La liberté des uns et la liberté des autres !

Dans une tribune parue dans le journal « Le Monde », des médecins de Nouvelle Aquitaine, principalement des réanimateurs, devant faire face à une recrudescence des hospitalisations et des réanimations notamment des personnes non-vaccinées sont confrontés à une série de questions qui ne peuvent que nous interpeller.

Les services de réanimation sont, au moment d’écrire ces lignes, occupés à 70% par des personnes non vaccinées. Les 30% restants sont des personnes vaccinées atteintes de comorbidités.

Est-ce normal de priver des malades de lit de réanimation ou de soins chirurgicaux, même non urgents, pour s’occuper de personnes qui ont fait le choix de ne pas se vacciner et ainsi prendre délibérément le risque de faire une forme grave de la Covid 19 ?

Est-il juste de faire attendre un patient atteint d’une infection digestive au service d’urgence sur un brancard pendant dix heures parce que le service des maladies infectieuses est rempli par des patients atteints de la Covid 19 ?

Est-il juste de ne pas réaliser une transplantation hépatique car la réanimation prévue pour accueillir ce type de patient a été transformée en unité Covid 19 ?

Faut-il privilégier un malade non vacciné atteint du Covid qui prend un lit de réanimation et empêche un malade vacciné atteint d’un cancer d’être pris en charge ?

Il est compliqué pour les médecins et notamment les réanimateurs de voir des patients non vaccinés qui remplissent les lits et engorgent l’hôpital, ce qui les oblige à reporter des soins pour des patients vaccinés.

C’est une question éminemment éthique que se posent aussi des médecins belges qui souhaitent que la priorisation absolue des patients atteint de la Covid 19 fasse l’objet d’un débat éthique avec toutes les parties concernées.

Bien entendu, pour les médecins comme pour tout citoyen, il est inenvisageable, dans nos sociétés libérales et démocratiques, de ne pas soigner les non-vaccinés. Le code de déontologie médicale a force de loi et est sans appel. Le médecin doit soigner toute personne quelles que soient ses convictions.  Mais il est notable que dans la situation d’engorgement des hôpitaux cette obligation n’est pas dénuée de complexité.

Israël Nisand – francetvinfo

Le professeur Israël Nisand, spécialiste des questions bioéthiques et d’éthique médicale, interrogé à ce sujet sur une chaine de télévision, estime que ce dilemme ne se pose pas aux médecins mais se pose aux patients, ceux qui réclament de leur liberté le fait de ne pas se faire vacciner. Il ne s’agit pas que de leur liberté mais aussi de la liberté des autres de se faire soigner et de pouvoir accéder à une réanimation quand on a un AVC (accident vasculaire cérébral), un accident cardiaque ou autre. C’est pourquoi il se déclare extrêmement favorable à une obligation vaccinale en bonne et due forme. Il ne s’agit pas de ménager la liberté des uns ou des autres, il s’agit d’avoir la responsabilité de savoir qu’en ne se vaccinant pas, ils vont condamner d’autres à la mort parce qu’ils ne pourront pas accéder à un lit de réanimation.

Si nous ne voulons pas que les médecins soient obligés de faire face à ce dilemme de faire le tri entre leurs patients, la seule solution est de rendre obligatoire la vaccination contre la Covid 19.

Nous sommes tous des métis

 Lluis Quintana-Murci, généticien, professeur au Collège de France, vient de publier chez Odile Jacob un livre intitulé « Le peuple des humains » avec comme sous-titre : Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations. Je viens de terminer la lecture de ce livre passionnant à la portée de tous qui répond à ces questions universelles que se posent les humains depuis leur apparition sur terre : d’où venons-nous ? que sommes-nous ? où allons-nous ?

Je n’ai pas la prétention de vous résumer cet ouvrage mais simplement d’y relever quelques éléments qui vous donneront, je l’espère, envie de le lire dans sa totalité.

Des mythes à la découverte de l’ADN

Les mythes et les religions ont proposé des réponses à la question de nos origines. Aujourd’hui la science apporte un éclairage de nature différente. Elle explique d’où nous venons à partir de la connaissance des processus du vivant que nous accumulons sans cesse. Le cadre général est la théorie de l’évolution de Darwin à laquelle s’ajoutent la découverte de l’ADN, les bases de la génétique et celles de la génétique des populations.

Charles Darwin

La théorie de Darwin (1859) postule que la transformation des espèces se fait par sélection naturelle et de façon graduelle. Les différences observées entre individus sont transmises aux générations suivantes. Petit à petit la sélection naturelle induit des changements graduels et les individus les plus adaptés sont de plus en plus nombreux.

Contemporain de Darwin, Gregor Mendel, à partir de ses travaux sur la transmission des caractères héréditaires, montra que des facteurs se transmettaient de génération en génération de manière prédictible. Il établit les lois de l’hérédité que l’on appela par la suite les « lois de Mendel ». Charles Darwin ne lut jamais ses travaux. Ce n’est que plus tard que l’on fit le lien entre hérédité et évolution.

Entre 1930 et 1960 un consensus interdisciplinaire entre naturalistes, paléontologues, mathématiciens et généticiens constitue « la théorie synthétique de l’évolution ». Leurs travaux établissent que l’évolution est un processus graduel compatible à la fois avec les mécanismes génétiques connus et avec les observations naturalistes. Mais la nature du matériel héréditaire demeurait inconnue. La découverte de la structure en double hélice de l’ADN en 1953 et les découvertes en biologie moléculaire et plus généralement en génétique ont permis de faire d’énormes progrès dans l’explication des phénomènes de la vie. La théorie synthétique de l’évolution permet de mieux comprendre les processus évolutifs qui affectent la diversité génétique d’une population.

