Suppression de l’ENA et des Grands Corps d’État

La suppression de l’École Nationale d’Administration est-elle le début de la mise en œuvre d’une véritable réforme de la haute administration ou une réponse populiste aux critiques nombreuses qui s’accumulent depuis plusieurs années faisant de cette école, sans doute abusivement, la principale responsable des dysfonctionnements de la société française ?

La création

Depuis la fin du XIXème siècle l’État avait recours au système des concours pour recruter les fonctionnaires responsables de la haute administration. Ce système était considéré comme la seule garantie d’un recrutement impartial et fondé sur le mérite.

Avec l’arrivée au pouvoir du Front Populaire en 1936, Jean Zay ministre de l’éducation nationale dépose à l’assemblée nationale un projet de loi autorisant la création d’une école nationale d’administration. Ce projet restera bloqué au Sénat jusqu’à la guerre. C’est le 9 octobre 1945 qu’une ordonnance du Gouvernement provisoire présidé par le Général De Gaulle crée l’École Nationale d’Administration (ENA). Cette décision avait été préparée par la Mission provisoire de réforme de l’administration placée auprès du chef du gouvernement et dirigée par Maurice Thorez, vice-président du conseil et secrétaire général du Parti Communiste Français.

La création de cette école a pour objectifs d’unifier la fonction publique en recrutant et en formant ses administrateurs en commun, avec la volonté de changer le recrutement, l’apprentissage des cadres de la République et une forte aspiration à l’élargissement du vivier social caractéristique du programme du Conseil national de la Résistance.

L’évolution

L’ambition sociale initiale de la Libération a été atteinte dans les premières décennies. Mais très vite, comme dans la plupart des concours très sélectifs, les enfants de cadres supérieurs et d’enseignants sont devenus prédominants.

Les élèves de l’ENA intègrent à leur sortie de l’école différents corps de la fonction publique d’État. Les premiers sont prioritaires et choisissent les postes les plus prestigieux, Conseil d’État, Inspection générale des Finances et Cour des Comptes.

 Depuis la fin des années 1970 la question de la suppression de cette école est évoquée. Les critiques sont nombreuses. Son manque de mixité sociale lui est reproché mais aussi son manque d’efficacité. En effet c’est une école sans professeurs ou très peu, des gens viennent faire des conférences pour compléter la formation des élèves qui sont censés savoir tout parce qu’ils ont réussi le concours d’entrée.  Cette réussite vaut certificat d’aptitude à diriger. L’école ne forme pas des spécialistes mais des hauts fonctionnaires qui souvent après un passage dans les cabinets ministériels sont parachutés à la tête de grandes entreprises nationales sans aucune expérience de gestion ou se lancent rapidement dans une carrière politique. La grande majorité de nos principaux ministres et même de nos Présidents de la République sont d’anciens élèves de l’ENA.  La collusion entre élites politiques, administratives, et « pantouflages » industriels a nourri la critique légitime de ce moule trop uniforme des dirigeants français.

L’évolution de l’école est marquée par la domination culturelle du néolibéralisme dans l’ensemble de la société, le manque de culture critique et l’absence d’expérience de terrain. Le croisement entre culture politique et culture de l’entreprise pousse à introduire dans l’action publique la primauté de la rentabilité immédiate comme par exemple, pour citer un cas actuel, le non renouvellement des stocks de masques et la non préparation à l’éventuelle survenance d’une pandémie pourtant annoncée par les épidémiologistes.

Ces critiques ne doivent pas nous faire oublier la qualité et le dévouement au service public de l’immense majorité des hauts fonctionnaires français, mais aussi les mérites sociaux du concours interne et de la troisième voie ouverte, après l’alternance politique de 1981, par le ministre communiste Anicet Le Pors aux acteurs de la société civile.

Par ailleurs il faut noter que le système de formation et de recrutement des administrateurs publics nous est souvent envié à l’étranger d’où l’idée chez certains de préserver la marque ENA. Depuis sa création l’école accueille de nombreux élèves étrangers et a intensifié sa politique d’échanges internationaux.

La suppression

En avril 2021, le Président de la République, confirmant une promesse faite lors de la crise des « gilets jaunes », annonce la suppression de l’ENA et la création d’un Institut du Service Public prenant en charge l’ensemble des élèves administrateurs et qui intégrera un tronc commun à plusieurs écoles de service public. Dans la foulée il souhaite s’attaquer aux grands corps de l’État, l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), sans toutefois supprimer leurs services. D’autres corps pourraient être concernés.

Quel est le sens de ces annonces ?

S’agit-il de renouer avec les objectifs définis à la création, retrouver un recrutement impartial fondé sur le mérite et l’élargissement du vivier social, la fin du « pantouflage » et de « l’entre-soi » ? Va-t-on se donner les moyens d’empêcher la reproduction sociale au sommet de l’administration d’État ? Le contenu de la formation va-t-il être modifié pour laisser une plus large part à l’esprit critique? Imposera-t-on des stages à la base de l’administration pour acquérir de l’expérience avant la nomination à des postes à responsabilité ? Va-t-on retrouver la vocation première de l’école qui était de « développer les sentiments des hauts devoirs que la fonction publique entraîne et les moyens de les bien remplir » selon les mots de Michel Debré, l’un des fondateurs de l’école ?

Ou bien ne s’agit-il que de tout changer pour que rien ne change ? L’avenir nous le dira.

30 Avril 2021

Vue du patio de l’École nationale d’administration (antenne de Paris).

Références

Wikipédia : École Nationale d’Administration (France)

Le Monde :

  • « Il faudra juger sur actes une transformation qui ne gagnerait rien à oublier les apports de l’ENA » – Pierre Allorant et Pascal Ory – 17/04/2021
  • « Après l’ENA, Macron s’attaquent aux grands corps » – Benoit Floc’h – 25/04/21

Xerfi : « Suppression de l’ENA : et si on réformait d’abord toute la fonction publique » – Olivier Passet – Directeur de recherche – 02/04/2021

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

Une réflexion sur « Suppression de l’ENA et des Grands Corps d’État »

  1. Ces hauts fonctionnaires sévissent dans tous les ministères alors que les ministres passent et repassent. Ce sont eux qui sont nos vrais dirigeants, comme tu les dis dans ton analyse; Ils veilleront à ce que rien change au fond.
    La suppression ne sera qu’un changement de nom, comme la PMA (procréation médicalement assistée) devenue officiellement l’AMP (assistance médicale à la procréation).
    Ces messieurs, dames ont organisé la pénurie en matière de santé et ils ne vont pas reconnaître leurs erreurs; ce n’est pas dans leur culture car ils se considèrent comme une élite.
    Je n’attends donc rien de bon pour la nation dans cette annonce uniquement à visée électoraliste.
    Le néolibéralisme a encore, hélas, de beaux jours devant lui.

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