Armer l’Ukraine pour défendre la France et l’Europe

Ce mémorandum est le résultat du travail mené d’octobre 2023 à mars 2024 par un collectif de soutien à l’Ukraine, « More Arms 4 Ukraine, » et des experts des questions de défense. Il a pour objectif d’alerter l’opinion et d’engager avec les élus et les pouvoirs publics un dialogue sur la nécessité de fournir davantage d’armes à l’Ukraine, afin d’assurer la sécurité de notre pays et de l’Europe.
Le 31 janvier, un appel à nos concitoyens inspiré de ce mémorandum et signé par un collectif d’officiers supérieurs et de personnalités de la société civile a été publié dans Le Monde : Guerre en Ukraine : « Il nous faut augmenter considérablement la production et la livraison d’armes françaises ».

Un danger existentiel et une réponse encore inconséquente

L’agression russe : un défi et un danger pour la France et l’Europe
Depuis deux ans l’Ukraine fait face à une guerre d’agression menée par Vladimir Poutine, dont l’armée pratique à vaste échelle les viols, les tortures, les meurtres délibérés de civils et les déportations d’enfants.
Depuis deux ans, à la surprise du monde entier, l’Ukraine démocratique et son armée ont repoussé l’envahisseur et libéré de nombreuses villes et villages, malgré une infériorité numérique et matérielle.
La nature de cette guerre n’est pas territoriale, susceptible d’être durablement résolue par une cession de territoires, mais négationniste. La Russie nie l’existence d’une identité et d’une nation ukrainiennes pour incorporer son territoire, son peuple et ses ressources dans sa fédération. Ce sont les valeurs et les institutions démocratiques de l’Ukraine que la Russie veut détruire et la volonté du peuple ukrainien de faire partie de l’Europe qu’elle entend briser. C’est un défi qui est adressé à l’Europe et à la France.
Ce défi recèle un danger majeur. L’Europe démocratique est le voisin le plus proche de Moscou. Six pays, la Finlande, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Moldavie (dont une province sécessionniste la Transnistrie dispose de troupes Russes), ont une frontière avec la Fédération de Russie ou son satellite la Biélorussie, sans compter la Géorgie, candidate à l’adhésion à l’Union Européenne.

Une victoire totale ou partielle par un cessez-le-feu qui consacrerait le contrôle de la Russie sur le Donbass et la Crimée augmenterait significativement la menace russe sur les pays frontaliers. La Russie triomphante, une fois ses stocks d’armes reconstitués et accrus d’une panoplie d’armes nouvelles, serait en situation de reprendre son offensive contre Kyiv ou d’autres pays, Baltes, Finlande, Géorgie, Moldavie. Le risque d’un conflit de haute intensité impliquant inévitablement l’ensemble de l’Europe ne pourrait être exclu.
Même en l’absence d’une telle conflagration, l’Europe serait soumise aux assauts répétés d’une guerre hybride que la Fédération de Russie pratique déjà. Les piratages informatiques de nos centres vitaux, les perturbations de la vie démocratique, en usant des réseaux sociaux et en soutenant des candidats affidés à la Russie aux élections (comme en Serbie) sont les signes avant coureurs de l’offensive qui se déploierait pour disloquer l’Europe.
Chaque signe de faiblesse ou d’apaisement ne fait qu’allonger la guerre et les souffrances et ne conduit qu’à de nouvelles agressions.
Une paix durable, non seulement en Ukraine, mais en Europe, n’est réaliste qu’en reconnaissant le seul but de guerre qui la rend possible : une victoire décisive de l’Ukraine, assurant le départ des troupes russes hors de son territoire, dans le respect du droit international.
Les Ukrainiens, leur liberté est la nôtre, la formule utilisée par le Président Macron au lendemain du 24 février 2022 prend tout son sens, une fois compris l’enjeu géopolitique auquel l’Europe doit faire face.

Une aide militaire réelle mais tardive et insuffisante
Alors que le conflit va entrer dans sa troisième année, la France doit évaluer rigoureusement, la pertinence de la stratégie et des moyens mis en oeuvre. Les déclarations répétées « La Russie ne peut, ni ne doit gagner la guerre », « Nous serons avec l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra » et le 25 février « La défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe » témoignent d’une intention, mais les phrases, même justes, ne suffisent pas.
La stratégie européenne reposait d’abord sur les sanctions économiques qui devaient mettre l’économie russe à terre, réduire son approvisionnement en armes et ramener Poutine à la raison. Elles n’ont pas eu les effets escomptés, du fait de divers facteurs. Les partenariats militaires que la Russie a trouvés avec ses alliés totalitaires Iran et Corée du Nord, les accords commerciaux avec la Turquie, l’Inde et l’Afrique du Sud ont limité les dommages à son économie et assuré son approvisionnement en armes.

