviste.

C’est ce qui explique la situation actuelle : un long retard au démarrage pour prendre des mesures collectives de santé publique, doublé d’une spectaculaire pénurie alors même que des alertes sur les maladies émergentes se multipliaient dans la littérature scientifique depuis des années.

« Le néolibéralisme n’est pas seulement dans les grandes entreprises, sur les places financières et sur les marchés, il est aussi en nous et dans nos manières de vivre qu’il a progressivement transformé et dont il s’agit de reprendre le contrôle. »

20 avril 2020

Les conséquences économiques de la crise sanitaire

Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle estime le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de Développement économiques (OCDE).

En considérant que le confinement va s’étendre au moins jusque fin avril soit sur 45 jours, c’est comme si l’année était réduite de 12,5%.
L’activité industrielle est en baisse de 44% en moyenne dans le pays. L’industrie automobile est pratiquement à l’arrêt.
L’industrie manufacturière est aussi substantiellement affectée, avec une perte d’activité de près de moitié, de même que les autres services marchands, avec une baisse d’environ un tiers.
Les secteurs les plus touchés sont la construction, qui a perdu environ les trois quarts de son activité normale, et ceux du commerce, des transports, de l’hébergement et de la restauration, pour lesquels l’activité a reculé des deux tiers environ.
Air France a signalé que 90% de sa flotte est au sol. Son activité est ainsi réduite jusqu’au moins fin avril. La SNCF a aussi considérablement réduit son activité.
L’agriculture et l’industrie agroalimentaire, la cokéfaction, le raffinage et la production d’énergie, les services non marchands ou les services financiers et immobiliers sont moins sévèrement touchés.

La Banque de France a annoncé le mercredi 8 avril que la production intérieure brute (PIB) avait reculé de 6% au premier trimestre 2020 et déclaré que le pays était entré en récession.
L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) confirme ce jeudi 9 avril, que la perte d’activité économique est évaluée à plus d’un tiers du produit intérieur brut (PIB, – 36 %) et maintient l’estimation, donnée le 26 mars, d’une perte de PIB de 3 points par mois de confinement.

Plus de 400 000 sociétés françaises ont déposé un dossier pour passer en activité partielle. Les secteurs du commerce, de la réparation automobile, de l’hébergement, de la restauration et de la construction sont les plus touchés. Le ministère du travail a indiqué que dans le privé plus d’un salarié sur cinq est en chômage partiel.
L’ensemble de ces éléments donnent une idée de la violence du coup de frein qui est infligé à l’économie française.

La situation est plus ou moins comparable dans toute l’Europe. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE) estime que l’Union Européenne est face à « l’un des plus grands cataclysmes macroéconomiques des temps modernes ». Elle plaide pour un total alignement des politiques budgétaires et monétaires et un traitement égal des pays à un moment où les dirigeants de l’Union Européenne n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les modalités d’intervention.

Le confinement de plus de la moitié de la population mondiale et la réduction pour ne pas dire l’arrêt des activités non essentielles de la majorité des pays a pour conséquence un ralentissement drastique de l’activité économique au niveau mondial.
Les économistes de l’Organisation Mondiale du commerce (OMC) prédisent une chute du commerce mondial de marchandises comprise entre 13% et 32% en 2020.

La crise est mondiale et seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement. Malheureusement chaque pays croit qu’il s’en sortira mieux tout seul et c’est le règne du chacun pour soi.


9 avril 2020

Deux réflexions intéressantes

Tout d’abord, ce matin j’ai entendu à la radio un entretien avec Martin HIRSCH, directeur général de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP). Cette émission donnait la possibilité aux auditeurs d’intervenir et de poser des questions à l’invité. Une dame a interpellé monsieur HIRSCH sur la nécessité de sortir des dogmes libéraux sur la gestion des hôpitaux et des politiques d’austérité qui ont présidé à la gestion des services publics. Cela s’est traduit par la réduction des lits, du personnel, des stocks de produits et matériels médicaux. Nous pouvons en mesurer aujourd’hui les conséquences.

Le directeur de l’APHP a répondu qu’il était d’accord sur la sortie des dogmes, mais il faut que tout le monde sorte des dogmes sinon cela ne fonctionne pas. Aujourd’hui dans les hôpitaux personne n’est resté sur des dogmes. Tous ceux qui ont vécu de très près cette épidémie, sont immunisés contre les dogmes. Nous avons été tellement confrontés à des difficultés que personne n’a envie de revenir en arrière. Il a déclaré partager aussi les interrogations sur le fait que l’Europe et la France soient dépendants de la fabrication de choses aussi simples que des masques, des sur blouses… Il faudra que les services publics, la finance et l’industrie soient capables en économie de crise de s’adapter, d’être indépendants et être au service de tous. C’est une leçon majeure de la crise.

En clair il faut que chacun accepte de se remettre en question et balaie devant sa porte. Il ne s’agit pas d’opposer un dogme à un autre mais de tirer les leçons d’une situation difficile et prendre les mesures pour éviter que cela se reproduise. « La santé et l’État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, déléguer notre capacité à soigner est une folie, nous devons en reprendre le contrôle… quoiqu’il en coûte » dirait le chef de l’État.

