Difficile de faire mieux pour favoriser le populisme

Il est difficile de faire mieux que le gouvernement pour favoriser la dynamique du vote en faveur de l’extrême droite populiste. La réforme des retraites, son contenu et la manière de l’imposer, le mépris manifesté à l’égard de l’opinion publique et le passage en force au Parlement sont les manifestations d’une attitude qui est le plus sûr moyen d’organiser un boulevard aux partis populistes de droite aux prochaines élections.

Les lendemains politiques de cette « réforme »

« La Grande Conversation », site internet du cercle de réflexion « Terra Nova », a publié le 15 mars une note de Bruno Palier (Directeur de recherches du CNRS au centre d’études européennes de sciences po) et Paulus Wagner (Doctorant en sciences politique au centre d’études européennes de sciences po). Dans cette note les auteurs estiment qu’imposer cette réforme des retraites contre l’opinion des français et malgré l’importance des mobilisations va faire perdre de nombreuses voix aux partis l’ayant soutenue (majorité présidentielle et Les Républicains), et en faire gagner à leurs opposants, et plus particulièrement au RN.

Selon eux cette réforme concentre les mécanismes nourrissant le ressentiment social qui alimente lui-même les partis populistes de droite radicale. Elle touche les classes moyennes peu qualifiées. Elle impose de travailler plus longtemps aux personnes qui supportent de moins en moins la dégradation des conditions et des relations au travail. L’impact de cette réforme a fait l’objet de la part du gouvernement d’une présentation erronée voire mensongère. Enfin le gouvernement cherche à faire passer cette réforme malgré des sondages d’opinion très défavorables et des mobilisations massives, en utilisant toutes les procédures de réduction du débat parlementaire.

Les perdants du projet de « réforme »

Michäel ZEMMOUR, Maître de conférences en économie à l’université Paris Panthéon Sorbonne, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP Sciences Po), a souligné que parmi les plus impactés, on trouve les travailleurs en situation de pénibilité reconnue. Les estimations produites par les administrations des ministères sociaux (DARES et DREES) montrent que « la réforme des retraites augmenterait le nombre d’allocataires de minima sociaux (RSA et ASS)et le nombre de personnes au chômage indemnisé. De nombreuses études montrent que les femmes seront plus fortement touchées que les hommes, notamment parce que le report de l’âge de départ sera plus important pour elles. Le minimum de pension à 1200 € annoncé sur un mode particulièrement trompeur ne concernera finalement qu’une partie des retraités touchant des petites pensions.

Des mesures indispensables ?

Selon le gouvernement cette « réforme » est indispensable. Elle se justifie par le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie. Le report de l’âge légal de départ à la retraite est pour lui le seul moyen de sauver le système de retraite par répartition. Mais ce report n’est pas le seul moyen de faire face au manque de financement des retraites qui s’avère être bien moins alarmant que le prétend l’exécutif. Mais le gouvernement refuse de rechercher d’autres moyens de financer les retraites.

Comme je l’indiquais dans un article précédent daté du 6 mars, l’adoption à marche forcée d’un texte aussi controversé constitue un manquement à la démocratie. Lorsque la légitimité électorale est en conflit avec la légitimité sociale il est indispensable de tenir compte de la complémentarité entre les différentes légitimités démocratiques.

Alors pourquoi cet entêtement?

Difficile de répondre à cette interrogation ! Nous avons peut-être un élément de réponse dans la déclaration du Président de la République rapportée par Les échos et le Figaro. Pour justifier son choix d’utiliser l’article 49.3 de la constitution le chef de l’État aurait tenu devant le conseil des ministres les propos suivants : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. »

En dernier ressort ne reste plus que la justification du « risque financier ». Renoncer à la réforme des retraites risquerait de fâcher les marchés financiers, les rentiers de la dette publique et les agences de notation. Quel argument de mauvaise foi ! Ce que la non réforme couterait au budget en 2023 qui se chiffre en centaines de millions est dérisoire par rapport aux baisses d’impôts consenties aux entreprises sans aucune contrepartie qui se chiffrent en milliards. S’il y a risque financier, il est plutôt dans l’application de la politique économique du gouvernement.

