Que faire de la « dette Covid »

La pandémie du coronavirus bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.
Beaucoup de certitudes sont à remiser. Le niveau de la dette atteint un sommet abyssal. Que faire avec cette dette? La rembourser ? Comment ? Cela fait l’objet de débats. Il n’y a pas de solution économique clé en mains, c’est une question de projet de société.

Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle. Elle bouleverse beaucoup d’idées reçues notamment en matière économique.

Les crédos économiques remis en question

Dans une vidéo Xerfi, Olivier Passet, directeur de la recherche, en ce début de mois nous explique que les crédos économiques dominants depuis la fin des années 2000 sont un champ de ruines.

L’austérité et la baisse des dépenses pour réduire l’endettement public. Rigueur = confiance = reprise. Les réformes structurelles seules peuvent modifier le cours de la croissance et le niveau de chômage à long terme. La baisse du chômage se mue inexorablement en accélération des salaires, au détriment de la profitabilité des entreprises. Le taux d’intérêt équilibre l’offre d’épargne et d’investissement et donc à taux zéro il n’y a plus d’incitation à épargner. L’ouverture des échanges, la mondialisation, le moins d’État, la destruction créatrice etc. … La liste n’est pas exhaustive.

Toutes ces certitudes ne laissaient pas de place au débat. La crise de 2008 et la crise sanitaire présente montrent que « face à l’incertitude radicale l’économie produit des conventions qui peuvent être stabilisantes un temps… Jusqu’au jour où elles ne le sont plus ! »

Le niveau de la dette attendue

La crise sanitaire et l’avènement du « quoi qu’ils en coûte » ont conduit les gouvernements à intervenir massivement pour soutenir l’économie. Toutes les certitudes, au moins temporairement, sont mises de côté. En décembre 2019, l’Insee révélait que la dette française avait franchi les 100 % du produit intérieur brut (PIB) au troisième trimestre de l’année. L’économie française a plongé dans la récession, l’État a déboursé des milliards pour soutenir les entreprises et les salariés, et la trajectoire budgétaire du pays en a été bouleversée. Autrefois tabou infranchissable, le seuil des 100 % de dette publique n’est plus qu’un lointain souvenir : elle devrait dépasser les 120 % en 2021. Elle aura plus que doublé en 20 ans.

Les taux d’intérêts sont historiquement bas, en raison d’un surplus d’épargne privée très important dans le monde. S’endetter ne coûte plus rien. Les intérêts que nous payons sur notre dette sont passés de l’équivalent de 3 % du Produit Intérieur brut (PIB) à 1,4 %, une division par deux.

Certains économistes considèrent que tant que les paiements d’intérêts sur la dette publique restent inférieurs à leur moyenne historique, les États peuvent continuer à s’endetter. Pour les orthodoxes de la dette, ce genre de raisonnement est de la folie pure. Facile de s’endetter quand les taux d’intérêt sont bas, mais qu’est-ce qu’on fait quand ils remontent et que le coût de la dette explose ?

Pour l’instant nous pouvons considérer que les banques centrales vont continuer à intervenir pendant de longues années pour maintenir bas les taux d’intérêt sur les dettes publiques, comme l’a confirmé la Banque centrale européenne (BCE) le 11 mars dernier. Si l’on admet que les taux d’intérêt peuvent rester bas pendant un moment, l’incertitude reste grande sur leur niveau à long terme.

Le cantonnement de la dette

En décembre 2020, une commission sur l’avenir des finances publiques présidée par l’ancien ministre de l’économie Jean Arthuis, a été mandatée pour réfléchir à la manière de gérer la « dette Covid », les quelque 150 milliards d’euros de facture de la crise sanitaire.

Par principe une dette doit être remboursée, mais comment financer ce remboursement ? Certains se disent favorables au cantonnement de la « dette Covid ». Cela consiste à prendre une partie de la dette et à l’isoler, en la transférant à une caisse d’amortissement dont l’objectif est de la rembourser intégralement (capital et intérêts) sur une période prédéfinie. Cette stratégie a été appliquée plusieurs fois en France au cours du siècle précédent, notamment en 1995 par le gouvernement Juppé avec la création de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Le cantonnement n’est pas une décision optimale dans la mesure où cela augmente le coût d’emprunt. La commission Arthuis a écarté le cantonnement de ses propositions sur l’avenir des finances publiques.

L’annulation de la dette

L’idée d’annuler la dette française détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE) est avancée par plusieurs économistes. Cela représente un quart de la dette française soit un peu plus que 600 milliards d’euros. Au niveau européen les titres détenus par la BCE avoisinent les 3000 milliards. La proposition comporte un double volet : dans un premier temps, la BCE annule toutes les créances qu’elle détient. Dans un second temps, les montants annulés sont réinvestis dans la transition écologique. Il s’agit, selon les auteurs, de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour réaliser un grand plan d’investissement et couper l’herbe sous le   pied aux néolibéraux qui considèrent que notre niveau d’endettement justifie des mesures d’austérité. Pour les pro-annulation aucune solution ne permet de dégager autant d’argent que l’annulation des créances par la BCE qui permet un plan d’investissement gratuit.

