La France est une démocratie, les dirigeants sont élus et il existe des contre-pouvoirs. Mais son histoire montre qu’elle s’est structurée autour d’un pouvoir fort. Le régime de la cinquième république s’inscrit dans ce mouvement. L’actualité nationale et le contexte international incite à réfléchir sur les menaces qui pèsent sur la République.
Une démocratie libérale autoritaire
Selon Pascal Ory de l’académie française (« Ce cher et vieux pays » tract Gallimard, 2023), le destin politique français peut s’éclairer à partir de l’histoire, la centralité et l’unité. Le pays s’est structuré autour d’un pouvoir monarchique fort, un État sophistiqué et le choix du catholicisme préféré à la Réforme. La Révolution française puis l’Empire napoléonien seront l’œuvre d’esprits unitaires. Ensuite la IIIème République fabrique des générations inspirées par la philosophie des Lumières. La culture politique dominante de la nation française sera celle de la laïcité conduisant à la construction en parallèle de deux cultures en miroir, celle des catholiques et celle des laïques. Son unité tiendra dans l’agencement de ses divisions sur le mode de la bipolarité.
Tous les pays frontaliers de la France sont aujourd’hui régis par un régime parlementaire qui est consécutif à l’échec de violentes expériences autoritaires. Le destin politique français est contre-cyclique. La Vème République instaure un régime populaire sur fondement plébiscitaire, synonyme d’autorité. Depuis 1958 les institutions tablent sur le maintien d’un exécutif fort avec des lois électorales qui empêchent mécaniquement toute coalition entre les deux ailes modérées du paysage politique. La France est la seule démocratie libérale qui dote d’aussi larges pouvoirs un chef de l’État élu au suffrage universel. Depuis soixante-cinq ans la France est à contre-courant de la tendance générale de son époque. Depuis trois-quarts de siècle l’hyper-présidentialisation produit une série continue d’aventures personnelles où les logiques partisanes sont secondes. Cette analyse conduit à qualifier la France de démocratie libérale autoritaire.
L’actualité confirme le destin politique français
Le chef de l’État en exercice a promu la figure « jupitérienne » de la fonction présidentielle. Le gouvernement qu’il a nommé n’a jamais été aussi éloigné de donner la preuve « qu’il détermine et conduit la politique de la nation » tel que prévu par l’article 20 de la constitution.
Le président de la République et son gouvernement estiment que le taux trop élevé des prélèvements obligatoires est un handicap pour l’économie française. Un axe de sa politique est de baisser les impôts. A cette fin il est nécessaire de diminuer les dépenses publiques et en particulier les dépenses sociales. Il œuvre pour affaiblir le rôle des partenaires sociaux et réduire le pouvoir des salariés qu’il sait être favorables à une politique de redistribution. Il développe une politique libérale favorable aux premiers de cordée avec la conviction que cela finira par profiter au plus grand nombre. Cette politique nourrit les inégalités, met l’État au service des riches et des entreprises et alimente le populisme nationaliste (voir l’éditorial de Christian Chavagneux dans le n°442 d’Alternatives Économiques daté de janvier 2024).
L’état de droit piétiné
Paul Cassia, professeur de droit public à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne, dans un article publié dans le journal « Le Monde » daté du 23 décembre 2023, estime que « l’exécutif piétine consciemment un état de droit qu’il est plus que jamais nécessaire de défendre. » L’adoption au forceps de deux réformes majeures au parlement, retraites et immigration, sans débats dignes de ce nom entre les représentants de la souveraineté nationale et même sans vote pour la modification du système des retraites. Les modalités de leur adoption illustrent de manière caricaturale le primat autoritaire de l’exécutif, en réalité du seul président de la République, sur les autres pouvoirs constitutionnels, le Parlement et la Justice. « Lorsque le Conseil constitutionnel censurera certaines dispositions de la loi sur l’immigration, ce sera le haro sur le « gouvernement des juges ». C’est ainsi que le populisme s’autoalimente. »
La remise en cause des principes fondamentaux de la République
Parallèlement à ce qui se passe au sommet de l’État, l’époque est de plus en plus marquée par la remise en cause des principes fondamentaux de la République résumés dans le triptyque républicain, Liberté, Égalité, Fraternité, auquel nous pouvons joindre la laïcité qui en est un complément indispensable. Des professeurs de nos écoles, Samuel Paty et Dominique Bernard, ont été assassinés parce qu’ils consacraient leur vie à instruire nos enfants et à leur transmettre les valeurs de notre République pour en faire des citoyens responsables, instruits et libres de leurs choix philosophique, politique et social. C’est à cette tâche que veulent s’opposer les tenants de l’obscurantisme qui privilégient la croyance à la raison. Ils manifestent ainsi leur volonté de détruire les fondements mêmes de notre République.
Les actes antisémites et anti musulmans se multiplient. Les comportements racistes deviennent quotidiens dans le pays. La guerre est aux portes de l’Europe qui pensait en avoir fini avec ce type de conflit sur son territoire. « Plus jamais ça » avait-on dit ! Les massacres de civils en Israël et la riposte de l’État Hébreu à Gaza créent de nouvelles tensions en France où certains voudraient y importer les violences consécutives à ces affrontements.
Résister pour défendre la République
Tous ces évènements dramatiques ne peuvent qu’inciter les républicains et les démocrates à la résistance.
Résister en contribuant à endiguer les phénomènes d’intolérance, de discrimination, de xénophobie, d’antisémitisme et de racisme,
Résister en manifestant l’attachement à l’humanisme c’est-à-dire à l’unité du genre humain et à l’égalité des droits,
Résister en combattant l’ignorance et le fanatisme,
Résister aux périls identitaires par la promotion de l’universalisme dans le respect de la diversité et le refus de tout communautarisme.
Résister à la dérive autoritaire au sommet de l’État qui ouvre la voie au national-populisme.
En un mot résister pour défendre la République indivisible, laïque, démocratique et sociale prévue par notre constitution qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de couleur de peau, de religion, de culture, de fortune ou de sexe.