Que faire de la « dette Covid »

La pandémie du coronavirus bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.
Beaucoup de certitudes sont à remiser. Le niveau de la dette atteint un sommet abyssal. Que faire avec cette dette? La rembourser ? Comment ? Cela fait l’objet de débats. Il n’y a pas de solution économique clé en mains, c’est une question de projet de société.

Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Elle bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.

Les crédos économiques remis en question

Dans une vidéo Xerfi, Olivier Passet, directeur de la recherche, en ce début de mois nous explique que les crédos économiques dominants depuis la fin des années 2000 sont un champ de ruines.

L’austérité et la baisse des dépenses pour réduire l’endettement public. Rigueur = confiance = reprise. Les réformes structurelles seules peuvent modifier le cours de la croissance et le niveau de chômage à long terme. La baisse du chômage se mue inexorablement en accélération des salaires, au détriment de la profitabilité des entreprises. Le taux d’intérêt équilibre l’offre d’épargne et d’investissement et donc à taux zéro il n’y a plus d’incitation à épargner. L’ouverture des échanges, la mondialisation, le moins d’État, la destruction créatrice etc. … La liste n’est pas exhaustive.

Toutes ces certitudes ne laissaient pas de place au débat. La crise de 2008 et la crise sanitaire présente montrent que « face à l’incertitude radicale l’économie produit des conventions qui peuvent être stabilisantes un temps… Jusqu’au jour où elles ne le sont plus ! »

Le niveau de la dette attendue

La crise sanitaire et l’avènement du « quoi qu’ils en coûte » ont conduit les gouvernements à intervenir massivement pour soutenir l’économie. Toutes les certitudes, au moins temporairement, sont mises de côté. En décembre 2019, l’Insee révélait que la dette française avait franchi les 100 % du produit intérieur brut (PIB) au troisième trimestre de l’année. L’économie française a plongé dans la récession, l’État a déboursé des milliards pour soutenir les entreprises et les salariés, et la trajectoire budgétaire du pays en a été bouleversée. Autrefois tabou infranchissable, le seuil des 100 % de dette publique n’est plus qu’un lointain souvenir : elle devrait dépasser les 120 % en 2021. Elle aura plus que doublé en 20 ans.

Les taux d’intérêts sont historiquement bas, en raison d’un surplus d’épargne privée très important dans le monde. S’endetter ne coûte plus rien. Les intérêts que nous payons sur notre dette sont passés de l’équivalent de 3 % du Produit Intérieur brut (PIB) à 1,4 %, une division par deux.

Certains économistes considèrent que tant que les paiements d’intérêts sur la dette publique restent inférieurs à leur moyenne historique, les États peuvent continuer à s’endetter. Pour les orthodoxes de la dette, ce genre de raisonnement est de la folie pure. Facile de s’endetter quand les taux d’intérêt sont bas, mais qu’est-ce qu’on fait quand ils remontent et que le coût de la dette explose ?

Pour l’instant nous pouvons considérer que les banques centrales vont continuer à intervenir pendant de longues années pour maintenir bas les taux d’intérêt sur les dettes publiques, comme l’a confirmé la Banque centrale européenne (BCE) le 11 mars dernier. Si l’on admet que les taux d’intérêt peuvent rester bas pendant un moment, l’incertitude reste grande sur leur niveau à long terme.

Le cantonnement de la dette

En décembre 2020, une commission sur l’avenir des finances publiques présidée par l’ancien ministre de l’économie Jean Arthuis, a été mandatée pour réfléchir à la manière de gérer la « dette Covid », les quelque 150 milliards d’euros de facture de la crise sanitaire.

Par principe une dette doit être remboursée, mais comment financer ce remboursement ? Certains se disent favorables au cantonnement de la « dette Covid ». Cela consiste à prendre une partie de la dette et à l’isoler, en la transférant à une caisse d’amortissement dont l’objectif est de la rembourser intégralement (capital et intérêts) sur une période prédéfinie. Cette stratégie a été appliquée plusieurs fois en France au cours du siècle précédent, notamment en 1995 par le gouvernement Juppé avec la création de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Le cantonnement n’est pas une décision optimale dans la mesure où cela augmente le coût d’emprunt. La commission Arthuis a écarté le cantonnement de ses propositions sur l’avenir des finances publiques.

L’annulation de la dette

L’idée d’annuler la dette française détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE) est avancée par plusieurs économistes. Cela représente un quart de la dette française soit un peu plus que 600 milliards d’euros. Au niveau européen les titres détenus par la BCE avoisinent les 3000 milliards. La proposition comporte un double volet : dans un premier temps, la BCE annule toutes les créances qu’elle détient. Dans un second temps, les montants annulés sont réinvestis dans la transition écologique. Il s’agit, selon les auteurs, de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour réaliser un grand plan d’investissement et couper l’herbe sous le   pied aux néolibéraux qui considèrent que notre niveau d’endettement justifie des mesures d’austérité. Pour les pro-annulation aucune solution ne permet de dégager autant d’argent que l’annulation des créances par la BCE qui permet un plan d’investissement gratuit.

Cette question soulève un certain nombre de questions juridiques et comptables. Elle est rejetée par les partisans d’une stricte orthodoxie monétaire mais aussi par des économistes hétérodoxes. Ces derniers considèrent que la France a encore, dans les conditions de marché actuelles, des marges d’endettement. Il faudrait profiter des taux bas pour investir davantage, au lieu de risquer de perdre la confiance des marchés financiers, à qui l’on emprunte également et qui pourraient exiger une prime de risque plus élevée suite à une annulation de la dette détenue par la BCE.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde dans le Journal du dimanche du 7 février a souligné que l ’annulation de la dette Covid-19 est « inenvisageable » et serait « une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États.

Partisans et opposant de l’annulation de la dette se retrouvent pour souhaiter une réforme du fonctionnement de la BCE certains allant jusqu’à remettre en cause son indépendance. Obtenir l’unanimité des 27 pays sur de telles mesures quand on sait que le plan de relance européen est bloqué par un recours juridique en Allemagne, ne sera pas aisé.

Indispensables réformes

Le choc de la Covid 19 a mis en évidence l’exacerbation d’énormes inégalités et le fait que nos sociétés ne sont pas équipées pour y faire face. Les spécialistes nous prédisent d’autres pandémies, et d’autres chocs sont à venir, en particulier la crise climatique.

En France, mais aussi à l’étranger, un changement de mentalité s’opère. Même si les vieux réflexes sont robustes, certains dogmes sont en train de tomber. Après la crise financière de 2008, les pays ont trop vite mis en œuvre des mesures d’austérité pour redresser leurs finances publiques et ont été entrainés dans la « grande récession ». Les organisations internationales, tels le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui, hier, préconisaient aux États de mener réformes et mesures d’économies au pas de course, ont fait leur mea culpa. En Europe et même en Allemagne, où la discipline budgétaire est une valeur constitutionnelle, le ton a aussi évolué.

En réalité le problème n’est pas économique et il n’y a pas de solution clé en mains. C’est une question de projet de société à laquelle il faut répondre par un processus démocratique. La priorité reste d’investir pour sécuriser la reprise et assurer une croissance durable. Il faudra trouver un mode de financement favorisant un régime de croissance respectueux pour notre planète, une meilleure répartition des richesses et une réduction drastique des inégalités.

13 avril 2021

Bibliographie

Vidéo Xerfi canal : « idées dominantes en économie invalidées » Olivier Passet – 05 avril 2021

Alternatives économiques n°411 avril 2021 : Dossier « Vive la dette »

Le Monde : « l’avenir de la dette Covid, un débat politique autant qu’économique » Audrey Tonnelier – 29 janvier 2021

Le Monde : tribune « L’annulation des dettes publiques que détient la BCE… » collectif – 05 février 2021

Le Monde : « Surenchères politiques autour de la dette Covid » Audrey Tonnelier et Claire Gatinois – 6 février 2021

Le Monde : tribune « D’autres solutions que l’annulation de la dette… » collectif – 27 février 2021

Peuple, nation et populismes

Nous pouvons constater que le populisme prend de l’ampleur au XXIème siècle. C’est un mot utilisé avec souvent une connotation péjorative mais pas toujours. D’où vient ce mot et que recouvre-t-il ? Sans prétendre faire l’histoire du populisme nous pouvons citer trois moments historiques où le mot « populisme » a émergé.

Les termes populisme et populiste ont fait leur apparition en Russie au cours des années 1870. En révolte face au pouvoir tsariste de jeunes intellectuels issus de classes favorisées voulaient fraterniser avec le peuple. A l’origine le populisme russe célébrait la communauté agraire et l’assemblée villageoise comme fondements de l’histoire et de l’avenir souhaitable de la Russie.

En Amérique du Nord, sans lien avec le populisme russe, ce sont les membres du Peaple’s Party fondé en 1892 dans le Nebraska qui se sont eux-mêmes qualifiés de « populistes ». C’était la révolte des petits agriculteurs des grandes plaines contre les gros, du peuple contre les compagnies de chemins de fer, les grandes banques et les propriétaires intraitables.

En 1929 le mot fait son apparition en France, la aussi sans lien avec ce qui s’est passé en Russie et aux État Unis. Est publié le « Manifeste du roman populiste » qui est une invitation aux romanciers français à prendre davantage comme objet les milieux populaires.

Nous voyons donc qu’il est difficile de parler de populisme sans parler du peuple. Mais qu’est-ce que le peuple ?

Le peuple

Le dictionnaire (le petit Robert) définit le peuple comme « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions. Le peuple c’est le corps de la nation, l’ensemble des personnes soumises aux mêmes lois. » Pour aller plus loin sont énumérées plusieurs citations. Je n’en retiendrais qu’une qui me parait la plus significative pour notre objet. Celle de Valéry : « Le mot peuple désigne tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre, opposé au nombre restreint des individus plus fortunés ou plus cultivés. »

Ainsi le peuple c’est un ensemble d’individus qui constituent le corps de la nation, qui sont soumis aux mêmes lois et vivant en société sur un territoire donné ayant en commun un certain nombre de coutumes et d’institutions. Mais cet ensemble n’est pas un bloc homogène, il est composé de différentes couches et catégories sociales.

La nation, une construction sociale

La nation, disait Ernest Renan dans une conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, « ce n’est ni une langue, ni une origine ethnographique, ni une religion, ni un lieu géographique, c’est un principe spirituel constitué d’une histoire commune et d’un consentement actuel, le désir de vivre ensemble. Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposés à faire encore. »

Dans le même sens, Pascal Ory, dans « Qu’est-ce qu’une nation ?» publié chez Gallimard, nous précise que la nation est le fruit de la rencontre entre un peuple et la démocratie. Chaque peuple élabore une conception particulière de la souveraineté populaire. Une culture partagée instaure une conception du politique, une histoire se transforme en géographie, un peuple devient le Peuple. L’expérience politique du pays fabrique elle-même du commun, l’identité collective qui n’est jamais que la somme de toutes les identifications que la vie en société impose aux membres de ladite société. La nation est une construction sociale comme toutes les institutions sociales. Elle est le résultat de la volonté des hommes. Mais les volontés humaines changent. Les nations évoluent et ne sont pas éternelles. Une nation survit tant que les facteurs d’intégration l’emportent sur les vecteurs de désintégration. Une nation en action dit Pascal Ory est une grande machine à intégrer. L’immigré se définit moins par ses origines, ce à quoi veulent le réduire les xénophobes du pays d’arrivée comme les identitaires de son pays de départ. Sur la longue durée l’immigré demeure et « fait souche ».

Une société divisée

Dans « l’archipel français » aux éditions du Seuil, Jérôme Fourquet décrypte les changements de fond sociétaux, sociologiques, et politiques de la période 1981-2017. Sur le plan sociétal il évoque le basculement de notre vie sociale avec le PACS, le mariage gay, la PMA, l’explosion du nombre des prénoms qui sont donnés aux enfants. Au niveau sociologique il cite l’exode rurale qui se termine, la désindustrialisation massive dans plusieurs régions, l’apparition d’une nouvelle immigration de l’Europe de l’Est et des pays d’Afrique noire et la multiplication des échanges dans le cadre de la mondialisation. Les changements politiques majeurs sont l’émergence de l’extrême droite, le « non » au traité constitutionnel européen contourné, les attentats terroristes de 2015. L’ancien clivage droite / gauche n’est plus opérant, il est remplacé par un clivage autour de la mondialisation qui a pour conséquence une division de la société française sur de nouvelles lignes de partage : le niveau de diplôme scolaire, le lieu de résidence – métropole versus périphéries avec une dimension infra-urbaine, et le niveau de revenu. Reste une nation multiple et divisée.