L’aide militaire fournie ou promise par les Etats-Unis, comme par l’Europe, a été trop hésitante et modeste pour exploiter les victoires de l’été 2022, trop tardive et limitée pour percer les défenses russes l’été dernier. Les atermoiements successifs sur les livraisons de chars, d’avions ou de moyens anti-aériens n’ont pas limité le conflit, ils l’ont fait durer et ont permis à l’armée russe de renforcer ses positions. Ils n’ont pas évité une escalade mais la rendent plus dangereuse comme l’ont montré l’écocide commis par l’explosion du barrage sur le Dniepr ou l’installation d’armes nucléaires balistiques russes plus à l’Ouest en Biélorussie.
Cet hiver la situation est aggravée et appelle une intervention urgente. Comment l’Ukraine peut-elle se défendre sans munitions ou presque ? Comment détruire les dizaines de drones et de missiles qui mettent les villes à feu, à froid et à sang sans une complète couverture anti-aérienne ? Comment repousser les assauts russes et mener une contre-offensive victorieuse sans une artillerie, des blindés et une aviation supérieure en nombre et en qualité ?
Or, l’aide militaire commence à faire défaut. Celle des États-Unis comme celle de l’Europe, freinée par ses méandres bureaucratiques et la lenteur de la mise en œuvre des investissements nécessaires, paralysée par les hésitations des chefs d’État et de gouvernements.

Les récentes déclarations du Président de la République et du Ministre de la Défense sont une inflexion bienvenue, mais insuffisante en regard des besoins requis par la défense et la libération de l’Ukraine.

Établir un Dispositif de solidarité industrielle et économique avec l’Ukraine

Si l’Ukraine est en péril, l’Europe l’est également. Aussi, une aide militaire de plus grande ampleur s‘impose et avec elle des mesures qui impliquent des priorités nouvelles et une organisation de l’économie adaptée.
Ces mesures constituent un ensemble cohérent sous la forme d’un Dispositif de solidarité industrielle et économique avec l’Ukraine afin d’agir au plus vite dans cinq directions complémentaires :

  • augmenter significativement la cession, la fabrication et les livraisons d’armes et de munitions ;
  • donner des garanties aux industriels de l’armement qui fournissent l’Ukraine ;
  • se doter, avec nos partenaires européens, d’un organisme de contrôle pour assurer un embargo
    strict sur l’exportation des technologies duales ;
  • encourager la mutualisation des outils de production, civils et militaires, au service de la défense ;
  • mobiliser de nouvelles ressources financières en faveur de l’aide à l’Ukraine.

Mesure n°1 : doubler le budget de l’aide militaire à l’Ukraine pour l’année 2024 et le porter à 0,25% de notre PIB pour 2025, afin d’assurer le financement des cessions et de la production des matériels à destination de l’Ukraine, ainsi que la formation de ses soldats.
Mesure n°2 : l’Ukraine n’est pas un client étranger comme les autres. Elle doit devenir prioritaire dans la production d’armes comme dans les livraisons parce que sa défense contribue à celle de notre pays.
Mesure n°3 : les entreprises françaises doivent, selon leurs investissements, obtenir une garantie de 5 à 10 ans sur le volume de leurs commandes au bénéfice de l’Ukraine ou de la
défense nationale.
Mesure n°4 : un pool bancaire avec présence de l’État doit être créé, pour assurer les crédits aux PME et start-ups du secteur de la défense, particulièrement à celles qui doivent répondre à des commandes en provenance directe d’Ukraine.
Mesure n°5 : aucun établissement bancaire ne doit pouvoir opposer une charte d’éthique aux demandes de financement des entreprises ou des associations pour l’Ukraine.
Mesure n°6 : un emprunt national sera lancé ainsi qu’un livret d’épargne réglementé d’aide à l’Ukraine, sur le mode du Livret de Développement Durable, qui sera proposé à nos concitoyens afin de contribuer à financer l’augmentation des investissements des entreprises de la BITD. Ce livret permettra à nos concitoyens de s’impliquer dans le soutien à la démocratie ukrainienne.
Mesure n°7 : un organisme européen doit être créé avec nos partenaires européens afin de contrôler les exportations de technologies duales (c’est-à-dire à usage civil et militaire) et
une revue de celles-ci doit être organisée au plus vite afin de mettre totalement fin aux ventes à la Russie et ses alliés de biens, équipements et technologies duales.

Ce mémorandum est diffusé par l’association « Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! – association loi 1901 » – les illustrations sont de la responsabilité de l’auteur du blog.

https://www.pourlukraine.com/