Est-il si difficile de trouver 44 milliards d’économie budgétaire ?


Selon le gouvernement « tout le monde devra participer à l’effort » pour participer à son plan de désendettement de la France. En théorie tout le monde passera à la caisse. Mais dans les faits le fardeau sera-t-il réparti entre tous les citoyens en raison de leurs facultés comme l’indique l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? Pour apporter des éléments de réponse à cette question voyons d’abord quelle est la situation de départ.

Le sénat et les aides publiques aux entreprises

La commission d’enquête sénatoriale sur l’utilité des aides publiques aux entreprises a rendu son rapport, mardi 8 juillet 2025. Cette commission était présidée par un sénateur « les Républicains » (LR) et son rapporteur était un sénateur communiste (PCF). Elle poursuivait trois objectifs :

  • établir le coût des aides publiques aux entreprises,
  • déterminer si elles sont correctement contrôlées et évaluées,
  • réfléchir à leur conditionnalité.

Les sénateurs ont notamment auditionné sous serment une trentaine de représentants des plus grandes entreprises françaises, d’une dizaine de services de l’État et d’institutions publiques.

évaluation du montant des aides publiques

La première constatation a été que le ministère de l’économie et des finances a été dans l’incapacité technique de répondre à une question aussi simple que celle du montant des aides publiques reçues par les entreprises. La commission a donc décidé d’évaluer elle-même ce montant. Il est évalué à 211 milliards d’euros en 2023 en additionnant aides directes, allègements fiscaux, allègements de cotisations sociales mais en excluant les aides des collectivités territoriales et les aides européennes.

établir un tableau des aides publiques aux entreprises

Le rapport préconise un « choc de transparence » en proposant la création par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) d’un tableau des aides publiques aux entreprises en fonction de leur taille reprenant à côté du chiffre d’affaires, du bénéfice net, du montant des dividendes, de la masse salariale, le montant total des aides perçues et l’impôt payé, ainsi que les diverses taxes acquittées.

réduire le nombre et rationaliser

La commission d’enquête est aussi favorable à un « choc de rationalisation » en créant un guichet unique afin de donner de la visibilité et conditionner les aides dès leur création.  Aujourd’hui les aides sont distribuées sans aucune condition. L’équivalent d’environ 7% du Produit intérieur brut (PIB) s’évanouit dans la nature et personne ne sait vraiment où va l’argent. Il faudrait s’assurer de l’efficacité de ces aides. Ces dernières poursuivent en effet des objectifs de politique publique – encourager la recherche, l’emploi des moins qualifiés, etc. – mais les servent-elles vraiment ? Difficile de le dire sans une procédure d’évaluation. Il existe près de 2200 dispositifs distincts. Il faudrait commencer par diviser leur nombre par trois d’ici 2030.

responsabiliser les entreprises

Les sénateurs suggèrent enfin un « choc de responsabilisation des entreprises ». Il faudrait, selon eux, interdire les aides et imposer le remboursement de celles-ci aux entreprises condamnées de manière définitive pour une infraction grave (fraude fiscale, travail dissimulé). Une entreprise qui délocalise devrait également rembourser les aides perçues durant les deux années précédentes. Enfin le montant des aides publiques (hors exonération de cotisations) devrait être déduit des bénéfices distribuables en dividendes.  

Les conclusions de la commission ont été adoptées à l’unanimité en dépit des camps politiques différents de ses membres. Elles ouvrent la voie à une évolution salutaire et consensuelle.

Les inégalités s’envolent

Les dernières statistiques publiées par l’Institut national de la statistique publique (INSEE) montrent un accroissement record des écarts de richesse. Sont en cause, les effets de l’inflation et des politiques publiques anti-redistributives du gouvernement.

un taux de pauvreté au plus haut

La pauvreté en 2023 n’a jamais été aussi importante en France depuis qu’on la mesure de cette façon, c’est-à-dire depuis 1996. Le taux de pauvreté a culminé cette année-là à 15,4% soit un pourcent de plus que 2022. Jamais la pauvreté n’a progressé aussi vite d’une année sur l’autre, y compris entre 2020 et 2021, en pleine crise sanitaire, ou entre 2008 et 2009, dans l’œil du cyclone de la crise financière. En 2023, 9,8 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, à savoir 1 288 euros par mois pour une personne seule. C’est 650 000 personnes de plus qu’en 2022. Jamais le nombre de personnes pauvres n’avait été aussi élevé et jamais autant de personnes n’avaient basculé dans la pauvreté en un an. Et ces chiffres sont sous-estimés car les habitants des départements d’outre-mer, les ménages d’étudiants, les personnes sans domicile fixe ou encore ceux qui vivent en caravane ou en maison de retraite passent sous les radars. Ce qui veut dire qu’en 2023, le nombre total de pauvres est sans doute proche de 12 millions de personnes.

