Un gouvernement, pour faire quelle politique ?

Après des élections européennes, une dissolution de l’Assemblée Nationale, des élections législatives et deux mois de réflexion et d’hésitation nous voilà nantis d’un gouvernement. Mais nous pouvons légitimement nous interroger sur la politique qu’il va pouvoir mener.

Qui perd gagne ! 

Le résultat des élections européennes de juin 2024 est sans appel. Il marque un désaveu de la politique menée par le Président de la république et son gouvernement. Suscitant l’effroi de ses partisans, le Président a décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale pour provoquer une « clarification de la situation » avec l’espoir sans doute de sortir son camp de la majorité relative à l’assemblée. Le résultat est pire que mieux ! Nous nous retrouvons avec une majorité relative encore moins importante que la précédente puisqu’aucun des groupes politiques importants, le Nouveau Front Populaire (NFP), le groupe Ensemble Pour la République (EPR), l’extrême droite, ne dispose d’une majorité suffisante pour gouverner.

Un gouvernement minoritaire

Le président de la république, contrairement à la pratique constitutionnelle a refusé de nommer un premier ministre issu du NFP, groupe arrivé en tête, au prétexte qu’il sera l’objet d’une motion de censure à la première occasion comme annoncé par les autres groupes. Après avoir imposé une longue période de réflexion, il charge un nouveau premier ministre de mettre en place un gouvernement composé des perdants de la période électorale c’est-à-dire « Ensemble pour la République » et « Les Républicains ». A l’assemblée Nationale les élus susceptibles de soutenir ce gouvernement sont environ 230, donc loin d’atteindre la majorité qui nécessite 289 députés. Ce nouveau gouvernement dirigé par un homme issu des rangs « Les Républicains » est composé en majorité des soutiens du Président. Il est minoritaire mais bénéficie, pour l’immédiat, d’une neutralité de l’extrême droite qui ne souhaite pas le censurer tout de suite.

Une situation financière préoccupante

Mais un gouvernement pour faire quelle politique ? La sempiternelle rengaine de la dette publique est chantée sur tous les tons par tous les tenants du néolibéralisme, amplifiés par les médias. Il faut vite préparer les esprits à la mise en œuvre de l’austérité ! Il ne s’agit pas de nier l’évidence, la dette publique de plus de 3000 milliards est préoccupante mais ceux qui le crie le plus fort sont ceux qui l’ont généré pendant de nombreuses années. Les dernières données fournies par Bercy sont inquiétantes. Après un déficit de 5,5% du PIB en 2023, la tendance actuelle prévoit 5,6% cette année et 6,2% l’an prochain. Mais y-a-il trop de dépenses publiques en France ?

Le défi du déficit public

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la France a consacré pour ses dépenses publiques l’équivalent de 58,3% de son produit intérieur brut, assez loin devant l’Italie (56,7%), la Belgique (53,5%), l’Allemagne (52,5%) ou encore le Danemark (44,9%). Pour la droite c’est un triste record qui rend indispensable la mise au régime la puissance publique. Ce diagnostic mérite d’être pris avec précautions. En effet le ratio « dépenses publiques /produit intérieur brut » présente des défauts. Il suffit d’une baisse radicale du PIB pour faire grimper le ratio. De plus il fait dire à certains que l’État accapare plus de la moitié des richesses crées ce qui est factuellement faux. En fait l’État prélève 53,5% des richesses en 2022 et redistribue 58,3% sous forme directe en prestations sociales ou sous forme indirecte en services. C’est l’écart entre les deux qui représente le déficit public. L’utilisation de ce chiffre laisse penser que l’État dépense trop. En fait ces dépenses se partagent entre l’administration centrale, la sécurité sociale et les collectivités locales. C’est la protection sociale qui pèse le plus lourd. Enfin ce ratio compare des périmètres très variés. Par exemple les retraites en France sont très largement socialisées alors que dans d’autres pays elles sont davantage privées. Et ce n’est qu’un exemple, il y en a bien d’autres notamment dans le domaine social. Comparer des pays aux fonctionnements très différents c’est comparer des pommes et des poires.

Réduire les dépenses et/ou augmenter les recettes

En 2023 la France a bouclé son budget avec un déficit de 154 milliards d’euros. L’État en a été le principal responsable loin devant les collectivités locales. La sécurité sociale était en excédent. Donc pour réduire le déficit il faut tailler dans les dépenses publiques et /ou augmenter les recettes. Le déficit de 154 milliards d’euros représente la moitié du montant des retraites versé chaque année, c’est presque deux fois le budget de l’Éducation nationale, et presque quatre fois celui de la transition écologique. Il est toujours possible de gratter quelques milliards sur les chômeurs ou les futurs retraités comme cela a été fait ces dernières années, mais on voit bien que les besoins économiques et sociaux sont tels qu’il est illusoire de penser que la France peut retrouver une situation équilibrée budgétairement sans augmenter les recettes.