Les populismes

Les gouvernements des démocraties libérales estiment qu’il n’y a pas d’alternative et que le réel doit se plier à l’ordre économique mondial que le capitalisme a créé. Cette démission du politique frappe de discrédit ces gouvernements. La dégradation du lien social constitue un terrain favorable à l’installation de régimes autoritaires et contribuent aux succès électoraux des partis populistes. Les populistes accusent les élites de dévoyer la démocratie, de dessaisir le peuple de sa souveraineté en abusant de leurs fonctions et d’être tellement éloignés de ses intérêts qu’ils n’ont aucune légitimité à le représenter.

Chantal Mouffe, philosophe belge, professeure à l’université de Westminster est proche du parti Podemos en Espagne. Elle estime que tous les partis sociaux-démocrates ont accepté qu’il n’y avait pas d’alternative à la mondialisation néolibérale, et que lorsqu’ils accédaient au pouvoir la seule chose qu’ils pouvaient faire, c’était d’administrer de façon un peu plus humaine cette mondialisation. Pour elle, cette absence d’une véritable alternative de gauche crée les conditions pour l’émergence du populisme de droite. La désindustrialisation a pour conséquence un affaiblissement de la classe ouvrière et des syndicats. Les transformations du capitalisme financiarisé menacent également les classes moyennes, la paupérisation est générale. Il faut s’adresser à tous ceux qui souffrent des conséquences des politiques libérales. La frontière droite-gauche traditionnelle ne doit pas être rétablie, il faut en créer une autre, de manière populiste. Elle fait référence au philosophe argentin Ernesto Laclau qui explique que le populisme n’est pas une idéologie, c’est une construction de la politique. C’est la façon d’établir la frontière entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, le peuple et l’establishment.

Anatomie des populismes

Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, dans son livre intitulé « Le siècle du populisme », publié au seuil, se propose de faire une anatomie du populisme. Il distingue cinq éléments constitutifs de la culture politique populiste.

Une conception du peuple

La conception du peuple des mouvements populistes est fondée sur la distinction entre « eux » et « nous ». Le capitalisme néolibéral a vu émerger de nouvelles formes de domination. Le populiste traduit un ensemble de demandes hétérogènes qui ne peuvent plus être formulées en termes d’intérêts liés à des catégories sociales déterminées. Les conflits qui traversent la société peuvent s’ordonner selon le seul axe de l’opposition entre les dominants détenteurs du pouvoir politique, économique, social ou culturel et le reste de la société soit le peuple.

Une théorie de la démocratie

Les populismes s’inscrivent dans la perspective d’une régénération démocratique. Ils instruisent le procès des démocraties libérales-représentatives accusées d’avoir le culte de l’individu et des minorités au détriment de la souveraineté du peuple. La conception populiste de la démocratie présente trois caractéristiques : privilégier la démocratie directe en appelant à multiplier les référendums d’initiative populaire, dénoncer le caractère non démocratique des autorités non élues et des cours constitutionnelles (le gouvernement des juges), et exalte une conception immédiate et spontanée de l’expression populaire (au travers de l’approbation par acclamation). La critique des médias est au cœur de la rhétorique populiste. Elle participe d’une théorie de la démocratie immédiate qui considère illégitime la prétention des corps intermédiaires dont la presse, à jouer un rôle actif dans l’animation de la vie publique et la constitution de l’opinion.

Une modalité de la représentation

Le populisme célèbre « un peuple-Un » soudé par un rejet des élites et des oligarchies. Un peuple rejetant une caste politique accusée de défendre ses propres intérêts. Le populisme préfère le mouvement au parti comme forme d’organisation politique. Mouvement dont l’ambition est de rassembler toute la société et qui porte un chef considéré comme le pur organe du peuple. C’est lui qui rend présent le peuple, au sens figuré du terme, qui lui donne forme et visage, l’homme-peuple.

Une politique et une philosophie de l’économie

Face au développement de la globalisation de l’économie et la constitution d’un marché-monde, les populismes développent une vision protectionniste offrant la possibilité de protéger la souveraineté et la volonté politique des peuples. Le national-protectionnisme s’inscrit dans une perspective de refondation démocratique qui va bien au-delà d’une simple approche de la question en termes de politique économique. Le protectionnisme est aussi un instrument de sécurité. Le maintien aux frontières des étrangers participe d’une vision élargie de la sécurité qui met à distance des populations jugées dangereuses pour le maintien de la cohésion nationale. Cette approche est prolongée par la notion d’insécurité culturelle qui invite au rejet des idéologies jugées menaçantes pour l’identité du peuple. Le populisme est un souverainisme.

Un régime de passion et d’émotions

Les colères et les peurs semblent constituer les moteurs affectifs et psychologiques à l’œuvre dans l’adhésion au populisme. La propension à se rallier à des « vérités polémiques » constitue un élément clef de ce qui pourrait être défini comme la personnalité populiste. Elle repose sur la tendance au soupçon systématique des visions consensuelles accusées d’être de pures fabrications de l’idéologie dominante. La politique prend du même coup un caractère de type religieux.

Conclusion

Nous pouvons remarquer qu’il règne aujourd’hui « une atmosphère » de populisme. L’ère du temps est marquée par l’effacement des vieux partis devant de nouveaux mouvements politiques formés dans le sillage d’une personnalité dont ils accompagnent l’ascension. Le désenchantement démocratique contemporain s’inscrit dans la culture politique diffuse du populisme. De grands thèmes populistes comme l’appel au développement des référendums et la philosophie nationale-protectionniste imprègnent beaucoup plus qu’avant des sociétés en panne de projets de solidarités. Les différentes passions populistes irriguent les esprits dans les démocraties fragilisées du XXIème siècle, cela évite de se confronter à la complexité du monde réel.

31 mars 2021

Bibliographie

Jan-Werner Müller « Qu’est-ce que le populisme » – folio essais – 2016

Pascal Ory. « Qu’est-ce qu’une nation – une histoire mondiale » – nrf Gallimard -2020

Corine Pelluchon « Les lumières à l’âge du vivant » – Seuil – 2021

Pierre Rosanvallon « Le siècle du populisme » – Seuil – 2020

Jérôme Fourquet « Archipel français » – Seuil – 2019

Ernest Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? » conférence en Sorbonne – 1882

Chantal Mouffe « Pour un populisme de gauche » entretien dans Le Monde – 20 avril 2016

Extraordinaire !

Extraordinaire, disons extrêmement différent de ce qu’on a l’habitude de lire dans le rapport annuel de la Cour des Comptes. Cette honorable institution dont les Conseillers maîtres sont l’élite de l’élite, leur recrutement se fait exclusivement parmi les élèves les mieux classés issus de l’École Nationale d’Administration, vient de nous livrer son rapport et il ne manque pas de nous surprendre.

La Cour des comptes

Cet organisme est une juridiction financière, chargée de contrôler le régularité des comptes publics, de l’État, de tous les établissements publics et des organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État ou faisant appel à la générosité du public. Il informe le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la régularité des comptes.

La page d’accueil de son site internet contient en exergue la phrase suivante : « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer les citoyens ». Chaque année est publié un rapport public qui depuis de nombreuses années se distingue par son orthodoxie budgétaire. La trame de ces rapports s’apparente plus à la doxa néolibérale, met régulièrement le doigt sur les déficits budgétaires et rappelle systématiquement la nécessité impérieuse de réduire les dépenses publiques.

La crise sanitaire

A titre d’exemple, je ferais référence à mes articles du mois de mars 2020, intitulés « Pourquoi n’étions-nous pas prêts ? » et « le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation ». A la suite de l’épidémie de grippe aviaire (H5N1) qui avait mis en évidence diverses faiblesses dans la réponse logistique de l’État, le gouvernement de l’époque avait créé un établissement public de préparation et de réponses aux urgences sanitaires. Sa mission principale était l’acquisition, la fabrication, le stockage, la distribution et l’exportation des produits nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves. Cet établissement a eu les moyens d’acheter des millions de vaccins, d’aiguilles, d’embouts et pipettes, de traitements antibiotiques, et antiviraux, des masques de filtration et chirurgicaux, des tonnes de substances actives en cas de pandémie grippale, des tenues de protections, des équipements de laboratoires et des extracteurs ADN/ARN.

Lors de la crise du H1N1 de 2008-2009, la haute administration a eu le sentiment d’en avoir trop fait et d’avoir surestimé la crise. L’État s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire. La Cour des comptes a estimé que des fonds publics ont été gaspillés inutilement.

La vision néolibérale de la société s’est introduite à l’hôpital. Gérer les établissements sanitaires comme des entreprises est devenu l’objectif prioritaire. Comme l’explique le professeur de médecine André GRIMALDI, l’État a abimé l’hôpital public depuis des années, depuis qu’a commencé le règne des économistes de pensée libérale ou néolibérale pour qui les activités humaines doivent être mesurées, valorisées, et mise en concurrence sur un marché. La tarification à l’activité a mis la santé dans une logique de marché. C’est l’entrée du « new public management » dans l’hôpital. Les autorités sanitaires ont ainsi fermé des établissements, réduit le nombre de lits et géré les stocks en flux tendus. La logique comptable s’est imposée au détriment de l’objectif prioritaire de ces institutions chargée d’assurer la santé publique sur l’ensemble du territoire et sur le long terme.

L’obsession de la réduction des déficits budgétaires et la certitude que le monde était à l’abri de tout danger épidémique majeur entrainant un changement doctrinal et institutionnel, explique les cruels manques de produits et de matériel auxquels nous avons dû faire face en 2020.

Le rapport annuel 2021

Dans son rapport annuel 2021, la Cour des comptes à propos de la crise du Covid 19 semble changer ses critères d’évaluation. Elle dénonce l’impréparation de l’État face à la crise sanitaire. Le rapport est concentré sur les effets concrets et la gestion opérationnelle de la crise notamment la tension dans les hôpitaux au niveau de la réanimation et des soins critiques. Il constate que depuis plusieurs années « l’offre de soins critiques a décroché par rapport aux besoins d’une population française qui vieillit ».

Le nombre de lits en réanimation a progressé dix fois moins vite que le nombre de personnes âgées. Les recommandations de l’institution sont centrées autour du renforcement des personnels de ces services si particuliers, dans la droite ligne des demandes de nombreux médecins et infirmiers de réanimation depuis des mois.

De manière inattendue, la Cour des comptes, garante de l’orthodoxie budgétaire, remet en cause le mode de financement des services de soins critiques. Le rapport note que le système de « tarification à l’activité » fortement décrié chez les médecins comme le cœur de « l’hôpital-entreprise », fait de la réanimation une « activité structurellement déficitaire ». Il relève les limites de la « planification hospitalière » qui a abouti à la concentration des unités de soins critiques, certes souhaitable, mais qui devrait aussi rechercher  « l’adaptation du nombre de lits aux besoins croissants d’une population qui vieillit, et corriger les inégalités territoriales ».

Conclusion

Après le « quoi qu’il en coûte » du Président de la République qui mettait de côté, au moins temporairement, l’orthodoxie budgétaire voilà la Cour des comptes qui estime que la concentration de l’offre ne peut être le seul acte de la politique sanitaire. Tout n’est pas perdu, peut-être que nos dirigeants réalisent que la recherche du bien-être humain prime sur la logique économique et comptable ! Ne soyons pas trop optimistes, une hirondelle ne fait pas le printemps. Attendons de voir !

