En juin 2022 la Cour des comptes vient de communiquer à l’Assemblée Nationale un rapport sur « les dispositifs en faveur de l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (exercices 2015-2021). Ce rapport, établi à la demande du Président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée Nationale, est le résultat d’une enquête sur ces dispositifs. Il constitue, ce qui n’est pas souvent le cas, une évaluation de l’action publique en la matière.
Qui est concerné ?
Sont concernés 1514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) répartis sur 859 communes du territoire national. Selon l’Insee ces quartiers prioritaires accueillaient au 1er janvier 2018 8% de la population française soit 5,4 millions d’habitants. Ces quartiers se définissent par un critère unique de bas revenu. Il s’agit de territoires où des difficultés, liées entre elles et autoentretenues, se combinent et présentent un effet de masse rendant nécessaire une approche globale de la part des pouvoirs publics, à la fois quantitative et qualitative.
Dans ces quartiers, le revenu disponible médian est beaucoup plus faible (13770 €) que celui du reste de la population métropolitaine (21 730 €) et provient beaucoup plus des prestations sociales (22,9%) ; le revenu issu de l’activité rémunérée en représente 62,7% contre 74,5% hors de ces quartiers. Le revenu de solidarité active est perçu par 25% de la population. La part des jeunes âgés de moins de 25 ans est de 39,1%, quand elle n’est que de 29,9% en métropole. Les jeunes habitant ces quartiers sortent plus tôt du système éducatif et sont plus fréquemment concernés par le décrochage scolaire : le taux de scolarisation des 15-24 ans y est plus faible et la part des 16-25 ans non scolarisés et sans emploi y est presque le double de la moyenne nationale. Le niveau de qualification des habitants de ces quartiers est en moyenne plus faible que celui des autres habitants. Il y a une forte présence d’étrangers (21,8%) principalement en Île-de-France et dans les grandes unités urbaines.
Les données en matière d’emploi
En matière d’emploi les données produites depuis une vingtaine d’années montrent que le taux de chômage de ces populations a toujours été supérieur que dans les autres quartiers (entre 1,9 et 2,7 fois). Les autres indicateurs en matière d’emploi confirment le caractère constant de la situation dégradée de ces quartiers.
A défaut d’un suivi précis des dépenses réalisées en faveur de l’emploi des habitants de ces quartiers prioritaires par le ministère chargé de l’emploi, la Cour estime à environ 0,8 Md€ en 2018 ainsi qu’en 2019 le montant des dépenses imputées au budget de la mission Travail et Emploi en faveur de ces quartiers, soit une part du total des dépenses d’intervention inférieure à la part des habitants des quartiers prioritaires dans les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi. Pourtant leurs besoins d’accompagnement et de formation devraient conduire à une dépense individuelle plus élevée en leur faveur que pour la moyenne des autres demandeurs d’emploi.
Les analyses réalisées par la Cour sur les quartiers prioritaires montrent que les dispositifs de droit commun donnent des résultats assez similaires à ceux obtenus dans les autres quartiers, ce qui ne permet pas à la situation des habitants de ces quartiers de se rapprocher de celle des habitants des autres quartiers.
Évaluation des politiques de l’État
Les politiques de l’État en faveur de l’emploi dans ces quartiers prioritaires n’avaient jamais été évaluée. Selon la Cour des comptes ces politiques n’ont pas permis de réduire entre 2015 et 2021 l’écart y existant avec les autres quartiers.
Le critère déterminant qui distingue ces habitants est leur éloignement du marché du travail. Outre la mise à disposition de dispositifs spécifiques en complément des outils de droit commun de la politique de l’emploi et les efforts réalisés pour surmonter les difficultés rencontrées en matière de qualification, de santé, de logement ou de mobilité, la Cour estime que la recherche d’approches visant à susciter, chez les jeunes de ces quartiers, intérêt et motivation pour s’engager dans une démarche d’insertion socio-professionnelle est indispensable. Si les dispositifs comme la garantie jeunes, l’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) et les contrats aidés remplissent leur objectif de procurer temporairement un emploi aux jeunes, ils ne constituent pas pour autant un véritable tremplin vers le monde du travail et peinent à s’inscrire dans la durée.