Des baisses d’impôts coûteuses

Sur la période 2017-2023, il y a eu d’importantes baisses d’impôts dont l’accumulation commence à coûter cher. Selon la Cour des comptes le manque à gagner annuel est de 62 milliards. Qui a bénéficié de ces cadeaux fiscaux ?

Les entreprises, au nom de la compétitivité, ont été particulièrement bien servies. Les impôts de production ont été réduits via différentes mesures. Ce sont principalement les grandes entreprises qui ont profité de ces réductions dont elles n’avaient pas forcément besoin. La facture est de 11,8 milliards d’euros par an. Le taux d’imposition sur les sociétés est passé de 33,3% en 2017 à 25% en 2022. Le manque à gagner annuel pour l’État est de 11,1 milliards d’euros. Selon l’Institut des politiques publiques (IPP) ces mesures ont profité aux entreprises de taille intermédiaire et aux grandes entreprises indépendamment de l’amélioration de leur productivité car le niveau de fiscalité n’est pas le déterminant principal de la compétitivité des entreprises.

Les ménages ont aussi bénéficié de baisses d’impôts. En 2018 un prélèvement forfaitaire unique, flat taxe, de 30% sur les revenus financiers a remplacé un barème progressif. Les très riches sont moins taxés qu’avant. L’impôt sur la fortune a été remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière, 3 milliards de manque à gagner. L’Institut des politiques publiques révèle que le niveau de vie du top O,1% de la population a augmenté de 2,1% du fait de la suppression de l’ISF et de 3,8% du fait de l’instauration de la flat taxe. La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales a profité là aussi aux français les plus aisés. L’impôt sur le revenu a été allégé en milieu de barème après la crise des gilets jaunes. Cela a permis une hausse du revenu disponible de 50% des ménages les plus aisés.

Dans l’ensemble, ce sont les entreprises, les classes moyennes et les plus riches qui ont profité des mesures fiscales mises en œuvre ces dernières années. Les choix budgétaires de ces dernières années ont rendu les impôts de plus en plus injustes.

Il faudrait plus de justice fiscale

L’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune immobilière et les droits de mutation sont des impôts progressifs. Ils sont en principe plus justes puisque le prélèvement s’accroit avec le revenu. A eux trois ils représentent moins de 10% du montant récolté par l’ensemble des prélèvements obligatoires. De plus ils sont grignotés par de nombreuses niches fiscales.


 

Les cotisations sociales, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la contribution sociale généralisée (CSG) sont des prélèvements proportionnels et pèsent bien plus lourd que l’impôt sur le revenu. Les cotisations sociales sont légèrement progressives sur les bas salaires et dégressives sur les plus hauts salaires. La TVA pèse proportionnellement davantage sur les revenus des ménages les moins favorisés puisqu’une plus large part de leurs revenus sont consommés. La CSG créée en 1990 pour financer la protection sociale est devenue l’un des principaux impôts en France aujourd’hui. Entre 2017 et 2023 les sommes récoltées par la TVA ont augmenté de 26%, celles de la CSG de 49%, celles de l’impôt sur le revenu de 21% alors que celles de l’impôt sur la fortune ont chuté de 55%. Globalement les impôts contribuent à augmenter les inégalités même si par ailleurs ils servent à financer les services publics et la protection sociale. Les recettes laissent à désirer mais les dépenses changent la donne. 500 milliards d’euros nets par an transitent via la redistribution, des ménages contributeurs nets vers les ménages bénéficiaires nets par le biais des prestations sociales, des retraites ou de l’accès aux services publics.

La protection sociale, responsable du déficit ?

Entre 2017 et 2023 le déficit s’est dégradé de 2,1 points de produit intérieur brut (PIB). Or les recettes de prélèvements obligatoires ont baissé d’à peu près autant sur la même période. Ce qui est dû en partie à des baisse de taux de prélèvement et en partie à des recettes plus faibles qu’attendu en raison de la conjoncture. Les prestations sociales et autres transferts ont, eux, diminué de 0,7 point de PIB, ce qui a contribué à réduire le déficit public.

Ce qui est à l’origine du creusement du déficit c’est la franche diminution des recettes fiscales depuis 2017. La stratégie du dernier gouvernement a consisté à baisser les prélèvements obligatoires, ce qui vide les caisses, en espérant, en retour, de la croissance, ce qui est censé remplir les caisses, et compléter cette politique par une baisse des dépenses publiques afin d’atteindre l’équilibre. Mais le résultat espéré n’est pas là. Le gouvernement sortant a créé les conditions d’apparition d’un déficit et dramatise pour pousser un agenda de réformes qui visent à baisser les dépenses publiques et voir la politique sociale comme une source d’économie pour redresser les finances publiques.


 Reste maintenant à savoir ce que va faire le nouveau gouvernement !