Le Parti Socialiste dominant dans la gauche française en 2012 a accédé à la magistrature suprême, à une majorité au Parlement et une majorité dans un grand nombre de territoires. Aujourd’hui la candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle a peu de chance de dépasser les 5% de vote selon les sondages à deux semaines de l’élection. L’ensemble des force politiques qui se réclament de la gauche ne peuvent espérer beaucoup plus que les 25% au premier tour de cette élection. Comment en est-on arrivé là ? Ce recul d’influence peut s’expliquer par de multiples facteurs, d’abord internes à la gauche mais aussi externes.
La gauche est diverse et divisée. La montée progressive de la petite musique indiquant que gauche et droite de gouvernement c’est la même chose justifiant le « ni gauche ni droite » et permettant l’apparition du « et de droite et de gauche » rassemblant le centre gauche, le centre droit et une partie de la droite modérée.
Mais le mal est plus profond. D’abord la chute du mur à l’est et le sentiment courant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme et à l’économie de marché. Mais aussi le nécessaire développement de l’Union Européenne, la division sociale du travail dans une économie globalisée, la nouvelle révolution industrielle, la société numérisée, l’évolution des rapports de production, la menace du réchauffement climatique, le recul de la biodiversité et les changements de meurs et de mentalité ont entrainé une mutation de la société qui nécessite le changement du logiciel de la gauche.
Une gauche diverse et divisée
Historiquement la gauche a toujours été diverse. En France les partis de gauche n’ont pu accéder au pouvoir que lorsqu’ils ont trouvé la voie de l’union : le Cartel des gauches (1924-1926), le Front populaire (1936-1938), à la Libération (1944-1948), l’Union de la gauche (1981-1984), la gauche plurielle (1997-2002).
Dans la période plus récente la division s’explique par une rivalité exacerbée des appareils politiques. Le Parti Socialiste dominant a soit exclu de s’allier à certains jugés trop radicaux, soit considéré ses partenaires comme des supplétifs. De plus il lui a été reproché aussi bien en interne (les frondeurs) que par les autres partis de gauche, certains reniements tant au niveau économique que social. En conséquence le Président socialiste sortant en 2017, a renoncé à se représenter.
La faiblesse des socialistes a donné à la gauche radicale (Le Front de gauche puis Les Insoumis) l’idée de devenir dominant à leur tour. Leur posture de critiques, parfois justifiées, se transformant trop souvent en injures d’abord envers le Parti Socialiste mais aussi envers le Parti Communiste et même Europe Écologie les Verts (EELV). Le candidat des Verts à cette élection a lui-même été atteint par ce syndrome de domination après un succès notable pour son parti aux élections européennes mais restant modeste (13%). C’est la course à celui qui fera le meilleur score, ce qui lui donnera le pouvoir de dominer les autres tout en assurant en final un échec collectif.
Au jour où j’écris ces lignes c’est le candidat des Insoumis qui après avoir copieusement dénigré ses concurrents de gauche appelle au vote utile et donc à voter pour lui. Après avoir distribué des coups de pieds il espère des coups de pouce pour accéder au second tour estime Frédéric Says, journaliste à France Culture. Sauf retournement de l’opinion publique il y a peu de chance que cela se traduise favorablement. De plus les sondages, qui ne sont pas « paroles d’évangile », donnent très peu de chance au second tour quelque soit le candidat face au Président candidat sortant. Une fois de plus la preuve sera faite que la gauche ne peut accéder au pouvoir que si ses composantes sont capables de faire l’union.
Mais au-delà des égos des chefs de file, les gauches sont-elles irréconciliables comme ont pu le dire certains ? Leurs divergences sont-elles insurmontables ? Les objectifs communs ne sont-ils pas suffisamment nombreux et importants pour leur permettre d’élaborer des compromis acceptables par tous ou au moins de trouver une méthode pour faire trancher ces divergences par la voie de la consultation populaire ? Il faudrait que cesse les querelles de chapelle si la gauche veut gagner en crédibilité et retrouver la confiance de la majorité des français !
Une union pour quoi faire ?
Dans son ensemble la gauche se doit de faire face aux grands défis de ce premier quart de XXIème siècle en tenant compte des mutations de la société (voir notre article du 20 mars 2022) : préserver la planète du recul de la biodiversité et du réchauffement climatique ; rejeter les politiques néolibérales qui ne font qu’accroitre les inégalités de revenus et de patrimoine qui sont à l’origine d’inégalités de culture, d’éducation, de formation, de santé ; repenser la philosophie politique de l’action publique en cessant d’affaiblir les services publics et en privilégiant le temps long sur le court terme et donc en réhabilitant la planification ; réindustrialiser notre économie dans le but de développer la souveraineté et l’autonomie stratégique de la France dans le cadre de l’Europe; œuvrer pour une concertation mondiale pour faire face aux crises auxquelles se trouve confrontée la planète ; enfin mettre les sciences et les technologies au service de l’humanité.
Dans le cadre de ces grands défis, la Gauche doit répondre aux aspirations de la majorité des français qui placent aux premiers rangs de leur préoccupations le recul de leur pouvoir d’achat, leur système de santé à la dérive, l’école laïque publique comme moyen d’émancipation et de progrès social, la sauvegarde de notre système de protection sociale. Elle doit aussi proposer de sortir du monarchisme républicain et retrouver un fonctionnement plus démocratique de nos institutions qui ne peut se réduire au vote tous les cinq ans pour un homme ou une femme qui devra décider de tout pendant son quinquennat avec une majorité parlementaire qui lui est dévouée parce que dépendante. Elle doit faire preuve d’imagination et de créativité pour améliorer la participation des citoyens à la vie politique du pays. Toutes les forces qui se définissent de gauche et qui ont la prétention de gouverner doivent adhérer globalement à ces objectifs. Mais le diable se loge dans les détails. Il se peut que sur la manière de répondre à ces objectifs il subsiste des différences. Quand on analyse les catalogues de mesures que chaque camp propose nous pouvons constater des divergences notamment sur l’Europe, le mix énergétique et le nucléaire, la réforme de la constitution, etc… mais si la gauche veut être crédible il faut qu’elle soit capable de régler ces divergences par la négociation et le compromis.