20 mars 2021

Polémique à l’université

La ministre demande une enquête

La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation vient de demander au CNRS d’effectuer une enquête sur l’islamo-gauchisme et le post colonialisme à l’université. Les raisons invoquées sont la protection d’universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches » et séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Cette demande a provoqué de nombreuses réactions et une polémique médiatique très confuse dans laquelle tout se mélange l’académique, l’idéologique, le politique et l’approche des échéances électorales.

Le contre

Tout d’abord plus de 800 membres du personnel de l’enseignement et de la recherche, en réaction aux déclarations de leur ministre, ont publié dans le journal « Le monde » une tribune intitulée « Nous, universitaires et chercheurs, demandons avec force la démission de Frédérique Vidal ». Ils estiment leurs professions diffamées et reprochent à la ministre de faire planer la menace d’une répression intellectuelle. Ils accusent la ministre d’avoir une attitude comparable à celle des gouvernements d’extrême droite de Hongrie, Pologne et Brésil et d’ânonner le répertoire de l’extrême droite française sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà évoqué par le ministre de l’éducation nationale en octobre 2020. Enfin ils refusent de laisser bafouer les libertés académiques.

Le pour

Pourtant, en octobre 2020, une centaine d’universitaires et chercheurs de diverses sensibilités, dans une tribune dans le même journal, s’étaient accordés avec le constat du ministre de l’éducation nationale sur « l’islamo-gauchisme » au sein de l’université. Ils y déclarent que « les idéologies indigéniste, racialiste et « dé coloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs » et de la France ; et un militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la doxa anti-occidentale et le prêchi-prêcha multi culturaliste. » Ils demandent à la ministre de l’enseignement supérieur « de prendre clairement position contre les idéologies qui sous-tendent les dérives islamistes ». Ils estiment dans cette tribune que « les universités ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte pour la défense de la laïcité et de la liberté d’expression ». Reprochant à l’époque à la ministre son silence, ils lui demandaient « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique. Et d’élaborer un guide de réponses adaptées, comme cela a été fait pour l’éducation nationale ».

Défendre les libertés académiques

Un collectif de 130 universitaires comprenant ceux qui avaient réclamé une réaction de la ministre en octobre, se félicite de la reconnaissance de l’existence d’un problème au sein de l’université mais marque un premier désaccord avec le fait de se focaliser sur le terme « islamo-gauchisme ». Pour ce collectif ce qui est préoccupant c’est le « dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche. Car se développent de façon inquiétante pléthore de cours, articles, séminaires, colloques qui ne sont que du militantisme déguisé en pseudo-science à coups de théories fumeuses (« racisme d’Etat »), de néologismes tape-à-l’oeil (« blanchité ») et de grandes opérations de découverte de la Lune, présentant par exemple comme de lumineuses avancées scientifiques l’idée que nos catégories mentales seraient « socialement construites » (mais qu’est-ce qui ne l’est pas dans l’expérience humaine ?) ou que, « intersectionalité » oblige, être une femme de couleur expose à être moins avantagée socialement qu’être un homme blanc… Quelle que soit la légitimité des causes politiques ainsi défendues, l’indignation ne peut tenir lieu de pensée, ni le slogan d’argumentation raisonnée. » Ce collectif estime donc qu’il faut « rendre le monde universitaire à sa mission : produire et transmettre des connaissances, dûment étayées et vérifiées, et non pas des convictions politiques, fussent-elles animées des meilleures intentions. (…) Mais – et c’est là leur second désaccord avec la ministre – ce travail de régulation de l’offre académique ne peut et ne doit se faire qu’en interne, au sein des instances universitaires dont c’est le rôle.»

Il semble donc que les universitaires, dans leur ensemble, sont d’accord pour défendre les libertés académiques. C’est aux instances universitaires de réguler en interne les enseignements et les travaux de recherche.

La fracture

Mais si certains s’offusquent d’une ingérence inquiétante de la part du gouvernement d’autres se félicitent de la prise de conscience de la ministre qu’il y a un problème au sein de l’université. Manifestement l’université se fracture sur ce qui doit être considéré comme sujets d’études ou de recherche. Pourtant comment reprocher aux sciences sociales de s’intéresser à des thèmes comme le racisme, les inégalités, les effets de la colonisation, l’esclavage, le genre, l’intersectionalité, le post colonial, la laïcité, l’universalisme et bien d’autres thèmes qui traversent la société contemporaine. A l’université comme dans la société les opinions sont variées et opposées. Au niveau académique il faut essayer de faire la différence entre les positions idéologiques et les travaux en sciences sociales même si la frontière est parfois difficile à tracer et ce d’autant plus que nous vivons une période de forte polarisation politique. Les chercheurs qui ont le courage d’aborder ces questions polémiques en intellectuels en apportant plus de réflexions, d’argumentations, d’intelligence collective dans le débat public doivent être soutenus. Il faut garantir pour tous les chercheurs, quelles que soient leurs orientations, l’autonomie de la recherche et l’expression libre des idées.

L’inacceptable

Les libertés académiques sont menacées par l’interférence de la ministre mais pas seulement. Certaines mouvances politiques ont des pratiques qui suscitent des interrogations : boycotter ou faire désinviter un conférencier, l’humiliation en ligne sur les réseaux sociaux, l’interruption de manifestations scientifiques sont autant d’actions qui ne manquent pas d’inquiéter. La peur et l’intimidation sont utilisées pour restreindre la liberté de parole. Ces pratiques portent atteinte aux libertés académiques et doivent être arrêtées dans l’intérêt de l’université. Elles sont inacceptables.

Pour conclure il est nécessaire de distinguer ce qui relève du débat politique qui n’a jamais épargné le monde universitaire, de ce qui relève du débat scientifique. Il est indispensable de préserver les libertés académiques. L’université doit garantir l’autonomie de la recherche et une pensée libre. Mais il est temps de nommer les choses par leurs noms et prendre conscience de la responsabilité d’idéologies communautaristes qui se diffusent dans l’université et vont jusqu’à menacer la liberté d’expression. A l’université comme à l’école il faut sortir du déni.

février 2021

Tristesse et indignation

Le SARS CoV-2 s’est déployé en Chine à la fin de l’année 2019 puis s’est étendu à l’ensemble de l’humanité. Ne disposant pas de traitement approprié, le seul espoir de sortir de la pandémie était de mettre au point un vaccin. Après huit mois de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une performance formidable et une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements. Cela devrait nous réjouir, mais cette pandémie a non seulement exacerbé les inégalités entre les pays et à l’intérieur de chaque pays, et mis en évidence les aspects obscures de l’humanité.

Les pays sont frappés différemment

Si tous les pays doivent faire face à la pandémie, ils ne sont pas tous touchés avec la même intensité. Les classes d’âge résistent différemment. Les équipements sanitaires ne sont pas développés partout et ne permettent pas toujours de faire face aux conséquences de la maladie. En attendant le vaccin et le traitement adapté, la recommandation des autorités sanitaire est la vigilance et le respect de mesures de distanciation physique et d’hygiène. Ces recommandations sont plus ou moins bien suivies selon la culture de chaque pays.

Avant les vaccins nous avons déjà assisté à un spectacle déplorable de concurrence et de surenchère pour l’acquisition de produits et d’équipements sanitaires. Les tarmacs d’aéroport ont assisté à des rivalités entre pays partenaires au sein de l’Europe pour détourner la destination de containers. Le chacun pour soi a heureusement été vite atténué et la collaboration et le soutien entre pays, et à l’intérieur des pays entre régions, se sont organisés. Quand un hôpital se trouvait submergé dans une ville, les malades étaient transférés et pris en charge dans l’hôpital de la ville voisine et même si celle-ci était dans un pays voisin.

Nous pouvions penser à cette période qu’après quelques errements, le monde avait retrouvé ses esprits et que la solidarité et le partage face à l’adversité allaient retrouver droit de cité. Mais l’arrivée des vaccins en quantité nécessairement insuffisante au début a ruiné cet espoir.

L’achat de vaccins en ordre dispersé

D’abord les pays anglo-saxons où la liberté individuelle poussée à son paroxysme a entrainé le rejet du confinement et du port du masque comme moyens de ralentir la diffusion du virus. La conséquence a été un développement rapide de l’épidémie et un nombre de cas et de morts importants. Aux États-Unis le « make América great again » a donné le « même pas peur » du Président Trump et le choix d’investir massivement dans la recherche du vaccin avec la condition d’être servi le premier. Au Royaume uni, au milieu des dernières négociations du Brexit avec l’Union Européenne, le premier ministre s’est empressé de négocier seul et de précommander avant même l’homologation du vaccin. Alors que le Royaume Unis était encore membre de l’EU, Londres a fait cavalier seul, voyant là l’occasion de tester le Brexit grandeur nature et de prouver ainsi aux sceptiques le bien-fondé de son choix.

Le spectacle désolant qu’ont donné les Européens en mars 2020, au début de l’épidémie, quand les équipements médicaux manquaient à tous et que Paris ou Berlin interdisaient l’exportation de masques, a poussé les dirigeants européens à négocier en commun l’achat de vaccins alors même que la commission européenne n’a pas de compétence en matière de santé. En quelques semaines, la Commission conseillée par des cabinets d’avocats les plus aguerris s’est organisée pour affronter les industriels du vaccin. Comme l’a reconnu la présidente de la commission la décision à 27 est plus lente qu’avec un seul décideur.

Finalement les premiers britanniques sont vaccinés le 8 décembre, les américains du nord une semaine plus tard et les européens à la fin décembre. Donc pas de différence significative d’autant que la stratégie de vaccination diffère selon les cas. Les uns ont fait vite les autres ont pris leur temps. Les pays de l’EU ont mis un point d’honneur à commander ensemble et à démarrer la campagne de vaccination le même jour. Très bien pour la symbolique mais il est légitime de s’interroger sur son bien fait quand chaque jour représente plusieurs centaines de morts.

La guerre des vaccins

Lorsque la vaccination commence en Grande Bretagne, les européens ne cachent pas leur mécontentement vis à vis de Bruxelles. L’Agence européenne des médicaments (AEM) n’a autorisé le vaccin Pfizer-BioNTech que le 21 décembre 2020. L’opacité des négociations entretient la grogne. Les contrats négociés avec les laboratoires sont tenus secrets, ce qui alimente les rumeurs.

Les premières livraisons font apparaître des différences qui sèment la discorde entre les Vingt-Sept au niveau européen. Outre Rhin où la campagne pour les élections générales de 2021 a commencé, certains réclament plus de doses de ce vaccin qui a été conçu par une biotech allemande et s’offusquent d’en être empêchés par Bruxelles. D’autres reprochent à la commission d’avoir dépensé moins pour ses vaccins que n’importe quel autre pays industriel. Pourtant c’est près de 3 milliards qui ont été avancés aux laboratoires pour les aider à préparer leurs usines.

Les industriels qui se sont lancés dans cette course folle au vaccin peinent à mettre à niveau leurs capacités de production, qui doivent permettre une vaccination de masse. Ils annoncent des retards de livraison. A ce jour trois vaccins sont homologués aux EU, au RU et en Europe, Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Les vaccins russe, chinois et cubain le seront prochainement. Sanofi a annoncé un retard de plusieurs mois mais devrait être disponible en fin d’année et sans doute d’autres encore en préparation le seront d’ici là. Au début, à l’annonce de l’arrivée aussi rapide du vaccin, beaucoup étaient sceptiques et ne manifestaient pas d’empressement à se faire vacciner. Mais depuis le début de l’année et le manque de doses se faisant sentir au point de ralentir la campagne de vaccination, la grande majorité voudrait l’être.

Alors que Londres ne manque pas de doses et vaccine en grand nombre, Paris et Berlin demandent la mise en place d’un mécanisme de contrôle des exportations des vaccins afin de vérifier qu’AstraZeneca ne vend pas aux Britanniques des doses qu’il aurait dû réserver aux Européens. A Paris certains déplorent le fait que la France soit le seul pays du conseil de sécurité de l’ONU à ne pas avoir son vaccin.

Nous assistons à une concurrence malsaine entre les pays pour s’accaparer le plus de doses. Les dix pays les plus développés ont commandé 80% des doses. C’est une surenchère inacceptable alors que le vaccin devrait être considéré comme un bien commun. Le vaccin seul moyen de protéger la population de la planète contre le coronavirus est devenu un instrument d’influence géostratégique au niveau mondial.

Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas. Faut-il rappeler l’unité de l’Humanité ? Toutes les vies se valent, aucune vie n’a plus d’importance qu’une autre. Mais pour éradiquer cette pandémie encore faut-il être capable de produire les vaccins en quantité suffisante. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires pour immuniser toute la population de la planète, les pauvres comme les riches, les faibles comme les puissants. L’ensemble de l’humanité est mis en danger par ce virus. Et il y en aura probablement d’autres si nous ne réussissons pas à modifier nos modes de développement.

Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États pour s’accaparer le plus de doses sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de la coopération mondiale indispensable pour atteindre cet objectif du vaccin pour tous et organiser la solidarité indispensable pour sortir grandis de cette crise et s’armer pour les suivantes.

février 2021

Où va le monde ?

Quand j’ai muri l’idée de créer ce blog, bien avant que la pandémie ne se déclare, la question du changement de monde me paraissait une évidence tant les difficultés s’accumulaient et les inégalités s’aggravaient. D’où le nom de ce blog citoyen : « changer de monde ». Ma cessation d’activité professionnelle me permettant de disposer d’un peu de temps, en toute humilité et sans aucune prétention, je me suis dit pourquoi ne pas en profiter pour y réfléchir et échanger avec d’autres sur différents thèmes concernant ce changement. Je ne pouvais me douter qu’un virus s’attaquant à l’ensemble de l’humanité viendrait renforcer cette nécessité de changer de monde.

La pandémie

L’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019 en Chine. La Covid 19 s’est progressivement étendue à l’Asie, le Moyen Orient, l’Europe, les Amériques, l’Afrique. C’est devenu un évènement planétaire. La quasi-totalité des pays est touchée. Le virus à l’origine de cette pandémie est contagieux et parfois mortel. A ce jour nous comptons dans le monde plus de 100 millions de cas et plus de 2 millions de morts.

Au début les médecins n’ont pas de traitement pour soigner cette maladie. Ils recommandent la vigilance, la protection et le confinement associé à des mesures de distanciation physique et d’hygiène. Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Ces mesures permettent d’éviter que le nombre de patients gravement atteints dépasse les capacités des hôpitaux à les prendre en charge.

Après huit mois de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une performance extraordinaire quand on sait que le délai habituel de mise au point de vaccin se compte en années. C’est aussi une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements fondés sur des anticorps bloquant l’entrée du virus dans les cellules ce qui pourrait diviser par trois le risque d’hospitalisation. Ces thérapies sont encore à l’étude pour déterminer leur tolérance et leur efficacité avant d’être autorisées.

Pour l’instant tous les scientifiques s’accordent pour estimer que le seul moyen à notre disposition pour éradiquer la Covid 19 est de vacciner au plus vite et le plus massivement possible l’ensemble de la population en commençant par les plus vulnérables. Les fabricants des vaccins certifient qu’ils protègent aussi des virus variants qui sont apparus depuis quelques semaines. Encore faut-il que chaque pays puisse disposer de suffisamment de doses de vaccins et en capacité de développer la logistique adéquate pour réaliser cette vaccination. L’immunité collective ne sera atteinte que si 60 à 70% de la population est vaccinée.

Les trois vaccins autorisés par les autorités sanitaires occidentales sont actuellement fabriqués en quantité insuffisante. Les vaccins chinois et russe n’ont pas fait l’objet de demandes d’homologation. Nous assistons à une concurrence malsaine entre les pays pour s’accaparer le plus de doses. C’est une surenchère inacceptable alors que le vaccin devrait être considéré comme un bien commun. Les dix pays les plus grands (riches !) ont commandé 80% des doses.

Le vaccin seul moyen de protéger la population de la planète contre le coronavirus est devenu un instrument d’influence géostratégique au niveau mondial.

Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas de manière durable.

Contraction de l’activité économique

La pandémie du coronavirus a entrainé la plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle a estimé le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de Développement économiques (OCDE). Les confinements en début d’année et à l’automne 2020 ont eu pour conséquence un fort ralentissement de l’activité économique.

Les restrictions sanitaires se traduisent en France pour l’année 2020, selon les chiffres publiés le 29 janvier, par une chute du Produit Intérieur Brut (PIB) de 8,3%. En un an, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) a augmenté de 7,5 % sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris), d’après les données publiées mercredi 27 janvier par le ministère du travail. Les mesures de chômage partiel ont permis de limiter le nombre de pertes d’emploi.

Aux États Unis le recul du PIB sur cette année est estimé à 3,5% et les pertes d’emploi à 9 millions. Au niveau mondial la contraction de l’activité est évaluée par les experts autour de 5% ce qui est inférieur à ce que l’on pouvait craindre.

Le Fond Monétaire International, selon des estimations publiées le 26 janvier, prévoit une croissance mondiale de 5,5% en 2021. Il reste toutefois prudent en n’excluant pas que la mutation du coronavirus, le ralentissement des vaccinations par pénurie de doses ou une reprise prématurée de l’austérité budgétaire dans certains pays pourraient freiner la relance. Aux États-Unis, en Europe et au Royaume Uni des sommes considérables ont été injectée dans l’économie pour pallier aux conséquences de la crise sanitaire. A des degrés divers il en a été de même dans l’ensemble des pays, chacun en fonction de ses possibilités et de l’importance de l’épidémie. La doxa néo-libérale prônant l’austérité et la baisse des dépenses publiques a été oubliée. Des sommes tout aussi considérables se chiffrant en milliards vont être investies dans des plans de relance de l’économie. L’inter dépendance de l’ensemble des pays sur le plan économique nécessite, une fois la pandémie maîtrisée, une relance coordonnée au niveau international pour être pleinement efficace. Malheureusement chaque pays mène son action de manière dispersée, les intérêts particuliers de chaque nation primant sur les intérêts communs. Seule l’Europe tente de se coordonner et pas toujours avec succès.

Climat et biodiversité

Depuis quelques années la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et donc de l’humanité. La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale. Le projet d’accord final a été adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C. En décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays participants sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. Mais la communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Selon le bilan annuel du Global Carbon Project (GCP) publié en décembre 2020, les émissions de CO2 d’origine fossile ont connu une baisse record en 2020, liée aux mesures de confinement prises contre l’épidémie. Cette baisse est estimée à 7%. C’est un répit temporaire et cela ne suffit pas pour réduire le réchauffement climatique et ses impacts, les émissions de CO2 se maintenant à des niveaux élevés. Pour atténuer le changement climatique il ne faut pas arrêter les activités économiques mais accélérer la transition vers des énergies bas carbone. Une fois la pandémie maîtrisée il faudra relancer l’économie sans ignorer l’urgence de la transition écologique et la préservation de la biodiversité.

Selon Christian de Perthuis, professeur à l’Université Dauphine, fondateur de la Chaire Économie du Climat, il y a trois enjeux majeurs à la crise climatique :

La transition énergétique doit être fortement accélérée. Elle nécessite une mobilisation à tous niveaux : international, européen, national, local et bien sûr, individuel. Il faut sortir de la dépendance à l’énergie fossile.

Il faut préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.

Même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique. Il faudra s’adapter à ce réchauffement et ses conséquences. Comme les pays les plus pauvres sont les plus exposés il faut anticiper et les aider à mieux s’y préparer.

Coopération et solidarité internationale

Quel que soit son aspect, sanitaire, économique ou climatique, la crise que nous vivons est mondiale. Aucun État ne peut prétendre répondre seul à tous les défis qui se présentent à tous. Seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement.

Sur le plan de la pandémie, tant que tous les pays n’auront pas atteint l’immunité collective personne ne sera à l’abri. La vitesse à laquelle se diffusent d’un pays à l’autre les variants du coronavirus malgré les confinements et la fermeture des frontières en est la preuve. Au mieux la circulation du virus est ralentie. Cette immunité ne peut être réalisée que si la population mondiale est vaccinée. Il faut donc considérer les vaccins comme un bien commun destiné à être accessible à tous. Encore faut-il être capable de les produire en quantité suffisantes. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires. Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de cette coopération mondiale.

Sur le plan économique, une relance coordonnée sera nécessaire pour être efficace. L’économie mondialisée nécessite des mesures de régulation et de contrôle tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques. Le simple énoncé de cette nécessité en montre la difficulté. Raison de plus pour en faire un objectif permanent pour avoir une chance de l’atteindre un jour.

Il ne s’agit pas de reprendre après comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut tirer les leçons de cette expérience et en premier lieu considérer comme prioritaires les secteurs de la santé car nous ne sommes pas à l’abri de prochaines pandémies.

Il est indispensable de sortir de l’économisme qui consiste à considérer que le développement économique est une fin en soi. L’économie doit être au service de la satisfaction des besoins humains réels et nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète.

La relance économique aussi indispensable soit-elle ne doit pas nous faire oublier le changement climatique et la nécessité absolue de réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi que la dégradation de la biodiversité.

La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.

Les rythmes d’exploitation de l’économie ne respectent pas les temps de cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes. L’espèce dominante sur la planète, les humains, compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or les humains sont une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu. Il leur revient de tout mettre en œuvre pour préserver la planète.

Le respect de ces équilibres n’a de sens et d’efficacité qu’au niveau de l’ensemble de la planète. C’est le rôle des Conventions de Pays (COP) : organiser la coopération et la solidarité planétaire dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. La COP26 se réunira à Glasgow en Ecosse en novembre 2021 si la pandémie est à cette date maîtrisée. Il faudra passer des recommandations sans contrainte aux engagements fermes sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique. Il est temps que l’obligation d’agir pour la préservation de notre planète soit une priorité pour tous.

Janvier 2021

Après les masques et les tests, les vaccins !

Les masques n’étaient pas utiles. Dangereux à manipuler et mal utilisés ils pouvaient être contreproductifs. En fait la France n’avait pas renouvelé ses stocks et avait été coupable d’un manque de prévoyance évident. Le port du masque est aujourd’hui obligatoire.

Nous avons assisté, à peu de chose près, au même scénario avec les tests. Pas utiles, non significatifs puis indispensables en corrélation avec nos stocks de tests. Les délais d’accès et de résultats des tests n’ont cessé de s’allonger et ont empêché d’identifier à temps les personnes contaminées et de les isoler. Les tests se font sans une stratégie clairement établie et sans un isolement systématique des personnes contaminées.

photo france info

Tous les commentateurs se sont accordés pour dire qu’après l’amateurisme déployé avec les masques et les tests il était impératif de réussir la campagne de vaccination. Après l’ouverture de cette campagne de vaccination le moins que l’on puisse dire c’est que nos dirigeants persistent et signent. Les énarques qui dirigent notre administration, sont loin d’être à la hauteur de leur réputation. Nous sommes la risée de l’Europe et du monde. Quand tous les pays se sont lancés dans la vaccination de masse la France a décidé de ne pas se presser. On croit rêver ! Au moment où j’écris ces lignes les vaccinations se comptent par milliers et parfois par centaines de milliers dans les autres pays alors que la France a du mal à atteindre les cinq cent.

La France a choisi une stratégie que nos dirigeants défendent avec fierté et prétendent même être suivi par les autres pays responsables. D’abord les plus fragiles. II est prévu de commencer dans les établissements pour personnes âgées par les plus de 75 ans et après avoir sollicité leur consentement, en leur laissant cinq jours pour une éventuelle rétractation. Le personnel soignant au contact de ces personnes les plus fragiles ce sera pour après. Stratégie « responsable » mais d’une bien maigre efficacité ! Et pendant ce temps le nombre de morts par jour est équivalent au crash journalier d’un gros airbus comme l’a fait remarquer un commentateur.

Le vaccin Pfizer, seul à notre disposition pour l’instant à raison de cinq cent mille par semaine, nécessite des conditions de distribution très difficiles du fait de la température de conservation (-80°C) et une logistique millimétrée. Le simple bon sens fait penser qu’il vaudrait mieux amener les personnes dans des centres de vaccination plutôt que de s’échiner à transporter les vaccins vers les personnes. Il y a déjà des doses de vaccins qui sont gâchées à cause de ces difficultés aggravées par la stratégie choisie. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.

