Cette année le monde a basculé. Les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) confortés par les évènements climatiques ont amené progressivement une grande partie des pays de la planète à parler de la nécessité d’une transition écologique. La guerre en Ukraine et la volonté de s’affranchir du pétrole et du gaz russe a provoqué une crise énergétique et une crise alimentaire qui a pour conséquence la relance de l’inflation et la menace de crises sociales. Mais n’est-on pas déjà en retard et ne faut-il pas plutôt parler de transformation écologique ?
Au-delà de certaines limites …
Déjà en 1972 le Club de Rome publiait le rapport Meadows qui appelait le monde à prendre conscience des atteintes infligées à la nature : surexploitation de certaines ressources, dégradation de l’atmosphère des villes, de fleuves, de côtes suite aux naufrages répétés de plusieurs pétroliers géants.
En 1985 il se vérifie que les chlorofluorocarbones attaquent l’ozone stratosphérique. La question des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et de leur impact sur la température de la planète se trouve confirmée en 1989 par les études de la NASA.
Les grandes fonctions régulatrices du milieu naturel se trouvent menacées :
- Filtration du rayonnement ultraviolet d’origine solaire sans laquelle la vie n’aurait pu se diversifier et s’étendre ;
- Régulation thermique maintenant la planète dans des limites de températures compatibles avec la pérennité de la vie ;
- Diversité des formes indispensables à la stabilité du vivant.
La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.
La nature tend à tirer de l’énergie solaire le maximum de biomasse. La biomasse est la matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme une source d’énergie. Elle peut être valorisée de manière thermique, chimique ou biochimique. L’écosystème tend naturellement à optimiser ses stocks, niveau qui correspond à la quantité la plus importante de biomasse qu’il peut porter compte tenu de la quantité d’énergie solaire qu’il reçoit.
Les rythmes d’exploitation des ressources naturelles par les hommes ne respectent pas les temps des cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes.
Nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète. Le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité représente un danger que le développement des sciences et des techniques ne suffira pas à contenir.
Le programme des Nations unis pour l’environnement
Les travaux du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), précisent la nature des problèmes et les perspectives qui en découlent pour l’humanité. L’eau est menacée quantitativement et qualitativement. La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La hausse moyenne des températures mondiales est estimée à 0,7°C pour le siècle passé et 1,8°C pour le siècle en cours alors que certains scientifiques pensent qu’une hausse de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels est un seuil au-delà duquel la menace des dégâts majeurs et irréversibles devient plus plausible. Et les inégalités ne cessent de s’accroitre entre les pays riches et les pays pauvres et à l’intérieur de chaque pays entre les plus riches et les plus pauvres.
La crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie sont interdépendantes. Elles n’incluent pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité et la faim mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale, à la hausse de la consommation des riches et au désespoir des pauvres.
La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale : les délégués sont parvenus à un projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C.
A mesure des réunions des COP de plus en plus de pays prennent des engagements conformes à l’accord de Paris mais peu parviennent à les respecter. La communauté internationale a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) dans son rapport annuel publié le 27 octobre 2022 nous indique que, même si les États respectaient leurs engagements, la planète est sur une trajectoire de réchauffement de 2,5°C à la fin du siècle. Et si rien ne change, l’élévation de la température pourrait même atteindre 2,8°C en 2100. La baisse des émissions de gaz à effet de serre est en augmentation en 2021, la baisse de 2020 liée à la pandémie n’aura été qu’une parenthèse.
La directrice exécutive du PNUE estime que « Le temps des changements progressifs est révolu. Désormais, seule une transformation radicale de nos économies et de nos sociétés peut nous sauver de l’accélération de la catastrophe climatique ». Elle ajoute que « Réformer l’économie mondiale et réduire de près de moitié les émissions de gaz à effet de serre en huit ans est un défi de taille, voire impossible selon certains, mais nous devons essayer » (citée par Audrey Garric -Le Monde du 28 octobre 2022).
Une transformation radicale
Les enjeux de la crise climatique sont considérables. Pour y faire face il est indispensable de :
- Se mobiliser à tous les niveaux (international, européen, national, local et bien sûr, individuel) pour sortir de la dépendance à l’énergie fossile.
- Préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
- S’adapter au réchauffement climatique et à ses conséquences.
- Anticiper et aider les pays les plus pauvres qui sont les plus exposés à mieux s’y préparer car même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique.
Les tensions mondiales qui se sont multipliées ont accentué et bouleversé des équilibres fragiles dans de nombreux pays. Le monde est entré dans une ère d’incertitudes, mêlant le dérèglement climatique, des transformations de l’énergie et des matériaux laissant présager des bouleversements sociétaux peut-être aussi importants que le passage des sociétés agricoles aux sociétés industrielles.
Le réchauffement climatique, l’extinction de la biodiversité, l’appauvrissement des sols, l’épuisement des ressources minérale obligent à agir simultanément sur tous les fronts. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre il faut développer de façon massive les énergies renouvelables, s’appuyer sur le nucléaire pour assurer la transition, éviter si possible de recourir au charbon ou au gaz de schiste et continuer les recherches pour trouver des solutions alternatives.
Tous les secteurs de la vie économiques vont devoir se transformer profondément. La production industrielle, l’énergie, l’agriculture, les services, les moyens de transport, les modes de construction, les services financiers, les administrations devront se passer des énergies fossiles sur le long terme. Les conséquences au niveau de l’emploi sont difficilement mesurables. Les efforts de formation à déployer sont énormes. Tout cela doit être organisé au niveau des États et coordonné au moins à l’échelle européenne. Faire une confiance aveugle au Marché pour s’adapter à ces mutations ne pourra que nous mener à une succession de crises.
Le coup d’arrêt à l’activité économique dû à la pandémie nous montre que si la décroissance peut réduire le réchauffement climatique elle ne fait qu’aggraver les inégalités. Les innovations technologiques ne nous permettront pas d’échapper à la sobriété. Celle-ci devra être principalement le fait des pays les plus développés et des ménages les plus aisés. Il ne peut y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans une aide financière inédite aux pays les plus pauvres
Il nous faut trouver un chemin qui donne satisfaction à la fois sur la baisse du réchauffement climatique et la baisse des inégalités. La néo libéralisation du monde enclenché depuis les années 1980 n’est pas une réponse. Le dogme néolibéral de la dérèglementation, de la privatisation, de la non intervention de l’État dans le domaine économique, de la réduction des déficits budgétaires, de l’autorégulation des marchés, etc. pousse à la réduction des coûts à tout prix sans prendre en compte la baisse des services que cela entraine inévitablement. L’économie doit être au service des hommes et pas l’inverse. Il nous faut développer tous ce qui concoure au développement de la vie et au bien-être des humains, des animaux et de la nature. Les humains font partie de la nature et ils ont la spécificité d’assumer la responsabilité de la préserver.
La prochaine conférence annuelle des parties d’ONU Climat (COP27) se réunit à Charm el-Cheikh en Égypte le 18 novembre sur la mise en œuvre des mesures climatiques nous fera -t-elle avancer dans cette direction ? Les dirigeants du PNUE pensent que cela sera difficile mais ne perdent pas l’espoir d’y parvenir cette année ou les suivantes. Quant à nous, citoyens du monde, nous souhaitons que nos dirigeants auront la sagesse de ne pas attendre que le chaos se généralise pour agir.