L’échange et la confrontation des points de vue est un élément essentiel de la démocratie. S’il subsiste l’une ou l’autre question d’importance la seule issue est une solution démocratique et par conséquent l’engagement de la faire trancher par un large débat populaire suivi d’un vote sur une question simple et sans ambiguïté.
Retrouver le débat gauche droite
C’est l’extrême droite qui la première a remis en cause l’opposition droite gauche qui monopolisait le débat politique. Rappelons-nous de la dénonciation de « l’UMPS ». Ni droite ni gauche mais polarisation sur l’immigration et la défense de l’identité nationale. Puis au sein de cette musique s’est engouffré le centre gauche et le centre droit qui a pris le pouvoir en 2017 avec la promesse de faire du « et de droite et de gauche ». A chacun de juger du résultat de cette alliance et de la politique menée sur les cinq dernières années.
Cette élection va probablement se décider à droite car la Gauche sera absente du second tour. Seuls son éparpillement et sa désorientation en sont l’explication. Elle doit se refonder et clarifier les directions qu’elle souhaite prendre pour se retrouver sur des valeurs de progrès. Elle doit définir « une nouvelle voie politique-écologique-économique-sociale », qui englobe les esprits de gauche, tout en rassemblant les Français humanistes, comme le dit Edgar Morin dans son livre « Réveillons-nous » publié aux Éditions Denoël.
Retrouver le débat gauche droite est non seulement important pour la gauche mais aussi pour la droite républicaine qui doit se libérer de l’influence néfaste des identitaires nationalistes qui, comme l’analyse le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, ramènent tout à des questions d’identité, d’enfermements nationalistes comme cette expression absurde de « grand remplacement » qui n’a de sens que « dans le cadre d’une pensée tribaliste, où une tribu s’inquiète d’être remplacée par une autre ».
Le retour de ce débat est aussi important pour la France, pour lui permettre de sortir du flou et de la confusion générée par le « et de droite et de gauche » qui participe au désintérêt des Français pour la politique, ce qui se traduit par une abstention de 30% prévue par les sondages.
La pandémie a conduit à une intervention puissante de l’État aux États Unis et en Europe, en particulier en France. Le recul de la biodiversité et le réchauffement climatique rendent indispensable une coordination internationale de l’action des États. La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine met en évidence, entre autres, l’interdépendance au niveau énergétique. Il est de plus en plus question de souveraineté, d’autonomie et d’indépendance dans plusieurs domaines considérés comme stratégiques. La puissance publique doit reprendre la main. Les États doivent faire face à l’instabilité et intervenir massivement pour faire face aux crises qui surviennent régulièrement. Il faut mettre fin au dogme néolibéral qui prétend que le « laisser faire » est la garantie de l’équilibre, que l’État ne doit pas se mêler d’économie et que l’enrichissement des plus dynamiques bénéficiera par ruissellement à tous. La démonstration est faite que cela ne mène qu’à l’augmentation des inégalités. Le recul des politiques de redistribution par la fiscalité a eu pour conséquence d’augmenter les écarts de revenus et de patrimoine au bénéfice des plus riches par rapport aux catégories sociales moyennes sans pour autant sortir du marasme les catégories les plus défavorisées. Sans un rééquilibrage des taux de croissance du capital et du travail et sans une politique volontariste de redistribution par la fiscalité et les prestations sociales, les inégalités ne pourront que continuer à se développer. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à la remise en question de la propriété privée comme le fait Thomas Piketty dans son dernier livre ?
Dans une étude publiée en décembre 2021, le conseil d’analyse économique montre que la part de la fortune héritée dans le patrimoine total est passée, depuis les années 1970, de 35 % à 60 %. Peut-être faut-il aussi se demander comme le fait dans une enquête Anne Chemin, journaliste au journal Le Monde, si l’héritage va de soi. Après une éclipse de plus d’un siècle, le débat sur le bien-fondé de la transmission héréditaire refait surface. Les Français semblent contre mais ils ignorent que 40% d’entre eux n’héritent de rien.
Xavier Ragot, président de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifiques), dans un entretien au journal Alternatives économiques défend l’idée qu’en France, il faut penser les forces productives à l’horizon de dix ans et retrouver un commissariat au Plan, « lieu de rencontres entre universitaires, chefs d’entreprises, syndicats, fonctionnaires etc. pour réfléchir ensemble à l’avenir et construire des compromis ». Nous avons à faire des choix de société dont il faut débattre collectivement. Le capitalisme a de plus en plus besoin de l’État-providence pour la santé, l’éducation, la dépendance etc. Le sujet de fond, c’est comment lui assurer une place plus importante et comment traiter le sujet au niveau européen pour éviter une course au moins-disant social. »
En conclusion, pour autant qu’il soit possible de conclure, je dirais que l’objectif premier de toute société démocratique est d’améliorer le sort de tous. Le bien-être de tous au niveau national comme au niveau international doit être le guide de toute action individuelle et collective. Il n’est plus possible de laisser une petite minorité s’accaparer l’essentiel des richesses car cela entraine un développement de la désespérance qui ne peut que nuire à la démocratie.