Les meilleures intentions du monde peuvent être à la source de catastrophe. Il est encore temps de changer de stratégie et opter pour une vaccination de masse tout en veillant à privilégier les plus exposés notamment les soignants et les personnes fragiles. C’est en tout cas l’avis majoritaire de nombreux spécialistes.

En réalité il faut protéger au moins 60% de la population pour atteindre l’immunité collective, soit 35 à 40 millions de personnes. Si l’on souhaite atteindre cet objectif avant l’été il faut vacciner au moins 6 millions de personnes par mois, 1,35 millions par semaine soit deux cent mille par jour. Le goutte à goutte n’est pas un moyen opérationnel pour atteindre cet objectif.

Voilà maintenant presqu’un an que notre économie est sous perfusion. Chaque jour de retard dans la vaccination c’est des centaines de morts supplémentaires et des centaines de milliers de chômeurs en plus et le risque toujours plus grand de faire subir de gros dommages à nos capacités productives.

3 janvier 2021

Universalisme, Vous avez dit Universel ? Quel Humanisme ! – deuxième partie –

L’universalisme humaniste

Le fondement de l’Humanisme

Pour l’humaniste, l’homme est l’unique source de valeur. Certains pensent que des valeurs lui sont supérieures : la nation, le prolétariat, le socialisme, la race aryenne … D’autres pensent que l’humanité ne tire sa valeur que d’êtres qui la surpassent et qui sont source de toute valeur : Dieu ou la Nature. Laissons ces approches qui ne manquent pas de générer de nombreuses contradictions. Essayons de fonder rationnellement l’humanisme.

L’homme est capable d’accéder à la science, un mode de connaissance de la nature, qui le hisse au-dessus de la nature. Il est capable de normes d’action qui le distinguent des autres êtres naturels : la moralité. Admettre que l’homme n’est pas seulement un être de nature mais de culture permet d’expliquer pourquoi l’univers humain est un univers de règles, de normes et de symboles. La culture est la finalité interne de tout être humain, ce vers quoi il tend pour être lui-même.

L’être de l’homme c’est la raison dialogique c’est-à-dire la disposition anthropologique au langage, la capacité des hommes à se parler les uns aux autres à propos du monde, à raisonner ensemble. C’est l’union indissociable du langage et de la raison qui permet d’expliquer les autres qualités propres aux humains. Grâce au langage la conscience humaine est en relation avec elle-même, avec le monde et avec toute autre conscience.

Une autre spécificité du langage humain est la négation. Parler humain c’est affirmer ou nier, prétendre que ce que l’on dit est vrai et que ce qui le nie est faux. Ce que l’un dit doit pouvoir être contredit par l’autre. L’identification alternée de l’un à l’autre, l’interaction originaire entre un humain et tout autre humain, le oui et le non du dialogue, l’entente et le différend, la coopération et la rivalité et le monde commun sur fond d’un réel à partager c’est ce qui fait l’humanité de l’être humain.

Par le fait qu’il dispose du langage, l’être humain peut accéder au jugement. Les êtres humains en tant qu’ils parlent et se répondent, peuvent distinguer le réel de l’illusoire, le vrai du faux, l’objectif du subjectif. L’être humain est aussi capable de justifier auprès des autres la vérité de ses jugements. Parler c’est répondre de ce que l’on affirme ou de ce que l’on nie, en répondre devant autrui, devant tout autre. La justification est l’œuvre de la raison dialogique contre l’arbitraire.

Valeurs

L’action se fait souvent devant autrui et donc selon des normes ou des valeurs collectives. La personne agit selon des valeurs qu’elle s’efforce de partager ou de faire partager. La justification par des valeurs est donc une démarche rationnelle. Ce qui fait la grandeur de l’humain c’est qu’il peut aspirer à un bien qu’il place au-dessus de son plaisir, de sa tranquillité, de sa survie même. En tant qu’elles sont partageables, les valeurs répondent à une tendance anthropologique fondamentale : être soi en étant nous, dire et penser nous pour pouvoir être vraiment soi.

Les valeurs sont multiples et contradictoires. Toutes les valeurs ne se valent pas et quiconque l’admet doit aussi admettre qu’il y a de l’universel.

Science

La science est une connaissance à la fois rationnelle et empirique. Elle ne se contente pas d’observer et de recueillir des faits, elle a aussi vocation à les expliquer. Une théorie scientifique doit être réfutable c’est-à-dire susceptible d’entrer en conflit avec des observations possibles ou concevables. Un énoncé scientifique n’est justifié que par sa reproductibilité donc son invariance. La science se définit par ses procédures universelles, elle est le discours des savoirs universellement partageables. Les trois normes de la connaissance scientifique sont : impersonnalité, désintéressement, doute systématisé.

L’idéal scientifique c’est le monde objectif vu de nulle part sans sujet pour le voir. 

La science est la finalité interne de la rationalité théorique humaine.

L’idéal éthique

L’idéal éthique c’est le monde interlocutif vu de toute parts par tout sujet possible. Au contraire de la morale, l’éthique c’est l’unité du bien pour soi et du bien en soi. Le bien de tout être humain est de tenir tout autre humain pour un être de même valeur que lui-même et réciproquement. Les règles qui se déduisent du principe de réciprocité ne sont pas morales, elles sont éthiques parce qu’elles ne distinguent pas conduites intéressées et désintéressées. Ce sont des règles de vie bonnes pour l’humanité.

Le fondement de l’universel éthique n’est pas le principe à priori de l’égalité et de la réciprocité entre personnes discutant mais la conséquence à postériori que chacun peut en déduire pour son propre bien et pour le bien de la communauté. Tout être humain rationnel choisit de vivre selon les règles rationnelles de la réciprocité parce que, destiné à vivre en communauté (il ne se suffit pas à lui-même) et dialogiquement rationnel (il peut échanger avec qui que ce soit), il sait qu’il ne peut trouver son bien que sous des règles d’égalité et de réciprocité.

Le bien a priorité sur les valeurs. Le bien concerne chacun en tant qu’humain aspirant à vivre humainement. Il est le bien réel de ceux qui sont humains par définition, parce qu’ils peuvent se parler les uns aux autres. Le bien éthique représente un plus haut degré de rationalité que les valeurs morales. Celles-ci sont collectives, le bien éthique est universel. Il est le bien de l’humanité comme telle. Parce qu’il est l’achèvement de la relation d’interlocution, fondement même du logos, il a priorité sur toute justification dont il est la condition. Pour la raison dialogique il y a un bien universel. Il suppose le monde vu de toute parts, de toutes les places où se trouve un sujet d’interlocution. Telle est l’éthique humaniste fondée sur la raison.

Conclusion

Pour terminer je reprendrais l’essentiel de la conclusion du « Plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf. Un humanisme effectif est possible à condition qu’il intègre l’idée que les êtres humains se pensent toujours concrètement, à partir de leurs différences et qu’ils se définissent par des identités multiples et mouvantes. Le vrai humanisme repose à la fois sur une éthique de l’égalité, de la réciprocité et sur une politique des différences. L’humanisme d’aujourd’hui ne peut être fondé que sur la singularité de l’être humain comme animal parlant. La globalisation semble rendre l’humanisme impossible car elle menace la diversité culturelle sans laquelle il n’y a pas d’humanité ; elle le rend pourtant nécessaire contre les faux refuges dans des identités imaginaires antagoniques. L’universel ainsi défini est notre seul point fixe et assuré dans le chaos des valeurs.

26 décembre 2020

Références bibliographiques

Pour le titre j’ai imité une célèbre répartie de Louis Jouvet dans un vieux film dont je ne me souviens pas du nom : « bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre ! … »

Intéressé de longue date par l’universalisme j’ai souvent dialogué sur ce thème avec des amis qui se reconnaîtrons. Il y a quelques mois j’ai écouté à la radio un échange sur France Culture entre Francis Wolf et Chantal Delsol. Cela m’a donné l’idée d’écrire cet article qui est principalement inspiré par « le plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf mais aussi par d’autres écrits listés ci-dessous.

Monique Atlan et Roger-Pol Droit – « Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies » Flammarion – 2012

Chantal Delsol – « Le crépuscule de l’universel » Cerf – 2020

Henri Pena Ruiz – « Dictionnaire amoureux de la Laïcité » Plon – 2016

Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018

Francis Wolf – « Plaidoyer pour l’universel » Fayard – 2019

Charles Coutel dans revue Sisyphe n°2– article « Pour l’Europe des lumières et la république universelle »  novembre 2020

Mazarine Pingeot sur le site The conversation – article « de l’universalisme au différencialisme » du 7 octobre 2018

Universalisme, Vous avez dit Universel ? Quel Humanisme ! -première partie-

L’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et de main d’œuvre, la globalisation de l’économie mais aussi le développement des transports et de tous les moyens de communication, du tourisme, la circulation des idées et des connaissances, le partage des cultures, l’avenir écologique de la planète, la crise sanitaire sont autant d’éléments qui viennent renforcer notre conscience de l’unité de l’humanité. Et pourtant cette unité recule dans les représentations collectives. Partout nous assistons aux mêmes replis identitaires : nouvelles radicalités religieuses, nouvelles revendications communautaristes, développement de la xénophobie etc…

Les critiques de l’universalisme

Un universalisme de façade

Au XVIIIème siècle qu’on appelle le siècle des Lumières, les philosophes, dans le prolongement des idées héritées de la Renaissance, ont combattu l’obscurantisme, la superstition et l’irrationnel des siècles passés. Ils ont renouvelé les connaissances et l’éthique de leur temps. La philosophie des Lumières considère que l’humanité est source de toute valeur et que tous les êtres humains ont une valeur égale. Ces idées d’humanité et d’humanisme sont liées à l’universel qui englobe la raison, la science, l’égalité, la moralité et la philosophie.

Aujourd’hui l’universalisme est battu en brèche. Il est interprété comme l’origine du colonialisme et de l’impérialisme, le symbole de l’oppression, la justification du racisme et de l’islamophobie. Il lui est reproché d’être purement formel. L’égalité de tous les êtres humains est affirmée mais elle coexiste avec des inégalités réelles. Les colonisateurs ont prétendu apporter la civilisation et ont minimisé l’oppression et la spoliation des colonisés tout en occultant leurs propres intérêts. L’universalisme leur a servi de justification.

Pourtant rien dans l’universel lui-même ne le condamne à n’être que de façade. L’idéal universaliste n’est pas un obstacle aux combats pour l’émancipation, il doit au contraire demeurer leur objectif. Il ne faut pas confondre les moyens de l’émancipation avec sa fin qui ne peut être qu’universelle. Il faut s’en prendre à ses usages pervertis et pas à l’Universel lui-même. L’universel est l’horizon de toute émancipation. La notion d’humanité a pu être dévoyée ou détournée mais elle a pu aussi servir à justifier des interventions selon un principe de justice. Le motif d’humanité sert les causes des dominés et n’est pas seulement un prétexte à domination.

Les Droits de l’Homme

La Déclaration universelle des Droits de l’homme adopté par l’ONU en 1948 indique que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Elle définit la Liberté comme ce qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Elle garantit l’expression du pluralisme des opinions et donc la liberté de conscience. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme.

Pourtant les Droits de l’Homme sont accusés d’ethnocentrisme ou d’occidentalocentrisme. C’est un hommage bien immérité à « l’Occident » car il existe bien des initiatives antérieures en Asie et en Afrique qui intègrent les notions de respect de la vie humaine, de droit à la vie, les principes d’égalité, de liberté individuelle, de justice, d’équité et de solidarité. Les droits de l’homme n’imposent aucune conception occidentale du Bien et du Juste, mais définissent un ensemble d’exigences générales valable pour tout système juridique. Ils sont seulement une condition formelle, et à ce titre universelle, compatible avec le maximum de conceptions substantielles particulières du Bien et du Juste.

 Lors des « printemps arabes » face au despotisme, à l’arbitraire, à la corruption, les manifestants réclamaient les mêmes libertés fondamentales. Avec leurs mots ils ont exigé le respect de ce que « nos » Déclarations avaient nommé les droits naturels inaliénables et sacrés des individus ou la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains.

