Le Néolibéralisme, ça marche ?

Lors d’une discussion entre amis je développais ma critique du néolibéralisme, théorie politique complète. En réaction à mes propos un des participants me dit droit dans les yeux : « moi je suis néolibéral et j’espère que je peux continuer à prétendre être qualifié d’humaniste !  Je suis néolibéral parce que ça marche ! Tu confonds néolibéralisme et ultralibéralisme ? ». Je lui ai conseillé de lire Milton FRIEDMAN ou Friedrich HAYEK. Ne souhaitant pas transformer le désaccord en polémique nous sommes passés à autre chose. C’est cet évènement qui m’a conduit à écrire cet article. Qu’est-ce que le libéralisme, l’ultralibéralisme, le néolibéralisme ? Est-ce que ces doctrines politiques influencent nos gouvernants ? Est-ce que ça marche ? Et pour qui ?

Le libéralisme classique 

Le libéralisme est un projet de société élaboré pendant la seconde moitié du XVIIIème siècle, siècle des Lumières, au Royaume Uni, en France, aux États Unis et en Allemagne. C’est un projet de société qui prône un espace de liberté beaucoup plus étendu que celui qui avait été pratiqué dans le passé. Ce projet a eu, et continue à avoir une grande influence sur les idées que beaucoup de dirigeants politiques se font sur l’organisation de la société.

Au-delà de cette revendication de « plus de liberté », les libéraux classiques avaient, entre eux, des divergences sur beaucoup de questions : le rôle de l’État, l’enseignement public, l’économie, la croissance des richesses, l’esclavage, les corvées, la torture etc… Le plus souvent le libéralisme est considéré comme une doctrine excluant toute intervention de l’État dont l’interférence est néfaste. Cette considération est simpliste et erronée. Même une lecture rapide des libéraux classiques (Adam Smith, Turgot, Jefferson, Condorcet, John Stuart Mill…) montre qu’ils proposent un grand nombre d’interventions de l’État. A titre d’exemples, Turgot nomma une commission des meilleurs scientifiques de l’époque pour élaborer un projet de système intégré de communications fluviales et routières. Condorcet en France et Jefferson en Virginie ont été les inspirateurs du système d’enseignement public. Jefferson a fait adopter par le Congrès la mise en place de la Poste Fédérale.

 Les libéraux classiques n’étaient pas des partisans de la non-intervention de l’État, ils approuvaient certaines interventions et en désapprouvaient d’autres. De même ils n’étaient pas favorables à n’importe quelle liberté. Leur but était de comprendre et d’expliquer comment fonctionne l’esprit humain et la société afin de les améliorer. Les lois et les institutions humaines sont évalués en fonction de leurs effets sur la communauté. Le critère suprême utilisé est le bonheur qui en résulte pour la société. L’idée générale est assez simple, dans de nombreux domaines de l’activité humaine la liberté conduit mieux au bonheur de la communauté que la contrainte. Le devoir de l’État est de se doter des institutions nécessaires au respect de la justice (l’armée, la police, les juges, les tribunaux, les prisons mais aussi l’éducation du peuple et l’aide aux plus démunis).

Dans le domaine économique ce qui est le plus important pour le bien-être du peuple c’est quand la société progressivement acquière plus de richesses et que la grande masse du peuple est plus heureuse et vit plus confortablement. Dans son livre « La Richesse des Nations » en 1776, Adam Smith, que l’on peut considérer comme le fondateur du libéralisme classique, aborde une grande diversité de questions historiques et philosophiques mais son but principal est de chercher les institutions et la politique économique qui conduisent un pays le plus surement à la richesse. Il ne voit pas du tout la « main invisible » à l’œuvre partout comme cela est souvent écrit mais se prononce souvent en faveur de la règlementation et de l’intervention de l’État en matière de taux d’intérêt, de santé publique, d’instruction publique, de navigation, etc… L’exercice de la liberté de quelques individus, lorsqu’elle peut compromettre la sureté de toute la société, est et doit être restreint par les lois quel que soit le gouvernement, le plus libre comme le plus despotique. Smith pense la société comme un système auto-organisé englobant l’économique et le social. La « main invisible » n’est que le mécanisme par lequel l’ordre social ainsi que l’ordre économique émergent spontanément. L’effort de chaque homme pour améliorer sa condition contribue à la satisfaction de l’intérêt général. Le travail est l’élément commun à toutes les activités économiques. Ce que chaque chose coûte réellement c’est le travail et la peine que l’on doit s’imposer pour l’acquérir. Le marché joue le rôle de régulateur central par le prix pour adapter l’offre et la demande. Un des droits les plus importants du libéralisme économique est le droit de propriété, condition nécessaire à l’existence paisible et ordonnée de la société.

