Une situation paradoxale

Il est devenu banal de dire que le monde se transforme à très grande vitesse. Les bouleversements sont multiples à tous les niveaux. Les défis auxquels la planète se trouve confrontée sont d’ordre climatique, économique, politique, et technologique. Les problèmes sont universels et les réponses sont fragmentées. Aucun pays seul ne peut faire face à chacun de ces défis.

Le défi climatique

La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Nous constatons chaque jour que la biodiversité est compromise.

Les effets du changement climatique sont incontestables. Quels que soient les chiffres ou les courbes que l’on regarde, les indicateurs sont tous au rouge. L’année 2024 est la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale depuis le début des relevés.

Le dérèglement climatique est causé par la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion d’énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz. Les prévisions publiées par l’Organisation météorologique mondiale confirment qu’il est probable que la température moyenne annuelle du globe franchisse le seuil de 1,5°C de réchauffement, maximum fixé par l’accord de Paris.

La rupture de l’équilibre entre la planète et les humains qui l’habitent fait ressortir notre immense responsabilité mais crée aussi l’opportunité de redéfinir notre rapport à la terre. Force est de constater que ce défi n’est pas considéré comme une priorité au niveau de la planète.

Le défi économique et social

Dans les démocraties les inégalités culminent à des niveaux historiquement élevés. Les disparités de patrimoine sont plus fortes que celles de revenus. Les politiques néolibérales sont devenues culturellement dominantes et ont bouleversé le panorama des inégalités.

La promesse néolibérale de dynamisation de la croissance par la baisse de la fiscalité des plus riches n’a pas marché. La théorie du ruissellement n’a pas généré la prospérité pour tous. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées.

L’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Si les pouvoirs publics continuent de laisser le 1% de la population s’accaparer l’essentiel des richesses et mettre à contribution les classes moyennes et populaires, il laisse se développer une désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie. Cette réalité sévit à l’intérieur des pays comme entre les pays. L’écart entre les pays riches et les pays pauvres ne cesse de s’accroitre.

Le défi politique

L’affrontement « monde capitaliste » contre « monde socialiste » disparait progressivement et laisse la place à l’affrontement entre démocraties et autocraties. Les dirigeants chinois et russes ne cachent pas leur mépris du système démocratique qui est faible et incapable d’assumer des risques importants. Ils louent ensemble l’efficacité de leur système autocratique. Une bonne partie des pays émergents semblent de plus en plus se rallier à cette vision.

L’utilisation de l’arme nucléaire est aujourd’hui brandie comme possible. Depuis le début de l’offensive en Ukraine, le Président russe agite la menace nucléaire. Il a averti les pays qui s’opposeraient à son intervention qu’ils s’exposeraient à des conséquences « comme ils n’en ont jamais vu ».

L’Union Européenne doit prendre conscience qu’elle doit d’abord compter sur elle-même pour sa défense devant les orientations futures de la puissance américaine en direction de l’Asie. La guerre en Ukraine aide à cette prise de conscience qu’il n’est plus possible devant ce nouvel ordre du monde, s’il ne l’a jamais été, d’être uniquement dépendant des États-Unis.

Après la crise sanitaire et maintenant la guerre à ses portes qui ont mis en évidence les faiblesses de l’Union Européenne et ses dépendances stratégiques, la souveraineté européenne et son autonomie stratégique sont une priorité incontournable.

Le défi technologique

La confiance aveugle envers les sciences et les techniques est une erreur, la défiance systématique en est une autre. Ce n’est pas la technique qui est en soit bénéfique ou maléfique, mais les usages qu’on choisit d’en faire. Nous devons rester vigilants quant aux possibles dérives, aux possibles mauvais usages des découvertes scientifiques. Aidons le plus grand nombre à comprendre, à avoir accès aux connaissances, pour que chacun ait les moyens d’un jugement approprié.

L’idée que l’humain peut détruire le monde terrestre et ainsi se détruire lui-même émerge et pose le problème des limites de l’activité humaine et de sa responsabilité vis-à-vis de la nature. L’humain est une partie d’un tout qui a la particularité d’être responsable de la conservation de ce tout. Nous devons prendre conscience de nos limites et développer un humanisme différent, un humanisme de la diversité. Plus que jamais l’homme a besoin des principes éthiques des Lumières pour mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité et non l’inverse.