Par ailleurs après cette interview je me suis plongé dans la lecture d’un article de Yuval Noah Harari, auteur de « Sapiens. Une brève histoire de l’humanité » (Albin Michel, 2015), et de       « 21 leçons pour le XXI siècle » (Albin Michel, 2018) et Maître de conférences au département d’histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem. Cet article est un plaidoyer sur la nécessité de s’appuyer sur la solidarité internationale et la coopération pour vaincre le Covid 19. Je vous en livre les éléments essentiels.

Face à l’épidémie du corona virus certains accusent la mondialisation et pensent que le seul moyen d’éviter que ce scénario se reproduise est de démondialiser le monde, construire des murs, restreindre les voyages, limiter les échanges. Pourtant les épidémies ont tué des millions de gens bien avant l’ère de la mondialisation. La peste noire au XIVème siècle s’est répandue de l’Extrême orient à l’Europe occidentale. En 1520, au Mexique, une épidémie de variole a décimé un tiers des habitants. En 1918 la grippe espagnole a contaminé plus d’un quart de l’espèce humaine. Depuis l’humanité est devenue encore plus vulnérable aux épidémies par l’effet combiné d’une amélioration des transports et de l’augmentation des populations. Mais  l’ampleur et l’impact  des épidémies ont, en réalité, considérablement diminué grâce aux scientifiques du monde entier qui ont mis en commun des informations et sont parvenus ensemble à comprendre les mécanismes des épidémies et les moyens de les combattre.

L’histoire nous apprend que, face aux épidémies, pour que l’isolement nous protège efficacement, il faudrait retourner à l’âge de pierre. La coopération internationale est également nécessaire pour que les mesures de confinement soient efficaces. Il est indispensable de comprendre que la propagation de l’épidémie dans n’importe quel pays met en péril l’humanité entière. Les frontières qu’il faut protéger sont celles qui séparent le monde des hommes de celui des virus.

L’humanité doit faire face au corona virus mais aussi à la défiance que les hommes ont les uns envers les autres. Pour vaincre une épidémie il faut que les gens aient confiance dans les experts scientifiques, les citoyens dans les autorités publiques et que les pays se fassent mutuellement confiance. Espérons que l’épidémie actuelle aide l’humanité à comprendre le danger que représente la désunion mondiale.

 En conclusion,

sortir des dogmes, prendre conscience que la santé et l’État-providence sont des biens précieux, préférer la coopération, l’entraide et la solidarité internationale plutôt que la concurrence sauvage et le règne de la cupidité sont des valeurs humanistes que nous devons promouvoir et qui permettront à l’humanité de progresser. Mais il faut bien reconnaitre que vu l’état du monde et la montée des nationalismes il y a de quoi s’inquiéter.

6 avril 2020

L’Europe à l’épreuve du Covid 19

La construction européenne

Au lendemain de la seconde guerre mondiale différents pays européens ont décidé de se regrouper, de s’associer, de se solidariser pour tenter d’éviter de nouvelles guerres et pour, ensemble, peser plus dans les rapports de force mondiaux. Les fondateurs devant la difficulté de l’entreprise ont opté pour la politique des petits pas : la CECA, puis la CEE à 6 et par augmentation successives pour finir à 27 pays (28- 1) au sein de l’Union Européenne en 2020.

La dernière étape a été la création de la zone euro. L’Euro n’est pas seulement un projet économique c’est surtout un projet politique qui devait stimuler l’intégration politique de l’Europe et rapprocher les pays européens en assurant leur coexistence pacifique. Mais dans une région où la diversité économique et politique est énorme une monnaie unique a besoin d’institutions capables d’aider les pays pour lesquels les politiques suivies sont inadaptées, et l’union européenne ne s’est pas dotée de ces institutions. Pire elle ne s’est pas donné les moyens de réussir. Le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% de son produit intérieur brut.

Les fondateurs de l’euro savaient probablement que le projet de la zone euro était incomplet mais ils espéraient sans doute que la dynamique impulsée par l’euro contraindrait à créer les institutions nécessaires qui manquaient. Ils étaient guidés par une foi inébranlable dans les marchés. Ces fanatiques du marché étaient convaincus que si l’inflation était maintenue à un niveau faible et stable les marchés garantiraient la croissance et la prospérité pour tous. Cette conviction maintenue avec une telle certitude malgré l’accumulation de preuves contraires relève de la pure idéologie (voir le livre de Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie, ancien économiste en chef de la Banque mondiale : « L’euro, comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe » aux éditions LLL, Les liens qui libèrent – septembre 2016).

Du point de vue néolibéral, pour retrouver de la compétitivité les pays en difficulté doivent imposer une forte dose d’austérité pour ramener à la santé leur pays en récession. L’austérité c’est l’augmentation du chômage, la baisse ou au moins la stagnation des salaires, la baisse des prix à l’exportation dans l’espoir d’exporter plus et retrouver le chemin de la croissance.