Des droits humains anthropocentrés

Une autre critique de l’universalité des droits humains est qu’ils sont anthropocentrés. Ils seraient l’expression de la domination des humains sur les non-humains. Il faudrait reconnaître de nouveaux sujets naturels de droit : les animaux, les plantes, les vivants en général, voire des forêts, des écosystèmes … La proclamation des droits humains institue une égalité des êtres humains. Étendre au-delà de l’humanité cette notion est peu pertinente. Les droits accordés à la nature peuvent entrer en contradiction avec les droits humains. Les animaux ne sont pas égaux entre eux et les droits accordés aux uns contrediraient ceux des autres.

Nous pouvons retenir la continuité fondamentale de la nature, des animaux et des humains mais en ne perdant pas la spécificité et la responsabilité humaines. L’être humain est un animal pas tout à fait comme les autres. Il dispose du langage et de la raison. Il fait partie de la nature, il est une partie d’un tout mais une partie qui a la particularité d’être responsable de la conservation de ce tout. Les êtres humains ont la spécificité d’assumer la responsabilité de préserver la nature et la vie. Mais au-delà de l’humanité la notion de droit subjectif n’est plus valable et se heurte à de nombreuses contradictions

Le différencialisme

En réaction contre l’imposture ethnocentriste, l’insistance sur la diversité des cultures peut conduire à nier tout type de référence universelle. La différence au nom de la culture, de l’histoire, de la communauté, de la singularité, de la liberté même est mise en avant pour rejeter l’universel. Le respect de la différence en devient presque un fétichisme. Il se transforme en revendication identitaire. Des groupements qui, au départ militent pour l’égalité des droits, font de leur différence une identité agressive qui se doit d’être reconnue comme entité fermée et versent ainsi dans le différencialisme. L’idéologie différentialiste affirme l’existence de différence essentielle entre les groupes humains puis les hiérarchise en conséquence. La négation de l’universel consiste à attribuer une dimension essentielle à des données particulières. Si la différence est un fait, ce qui est en jeu c’est de ne pas être discriminé du fait de sa différence. Les êtres humains comme individus sont singuliers. Ils possèdent certains traits particuliers mais l’espèce humaine est fondamentalement une. Comme êtres porteurs d’humanité ils sont universels. L’essentiel universalise, là où l’accidentel particularise. On croit invalider l’universel alors qu’on ne rejette que sa contrefaçon.

Le relativisme culturel

Le représentant des Lumières doit défendre le relativisme culturel qui s’inscrit dans une tradition humaniste. Le relativisme culturel est un puissant antidote à l’ethnocentrisme et le meilleur gage de reconnaissance de la variété humaine. Mais si toutes les valeurs sont culturellement variables cela ne veut pas dire que toutes les valeurs sont relatives à des cultures. La relativité culturelle n’est pas la relativité des cultures. Si les individus sont ce que fait d’eux leur culture, s’ils pensent nécessairement comme leur culture, ils ne peuvent jamais s’en libérer. Cette idée culturaliste empêche toute émancipation. Il faut admettre qu’il y a place dans toute société pour des voix individuelles porteuses d’un universel éthique. Les cultures, entités fermées et homogènes n’existent pas. L’ouverture d’une société est la valeur formelle qui permet l’existence en son sein de valeurs diverses. Ce qui ne signifie nullement qu’elles sont de même valeur ou qu’elles soient également vraies ou fausses. Toute société reconnaît à côté de normes socialement variables des normes morales socialement constantes relevant du respect dû à l’humanité comme telle, comme par exemple ne pas tuer, ne pas agresser, ne pas mentir, et plus généralement ne pas porter préjudice à autrui.

26 décembre 2020 

     – A suivre –

Références bibliographiques

Pour le titre j’ai imité une célèbre répartie de Louis Jouvet dans un vieux film dont je ne me souviens pas du nom : « bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre ! … »

Intéressé de longue date par l’universalisme j’ai souvent dialogué sur ce thème avec des amis qui se reconnaîtrons. Il y a quelques mois j’ai écouté à la radio un échange sur France Culture entre Francis Wolf et Chantal Delsol. Cela m’a donné l’idée d’écrire cet article qui est principalement inspiré par « le plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf mais aussi par d’autres écrits listés ci-dessous.

Monique Atlan et Roger-Pol Droit – « Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies » Flammarion – 2012

Chantal Delsol – « Le crépuscule de l’universel » Cerf – 2020

Henri Pena Ruiz – « Dictionnaire amoureux de la Laïcité » Plon – 2016

Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018

Francis Wolf – « Plaidoyer pour l’universel » Fayard – 2019

Charles Coutel dans revue Sisyphe n°2– article « Pour l’Europe des lumières et la république universelle »  novembre 2020

Mazarine Pingeot sur le site The conversation – article « de l’universalisme au différencialisme » du 7 octobre 2018

Améliorer la gouvernance mondiale, une nécessité

En ce premier quart de XXIème siècle, plus que jamais le monde est confronté à de multiples défis. Dérives financières, épuisement des ressources naturelles, dérèglement climatique, productivisme agricole, manipulations génétiques dangereuse pour notre alimentation, destruction de la biodiversité, rareté croissante de l’eau potable, développement des inégalités inter et intra nationales, menaces terroriste et nucléaire, pandémies virales, dérèglements politiques, … cette liste n’est hélas pas exhaustive. Il s’agit d’une conjonction de crises d’envergure mondiale.

Collegium international

Aucun État ne peut prétendre répondre seul à ces défis. Ce constat a été fait déjà en 2002 et a suscité la création d’une association intitulée Collegium international éthique, scientifique et politique. Cette association basée en France a été fondée par Milan Kucan, président de la Slovénie, Michel Rocard, ancien Premier ministre français, coprésidents, Stéphane Hessel, vice-président, et Sacha Golman, secrétaire-général. Parmi les membres nous pouvons citer entre autres Edgar Morin, Peter Sloterdijk, Jurgen Habermas, René Passet, Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Mireille Delmas-Marty.

Son objectif : « Prendre la mesure des dérèglements et des contradictions de notre monde, imaginer et proposer des orientations qui soient à la hauteur des périls qui menacent l’équilibre de la planète, rechercher un nouveau sens à donner aujourd’hui à l’aventure humaine, marquée par la mondialisation et l’Interdépendance de tous les pays, tous les peuples et de tous les êtres humains ».

Le Collegium s’appuie sur la diversité de ses membres, leur sagesse politique et leurs connaissances scientifiques, ainsi que leur expérience et leur intégrité. Par sa composition, réunissant aussi bien des hommes de pensée dans les domaines philosophique, scientifique et artistique, que des dirigeants politiques de grande responsabilité, le Collegium veut tenter de répondre pour les hommes et les femmes du XXI siècle aux trois questions essentielles, inspirées d’Emmanuel Kant :

  • Que voulons-nous faire de notre planète ?
  • Que voulons-nous faire de l’espèce humaine ?
  • Que voulons-nous faire de notre vie ?

Appel pour une gouvernance mondiale solidaire et responsable

Dès sa création le Collegium a lancé un Appel pour une gouvernance mondiale solidaire et responsable, aujourd’hui toujours d’actualité de mon point de vue.

Pour résumer cet appel :

Les crises que nous vivons sont fortement interconnectées et forment une seule « polycrise » menaçant ce monde d’une « polycatastrophe ». Aucun État ni aucune Institution Internationale n’est aujourd’hui en mesure de faire respecter un ordre mondial et d’imposer les indispensables régulations globales. L’inter-gouvernementalisme est un échec. Il faut repenser les principes juridiques internationaux et bâtir des mécanismes de prise de décisions planétaires dans l’intérêt de l’humanité. Le premier pas vers cette communauté mondiale est la reconnaissance universelle d’un principe nouveau qui résulte de l’interdépendance, l’intersolidarité planétaire. Principe qui devra préserver la diversité dans un esprit de tolérance et de pluralisme.

Trois mesures sont à prendre d’urgence : l’éradication effective des paradis fiscaux, la séparation des banques de dépôt et d’investissement spéculatif, la taxation des transactions financières.

Relancer des négociations fondamentales relatives

  • d’une part aux mesures de régulation et de contrôle d’une économie mondialisée tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques et
  • d’autre part pour la survie de la planète la sauvegarde de la biosphère, la suppression des armes de destruction massive et le contrôle de l’énergie nucléaire.

Selon le Collegium la mise en œuvre de cet Appel suppose :

  • de réaffirmer l’ensemble des droits fondamentaux des individus dans le respect de l’ordre public national et supranational ;
  • de reconnaître que la détention d’un pouvoir d’échelle globale implique le corollaire d’une responsabilité globale ;
  • d’inciter les États souverains à reconnaître la nécessité d’intégrer l’ordre public supranational à la défense des valeurs et des intérêts communs
  • de favoriser le développement des institutions représentatives des communautés internationales régionales, en même temps que de renforcer la communauté mondiale et l’émergence d’une citoyenneté globale.

Cet Appel invite à concevoir et construire ensemble une communauté mondiale de destin.

Plaidoyer pour une charte d’interdépendance

Depuis sa création, le Collegium a produit de nombreux travaux en rapport avec son objet. Il travaille notamment sur le concept d’interdépendance solidaire et responsable et son application à une gouvernance mondiale qui ne saurait être conçue sur le seul modèle étatique, mais englobe les acteurs supra-étatiques et trans-étatiques, publics (Collectivités territoriales et Organisations internationales) ou privés (Entreprises transnationales), et la société civile.

Les humains sont partie intégrante de l’écosystème constitué par la nature. Doués de raison et de conscience leur spécificité est d’assumer la préservation de la nature. La relation des humains avec les vivants non humains est asymétrique et sans réciprocité. C’est donc aux seuls humains qu’il revient de s’engager sur une véritable « Charte d’Interdépendance » proposant trois principes d’action : préserver les différences, promouvoir des solidarités, répartir les responsabilités.

Ainsi en décembre 2018, le Collegium International a entrepris la création d’une CHARTE D’INTERDEPENDANCE réalisée comme un Appel solennel aux Nations Unies et à son Secrétaire Général, qui a, d’ailleurs, fait part de son soutien à ce projet.

Comme le publie le Collegium, « Adaptée à notre Humanité à la fois unique et multiple, cette Charte n’oppose pas la diversité à l’unité, le différent au commun, le relatif à l’universel. Elle se sert du droit comme d’une boussole afin de rendre compatibles les différences et répartir les responsabilités de façon différenciée. C’est la condition d’une mondialité apaisée qui ne prétend garantir ni la Paix perpétuelle imaginée par Emanuel Kant, ni la Grande paix des Classiques chinois, mais plus modestement préparer le cheminement vers une paix toujours réinventée. »

Dépasser l’inter gouvernementalisme

L’Organisation des Nations unies (ONU) a été créée en 1945 par la Charte de San Francisco, à la fin de la seconde guerre mondiale, en remplacement de la Société des Nations. Elle est née de la volonté de 51 pays qui voulaient construire un monde de paix. Elle regroupe aujourd’hui 193 États. Selon sa Charte l’ONU est un lieu où se construit un avenir meilleur pour tous les êtres humains. Après des débuts prometteurs, notamment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en décembre 1948, et la création d’institutions spécialisées comme la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International, l’Organisation internationale du Travail, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, l’Organisation mondiale du commerce,… l’ONU a vu ses actions mises en échec par les grands pays occidentaux qui ont montré à chaque occasion peu d’empressement à partager le pouvoir.

Dans les années 80 la vision friedmanienne de l’économie inspirée par l’École de Chicago s’est imposée en quelques années. Toutes les règlementations par nature antiéconomiques selon la doxa néolibérale sont remises en cause. Les nouvelles règles du jeu définies sont simples et ne font l’objet d’aucune contestation : libéralisation généralisée des échanges, liberté totale de mouvement des capitaux, respect sans nuance du dogme de la concurrence, mise au pas des institutions internationales considérées incompétentes. Les multiples discussions dans un cadre onusien concernant la régulation des divers marchés furent bloquées sous la pression des gouvernements des grands pays occidentaux qui considéraient que les errements interventionnistes devaient prendre fin, seul le marché étant habilité à décider du bien et du mal. La marginalisation du système onusien a ainsi été programmée au nom de son immobilisme et de son irréalisme. Un cadre renouvelé de coopération internationale lui a été substitué, d’abord le G5, puis le G7/G8 élargi finalement aux leaders de pays émergents incontournables en devenant le G20.