L’ultra-libéralisme

Les ultra-libéraux se distinguent d’abord des libéraux classiques par l’hostilité qu’ils manifestent à l’égard toute intervention de l’État destinée à résoudre un problème économique et social. Ils sont partisans d’un État faisant le strict minimum.  Selon eux le libéralisme est la doctrine qui considère la liberté au-dessus de tout autre but social. On ne doit jamais limiter une liberté afin de promouvoir un autre but comme le bien-être par exemple. Les ultra-libéraux du XIXème siècle estimaient que l’État devait se cantonner au devoir de justice et ne pas intervenir dans le domaine social. De plus ils définissaient ce devoir de justice de manière restrictive en le limitant aux tâches sécuritaires. L’aide de l’État aux plus démunis, l’action publique en faveur de la santé et de l’hygiène, des arts et des sciences sont non seulement inutiles mais nocives car elles aggravent le mal qu’elles sont censées guérir. L’analyse des ultra-libéraux consiste à souligner les effets pervers secondaires que produit l’aide publique aux pauvres. Il faut donc supprimer toute aide publique, même modique.

L’ultra-libéralisme considère que toute mesure prise par l’État pour résoudre un problème économique ou social produit plus d’effets nocifs que d’effets utiles. Le fonctionnement de la société est harmonieux spontanément et n’a pas besoin d’être réglementée. Les libéraux classiques pensaient que l’intérêt personnel coïncide souvent mais pas nécessairement avec l’intérêt collectif et donc dans ce cas l’État doit intervenir avec des interdictions ou des encouragements. Au contraire pour les ultra-libéraux les deux intérêts coïncident automatiquement. Les ultra-libéraux aiment à interpréter la phrase de Smith sur la « main invisible » comme une profession de foi pour le laisser-faire total.

Les évolutions après le XVIIIème siècle

Ces deux approches du libéralisme datent de la deuxième partie du XVIIIème siècle et ont accompagné le développement de l’économie. Depuis la situation économique et sociale a beaucoup changé. Les actions régulatrices de l’État ont prouvé leur utilité. Dans pratiquement tous les pays développés la presque totalité de l’enseignement est dispensé par des fonctionnaires rémunérés par l’État. Dans le domaine de la santé publique des progrès considérables ont été effectués. L’apparition de nouveaux produits comme l’électricité, le gaz, l’eau au robinet, le transport par chemin de fer etc… et leur distribution ont amené les pouvoirs publics à intervenir pour retirer ces activités du domaine de la libre entreprise afin d’éviter la formation de monopoles ou au moins les soumettre à une réglementation plus ou moins détaillée.

La conception libérale de la société est que l’économie lorsqu’elle est livrée aux seuls intérêts individuels fonctionne d’une manière satisfaisante et tend vers l’équilibre et le plein emploi. L’histoire de nos démocraties modernes montre à l’évidence que le développement économique ne mène pas spontanément à l’équilibre et au plein emploi. Sont apparues d’autres théories politiques et économiques apportant des réponses différentes de celles du libéralisme pour l’organisation de la société. Ce n’est pas l’objet de cet article de les exposer.

Le Néolibéralisme, aujourd’hui

Après le redéploiement économique d’inspiration Keynésienne de l’après-guerre, le monde va être confronté au ralentissement du développement, à l’accroissement de l’inflation et du retour du chômage. Les politiques de relance économique, fondées sur l’utilisation du budget public, vont être abandonnées sous le feu des critiques d’économistes comme Friedrich Hayek et Milton Friedman.