Constats
Si les politiques de l’emploi peinent à faire effet dans les quartiers prioritaires c’est avant tout parce qu’elles ne leurs sont pas spécifiques. Pour expliquer la persistance d’une situation dégradée sont souvent cités la mobilité résidentielle et le trafic de stupéfiants. Il convient de ne pas sous-estimer les effets indirects de ces éléments qui contribuent à la détérioration globale de l’image de ces quartiers et alimentent leur manque d’attractivité et les phénomènes de discrimination en matière d’emploi.
Deux caractéristiques socio-éducatives devraient davantage être prises en compte car leurs effets sur l’insertion économique et l’emploi sont importants : la pauvreté et l’échec scolaire.
La pauvreté n’est pas seulement une forte entrave à l’insertion professionnelle, c’est aussi une caractéristique transmissible aux enfants qui se traduit par des difficultés scolaires dès le plus jeune âge et, à terme des difficultés d’intégration sur le marché du travail de la génération suivante.
L’échec scolaire caractérise une part importante des jeunes habitants des quartiers prioritaires. L’orientation scolaire est souvent subie et les possibilités de réorientation sont faibles. Les efforts pour faciliter l’accès des jeunes à l’apprentissage a peu bénéficié aux jeunes de ces quartiers malgré plusieurs initiatives.
Comment améliorer les dispositifs ?
Le cloisonnement entre les politiques publiques menées par le ministère chargé de l’emploi et celui chargé de la ville aboutit à un pilotage national très insatisfaisant. Faute de pilotage national il n’existe pas de diagnostic partagé. Il faut simplifier la palette des dispositifs de la politique de l’emploi et harmoniser les conditions d’éligibilité, mieux piloter l’accès des jeunes de ces quartiers à l’apprentissage, développer le travail collaboratif entre les services pour établir un diagnostic partagé et mieux intégrer les spécificités des publics concernés.
Orienter les demandeurs d’emploi vers la formation constitue, à ce jour, l’un des meilleurs moyens de faire progresser le taux d’emploi dans les quartiers. La formation professionnelle entraine 50% de sorties supplémentaires en emploi pour les demandeurs d’emploi en quartier prioritaire. Selon la Cour des comptes c’est la seule des politiques de l’emploi à privilégier parmi celles existants.
Une attention particulière doit être portée aux associations de proximité, qui sont essentielles pour toucher les publics les plus éloignés des institutions. Elles ont besoin de moyens financiers stables afin d’inscrire leur action dans la durée. Les entreprises devraient être intégrées dans toute démarche d’insertion dans l’emploi par la mise en place de plateformes d’échanges, d’actions de parrainage, d’immersions ou l’organisation d’évènements sportifs et culturels permettant la mise en contact entre les employeurs et les personnes en recherche d’emploi.
La Cour des comptes
Cet organisme est une juridiction financière, chargée principalement de contrôler la régularité des comptes publics. Il informe le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la régularité des comptes. La page d’accueil de son site internet contient en exergue la phrase suivante : « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer les citoyens ».
Les rapports de la Cour des comptes se distinguent depuis plusieurs années par leur orthodoxie budgétaire. La trame de ces rapports s’apparente plus à la doxa néolibérale, met régulièrement le doigt sur les déficits budgétaires et rappelle systématiquement la nécessité impérieuse de réduire les dépenses publiques.
La communication dont je viens de vous livrer un court résumé change un peu de ce qu’on a l’habitude de lire sous la plume des conseillers de la Cour des comptes mais correspond bien à l’objectif de s’assurer du bon emploi de l’argent public qui est un bien commun destiné à répondre aux besoins des citoyens.