Pour répondre aux problèmes mondiaux il faut des réponses mondiales. Des éléments de régulation internationale et quelques institutions agissent à l’échelle mondiale mais c’est loin d’être suffisant. Les intérêts nationaux prévalent encore en transformant chaque rencontre internationale en séance de marchandages. Comme l’a définie Stéphane Hessel, « la gouvernance mondiale c’est la capacité de s’élever au-delà des marchandages entre intérêts nationaux pour prendre des décisions politiques planétaires au nom de l’humanité. »

Pour le Collegium international les défis planétaires du XXIème siècle, le réchauffement climatique, la destruction de la biodiversité, les pandémies virales, les difficultés économiques et le développement des inégalités, remettent en question la notion de souveraineté étatique et son expression internationale : l’inter gouvernementalisme. La réforme en profondeur du seul embryon de gouvernance mondiale existant aujourd’hui, l’ONU, semble indispensable. Il reste la seule institution légitime malgré ses faiblesses pour établir un véritable dialogue et affronter les problèmes qui se posent au monde dans un cadre universel démocratique et rénové.

26 novembre 2020

Après

Constats 

L’individualisme et le chacun pour soi a connu son apogée au XXIème siècle. Le néo libéralisme, à la fois sa conséquence et son origine, a exacerbé les inégalités.

L’activité humaine débridée avec pour objectif la maximisation du profit à court terme est une réalité qui a pour effet l’augmentation de l’émission de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité.

La pandémie due au Covid 19 a mis en évidence que l’ensemble de l’humanité est sur un même bateau. Personne n’est à l’abri de la crise sanitaire même si tous ne sont pas atteints de la même façon ni au même moment ni avec la même intensité. Le néolibéralisme et la chasse aux dépenses publiques a affaibli les hôpitaux et donc la capacité de réaction à la crise sanitaire. Nous n’en sortirons qu’avec la mise au point de traitements efficaces et d’un vaccin. Cela rend indispensable une réaction coordonnée de tous les pays.

Au niveau international le repli sur soi de chaque pays est quasi général à part l’Europe qui après quelques difficultés semble se ressaisir.

Et après ?

L’humain n’est pas pensable isolément. La relation à l’autre est constitutive de l’humain. L’émancipation humaine ne peut être que collective dans le respect de chaque individu. Combattre l’individualisme et réduire les inégalités, cela fait partie de l’ADN de l’action pour l’épanouissement de l’humanité.

Nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète. Le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité représentent un danger que le développement des sciences et des techniques ne suffira pas à contenir. Le coup d’arrêt à l’activité économique dû à la pandémie nous montre que si la décroissance peut réduire le réchauffement climatique elle ne fait qu’aggraver les inégalités. Il nous faut trouver un chemin qui donne satisfaction sur ces deux objectifs. Il y a des choses qu’il faut réduire mais il y a des choses qu’il faut augmenter. L’économie doit être au service des hommes et pas l’inverse. Il nous faut développer tout ce qui concoure au développement de la vie et au bien-être des humains, des animaux et de la nature. Les humains font partie de la nature et ils ont la spécificité d’assumer la responsabilité de la préserver. 

La préservation de la nature et de toutes ses composantes doit être partie intégrante de notre action pour l’amélioration matérielle et sociale de l’humanité.

En démocratie le politique doit primer sur l’économique. Nous devons faire l’éloge de la régulation démocratique dans tous les domaines de l’activité humaine. Les institutions de gouvernance mondiales, si imparfaites soient-elles, doivent être soutenues notamment l’OMS qui doit nous permettre d’éradiquer la Covid 19 et éviter que la course au vaccin soit l’objet de spéculations financières sans égard pour la santé de toute l’humanité.

15 novembre 2020

Hommage à Samuel PATY

Une barbarie insupportable

Le 16 octobre 2020 un attentat islamiste d’une barbarie insupportable a été commis dans les rues de Conflans-Sainte-Honorine. Un professeur d’histoire-géographie a été décapité pour avoir illustré un cours sur la liberté d’expression en présentant aux élèves des caricatures publiées dans le journal Charlie Hebdo. La consternation et l’émotion sont immenses. Des manifestations d’hommage à cet enseignant et de soutien à sa famille et au monde enseignant sont organisées dans toute la France. Demain mercredi 21 octobre une cérémonie d’hommage national lui sera rendu dans la cour de la Sorbonne, monument symbolique de l’esprit des Lumières et du rayonnement culturel. Au-delà des réactions institutionnelles il est nécessaire que chaque citoyen individuellement et collectivement contribue à amplifier le travail des enseignants pour la promotion des principes de la République Française. C’est le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Samuel PATY. C’est ce que je vais m’attacher à faire dans cet article en reprenant l’essentiel du contenu d’un article écrit en avril 2019 et publié dans ce blog en mars 2020.

Une République indivisible, laïque, démocratique et sociale

En France la constitution de 1958 est le texte fondateur de la Ve République. Elle organise les pouvoirs publics, définit leur rôle et leurs relations. C’est la norme suprême du système juridique français. Les quatre premiers articles de la constitution contiennent l’essentiel des principes sur lesquels repose l’organisation de l’État en France.

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Elle respecte toutes les croyances. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les partis et groupements politiques contribuent à l’exercice de la démocratie. La loi garantit les expressions pluralistes des opinions.

La liberté

La constitution dans son préambule fait référence explicitement à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui indique que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Elle définit la Liberté comme ce qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté doit être très large mais elle n’est pas illimitée. Toute société qui n’organise pas les limites de la liberté dans le respect de chacun ne peut que mener à ce que certains soient plus libres que d’autres. Chaque citoyen est libre dans un cadre donné défini par la loi.

La loi garantit l’expression du pluralisme des opinions et donc la liberté de conscience.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi (article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen).

L’Égalité

L’article 1 de la constitution précise que la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Les hommes naissent égaux en droit. La République nourrit ses enfants et les instruit. L’histoire nous prouve que l’égalité des droits n’empêche pas les inégalités. Même si tous les gouvernants affirment orienter l’action de la puissance publique dans le sens d’une plus grande égalité entre les citoyens, nous voyons bien, notamment ces dernières années, que les inégalités s’accroissent. Les privilèges de la naissance ont été abolis sans complètement disparaitre et ont été remplacés par les privilèges de la richesse économique qui se répercutent sur le plan culturel, social et régional.

La Fraternité

La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies à Paris en 1948 parle de la notion de fraternité dans son article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

La devise républicaine invite, en vertu de l’unité du genre humain, de l’égalité entre les hommes, de l’égale dignité de l’homme et de la femme, du respect des droits de chacun, de l’humanisme, à considérer l’autre comme son frère. La fraternité républicaine n’est pas une fraternité de l’immédiateté, fusionnelle et sentimentale. C’est la constitution d’esprits libres décidés à défendre les droits de tous. Les sujets libres et égaux en droit sont frères parce qu’ils produisent la chose publique qui à son tour les unit. La fraternité est la condition d’un cadre commun qui permet l’émancipation de tous.

La Laïcité

C’est dans une période caractérisée par une majorité croissante de non croyants que nous assistons à un retour de la question religieuse dans tous les domaines de la vie sociale et civile. Les fondamentalistes de tout poil prétendent imposer leur vérité à l’ensemble de la société. L’article 2 de la constitution précise que : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.

La séparation des Églises et de l’État est la pierre angulaire de la laïcisation de la société.

La laïcité c’est la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est l’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions. C’est le primat de l’intérêt général, du bien commun à tous.

La laïcité est une règle de vie en société démocratique, un idéal d’émancipation. Elle permet à tous, croyants et athées, de vivre ensemble sans que les uns ou les autres soient stigmatisés en raison de leurs convictions particulières. L’État laïque incarne la promotion simultanée de la liberté de conscience et de l’égalité, de la culture émancipatrice et du choix sans entrave de l’éthique de vie personnelle.

La laïcité vise à développer en l’être humain l’esprit critique ainsi que le sens de la solidarité et de la fraternité. La laïcité vise dans ce contexte à donner les moyens à l’être humain d’acquérir une totale lucidité et une pleine responsabilité de ses pensées et de ses actes.

La liberté d’expression est le corollaire de la liberté de conscience. Elle est le droit et la possibilité matérielle de dire, d’écrire et de diffuser la pensée individuelle ou collective. Le refus du racisme et de la ségrégation sous toutes ses formes est inséparable de l’idéal laïque.

L’éthique laïque mène inévitablement à la justice sociale : égalité des droits et égalité des chances. L’éducation laïque, l’école, le droit à l’information, l’apprentissage de la critique sont les conditions de cette égalité.

L’école laïque

L’école laïque a pour tâche de réaliser cette émancipation. Elle doit tenir à distance la société civile et ses fausses urgences. La laïcité à l’école c’est le fait de refuser aux puissances de conditionnement d’entrer dans les classes, d’ouvrir à chaque esprit la chance de penser sans tutelle, sans emprises. L’acquisition de savoirs et l’élévation culturelle sont les instruments d’une émancipation individuelle et collective. L’émancipation par l’instruction doit être à la portée de tous c’est-à-dire gratuite, obligatoire, laïque, et la puissance publique doit en assurer la promotion partout et pour tous. L’école laïque fournit à la liberté de conscience le pouvoir de juger qui lui donne sa force.

L’enseignement public doit être affranchi de tout prosélytisme religieux ou idéologique. C’est un moyen de transmission du savoir mais c’est aussi le moyen de fabriquer une communauté nationale de citoyens.

Une réponse citoyenne à l’obscurantisme

La promotion de nos principes républicains, leur large diffusion, leur popularisation sont l’indispensable réponse citoyenne à l’obscurantisme liberticide et meurtrier. Elle complétera utilement la nécessaire fermeté de la puissance publique qui doit réaffirmer que la seule loi qui prévaut en France est la loi républicaine, votée par la représentation nationale. Jamais la loi de Dieu ou d’une toute autre croyance, brandie pour contester la règle républicaine, ne doit pouvoir s’imposer à la souveraineté nationale.

20 octobre 2020

Évaluation des réformes de la fiscalité du capital

France stratégie

France stratégie est un organisme créé par un décret du 22 avril 2013 qui a pris la suite du Commissariat général du Plan et du Centre d’analyse stratégique. Chargé d’expertise et d’analyse prospective sur les grands sujets sociaux et économiques il est placé auprès du Premier Ministre. Il formule notamment des recommandations au pouvoir exécutif et contribue à l’évaluation ex-post des politiques publiques.

Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital

Piloté par France stratégie, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital a été installé en décembre 2018 c’est-à-dire un an après la réforme de la fiscalité du Capital. Cette réforme remplaçait l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), instaurait un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus de l’épargne et programmait en complément sur toute la durée du quinquennat une baisse de l’impôt sur les sociétés (IS).

Dans un premier rapport publié en octobre 2019 le Comité avait fait un point sur la fiscalité du capital en France et son poids dans l’ensemble de la fiscalité. Il présentait le contenu précis de la réforme et rassemblait les enseignements à priori que l’on pouvait tirer d’une revue de la littérature économique théorique et empirique en la matière. Faute de disposer du recul temporaire suffisant le comité n’avait pu donner beaucoup d’éléments sur une évaluation ex-post. Il ne pouvait conclure sur l’efficacité des réformes en matière de fiscalité du capital.

Les riches plus riches

Ce 8 octobre 2020 le comité a publié un deuxième rapport qui indique de nouveau qu’une évaluation complète reste impossible mais qui fournit des informations plus précises.