En 2023, les mesures exceptionnelles qui avaient été mises en place en 2022 pour protéger le pouvoir d’achat des ménages face à l’inflation n’ont pas été reconduites. Ce qui a tiré le taux de pauvreté à la hausse. Le taux de pauvreté des inactifs non retraités atteint 37,3 %. Les chômeurs ont vu leur durée d’indemnisation réduite de 25%, ils ont subi les effets de la réforme de l’assurance chômage entrée en vigueur le 1er février 2023. Leur taux de pauvreté augmente de 0,8 point et s’élève à 36,1%. Les familles monoparentales voient leur taux de pauvreté augmenter de 2,9 points, il est de 34,3%.

un français sur six en situation de pauvreté

Pour le Conseil national de lutte contre la pauvreté (CNLE) « un seuil d’alerte a été franchi. Nous ne sommes plus sur une stabilisation de la pauvreté à un niveau élevé, mais dans une dynamique de hausse ». Le collectif Alerte, qui rassemble 37 associations nationales de solidarité, constate que « le constat est dramatique et insupportable, avec près d’un français sur six en situation de pauvreté en 2023. »

les riches ne connaissent pas la crise

A l’inverse les riches ne connaissent pas la crise. Le niveau de vie plancher des 10 % les plus riches a augmenté de 2,1 %, et celui des 20 % les plus riches de 1,1 %, en euros constants. En 2023, les 20 % les plus modestes ont perçu 8,5 % de la somme des niveaux de vie et les 20 % les plus aisés 38,5 %, soit 4,5 fois plus. Si l’analyse porte sur l’évolution de ces indicateurs depuis 2017, le taux de pauvreté est passé en 6 ans de 13,7% de la population à 15,4% tandis que le niveau de vie plancher des 10% les plus riches s’est accru de 4,4%.

S’assurer que les plus fortunés ne se soustraient pas à l’impôt

A l’heure de la dérive des comptes publics et de l’explosion de l’extrême richesse sept prix Nobel d’économie, dans une tribune publiée dans « Le Monde », plaide pour la taxe ZUCMAN, c’est-à-dire pour la création d’un impôt plancher sur les patrimoines des milliardaires.

le taux d’imposition des plus fortunés est plus faible que le taux moyen

Les ultrariches ont des taux d’imposition plus faibles que ceux du contribuable moyen. Ils paient en France environ 0,1% de leur patrimoine en impôt individuel sur le revenu. En tenant compte de tous les autres prélèvements obligatoires et exprimés en pourcentage du revenu, leurs taux d’imposition sont plus bas que ceux des classes moyennes ou des cadres supérieurs.

Les grandes fortunes peuvent structurer leur patrimoine afin d’échapper à l’impôt sur le revenu notamment par la création de holdings familiales dans lesquelles les dividendes s’accumulent à l’abri du fisc. Cette situation est le produit de décisions humaines et de choix politiques.

plus de justice fiscale

Pour ces prix Nobel d’économie la proposition d’instaurer un impôt plancher pour les ultrariches, exprimé en pourcentage de leur patrimoine est efficace, car elle s’attaque à toutes les formes d’optimisation fiscale quelle qu’en soit la nature. Ce dispositif est nécessaire car il est difficile de demander des efforts à quelque catégorie sociale que ce soit avant de s’être assuré que les plus fortunés ne se soustraient pas à l’impôt.

En France, les députés ont voté, en février, en faveur de la création d’un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Ce dispositif permettrait de s’assurer que les ultrariches contribuent aux charges communes dans les mêmes proportions que les français moyens. Les milliardaires français sont particulièrement prospères, ils possèdent en patrimoine l’équivalent de 30% du Produit intérieur brut (PIB) hexagonal. Même si les sénateurs ont fait obstacle à cette avancée, ce projet va dans le sens de l’histoire.

faire face au risque d’exil fiscal

Pour faire face au risque d’exil fiscal évoqué par certains, le texte voté par l’Assemblée nationale prévoit que les contribuables continueraient à être soumis à l’impôt plancher durant cinq années après leur départ. Ce délai pourrait être étendu à dix ans pour réduire encore davantage les risques d’expatriation.

Conclusion

Nous voyons que les pistes ne manquent pas pour trouver les 44 milliards d’économie budgétaire prévus par le gouvernement. Cet article ne prétend pas avoir fait le tour de la question mais simplement montrer par quelques exemples que la situation est le résultat de la politique menée depuis plusieurs années. Cette politique est le fruit de choix idéologiques, présentée comme la seule possible pour faire face à la situation du pays. Il n’est pas possible de continuer à imposer un discours incontestable dans ses présupposés comme dans ses conséquences, imposant ses décisions dans tous les domaines de la vie économique et sociale, et dans le même temps prétendre agir dans l’intérêt général et pour le bien être du plus grand nombre. Cette lecture idéologique présentée comme une « vérité » ne pourra que conduire la France à reproduire les mêmes erreurs qui se traduiront par une austérité qui sera non seulement injuste socialement, mais aussi contre-productive économiquement avec le risque de ne pas parvenir à réduire le déficit public autant qu’escompté.


Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

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