Plusieurs sondages montrent que l’opinion publique en France est favorable à plus de 90% à une législation permettant l’euthanasie et le suicide assisté. De quoi s’agit-il et quelles sont les évolutions possibles ? Voyons dans un premier temps quelques définitions permettant de clarifier le débat. Dans une deuxième partie nous examinerons la législation française en matière de fin de vie. Ensuite nous aborderons ce qui devrait être notre dernière liberté, le choix d’une mort douce et sans souffrance.
Rappel de quelques définitions utiles
Rappelons quelques définitions pour préciser de quoi l’on parle et éviter si possible toute confusion quand on aborde les différentes façons de concevoir la fin de vie.
Euthanasie signifie étymologiquement mort douce et sans souffrance. C’est l’usage de procédés qui permettent d’anticiper ou de provoquer la mort. Ces procédés sont destinés à abréger l’agonie d’un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes. L’euthanasie est dite « active » si elle consiste à administrer des substances destinées à provoquer la mort. Elle est dite « passive » si elle consiste à suspendre les soins ou à s’abstenir de toute thérapeutique.
Le suicide assisté est le procédé où c’est la personne elle-même qui absorbe la substance létale. Encore faut-il que cette substance lui soit accessible d’où la nécessité de l’intervention d’un professionnel habilité.
L’acharnement thérapeutique, selon le Code de déontologie médicale, est une obstination déraisonnable à poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.
Les soins palliatifs ont pour objectif de prévenir et de soulager les douleurs physiques, les symptômes inconfortables ou encore la souffrance psychologique. La médecine palliative a pour mission d’améliorer la qualité de vie des patients atteints d’une maladie évolutive grave mettant en jeu le pronostic vital ou en phase terminale.
La sédation permet au patient de ne pas souffrir et de ne pas avoir conscience de ce qui arrive pendant un laps de temps. Elle peut être profonde et continue maintenue jusqu’au décès du patient.
La législation française
Beaucoup de pays ont légalisé l’arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l’acharnement thérapeutique et institué des initiatives d’accompagnement des patients en fin de vie. L’euthanasie ou le suicide assisté est autorisé en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays Bas, en Colombie et dans certains États des États-Unis.
La fin de vie en France est encadrée principalement par la loi de 2002 sur le droit des malades, la loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie et la loi Claeys-Léonetti, loi de fin de vie du 2 février 2016. La législation française interdit l’euthanasie et le suicide assisté et favorise les soins palliatifs. Elle empêche le médecin de pratiquer une obstination déraisonnable dans le soin des malades. La loi de 2016 introduit les directives anticipées, la désignation de la personne de confiance et instaure également la sédation profonde et continue jusqu’au décès.
Les directives anticipées sont un document écrit, daté et signé par lequel une personne rédige ses volontés quant aux soins médicaux qu’elle veut ou ne veut pas recevoir dans le cas où elle serait devenue inconsciente et se trouverait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Les directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux.
La personne de confiance est la personne désignée pour transmettre aux professionnels de santé, par le biais des directives anticipées, les volontés du patient qui serait devenu hors d’état de s’exprimer.
Une nouvelle proposition de loi a été faite en avril 2021 visant à permettre le libre choix de la fin de vie et à définir un protocole d’aide active à mourir. Cette proposition non soutenue par le gouvernement a fait l’objet de plus de 3000 amendements dont le but était de la faire échouer. Cet épisode montre qu’une partie de la classe politique n’est pas prête à faire évoluer la loi en cette matière.
Choisir une mort douce et sans souffrance
Plusieurs sondages commandés par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) indique que plus de 90 % des personnes interrogées seraient favorables à ce qu’une législation permettant une mort douce et sans souffrance soit adoptée.
Cette aspiration rencontre plusieurs oppositions, les croyants, le corps médical, les risques de dérives. Ces oppositions sont respectables et méritent de se voir apporter des réponses.
- Aux croyants il faut souligner que le fait de légiférer n’oblige personne. La loi ne ferait que permettre, à ceux qui en font le choix, d’exercer leur dernière liberté en décidant de cesser de vivre au vu de leur état. Ceux qui pensent que seul Dieu a donné la vie et donc lui seul peut reprendre ce qu’il a donné, ne sont soumis à aucune obligation.
- Aux médecins qui ont fait le choix de sauver les vies et qui estiment qu’il n’est pas dans leur rôle de donner la mort, il est légitime de leur accorder une clause de conscience. De plus il s’agit de permettre à l’intéressé, aidé de sa ou ses personnes de confiance, la possibilité d’acquérir et d’absorber une potion létale.
- Les risques de dérives doivent être pris en considération en encadrant ce nouveau droit par un contrôle collégial des conditions d’exercice de ce droit à la mort douce. Si la personne concernée est lucide au moment de l’exercice de ce droit et qu’elle confirme un choix philosophique fait plusieurs fois au court de sa vie, son choix doit être respecté et le risque de dérive est réduit. De même si l’intéressé n’est plus lucide mais qu’il a confirmé antérieurement sa volonté plusieurs fois et qu’il a désigné une personne de confiance qui confirme, là aussi le risque de dérive est réduit. Le plus sûr moyen d’éviter les dérives est de populariser la possibilité de rédiger ses directives anticipées. Il devrait être obligatoire, dans tout établissement de santé, de proposer la rédaction de ces directives avant toute hospitalisation. Si la personne n’est pas lucide et si elle n’a pas rédigé ses directives anticipées le recours à l’euthanasie doit rester interdit.
Dès l’instant où une personne estime que sa situation ne lui permet plus d’avoir une vie digne (soit à cause de la dégradation de sa santé, soit parce qu’elle est atteinte d’une maladie incurable, soit parce qu’elle subit des souffrances difficilement supportables, soit parce qu’elle ne peut plus vivre sans être dépendante pour ses besoins les plus intimes…) elle doit pouvoir recourir à ce droit à une mort douce et sans souffrance.
Ne pas lui permettre d’accéder à ce droit, qui relève d’un choix personnel et intime, est une limitation de sa liberté. Alors que lui reconnaître ce droit ne lèse personne.
L’humanisme consiste à mettre la personne humaine et son épanouissement au centre de toute préoccupation. L’adoption d’une loi permettant le choix de sa fin de vie ne nuit en rien à l’égalité de traitement des citoyens et ne contraint personne. Par contre maintenir l’interdiction de donner la mort dans les circonstances précisées ci-dessus empêche ceux des citoyens qui aspirent à choisir le moment de leur mort, crée une inégalité par rapport à ceux qui ont une option philosophique différente. La France est une république laïque qui garantit le droit de croire ou de ne pas croire. Le respect de la liberté de conscience est un des fondements de la République. La légalisation de l’euthanasie active et du suicide assisté en France, encadrée dans le respect des inquiétudes des opposants et visant à lutter contre les dérives éventuelles sera indéniablement une avancée humaniste.
Une loi sur la fin de vie respectant la liberté de conscience de chaque citoyen doit autoriser ceux qui ont rédigé leurs directives anticipées, à obtenir le droit à une mort douce et sans souffrance. C’est le droit à leur dernière liberté.