Les dividendes sont concentrés sur un petit nombre de personnes. La suppression de l’ISF et l’instauration du PFU a eu pour effet de faire augmenter les revenus des 0,1% des français les plus riches. En 2018, 38000 personnes soit 0,1% des foyers fiscaux ont perçu les deux tiers des montants totaux alors qu’ils n’en recevaient que la moitié en 2017. Les ultra riches, 3800 personnes (0,01% des foyers fiscaux), en ont perçu le tiers alors qu’ils n’en recevaient qu’un cinquième. Les dividendes distribués ont augmenté de plus de 60% en 2018. Ils sont passés de 14,3 milliards d’euros en 2017 à 23,2 milliards en 2018 et la hausse se poursuit en 2019.

La réforme de 2018 avait aussi pour objectif d’endiguer l’exil fiscal. Le nombre de départs hors de France des contribuables aisés a baissé dès 2017 et le nombre de retours tend à augmenter mais cette évolution porte sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines à comparer avec les 130 000 contribuables assujettis à l’IFI en 2018.

Selon le rapport la forte hausse des dividendes en 2018 est en partie causée par la réforme du PFU. Reste à savoir ce que les français aisés ont fait et vont faire de cet argent. Selon la théorie des « premiers de cordée », ils devraient l’investir dans l’économie. C’est la théorie du ruissellement. Selon les tenants de la politique de l’offre, soutenir massivement les entreprises permet de doper finalement la croissance et l’emploi.

Impact sur l’économie

En conclusion, le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital se déclare incapable de répondre par oui ou par non à la question de savoir si la réforme de 2018 a eu un impact positif sur l’économie. La seule chose qui est certaine c’est que les plus aisés ont bénéficié d’une augmentation de leurs revenus et que les inégalités se sont accrues.

La crise de 2020, provoquée par la pandémie de covid-19, va avoir un impact important sur le financement de l’économie et sur les choix d’investissements des ménages. Cela rendra plus complexe l’évaluation à moyen terme des effets des réformes de 2018. Le montant des dividendes reçus par les ménages va probablement diminuer en 2020 sans qu’il y ait de lien entre cette chute et les réformes de 2018. Il est donc peu probable que le comité d’évaluation de la réforme puisse répondre avant longtemps sur les effets de cette réforme.

Une seule chose est sûre les inégalités s’aggravent, la pandémie ne fait que les augmenter et la réforme de la fiscalité du capital n’a pas eu à ce jour d’impact probant sur l’économie en matière d’investissements et d’emploi.

12 octobre 2020

Après les masques, les tests !

Le « n’importe quoi » des masques 

Les autorités sanitaires françaises ont commencé par nous expliquer que les masques n’étaient pas utiles. Dangereux à manipuler et mal utilisés ils pouvaient être contreproductifs. Et tout le monde y est allé de sa démonstration, responsables politiques comme responsables scientifiques mobilisés par le gouvernement, pour rendre crédibles ses déclarations.

En fait, voir notre article du 31 mars 2020 intitulé « pourquoi n’étions-nous pas prêts », la France n’avait pas renouvelé ses stocks et avait été coupable d’un manque de prévoyance évident d’autant que nous n’avions plus de capacité de production suffisante pour faire face aux besoins en cas de pandémie que certains spécialistes ne manquaient d’annoncer comme possible. Nous nous sommes donc trouvés sur les marchés internationaux pour nous approvisionner, en Chine notamment, en même temps que tous les autres pays partageant notre imprévision, hélas très nombreux puisque la réduction des dépenses publiques est le souci le plus partagé dans le monde.

Il eût mieux valu à l’époque dire que nos stocks permettaient tout juste de satisfaire les besoins prioritaires des soignants plutôt que de raconter n’importe quoi sur l’utilité du masque.

Puis soudainement, dès que l’approvisionnement a été suffisant, les masques sont devenus très utiles et même deviennent de plus en plus indispensables et dans certains cas obligatoires. Comment s’étonner dès lors du scepticisme de certains de nos compatriotes devant les déclarations de l’autorité publique ?

Les risques de contamination varient en fonction du type d’activité, du milieu et de la circulation de l’air. Le British Médical Journal a publié une étude sur le niveau de risque de transmission du virus par des porteurs asymptomatiques selon l’endroit où ils se trouvent, l’aération ou la densité humaine. Les milieux clos sont la source d’une majorité de contaminations, parce qu’ils sont souvent moins bien ventilés, avec une population plus dense que dans les espaces extérieurs. Plus il y a de personnes au même endroit, plus les postillons et micro gouttelettes expulsées par la bouche peuvent être inhalés par d’autres. Plus le niveau de bruit ambiant est élevé, plus les participants devront parler fort, et expulser plus de postillons pour se faire entendre. Le masque réduit efficacement la quantité de postillons émise dans l’air, son absence accroît les chances que d’éventuelles particules virales soient inhalées.

Une synthèse des travaux scientifiques publiée par l’Organisation mondiale de la santé estime que le risque de transmission du virus est cinq fois moindre à deux mètres qu’à un mètre.

Même scénario pour les tests

Nous avons assisté, à peu de chose près, au même scénario avec les tests. Pas utiles, non significatifs puis indispensables en corrélation avec nos stocks de tests.

Catherine Hill, épidémiologiste, ancienne chercheuse à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy, dans une tribune publiée dans « Le Monde » le 21 août 2020, explique que « pour contrôler l’épidémie, il faut chercher systématiquement les porteurs du virus en testant massivement la population, plutôt que cibler les « clusters » comme le font les autorités françaises ». En effet une personne contagieuse qui se déplace peut contaminer d’autres personnes ici où là, sans que ces contaminations correspondent à un foyer identifiable.

photo franceinfo

Après avoir énuméré les différents moyens qui s’offrent aux autorités pour suivre l’épidémie, Catherine Hill estime que le nombre de cas connus n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle en conclut « qu’à l’heure actuelle, les tests se font sans aucune stratégie identifiable : ils sont certes gratuits et sans ordonnance, mais les personnes les plus probablement positives ne sont pas particulièrement incitées à se faire dépister. Ce n’est pas ainsi que l’épidémie va être contrôlée. »

Les délais d’accès et de résultats des tests n’ont cessé de s’allonger et empêchent d’identifier à temps les personnes contaminées et de les isoler. Tester plus d’un million de personne c’est bien mais être incapable de donner les résultats rapidement diminue l’intérêt de ces tests. Il est indispensable de définir les personnes prioritaires de façon à désengorger les laboratoires.

Même si la critique est facile et l’art difficile, avec de telles performances il n’est pas étonnant que de nombreuses voix s’élèvent pour taxer les autorités publiques d’amateurisme.

Le 18 septembre 2020

Retour de la planification en France ?

Le Plan Monnet

C’est entre les deux guerres mondiales que l’idée de la planification a fait ses premiers pas en France sans qu’aucune réalisation n’ait pu se concrétiser. Le projet de faire un plan est apparu dans les propositions de la résistance intérieure et dans celle de la France libre à Londres. Il voit le jour en 1946 à l’initiative de Jean Monnet. A la libération le pays a besoin de se reconstruire et de se moderniser et Jean Monnet pense qu’il ne peut le faire par lui-même et que seuls les États Unis peuvent contribuer au redressement de la France. [1].

Jean Monnet

L’élaboration de ce plan fait l’objet de nombreuses négociations en interne avec les partis politiques, les syndicats et le patronat mais aussi au niveau international notamment avec les États-Unis. Ainsi les objectifs du plan sont précisés par secteurs et dans le temps et bénéficient d’une approbation globale. Le Plan Marshall participe à la réalisation du Plan Monnet en finançant une grande partie des investissements. Ce plan peut être interprété à la fois comme un moyen d’obtenir des crédits américains et comme un ensemble d’actions pour reconstruire et moderniser le pays.

Les objectifs de ce premier plan (1946-1952) consistent à faire redémarrer l’outil de production, satisfaire les besoins essentiels de la population, reconstituer les outillages et les équipements publics et privés endommagés ou détruits du fait de la guerre. Très sélectif, il est centré sur six secteurs de base : charbon, électricité, ciment, machinisme agricole, transport et acier. A cette époque le rôle de l’État dans l’économie est important et le plan bénéficiant d’une large approbation est bien exécuté ce qui met la France sur la voie du redressement.

Les plans suivants

Les plans suivants se succèdent environ tous les quatre ans avec plus ou moins de succès. Après être sortie d’une situation de pénurie la France connait une situation de relative abondance. L’approche est de plus en plus macro-économique. Dans une conjoncture de croissance mondiale le quatrième plan (1962-1965) s’articule autour d’une croissance forte, d’une progression des équipements collectifs et de corrections des inégalités sociales et régionales. Le sixième plan (1971-1975) sous la présidence Pompidou privilégie le développement industriel, l’amélioration des conditions de vie et un taux d’inflation faible. Dans un contexte de croissance mondiale très ralentie et devant les incertitudes de l’environnement international le septième plan (1976-1980) est réalisé dans un climat de mise en cause de la planification. Suite au changement de majorité en 1981, le huitième plan (1981-1985) n’est pas mis en application. Après l’échec de la relance par la consommation, le tournant de la rigueur, la décentralisation, l’entrée en vigueur du marché unique au niveau européen, la planification française va s’étioler pour laisser la place aux contrats de plan signés entre l’État et les Régions.

Une expérience originale

La planification française était indicative et incitative. Plusieurs éléments en font une expérience originale. La réussite du premier plan doit beaucoup au plan Marshall qui a assuré son financement. Le quatrième plan s’est réalisé dans un contexte exceptionnel de prospérité des finances publiques. La réussite du plan a reposé sur l’abondance du financement et sur un consensus des acteurs économiques, chefs d’entreprises, syndicats, partis politiques, intellectuels, milieux associatifs, etc… L’État s’appuyant sur les grandes entreprises publiques nationales et sur des hauts fonctionnaires servant de relais dans toute l’administration intervenait pour domestiquer le marché. Il se donnait des objectifs quantitatifs ou qualitatifs définis d’un commun accord entre les partenaires sociaux pour orienter les investissements dans les secteurs prioritaires.    

La mort du plan

L’entrée de la France dans la mondialisation et l’Europe de la concurrence sont à l’origine de la mort du plan. La conversion progressive des pays occidentaux dont la France au néolibéralisme et à une confiance aveugle au marché, l’exposition croissante aux aléas du commerce international et la nécessaire adaptation aux marchés ont rendu pratiquement impossible toute idée de programmation volontariste.

Un Plan Post-Covid

Aujourd’hui le gouvernement, pour faire face à la crise économique conséquente de la crise sanitaire, veut remettre la planification au cœur de son action. Le Conseil des Ministres du 3 septembre a désigné le président d’une des composantes de la majorité parlementaire à la tête du Haut-Commissariat au Plan et à la Prospective.

Le plan c’est l’instrument d’un volontarisme politique se traduisant en actes.  C’est construire une économie sur la base d’une vision prospective, de la définition de priorités d’investissements bâtis sur la concertation, d’un lieu de coconstruction de l’avenir où coopèrent les acteurs économiques. C’est opérer le tournant Post-Covid sur la base d’une vision partagée et d’une gouvernance où l’État regagne son influence dans les choix stratégiques des entreprises. Il s’agit donc de reconstituer une culture et restaurer une tutelle sur des entreprises financiarisées.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain ni en quelques mois d’autant qu’il faudra sans doute passer par des nationalisations si l’on veut répondre aux conséquence des crises sanitaire, économique et sociale, relocaliser certaines activités qui ont mis en évidence notre manque de souveraineté, réduire de manière suffisante les émissions de gaz à effet de serre et ses conséquences sur le climat, stopper l’industrialisation de l’agriculture et ses conséquences en matière de sécurité alimentaire et préserver la biodiversité.

Le plan s’il ne réunit pas les conditions de réussite des premiers plans énumérées ci-dessus risque de n’être qu’un dispositif parmi d’autres dans une liste de mesures constituant un catalogue qui restera une déclaration d’intention sans avenir.

9 septembre 2020


[1] Mioche Philippe. Le démarrage du Plan Monnet : comment une entreprise conjoncturelle est devenue une institution prestigieuse. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 31 N°3, Juillet-septembre 1984. pp. 398-416;

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1984_num_31_3_1281