Les études en génétique se sont particulièrement développées avec l’arrivée du séquençage de l’ADN en 1977 et grâce au programme de science collaborative lancé en 1988 pour établir la séquence complète de l’ADN du génome humain. Nous savons aujourd’hui que seulement 2% du génome contient de l’information génétique qui va se traduire en unités essentielles pour faire un être vivant.

L’homme ne descend pas du singe… il est un singe !

Basée essentiellement sur l’anatomie comparée, soulignant la grande proximité entre l’homme et les singes de l’Ancien Monde, Darwin dit que l’homme est un singe qui appartient aux catarhiniens, comme les chimpanzés, les gorilles ou les orangs outangs.

La génétique et ensuite la génomique ont confirmé les hypothèses de Darwin et de beaucoup d’autres sur l’ancêtre commun partagé entre l’homme et les singes. Les techniques de biologie moléculaire appliquées à l’étude du passé des vivants ont montré que l’homme était bien plus proche des singes africains que ceux-ci l’étaient des singes asiatiques. Ils datèrent la divergence entre l’homme et le chimpanzé et le gorille à seulement 5 millions d’années. Les expériences d’hybridation de l’ADN ont apporté les premières preuves génétiques révélant que les humains et les chimpanzés sont plus étroitement liés les uns aux autres qu’ils ne le sont chacun respectivement vis-à-vis des gorilles. La divergence entre l’homme et le chimpanzé est plus récente que celle entre leur ancêtre commun et le gorille. L’orang outan, autre cousin souvent mentionné, est l’espèce la plus éloignée de l’homme.

L’homme est donc un singe mais il n’est pas un singe comme les autres à de nombreux égards. Les différences de génome avec les chimpanzés, si faibles soient-elles en volume, se situent dans des régions génomiques impliquées dans le développement du cortex cérébral. Ces différences pourraient expliquer la taille très supérieure de notre cerveau et être impliquées dans les extraordinaires fonctions cognitives que notre espèce a acquises. Des différences diverses peuvent également expliquer les particularités uniques de l’espèce humaine en matière de morphologie, de fonctions cognitives comme le langage articulé, de relations sociales, de physiologie ou de relations avec les pathogènes entre autres.

Nous sommes le résultat d’une longue histoire de métissage

Après les instruments traditionnels des archéologues et paléoanthropologues, les apports décisifs de la génomique nous permettent de mieux en mieux reconstituer l’épopée de notre espèce, depuis son berceau, l’Afrique, jusqu’aux différentes étapes du peuplement de la terre et de ses continents. Nous sommes le produit de 200 000 ans d’histoire comme espèce, avec à la fin 100 000 ans de voyages et de rencontres multiples. Nous pouvons « lire » dans nos génomes comment notre espèce s’est adaptée à son environnement mais aussi à nos prédateurs, nos pathogènes causant les maladies infectieuses. Mais les humains ont aussi une histoire culturelle qui quelque fois infléchit leur histoire génétique. En retraçant l’histoire des mouvements de population et des métissages tels qu’ils sont révélés par la génétique, la génomique permet de relier le présent au passé.

Le génome de chacun de nous est une mosaïque composée à partir des génomes de tous nos ancêtres. Nous y retrouvons les traces d’une multitude de rencontres qui ont abouti à notre diversité génétique actuelle.  Ces rencontres font de nous des métis, quelle que soient nos origines géographiques, ethniques ou culturelles. Toutes les revendications identitaires appuyées sur des héritages exclusifs du « sang » ou de la « race » ne sont que des fantasmes au regard de la réalité génétique. D’un point de vue biologique chez les humains la « race » est pour l’essentiel une construction culturelle.

L’étude de nos génomes montre que la plupart des individus et des populations de la planète, sauf celles d’origine africaine, ne sont pas Sapiens à 100%. Ironiquement, les seuls groupes qui seraient Sapiens à 100%, car ils n’ont pas ou peu de matériel « archaïque » (c’est-à-dire d’origine néandertalienne ou dénisovienne, espèces antérieures à sapiens) dans leurs génomes, sont ceux d’origine africaine. C’est un détail de poids à rappeler aux défenseurs d’idéologies racistes.

Pour les hommes modernes provenant d’Afrique, le métissage avec les néandertaliens et les dénisoviens qu’ils ont rencontrés en investissant de nouvelles régions du monde, il y a environ 50 000 ans, a facilité leur adaptation aux nouveaux environnements. A titre d’exemple une étude publiée en 2016 a révélé que les néandertaliens ont en effet transmis aux Européens des mutations clés pour le contrôle de la réponse immunitaire contre les infections virales, comme la grippe.

Cet article ne donne qu’un aperçu de ce que vous pouvez trouver dans « Le peuple des humains » de Lluis Quintana-Murci. L’auteur nous montre comment l’étude génétique de notre passé nous permet de mieux comprendre les sources de notre diversité génétique actuelle et nos relations aux maladies. Il nous donne des éléments de réponse à la question qui sommes-nous ? Il nous indique que nous pouvons exploiter la connaissance du passé pour mieux comprendre la façon dont nous allons réagir à des changements futurs. Dans son épilogue, l’auteur nous dit que notre espèce continue à évoluer. Les migrations et les métissages entre populations humaines suite à la mondialisation représentent des mécanismes primordiaux d’évolution de notre espèce dans un futur proche. C’est la diversité qui est le moteur de l’évolution et le fondement de l’adaptation de l’homme aux changements environnementaux. Sans diversité, sans différence il n’y a pas d’évolution, ni de progrès.