Le paradoxe

Nous devons affronter la contradiction entre l’universalité des problèmes et la fragmentation des réponses à apporter. L’envergure mondiale des différents défis auxquels nous sommes confrontés rend nécessaire, même si cela apparait complètement utopique, au moins une concertation de l’ensemble des pays de la planète.

Après l’élection confortable du président des États unis pour un deuxième mandat, la montée des extrêmes droites dans les démocraties, la guerre en Ukraine, le clivage entre les pays du Nord et du sud sur le climat, cette perspective de concertation semble s’éloigner. Nous risquons de voir le chaos s’installer.

La réforme en profondeur du seul embryon de gouvernance mondiale existant aujourd’hui, l’ONU, semble indispensable. Il reste la seule institution légitime malgré ses faiblesses pour établir un véritable dialogue et affronter les problèmes qui se posent au monde dans un cadre universel, démocratique et rénové.

Éviter le chaos

Devant la faible probabilité de voir l’ONU jouer son rôle au niveau de la gouvernance mondiale, deux économistes, Jean Pisani-Ferry et Georges Papaconstentinou dans un livre publié aux éditions du Seuil en fin 2024, « Nouvelles règles du jeu – Comment éviter le chaos planétaire », se sont essayés à faire des propositions pour faire face à ce paradoxe.

Ils examinent neuf champs de coopération internationale : le climat, la santé publique, le numérique, le commerce international, la stabilité financière, les migrations, la concurrence, la règlementation bancaire et la fiscalité. Selon eux, l’analyse permet de montrer ce qui marche et ce qui ne marche pas dans les organisations actuelles de coopération internationales. Tirer les leçons des échecs et des succès des différents mode de gouvernance leur permet d’aboutir à des prescriptions sur la façon d’organiser la coopération dans un monde non coopératif. Le monde a changé, il faut en tenir compte et adopter de nouvelles règles si l’on veut éviter le chaos. Ces nouvelles règles du jeu n’éviteront pas de laisser plus de place aux pays émergents et aux pays du sud, parties prenantes indispensables à la gestion des biens communs mondiaux.

La paix par la force

Ces propositions ont au moins l’intérêt de vouloir faire face à nos défis par la concertation entre les pays et l’engagement volontaire de chacun. Mais l’arrivée du nouveau président des États-Unis ne manque pas d’interroger. La politique annoncée de ce dernier ne semble pas laisser beaucoup de place à la concertation. La vision « América first » relève plus du racket et de la pratique de la mafia : non-respect des règles sauf celles imposées par les États Unis et si vous voulez être des alliés et être protégés, il faut payer. Un mélange confus d’isolationnisme et d’impérialisme où la transaction est le maître mot. Les déclarations à propos du changement climatique, de l’Ukraine, du Canal de Panama, du Canada et du Groenland sont édifiantes. C’est sans doute ce que certains appellent la paix par la force.

Quel avenir ?

Les États Unis et la Chine ne séparent pas intérêts économiques et intérêts géostratégiques. Les États-Unis ont adopté une approche fondée sur la sécurité nationale et identifie la Chine comme un rival géopolitique. La Chine affirme sa propre vision du monde et sa volonté de réécrire les règles conformément à ses intérêts. L’Union Européenne dans ce monde conflictuel est la seule puissance qui peut essayer d’influer sur l’ordre du monde dans un sens plus coopératif. En a-t-elle encore la capacité ?

Les européens, s’ils veulent éviter la vassalisation et vivre dans un monde façonné par d’autres, doivent faire de la souveraineté européenne et son autonomie stratégique une priorité incontournable. Ils doivent œuvrer à promouvoir la place des pays émergents et en développement dans le concert des nations. L’ordre mondial doit préférer la coopération à la force et la puissance. L’objectif est d’améliorer le sort de tous. L’humanisme universaliste issu de la philosophie des Lumières doit être la référence pour construire une humanité plus éclairée, moins inégalitaire, plus fraternelle en respectant la diversité humaine et en préservant la planète qui constitue notre cadre commun de vie.

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

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