Cette question soulève un certain nombre de questions juridiques et comptables. Elle est rejetée par les partisans d’une stricte orthodoxie monétaire mais aussi par des économistes hétérodoxes. Ces derniers considèrent que la France a encore, dans les conditions de marché actuelles, des marges d’endettement. Il faudrait profiter des taux bas pour investir davantage, au lieu de risquer de perdre la confiance des marchés financiers, à qui l’on emprunte également et qui pourraient exiger une prime de risque plus élevée suite à une annulation de la dette détenue par la BCE.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde dans le Journal du dimanche du 7 février a souligné que l ’annulation de la dette Covid-19 est « inenvisageable » et serait « une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États.

Partisans et opposant de l’annulation de la dette se retrouvent pour souhaiter une réforme du fonctionnement de la BCE certains allant jusqu’à remettre en cause son indépendance. Obtenir l’unanimité des 27 pays sur de telles mesures quand on sait que le plan de relance européen est bloqué par un recours juridique en Allemagne, ne sera pas aisé.

Indispensables réformes

Le choc de la Covid 19 a mis en évidence l’exacerbation d’énormes inégalités et le fait que nos sociétés ne sont pas équipées pour y faire face. Les spécialistes nous prédisent d’autres pandémies, et d’autres chocs sont à venir, en particulier la crise climatique.

En France, mais aussi à l’étranger, un changement de mentalité s’opère. Même si les vieux réflexes sont robustes, certains dogmes sont en train de tomber. Après la crise financière de 2008, les pays ont trop vite mis en œuvre des mesures d’austérité pour redresser leurs finances publiques et ont été entrainés dans la « grande récession ». Les organisations internationales, tels le Fonds monétaire international (FMI) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui, hier, préconisaient aux États de mener réformes et mesures d’économies au pas de course, ont fait leur mea culpa. En Europe et même en Allemagne, où la discipline budgétaire est une valeur constitutionnelle, le ton a aussi évolué.

En réalité le problème n’est pas économique et il n’y a pas de solution clé en mains. C’est une question de projet de société à laquelle il faut répondre par un processus démocratique. La priorité reste d’investir pour sécuriser la reprise et assurer une croissance durable. Il faudra trouver un mode de financement favorisant un régime de croissance respectueux pour notre planète, une meilleure répartition des richesses et une réduction drastique des inégalités.

13 avril 2021

Bibliographie

Vidéo Xerfi canal : « idées dominantes en économie invalidées » Olivier Passet – 05 avril 2021

Alternatives économiques n°411 avril 2021 : Dossier « Vive la dette »

Le Monde : « l’avenir de la dette Covid, un débat politique autant qu’économique » Audrey Tonnelier – 29 janvier 2021

Le Monde : tribune « L’annulation des dettes publiques que détient la BCE… » collectif – 05 février 2021

Le Monde : « Surenchères politiques autour de la dette Covid » Audrey Tonnelier et Claire Gatinois – 6 février 2021

Le Monde : tribune « D’autres solutions que l’annulation de la dette… » collectif – 27 février 2021

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

2 réflexions sur « Que faire de la « dette Covid » »

  1. Dans le calcul de cette dette, quelle place est faite aux dépenses de santé occasionnées par la crise sanitaire ?
    Les vaccins ont un coût, les séjours en réanimation également sans oublier les tests, les masques.
    Mais en France, depuis les années Juppé en 1995, il est malsain de dire que la santé représente un investissement rentable car depuis longtemps, les médecins, infirmières , sages femmes en ont assez de se voir reprocher de vivre de la santé des citoyens.
    Les comptables n’ont pas leur place dans ce domaine et ils ont montré leurs impostures par la fermeture programmée des lits , même en période de Covid.
    La dette ne pourra pas être remboursée et nous sommes loin des 3% de déficit autorisé par les institutions européennes. Je souhaite que les dogmes néolibéraux volent en éclats au profit d’une économie réellement sociale et solidaire.
    Au crépuscule de cette existence présente, je ne la verrai pas arriver. Pour les générations futures, je suis dubitatif.

  2. Christian RAINGEVAL
    Je ne peux justifier de mes connaissances universitaires pour me fournir une quelconque crédibilité « vulgus pecus » je suis. Toutefois voilà bien longtemps que l.évolution de la dette tant nationale qu’internationale m’interpelle et je suis arrive à la conclusion que nous aboutirons à une réduction coordonnée de celle-ci qui respecte une certaine parité entre les créanciers dans une énorme partie de compensation et pouvant aboutir à la création d’une monnaie mondiale mais pas forcément universelle ce qui pourtant serait souhaitable.
    christian.raingeval@gmail.com

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