Vers quel progrès pour l’humanité ?

Après plus d’un an de crise sanitaire et la mise au point de plusieurs vaccins contre le Covid 19 en un temps record, nous espérons tous pouvoir sortir des restrictions qui nous ont été imposées par ce virus et reprendre une vie « normale ». Mais s’agit-il de retrouver le monde d’avant sans tirer les leçons de cette aventure ? Va-t-on à nouveau laisser libre cours à l’individualisme et au chacun pour soi, relancer l’activité économique débridée avec pour objectif la maximisation du profit à court terme au mépris de l’accroissement des inégalités, ignorer le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité.

Qu’est-ce que le progrès ?

Selon le dictionnaire, le petit Robert, le mot progrès vient du latin progressus qui signifie « action d’avancer », de progredi « aller en avant ». Sont énumérés ensuite les différents sens du mot :

  • Mouvement en avant ; action d’avancer
  • Développement, progression dans le temps
  • Changement d’état qui consiste en un passage à un degré supérieur
  • Développement en bien – amélioration
  • L’évolution de l’humanité, de la civilisation (vers un terme idéal)

Les penseurs du siècle des Lumières sur les plans scientifiques et philosophiques voyaient le triomphe de la raison sur la foi et la croyance. Ils voulaient œuvrer pour un progrès du monde. Ils combattaient l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme, et la superstition des siècles passés. Ils ont procédé au renouvellement du savoir à partir des idées héritées de la Renaissance.

statue d’Emmanuel Kant

Un de ces penseurs, Emmanuel Kant, écrit en 1784 la devise des Lumières : « Sapere aude », ose savoir, ose te servir de ton entendement. La non inscription dans une relation avec un dieu ni avec une quelconque transcendance est vécue comme la volonté d’un jugement autonome. La liberté est le fondement de la philosophie des Lumières. L’idée du salut de l’âme est remplacée par l’idée du bonheur compris comme une optimisation incessante du bien-être matériel qui devient le but extrême de l’existence.

Dans « Le triomphe des Lumières » publié aux éditions les arènes, Steven Pinker expose que les Lumières ont une nouvelle façon d’envisager la condition humaine au travers d’un foisonnement d’idées parfois contradictoires mais reliées par quatre thèmes :

  • La raison : appliquer des critères rationnels pour comprendre le monde. C’est la raison qui les conduisit à rejeter une croyance en un Dieu anthropomorphique qui s’immisçait dans les affaires humaines.
  • La science : la sortie de l’ignorance et de la superstition a montré comment les méthodes propres à la science sont la manière d’aboutir à des connaissances fiables.
  • L’humanisme : établir un fondement laïque à la morale et jeter les bases de l’humanisme qui privilégie le bien-être des individus, hommes, femmes, enfants par rapport à la tribu, la race, la religion. L’objectif est de procurer le plus grand bonheur au plus grand nombre et traiter les autres humains comme des fins et non comme des moyens.
  • Le progrès : Grâce à la meilleure compréhension du monde que permet la science, l’humanité est en mesure d’accomplir des progrès intellectuels et moraux guidés par l’humanisme et faire du monde un endroit meilleur pour tous.
Par Steven Pinker — Rebecca Goldstein, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=17016101

La philosophie des Lumières c’est la primauté de la raison sur le dogme, la sécularisation de la société, le développement des sciences et des techniques, la maîtrise de la nature par l’homme dans la perspective de l’amélioration du bien-être humain et la recherche du bonheur.

A la poursuite du bonheur

Sous l’influence de cette philosophie des Lumières, la recherche du développement de l’humanité s’est traduite au XVIIIème siècle par la révolution de la machine à vapeur, la révolution de l’électricité et du moteur à explosion au XIXème, et la révolution informatique au XXème. Au cours de ces derniers siècles on observe un réel mouvement en avant dans de nombreux domaines qu’il serait absurde de nier. Des effets positifs sont enregistrés en matière d’éducation, de santé, d’espérance de vie, de libertés individuelles, de droits humains, d’avancées sociales, économiques, politiques et d’amélioration du bien-être humain au sens large.

