Le Nudge : influencer ou manipuler ?

La langue anglaise est parfois plus expéditive et directe que le français : « to nudge » veut dire donner un coup de coude. C’est un geste que l’on peut faire pour encourager ou pour inciter quelqu’un à faire quelque chose.

Le nudge est une méthode d’influence douce issue des progrès des recherches en psychologie cognitive et en neurosciences, qui a été développée par les tenants de la « behavioural économy » (l’économie comportementale). Elle a été théorisée par l’économiste Richard Thaler.

Ses travaux portent sur le fait que, contrairement à certaines théories économiques, les êtres humains ne se comportent pas toujours de manière rationnelle notamment en raison de biais cognitifs.  Nous n’aimons pas changer de comportement si cela nous demande des efforts, nous préférons en général rester dans les normes plutôt que se distinguer, nous appréhendons l’échec, nous remettons à plus tard ce qui aurait peut-être intérêt à être fait tout de suite, nous préférons une action qui rapporte immédiatement à une action rapportant plus mais plus tard. Autant d’exemples de comportements qui ne correspondent pas forcément à notre intérêt immédiat. Selon Richard Thaler ce sont des facteurs très divers qui déterminent nos décisions. Il s’agit de comprendre comment les individus font des choix de manière à les inciter à modifier leur comportement.

Cette méthode est utilisée par le marketing mais aussi dans le monde politique d’abord au Royaume Uni et aux États-Unis. Depuis quelques années en France, la méthode est préconisée pour l’ensemble des politiques publiques. Pendant la pandémie le gouvernement s’est appuyé sur des experts en sciences comportementales pour inciter les français à suivre les recommandations sanitaires. Je vous laisse juge de l’efficacité de la méthode. En tous cas cela n’a pas empêché le cafouillage autour du port du masque.

Les partisans de cette technique la préconisent en remplacement de la taxation ou de l’incitation financière en argumentant sur le fait que le bâton n’est pas toujours la meilleure façon de parvenir à ses fins. Ils préfèrent l’incitation douce à la contrainte. Le délégué interministériel à la transformation publique cite comme exemple la ville de Chicago qui a modifié le marquage au sol à l’approche des virages pour donner l’impression d’une plus grande vitesse aux automobilistes. Le nombre d’accidents a baissé de 36% alors que les répressions classiques avaient échoué. Autre exemple l’aéroport d’Amsterdam a collé des images de mouches dans les urinoirs pour inciter les utilisateurs à viser juste et réduire les coûts d’entretien.

Même si les chercheurs en sciences comportementales disent qu’ils sont bien intentionnés, qu’ils agissent au nom de l’intérêt général, qu’ils respectent un cadre éthique précis et une méthodologie rigoureuse avec une évaluation systématique des résultats, le « nudge » laisse entrevoir des dérives inquiétantes. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Cette méthode n’en est qu’à ses premiers balbutiements dans l’action publique et peut verser dans l’infantilisation ou la manipulation. Dans un contexte de suspicion généralisée à l’égard du politique et de complotisme galopant, les initiatives visant à modifier le comportement des citoyens ne peut qu’interroger. Dans certains cas l’intérêt collectif est clair mais dans d’autres les choses sont moins évidentes. Alors, qui décide de ce qui est bon pour tous ? Comment réagirons les citoyens qui prendront peu à peu conscience d’être des individus « nudgés » c’est-à-dire poussé sans le savoir à choisir l’option que le gouvernement juge préférable ?

Le nudge fait l’objet de nombreuses critiques. Cette technique, qui s’apparente au marketing publicitaire, est-elle compatible avec la démocratie et la citoyenneté ? Plutôt que d’amener les citoyens à changer inconsciemment de comportement ne vaudrait-il pas mieux, dans le cadre d’un débat démocratique, les convaincre de le faire en toute conscience ? Les techniques de marketing publicitaire influencent déjà beaucoup trop la vie politique, est-il nécessaire qu’elles envahissent aussi les politiques publiques ?

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

4 réflexions sur « Le Nudge : influencer ou manipuler ? »

  1. La manipulation des esprits ne date pas d’hier …
    être surpris est de mauvaise augure … on l’a appelée propagande …. on continue de l’appeler publicité … il y a les messages subliminaux …

    Manipulation par les mots …. ne pas utiliser le mot juste … celui qui associe deux concepts … le tout et son contraire … je promulgue une idée pour faire passer l’idée inverse cf les rapports scientifiques promus par les industriels du tabac …

    Manipulation des chiffres par les auteurs d’ouvrages traitant de la  »science  » économique ou statistique …

    En deux mots  » vendre … vendre  » n’importe quoi … surtout l’inutile …. faire de l’argent avec ce dont les hommes n’ont nullement besoin …. et vendre du vent !!! Vendre le  » Nudge  » ….

  2. Influencer sans en avoir l’air ! C’est le rêve de tous les politiciens et entreprises industrielles, y compris le commerce.
    Je considère que c’est une atteinte sournoise faite à l’insu du récipiendaire. Parler de manipulation n’est guère mieux car ce sont l’objectif et le résultat qui priment dans leur ensemble.
    Pour être efficace, une bonne organisation est primordiale. Elle suppose la passivité et l’acceptation. Ceux qui prétendent ne pas tolérer la moindre restriction à leur liberté ou/et à leur libre arbitre devraient y réfléchir à moultes fois avant de déverser leurs propos haineux sur les réseaux dits sociaux. Ceux-ci sont également des complices.
    N’y a t il pas une nouvelle catégorie de citoyens, les influenceurs ?

  3. L’emploi systématique de mots anglais quant il y a des mots français pour dire la même chose ou « presque » me parait inopportun en raison du « presque ». Elle participe de la tendance à la suprématie de cette langue que je ne partage pas

    1. Je partage ce point de vue. Il aurait été préférable que le titre de mon article soit: « Méthode d’influence douce ou manipulation » quitte à utiliser le mot anglais dans le texte pour que le lecteur puisse savoir de quelle méthode je parle et qui a été mise en avant par des auteurs anglo-saxons.

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