Mais aussi quel message politique inquiétant ! Il existerait une volonté plus forte que l’opinion publique, plus forte même que la démocratie parlementaire, les marchés financiers. Il n’est donc pas nécessaire de manifester ni de voter, la loi des créanciers est au-dessus de tous. C’est le dernier argument de l’Elysée qui est révoltant car il nie la démocratie. C’est un argument de plus qui vient s’ajouter aux précédents ci-dessus pour alimenter les partis populistes de la droite radicale.

L’avenir

Pour préparer l’avenir il ne faut pas faire une réforme purement budgétaire. Michaël Zemmour, économiste spécialiste des retraites déjà cité, estime que sans financement supplémentaire, la retraite sera non seulement plus tardive mais le niveau de vie des retraités des générations nées dans les années 2000 risque d’être inférieur à ce qu’il est aujourd’hui.  Il est,  selon lui, possible d’enrayer ce phénomène encore lointain, mais, il faut pour cela se donner dès maintenant des objectifs, non seulement d’âge mais également de  niveau de vie des retraités, et ajuster, très progressivement, les ressources du système.

Réformer le système des retraites?

Selon le Petit Robert la réforme c’est un changement profond apporté dans la forme d’une institution afin de l’améliorer, d’en obtenir de meilleurs résultats. Depuis plusieurs décennies les gouvernements français successifs s’essaient avec plus ou moins de succès à modifier le système des retraites. L’objectif annoncé est toujours le même : il faut sauver notre système de retraites par répartition si l’on ne veut pas qu’il court à la faillite. A chaque fois, il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier par manque de résultat jugés satisfaisants. Aujourd’hui le gouvernement annonce le même objectif. Pour tous ces projets successifs une seule constante, les mesures proposées sont toutes aussi impopulaires et ne répondent pas, semble-t-il, à ce que l’on peut nommer proprement une réforme.

Le projet du gouvernement

Le cœur du projet est le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans et la prolongation progressive du nombre de trimestres de cotisations pour avoir droit à une pension à taux plein. Pour pouvoir obtenir une majorité au Parlement ces mesures sont accompagnées de différentes dispositions complémentaires visant à atténuer la brutalité de cette soi-disant « réforme ». Je ne rentrerai pas dans les détails techniques qui sont relativement compliqués et que l’on peut trouver dans la presse.

Le système actuel est-il en danger ?

Selon Michael ZEMMOUR (ne pas confondre avec l’autre !), Maître de conférences en économie à l’université Paris Panthéon Sorbonne, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP Sciences Po), « Peut-être que la meilleure des réformes des retraites en France, c’était la création du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) en 2000 par Lionel JOSPIN ». Ses travaux fournissent une base d’information et de diagnostic, à la fois technique et scientifique, partagée et publiquement accessible.

Les partisans des mesures gouvernementales comme les opposants citent le COR pour argumenter leurs positions. Le 19 janvier le président du COR est auditionné par la commission des finances de l’assemblée nationale sur les perspectives d’évolution du système de retraites. En présentant le rapport annuel du COR publié en septembre 2022, le président déclare devant les députés que les dépenses de retraite ne dérapent pas et qu’elles sont « globalement stabilisées et même, à très long terme, diminuent dans trois hypothèses sur quatre », résumant le document du COR, long de 349 pages. Trois semaines plus tard, le 14 février, devant la commission des finances des sénateurs cette fois, le président de COR n’a pas dévié de sa position, répétant qu’il n’y a pas de dérapage des dépenses de retraites.

Le report de l’âge légal est-il la seule option ?

Selon le gouvernement cette « réforme » est indispensable. Elle se justifie par le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie. Comme il y a de moins en moins d’actifs et de plus en plus de retraités, le bon sens impose de modifier notre système de retraites si l’on veut éviter son effondrement.

Pour sauver le système par répartition faut-il impérativement reporter l’âge légal de départ à la retraite ? Plusieurs paramètres interviennent dans ce système : la durée de cotisation, l’âge légal de départ, le montant de la cotisation, le montant des pensions, la baisse du chômage, le travail des femmes, l’emploi des séniors etc… Le gouvernement refuse de rechercher d’autres moyens de financer les retraites.