Rousseau pensait que « le développement des sciences et des techniques doit s’accompagner d’une éducation de la conscience humaine ». Les progrès des sciences et des techniques n’impliquent pas nécessairement un progrès humain. Les deux guerres mondiales et leurs barbaries en sont le témoignage incontestable. L’utilisation de l’arme atomique qui selon certains experts en stratégie n’était pas indispensable pour assurer la fin de la deuxième guerre mondiale, a sérieusement mis en cause le mythe du progrès comme une avancée inéluctable de l’amélioration du sort de l’humanité.

Repenser notre notion du progrès

Le réchauffement climatique annoncé depuis plusieurs années et la crise sanitaire que nous affrontons depuis plus d’un an nous incitent à repenser la notion de progrès et à nous interroger sur le sens que nous donnons à nos actes et à leurs conséquences.

Déjà en 1972, le rapport « Meadows » du club de Rome attirait l’attention sur le fait que notre croissance démographique et industrielle mène l’humanité à sa perte si des mesures ne sont pas prises. Depuis les perspectives n’ont cessé de s’aggraver. Nous consommons davantage de ressources qu’il ne s’en régénère et l’environnement se dégrade à toute vitesse. Le réchauffement climatique dépend de l’augmentation de la population mondiale, de la croissance de la production et des échanges, de l’intensité d’énergie consommée pour assurer cette production et de l’intensité carbone de cette énergie consommée. Selon le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) seule une action significative sur ces différents éléments, notamment la transition énergétique, permettra de réduire l’émission des gaz à effets de serre et le réchauffement de la planète.

La pollution des sols, de l’eau, de l’air, la déforestation, la diminution des espaces de vie, la raréfaction des ressources, sont en relation de cause à effet avec l’érosion de la biodiversité et l’augmentation des maladies infectieuses. Tous ces phénomènes se révèlent interdépendants : la pollution atmosphérique aggrave le changement climatique qui accélère la déforestation, réduit la biodiversité et augmente les risques épidémiques.

Beaucoup des maladies nouvelles ou émergentes affectant les humains sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles proviennent des animaux comme probablement le SARS COV 19. Les scientifiques craignent que la fonte du permafrost libère dans l’atmosphère des virus que l’humanité n’a pas connus en même temps que du méthane qui est un gaz à effet de serre. La menace épidémique devient explosive de nos jours du fait de la conjonction de trois facteurs : perte de biodiversité, industrialisation de l’agriculture et développement accéléré du transport de marchandises et de personnes. Notre alimentation est en partie responsable de l’affaiblissement de notre système immunitaire. Les spécialistes disent que les épidémies vont être de plus en plus régulières.

Revenir aux fondamentaux de la philosophie des Lumières

Malgré tous ces faits établis scientifiquement certains vont jusqu’à mettre en cause les conclusions issues des analyses scientifiques qui sont qualifiées de simples opinions collectives dépourvues de liens avec la réalité. Ils rejettent les connaissances scientifiques qui ne leur conviennent pas. Ils contestent l’impartialité des chercheurs et pensent qu’ils sont influencés par leurs croyances.

Comme le dit Etienne Klein, philosophe des sciences, dans « le goût du vrai » publié chez Gallimard : « nous vivons tous dans un océan de préjugés et les scientifiques n’échappent pas à la règle. (…) Ils ne parviennent à s’en défaire dans leur domaine de compétence qu’en adoptant collectivement une méthode critique.  (…) Une vérité scientifique n’est déclarée telle qu’à la suite d’un débat contradictoire ouvert, conduisant à un consensus. ». Il faut faire confiance à la science pour affronter les défis qui se présentent à nous.

Mais tout ce qui est possible techniquement et scientifiquement n’est pas toujours humainement souhaitable. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Quelle civilisation souhaitons-nous construire ? Sur quelles valeurs la fonder ? quel sens donner à nos actions ? quels choix faire pour répondre au nouveau défi écologique ?

