La voie de l’union à gauche

Comme je l’indiquais dans mon article du début avril, intitulé « la gauche en miettes », en France la gauche a toujours été diverse et les partis de gauche n’ont pu accéder au pouvoir que lorsqu’ils ont trouvé la voie de l’union. Dans le cadre des élections législatives qui suivent les élections présidentielles du mois d’avril 2022, les partis de gauche ont décidé de constituer « la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale » afin de présenter dès le premier tour des candidats communs. Ont-ils retrouvé la voie de l’union ou s’agit-il d’une simple alliance de circonstance ? Les gauches dites irréconciliables ont-elles trouvé un terrain d’entente ? Les insoumis ont-ils phagocyté les écologistes, les communistes et les socialistes ? Cette union est l’objet de nombreuses critiques à droite et à l’extrême droite mais aussi au sein même des partis concernés. Qu’en est-il exactement ?

Un accord purement électoraliste ?

Dans son éditorial du samedi 7 mai le journal « le Monde » estime que même si ses protagonistes évoquent l’histoire, le Front populaire de 36, l’union de la gauche et le programme commun de gouvernement de 1972, et la gauche plurielle de 1997, cette union est en réalité un accord purement électoraliste qui a pour objectif, pour chacun des participants, soit de limiter ses pertes, soit de maximiser ses gains. Il faut y voir de simples manœuvres destinées à sauver ou à gagner des places. Le résultat est le produit de marchandages dans lesquels a été pris en considération l’accès au financement public. Le Canossa des défaits de la présidentielle a non seulement été illustré par le faible nombre de circonscriptions électorales favorables qui leur a été alloué, mais également par un alignement sur les exigences programmatiques de « La France insoumise ».

Une grande convergence

L’alliance des partis de gauche est due en premier lieu à la forte pression des électeurs de gauche. Ces derniers sont à 93 % favorables à un rassemblement auquel les candidats à la présidentielle et leurs écuries se sont refusés obstinément jusqu’au 4 mai. Plus lucides que les états-majors, les citoyens ont bien perçu que les gauches soi-disant irréconciliables sont en réalité bien plus proches qu’il n’y parait. L’analyse des programmes des différentes forces de gauche montre une grande convergence dans les objectifs.

 Dans une tribune au sein du journal « le Monde », neuf universitaires estiment qu’il existe une immense convergence au sein de l’ensemble de la gauche. Au-delà de leur diversité les gauches portent en elles l’idée d’une transformation socio-économique radicale, transformation des modes de production, de consommation et des modes de vie, pour réduire les inégalités et les injustices, et faire face aux urgences écologiques. Tous se retrouvent également sur la nécessité de sortir urgemment de l’hyper-présidentialisation d’une Vème République à bout de souffle et de mettre en place des modes de fonctionnement démocratique renouvelés. Tous partagent aussi la conviction que ces transformations passent par la puissance publique, mobilisée à tous ses échelons, et tous accordent aux services publics et à l’État social une place centrale. Tous sont convaincus que ces transformations se feront par la loi, le dialogue social mais également en mobilisant toutes les initiatives citoyennes et qu’ils ont comme instruments la fiscalité, l’investissement public et le conditionnement des aides aux entreprises privées.

L’accord ne nie pas les différences

Constater les convergences ne doit pas amener à nier les différences et les clivages qui existent entre les structures partisanes, principalement sur l’Europe, les questions internationales, leur conception de la République, les droits des minorités ethniques et religieuses, la prééminence des questions écologiques sur tout autre impératif, mais aussi le rôle de l’État, le nucléaire ou la croissance économique.

Ne peut-on admettre que des échanges approfondis permettraient de lever bien des oppositions apparemment insurmontables ? Par exemple, peut-on imaginer que les défenseurs de la République négligent les discriminations ou que les combattants des discriminations puissent revendiquer un régime politique plus adapté à leur combat que la République ? Sur l’Europe, depuis les dernières élections européennes, une grande partie du fossé n’a-t-elle pas été comblée, dès lors que tous s’accordent désormais à dire que les traités actuels ne sont pas acceptables et récusent le libéralisme économique européen, quand symétriquement plus personne ne demande aujourd’hui un Frexit ?

Ces différences ne sont pas plus importantes que celles qui séparaient les forces au sein du Front populaire ou de la gauche plurielle.

Une alliance historique ?

L’alliance des partis de gauche avant le premier tour des élections législatives est en soit un fait majeur. Dénier la réalité politique et surtout la volonté du peuple de gauche aurait été suicidaire aux législatives. Comme l’analyse Isabelle This Saint-Jean, secrétaire aux études du Parti socialiste et chroniqueuse dans les colonnes d’« Alternatives économiques » : « Le projet politique est en grande partie le même, et les modalités d’action ne sont pas si loin les unes des autres. »  Ce qui est historique c’est l’inversion du rapport de force. C’est la gauche la plus radicale qui organise des alliances avec trois petits partis alors qu’auparavant c’était les modérés qui étaient la force centrale.

Avec cet accord la gauche semble revenir à ce qui fait sa fonction première : représenter une alternative au cours normal des choses, aux injustices, aux inégalités, à la domination du capital sur les femmes et les hommes, à l’exploitation de la nature, à la sous-estimation du changement climatique et du recul de la biodiversité.

Il faudra attendre le 19 juin pour savoir si l’accord passé entre les principaux partis de gauche, regroupés derrière la bannière de la Nouvelle union populaire écologique et sociale est historique et s’il est en mesure de limiter l’importance de la majorité présidentielle voire de l’empêcher.