Friedrich Hayek

Hayek (1899-1992) estime que  ces politiques keynésiennes de relance économique , produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et augmentation du chômage. Friedman (1912-2006) initia une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent de front à celle de Keynes. Il remet en cause le bienfondé des politiques de relance qui, pour lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il faut lutter. Ses idées se diffusèrent progressivement et devinrent populaires parmi les milieux politiques dans les années 1980, influençant profondément les mouvements conservateurs américains. Ses idées économiques sur le monétarisme, la fiscalité, les privatisations et la dérèglementation ont inspiré les politiques économiques de nombreux gouvernements à travers le monde, notamment ceux des États Unis, de Grande Bretagne, du Chili de Pinochet , ou du Canada.

Milton Friedman

Le néolibéralisme est un ensemble d’idées que l’on retrouve dans le consensus de Washington, initié par la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) et le département du Trésor Américain. A partir des années 1980, la crise de la dette dans les pays du tiers monde va donner à ces institutions l’occasion d’imposer les remèdes libéraux les plus rigoureux en leur imposant de sacrifier les investissements les plus indispensables à leur développement (éducation, santé, infrastructures etc…) afin de dégager les excédents budgétaires pour assumer le service de leur dette.  En Europe, le discours néolibéral a gagné tous les gouvernements. Réduction du déficit budgétaire et politique d’austérité deviennent la règle. Quand les régimes communistes de l’Est se sont effondrés vers la fin des années 1980 ils ont laissé la place sans transition aux formes les plus extrêmes du capitalisme néolibéral. La Chine aussi est passée du socialisme à un socialisme de marché combinant la propriété collective des moyens de production et la régulation marchande. La pensée néolibérale a eu réponse à tout. C’est le « There is no Alternative » de Madame Thatcher.

Margaret Thatcher

Les prophètes du néo-libéralisme de « l’école de Chicago » étaient convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien-être collectif. Ils promettaient l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême. L’État doit se limiter aux fonctions régaliennes. Le mode de production capitaliste est progressivement étendu à la quasi-totalité des activités humaines. L’augmentation de la fiscalité est un obstacle au dynamisme économique. La théorie du ruissellement doit générer la prospérité pour tous.

Le développement de l’Union Européenne, la division sociale du travail dans une économie globalisée, la nouvelle révolution industrielle, la société numérisée, l’évolution des rapports de production, la menace du réchauffement climatique, le recul de la biodiversité et les changements de meurs et de mentalité ont entrainé une mutation de la société.

La libre circulation et la concentration des capitaux dans le monde, la globalisation et la financiarisation de l’économie ont pour moteur la fructification des patrimoines financiers. L’appareil productif n’est plus fait pour mettre en valeur des territoires, produire des richesses et créer du bien-être dans la société, mais pour l’accroissement du capital financier. Les inégalités s’aggravent considérablement aussi bien à l’intérieur des nations qu’à l’échelle du monde.

La prise de conscience progressive de la menace que fait peser le réchauffement climatique sur la planète et la crise sanitaire mondiale provoquée par la Covid 19, ont peut-être laissé espérer un changement de cap face à l’hégémonie du néolibéralisme. Mais cela ne semble pas en prendre le chemin et tout semble reprendre « Après » comme si rien ne s’était passé. La philosophie néolibérale des politiques publiques reste la toile de fond de leur action.

Face à ce triste tableau, peut-on affirmer que « le néolibéralisme ça marche ! » Peut-être, mais cela dépend pour qui. En tout cas, pas pour le plus grand nombre. L’ambition d’atteindre le bien-être de l’humanité devra attendre.

Références bibliographiques :

Francisco Vergara – « Les fondements philosophiques du libéralisme » Éditions La Découverte 1992

René Passet – « Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire » LLL 2010

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

Une réflexion sur « Le Néolibéralisme, ça marche ? »

  1. La recherche du profit maximal ruine les services essentiels et les biens communs; mais ce terme dit il encore quelque chose à nos néolibéraux.
    Les hôpitaux et la santé souffrent de cette approche de la société, qui a encore, hélas de beaux jours devant elle.

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