Dans son étude d’impact, le gouvernement écrit qu’une hausse des cotisations serait nuisible à l’emploi, au pouvoir d’achat et à la compétitivité, et qu’une baisse des pensions serait difficilement acceptable.A l’inverse, un report de l’âge augmenterait le taux d’emploi et la production. Mais il n’étaye pas ses arguments par une évaluation de l’impact de chacune de ces options sur la croissance. Selon certains spécialistes les arguments du gouvernement cherchent à faire passer des reculs pour des avancées. Les régimes spéciaux, les femmes, les carrières longues, la pénibilité du travail et de manière générale tous les salariés peu qualifiés semblent être les perdants de cette réforme.

Comparaison n’est pas raison

L’autre argument avancé par les partisans des mesures de modification de notre système de retraite est la comparaison avec les autres pays européens. C’est une absurdité car la réalité en matière sociale dans l’Union Européenne est la diversité et pas la convergence. Pour Jean-Claude Barbier, sociologue émérite au CNRS et au Centre d’économie de l’université Paris-I Panthéon Sorbonne, comparer c’est comprendre à chaque fois le système politique, culturel et économique qui préside à l’organisation de la protection sociale du pays dont on parle. Faut-il d’adopter le système allemand de retraites, qui fait bien plus de pauvres vieillissants dans ce pays que chez nous, ou le système britannique et ses retraites d’entreprise en crise relative, ou l’absence d’une pension décente pour les personnes peu qualifiées. Au Danemark, la protection sociale est très fortement financée par des impôts, alors qu’en France la part des cotisations dans le financement de la protection sociale reste élevée (près de 60 %).  L’Espagne préfère augmenter les cotisations plutôt que réduire les dépenses.

La France n’a jamais adopté le même système que la plupart des autres pays : un système par répartition qui s’impose pour le premier « pilier », c’est-à-dire la retraite de base, et le second, la retraite complémentaire. Si on avait suivi les recommandations de la Banque mondiale et de la Commission européenne, nous n’aurions plus de retraite complémentaire par répartition mais un système par capitalisation.

Les français rejettent cette « réforme »

L’ensemble des organisations syndicales sont opposées à cette réforme. Elles la jugent brutale et injuste. Selon les enquêtes d’opinion seul un tiers de la population est favorable au texte du gouvernement. C’est « un soutien très faible dans l’absolu surtout pour une réforme aussi emblématique » selon Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’Ifop, estime cette adhésion molle dans la mesure où « les gens se disant tout à fait favorables ne dépassent jamais les 10% des personnes interrogées ». L’analyse de la structure du soutien montre que ce soutien vient surtout de ceux qui sont peu concernés par la réforme, les catégories aisées et les retraités, très peu les classes populaires.

Cette réforme est-elle légitime ?

Le président de la république affirme que son projet, qui a été présenté pendant la campagne présidentielle, a été validé par sa victoire électorale. Cette légitimité du point de vue de la légalité est incontestable explique Pierre Rosanvallon, historien et sociologue, professeur honoraire au Collège de France interrogé par Anne Chemin pour « Le Monde ». Mais il précise que du point de vue social voire morale, ceux qui critiquent le projet de retraites du gouvernement estiment simplement que son projet n’est pas conforme à l’intérêt général, parce qu’il ne répond pas à une exigence de justice ou de solidarité.

A côté de la légitimité électorale il y a la légitimité syndicale inscrite dans la loi depuis 1945. Cette légitimité est aussi fondée sur le fait social que les syndicats, lors du débat sur les retraites, ont été reconnus par l’opinion comme de bons interprètes de la réalité du monde du travail. La position unitaire des syndicats et la participation très importante aux manifestations de rejet de ce projet de réforme renforce cette légitimité.

L’adoption à marche forcée d’un texte aussi controversé constitue un manquement à la démocratie. Lorsque la légitimité électorale est en conflit avec la légitimité sociale il est indispensable de tenir compte de la complémentarité entre les différentes légitimités démocratiques.

Si le gouvernement ne disposant pas d’une majorité à l’assemblée nationale s’entête à imposer sa réforme avec l’appui de la droite sénatoriale ou sans vote du Parlement, il risque de voir se développer dans le pays une rancœur tenace qui se manifestera probablement lors des prochaines élections par une nouvelle augmentation des abstentionnistes et /ou par un vote en direction des extrêmes.