Le rééquilibrage aurait pu se faire en augmentant les salaires et les prix dans les pays les plus forts. Pour qu’un tel ajustement se fasse il eut fallu que des mécanismes de solidarité soient mis en place dans la zone euro. Quand un groupe de pays a la même monnaie, il faut un consensus sur un minimum de solidarité et de cohésion sociale et les pays qui sont en position de force doivent aider ceux qui sont dans le besoin.  Mais les pays forts, notamment l’Allemagne, disent que la zone euro n’est pas une union de transfert c’est-à-dire un regroupement économique au sein duquel un pays transfère des ressources à un autre.

Gouverner c’est choisir. La politique monétaire au niveau européen aurait été différente si elle s’était donnée pour but de maintenir le taux de chômage au-dessous de 5% et non le taux d’inflation au-dessous de 2%. Les politiques monétaires et macro-économiques ont contribué à la montée de l’inégalité dans tous nos pays.

L’ambition du projet européen est de rassembler les pays dans une union politique qui reflète les valeurs européennes fondamentales. L’enjeu ne se limite pas seulement à l’économie, il porte aussi sur les questions de justice sociales et de démocratie.

La crise sanitaire du Covid 19

En ce début d’année 2020 l’Europe et le monde se trouvent confrontés à une nouvelle crise : le coronavirus apparu en Chine est en train de se généraliser sur toute la planète. Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Il est en cours de généralisation dans pratiquement la totalité des pays. Ce confinement accompagné de distanciation sociale et de mesures d’hygiène a pour conséquence l’arrêt des activités économiques non essentielles.

La Santé n’est pas de la compétence des institutions européennes. Mais dans une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie. Tous les pays européens ou presque ayant appliqué la réduction drastique des déficits budgétaires prônée par la doxa néolibérale ont réduit leurs dépenses publiques et la santé publique n’a pas échappée à cet impératif. Même si l’on peut avancer que personne ne pouvait prévoir une pandémie aussi virulente et si vite généralisée, la prudence la plus élémentaire était d’éviter de se démunir d’un minimum de stocks de produits et matériels médicaux, et ce d’autant plus que nous devons faire face tous les dix ans à une épidémie provoquée par un virus ( H1N1, H5N1, Covid 19).

Cette crise sanitaire met à l’épreuve la solidarité européenne. Dans un premier temps la réaction des pays a été le repli et le chacun pour soi, la fermeture des frontières, la concurrence dans la course aux approvisionnements de médicaments et de matériels médical. Mais, très vite, les choses ont bougé. Les pays les moins touchés ont accepté des transferts de malades en provenance des pays où les hôpitaux sont au bord de la rupture. Des cessions de produits et de matériels ont été réalisés.

Une riposte commune ?

Sur le plan institutionnel, le pacte de stabilité et les contraintes budgétaires ont été suspendus, le régime des aides d’État a été assoupli pour permettre aux gouvernements de voler au secours de leurs entreprises sans contrevenir aux règles du marché intérieur. La Commission a mis à disposition 37 milliards d’euros pour aider les pays à financer les ravages causés par le virus. La Banque centrale européenne s’est engagée à injecter plus de 1 000 milliards d’euros dans l’économie… C’est plus que ce que l’on aurait pu imaginer avant la crise.

Le confinement quasi généralisé des populations va mettre l’économie des 27 pays en grande difficulté. Cela rend nécessaire d’adopter un plan de relance fort et coordonné pour sortir au plus vite d’une récession qui s’annonce commune.

Les chefs d’États et de gouvernement des 27 pays européens doivent trouver un terrain d’entente sur la riposte économique commune à apporter pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Lors du Conseil des chefs d’État et de gouvernement du jeudi 26 mars, après six heures de discussion par visioconférence, la réunion a retrouvé les éléments de la crise de 2010-2012 et ses traumatismes, quand des dizaines de milliards d’euros d’aide avaient été accordés à des pays en difficulté en contrepartie de sévères réformes de leurs systèmes de soins, de retraite ou de chômage. Chacun sa conception de la solidarité. Les pays du Nord estiment que le Mécanisme Européen de stabilité (MES), c’est-à-dire un dispositif d’aide sous conditions est un bon instrument. Les pays du Sud soutenus par la France et sept autres pays proposent l’émission d’obligations par l’Union (corona bonds) parce qu’il faut agir ensemble, mutualiser l’effort à faire pour sortir de cette crise commune.

Une fois de plus pour sortir de la crise l’Union Européenne devra trouver un compromis entre ces deux formules où il ne sera question ni de Mécanisme de stabilité ni de corona bonds. Sinon cette crise pourrait être fatale à l’Union. Si elle ne fait pas la preuve qu’elle peut tenir ses promesses de prospérité et qu’elle sait défendre ses valeurs humanistes, l’Union Européenne risque de se fracturer et peut être même de disparaitre, même si elle doit céder la place à un chaos bien pire.

5 avril 2020