Construire une réponse planétaire
Changement climatique et préservation de la biodiversité

Depuis quelques années la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et donc de l’humanité. L’espèce dominante sur la planète, les humains, compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or les humains sont une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu. Il leur revient de tout mettre en œuvre pour préserver la planète. Cette action n’a de sens et d’efficacité qu’au niveau de l’ensemble de la planète. C’est le rôle des Conventions de Pays (COP) : organiser la coopération et la solidarité planétaire dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. La COP26 se réunira à Glasgow en Ecosse en novembre 2021 si la pandémie est à cette date maîtrisée. Il faudra passer des recommandations de 2015 à Paris aux engagements fermes sur une hausse impérative des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.

Surmonter la crise sanitaire

L’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019 en Chine. C’est aujourd’hui devenu un évènement planétaire. Après moins d’un an de recherche plusieurs vaccins sont homologués ou en cours d’homologation. C’est une avancée technologique notable. Parallèlement les progrès de l’immunothérapie ont permis de fabriquer de nouveaux traitements fondés sur des anticorps. Ces thérapies sont encore à l’étude avant d’être autorisées. Croire qu’un pays ou un groupe de pays pourra se sauver seul de la pandémie est une illusion. Pour être efficace l’immunité collective doit être mondiale ou ne sera pas de manière durable. Cette immunité ne peut être réalisée que si la population mondiale est vaccinée. Il faut donc considérer les vaccins comme un bien commun destiné à être accessible à tous. Encore faut-il être capable de les produire en quantité suffisantes. Tout doit être mis en œuvre pour produire de manière prioritaire et au plus vite les milliards de doses nécessaires. Face à cet enjeu les rivalités et la concurrence entre États sont indécentes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quelle que soit ses imperfections, doit être l’outil de cette coopération mondiale.

Faire face à la crise économique

La pandémie du coronavirus a entrainé la plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Sur le plan économique une relance coordonnée sera nécessaire pour être efficace. L’économie mondialisée nécessite des mesures de régulation et de contrôle tout en assurant un développement durable équilibré et une réduction des inégalités inter étatiques comme intra étatiques. Il ne s’agit pas de reprendre après comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut tirer les leçons de cette expérience et en premier lieu considérer comme prioritaires les secteurs de la santé car nous ne sommes pas à l’abri de prochaines pandémies. Il est indispensable de sortir de l’économisme qui consiste à considérer que le développement économique est une fin en soi. L’économie doit être au service de la satisfaction des besoins humains réels et nous ne pouvons plus ignorer le fait que le développement des activités humaines a des conséquences sur l’avenir de la planète.

L‘intersolidarité planétaire

Quel que soit son aspect, sanitaire, économique ou climatique, la crise que nous vivons est mondiale. Aucun État ne peut prétendre répondre seul à tous les défis qui se présentent à tous. Seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement. Les crises que nous vivons sont fortement interconnectées et forment une seule « polycrise » menaçant ce monde d’une « polycatastrophe ». Aucun État ni aucune Institution Internationale n’est aujourd’hui en mesure de faire respecter un ordre mondial et d’imposer les indispensables régulations globales. Comme le propose le Collegium international (voir notre article sur la gouvernance mondiale de novembre 2020), il faut repenser les principes juridiques internationaux et bâtir des mécanismes de prise de décisions planétaires dans l’intérêt de l’humanité. Le premier pas vers cette communauté mondiale est la reconnaissance universelle d’un principe nouveau qui résulte de l’interdépendance, l’intersolidarité planétaire. Ce principe devra préserver la diversité dans un esprit de tolérance et de pluralisme.

31 mai 2021

Références bibliographiques

Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018

Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir – « D’un monde à l’autre – Le temps des consciences » Fayard octobre 2020

Etienne Klein – « Le goût du vrai » tract Gallimard – juillet 2020

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

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