Il est difficile de parler de la guerre en Ukraine sans aborder quelques aspects de l’histoire de cette région. Nous pouvons trouver dans cette histoire les racines du conflit qui aujourd’hui bouleverse l’équilibre du monde.
La Rus’ de Kiev
La Russie est le plus grand pays du monde au moins par sa superficie. Pendant toute son histoire il s’est étendu dans toutes les directions. Nous pouvons situer son point de départ au IXème siècle autour de la ville de Kiev et d’autres villes composées de comptoirs commerciaux le long du Dniepr et sur la route de la Volga fondés par des Vikings et peuplées par des slaves. Ces villes sont tenues par des princes d’une même dynastie venus de Scandinavie et sont très prospères. La Russie et l’Ukraine se réfèrent au même mythe fondateur : la Rus’ de Kiev. C’est une principauté gouvernée par les Riourikides du nom de leur chef Riourik. Au XIème siècle cette principauté s’étend jusqu’aux Carpates à l’ouest, à la mer Baltique au nord, à la Volga à l’est, et à la mer Noire au sud. En 1240 Kiev va être rasée lors des invasions turco-mongoles et restera tiraillée entre les influences turques, lituaniennes et polonaises.
Naissance de l’empire russe
La principauté de Moscou, marginale au départ, prend le pas sur les autres villes. Progressivement le Grand-Duché de Moscou réussit à instaurer une unification à partir du milieu du XVIIème siècle et impose sa domination aux principautés cosaques de la région du Dniepr. La Rus’ de Kiev est un élément central de l’imaginaire russe. A la suite du Grand-Duché de Moscou, en 1721, l’empire russe qui lui succède établit sa capitale à Saint- Pétersbourg. Les territoires situés sur son flanc sud-ouest autour du Dniepr sont désignés comme la Petite Russie (Malorossia). L’Ukraine n’a pas d’existence propre. Cette vision de l’histoire russe est héritée de la période tsariste durant laquelle l’empire russe se déploie dans toutes les directions : Sibérie, accès à la Baltique, Ukraine, Pologne, Asie centrale et démultiplie son territoire sous le règne de grands conquérants Pierre le Grand, Catherine II, Alexandre premier, Nicolas premier et Nicolas II.
Naissance du nationalisme ukrainien
Une autre vision affirme au contraire qu’il existe dans la région du Dniepr un peuple ukrainien ayant une identité singulière et dont l’histoire ne saurait se confondre avec celle de la Grande Russie. Le territoire qui correspond à celui de l’Ukraine actuelle se partage entre l’Empire austro-hongrois à l’ouest et la Russie des tsars. Cette division accentue la disparité entre l’Ouest pro-européen perméable aux Lumières, et l’Est slavophile, où règnent le servage et l’autocratie. C’est surtout dans l’ouest autour de la ville qui s’appelle Lviv aujourd’hui que naissent les premiers mouvements nationalistes ukrainiens, dénoncés par la propagande tsariste comme inféodés aux puissances européennes. Ces mouvements affirment que les ukrainiens sont les seuls à pouvoir se présenter comme les descendants de la Rus’ médiévale.
Guerre civile dans l’empire russe
En mars 1917, deux jours après l’abdication de Nicolas II, dans la foulée de la création de la Douma, assemblée nationale russe, se crée la rada, assemblée nationale ukrainienne. La République populaire d’Ukraine est proclamée et se définit comme un État indépendant libre et souverain, ne dépendant d’aucun autre. A peine proclamée cette république se trouve contestée d’abord par la République socialiste soviétique d’Ukraine créée par les bolcheviks à Kharkiv puis par la République d’Ukraine Occidentale proclamée en novembre 1918. La première guerre mondiale vient alors de s’achever et les nouveaux États nés sur les décombres des Empires allemand, austro-hongrois et ottoman se partagent les dépouilles. Le territoire de l’Ukraine actuelle devient le théâtre d’une guerre civile. Aux luttes entre « rouges » et « blancs » s’ajoutent une série de pogroms contre les juifs et une famine qui fait près de 700 000 morts. Une seule entité politique survit : la République Socialiste Soviétique d’Ukraine qui adhère en 1922 à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Déjà à l’époque une éphémère République du Donetsk créée par des bolcheviks est intégrée à l’Ukraine sur l’injonction du Comité central du parti bolchevik alors qu’elle ne voulait pas s’intégrer à l’Ukraine. Selon l’historienne Hanna Perekhoda, chercheuse à l’université de Lausanne, le parti bolchevik, dans la perspective d’une révolution mondiale, considérait l’Ukraine comme un foyer de diffusion du mouvement révolutionnaire en direction de l’Europe occidentale. De plus le contrôle de l’Ukraine et de ses ressources en charbon et en blé sont essentiels pour la survie du régime que les bolcheviks mettent en place.
Développement de l’URSS
En remportant la guerre civile en Russie, les révolutionnaires réussissent en quatre ans à former une immense URSS. En 1929 l’URSS met en œuvre le premier plan quinquennal qui implique la collectivisation des terres, la mise en place des kolkhozes et l’expropriation des propriétaires terriens, les koulaks. Cette politique provoque un climat de révolte dans les campagnes, particulièrement en Ukraine. Dans la perspective de coller aux objectifs du plan, Staline intensifie les réquisitions de grains à compter de 1931. En Ukraine la famine est terrible et on estime de 3 à 4 millions le nombre de victimes. C’est ce que les ukrainiens appellent l’holodomore. Le souvenir de cette tragédie a continué durant toute la période soviétique. Après 1945 les vainqueurs de la seconde guerre mondiale se partage les territoires qu’ils ont libérés. L’URSS parvient ainsi à s’agglomérer les « pays frères » de l’Europe de l’est. Sa zone d’influence se trouve encore une fois agrandie.
Implosion de l’Union Soviétique
Mais les pays de l’Est, les pays Baltes, le Caucase, l’Asie centrale, la Biélorussie, l’Ukraine organisent une succession de sécessions et provoquent une implosion de l’Union Soviétique. Le 7 décembre 1991, les présidents de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie actent que l’Union des républiques socialistes soviétiques a cessé d’exister.
Suite à la dislocation de l’URSS, à la faveur de l’indépendance de l’Ukraine en 1991, se sont construits deux discours de plus en plus inconciliables qui ont finis par se traduire par l’invasion de la Crimée par l’armée russe et l’annexion de la péninsule et l’organisation de révoltes pro-russes dans le Donbass. Après un cessez-le-feu à Minsk en 2014, les négociations entre la Russie et pro-russes ukrainiens du sud d’une part et l’Ukraine d’autre part, sous les hospices de la France et de l’Allemagne ne donnant pas satisfaction aux parties, la Russie décide d’envahir l’Ukraine le 24 février 2022.
Depuis sa naissance la Russie est en expansion constante de son territoire. L’empire russe n’a pas de frontière. Les mouvements de population et les déportations sont courants. Quel que soit la nature du régime, l’État russe est un État impérialiste et colonisateur. L’empire tsariste assurait sa grandeur et sa domination. L’URSS assurait son rôle dans la révolution mondiale.
Cette longue histoire débouche sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie au mépris de toute règle internationale, sans parler de la manière dont se déroule cette guerre qui ne donne pas son nom.
L’expansionnisme russe est lié à l’autoritarisme qui a toujours caractérisé ses dirigeants.
L’exemple vaut également pour la Chine sans oublier toutes les théocraties. Le mépris des règles de savoir-vivre international a été érigé en dogme intouchable.