A quoi sert le polémiste réactionnaire ?

Le polémiste qui multiplie les déclarations réactionnaires sur les médias depuis quelques années, a déboulé comme un chien dans un jeu de quilles et a bouleversé le paysage politique à l’horizon de la présidentielle de 2022. Le duel annoncé entre Macron et Le Pen est remis en question par la baisse du pourcentage nécessaire pour participer au second tour de la présidentielle.

Qui est ce monsieur ?

Son univers, la nostalgie et la xénophobie, est un recyclage des positions réactionnaires de la droite radicale et catholique. Fervent partisan d’un nationalisme offensif, il est xénophobe et raciste. Il cite Barrés et Maurras. Il se dit passionné d’histoire mais il y applique son filtre idéologique et sa loupe déformante. Il émet des doutes sur l’innocence de Dreyfus, il réhabilite le Pétain de la collaboration en prétendant qu’il aurait sauvé des juifs pendant l’occupation. Il a conscience de ses racines berbères et se reconnait juif, mais cela ne l’empêche pas de jongler avec les clichés antisémites. Ses grands hommes sont Napoléon et De Gaulle. Ses thèmes privilégiés sont l’immigration et l’identité nationale. Il défend la peine de mort. Il est adversaire des contre-pouvoirs et met en cause la faiblesse de la démocratie qui manque d’autorité.

Charles Maurras

Tout va mal, les immigrés ont envahi le pays et « créé un peuple dans le peuple ». Les musulmans sont son obsession. Ils constituent une menace pour la France éternelle, blanche et catholique. La modernité, les communautaristes, les féministes et les homosexuels remettent en cause les valeurs traditionnelles de la France. II fustige les femmes, qui devraient rester à leur place c’est-à-dire à l’église et à la maison.

Pour un programme d’avenir c’est plutôt un vaste retour en arrière. Et pourtant depuis septembre dernier, de sondage en sondage, il progresse de manière fulgurante dans les intentions de vote alors qu’il ne s’est pas encore déclaré candidat, et passe de 4% à 17%. C’est une performance même si la progression semble se stabiliser au moment d’écrire ces lignes. Il s’en prend à la candidate d’extrême droite qui selon lui n’a aucune chance de devenir présidente de la République. Il fait même preuve d’un grand mépris pour sa personne en évoquant son incompétence en référence à son débat raté de la présidentielle 2017. Manifestement son intention est de l’empêcher d’accéder au second tour et pour le moment il semble qu’il pourrait y parvenir.

Il accuse les représentants du parti « Les Républicains » de ne pas avoir appliqué leur programme quand ils étaient au pouvoir. Ils ont préféré ne pas déplaire à la gauche dit-il.

Qui soutient ce monsieur ?

Le polémiste bénéficie du soutien du groupe Bolloré qui contrôle, outre CNews, les radios de Lagardère – Europe 1, Virgin, ses titres de presse (Le JDD, Paris Match) et qui s’étend à l’édition. C’est un groupe de médias très puissant qui s’est constitué ces dernières années. La petite chaine d’information en continu que Vincent Bolloré a voulu appeler CNews en référence à Fox News son modèle outre- atlantique a été une rampe de lancement pour le polémiste.

Pourquoi ce groupe de médias s’est mis au service d’un projet politique ultraconservateur ? Dans un article du journal « Le Monde », Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin analysent la stratégie du milliardaire breton. Selon ces journalistes, Vincent Bolloré juge l’identité de la France menacée. Même s’il a toujours évité d’afficher ses convictions politiques personne n’ignore que c’est un homme de droite. Son idéal est l’union du libéralisme économique et du conservatisme sociétal. Il veut peser sur l’avenir politique du pays. Il ne supporte pas le néoféminisme et la remise en question du « mâle traditionnel ». Le « wokisme », ce concept qui prône la défense de toutes les minorités, l’exaspère. Il juge l’homme blanc menacé par l’idéologie décoloniale. Toujours selon ces journalistes bien plus qu’une éthique personnelle, la religion est un cadre moral nécessaire à ses yeux. La devise de sa famille depuis 1789 : « A genoux devant Dieu, debout devant les hommes ».

Il mobilise son empire médiatique avec comme fer de lance CNews et son polémiste vedette pour orienter les débats de la campagne des prochaines présidentielles dans le sens de ses convictions politiques. Et ça fonctionne ! Le nom du polémiste est partout et ses thèses alimentent les antennes.

Qui utilise qui ?

Manifestement le capitaine d’industrie aimerait, comme le polémiste, voir le chef de l’État battu en avril 2022 et ne juge pas la candidate d’extrême droite capable d’y parvenir. Il est légitime de s’interroger sur le fait que ce chef d’une grande entreprise, qui a mainte fois démontré son sens de la stratégie, croit le polémiste, en mesure lui, d’y parvenir. Il me semble plus probable, c’est mon hypothèse, qu’il l’utilise pour pousser en avant dans l’opinion publique les idées qui lui sont chères. Et surtout peser sur les candidats du parti « Les Républicains » pour qu’ils se radicalisent. Au vu des débats de la primaire de la droite classique l’objectif est en passe d’être atteint. Du fait de la division de la gauche, le candidat « LR » qui sera désigné en décembre est sans doute le seul à pouvoir battre le président sortant s’il s’est suffisamment radicalisé pour pouvoir bénéficier d’un report de voies suffisant au deuxième tour de l’élection en puisant dans les 35% des votes d’extrême droite.

Image par Gerd Altmann de Pixabay

La véritable campagne pour les élections présidentielle commence à peine. Les évolutions de ces prochains mois nous dirons si ces hypothèses se vérifient. Mais déjà une chose est certaine, comme le dit Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences Po, nous devrions tous nous alarmer de l’insuffisante régulation des médias dans notre pays et du manque de protection de l’indépendance des journalistes. Les exemples de canal plus, d’Europe 1, du JDD et de Paris Match sont suffisamment probants et montrent comment la possession du capital d’un groupe de médias permet d’imposer une ligne éditoriale. Pour Julia Cagé il faut séparer, dans les groupes de presse, l’actionnariat de la gouvernance si l’on veut protéger l’indépendance de l’information et donc préserver la démocratie.