Nous pouvons constater que le populisme prend de l’ampleur au XXIème siècle. C’est un mot utilisé avec souvent une connotation péjorative mais pas toujours. D’où vient ce mot et que recouvre-t-il ? Sans prétendre faire l’histoire du populisme nous pouvons citer trois moments historiques où le mot « populisme » a émergé.
Les termes populisme et populiste ont fait leur apparition en Russie au cours des années 1870. En révolte face au pouvoir tsariste de jeunes intellectuels issus de classes favorisées voulaient fraterniser avec le peuple. A l’origine le populisme russe célébrait la communauté agraire et l’assemblée villageoise comme fondements de l’histoire et de l’avenir souhaitable de la Russie.
En Amérique du Nord, sans lien avec le populisme russe, ce sont les membres du Peaple’s Party fondé en 1892 dans le Nebraska qui se sont eux-mêmes qualifiés de « populistes ». C’était la révolte des petits agriculteurs des grandes plaines contre les gros, du peuple contre les compagnies de chemins de fer, les grandes banques et les propriétaires intraitables.
En 1929 le mot fait son apparition en France, la aussi sans lien avec ce qui s’est passé en Russie et aux État Unis. Est publié le « Manifeste du roman populiste » qui est une invitation aux romanciers français à prendre davantage comme objet les milieux populaires.
Nous voyons donc qu’il est difficile de parler de populisme sans parler du peuple. Mais qu’est-ce que le peuple ?
Le peuple
Le dictionnaire (le petit Robert) définit le peuple comme « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions. Le peuple c’est le corps de la nation, l’ensemble des personnes soumises aux mêmes lois. » Pour aller plus loin sont énumérées plusieurs citations. Je n’en retiendrais qu’une qui me parait la plus significative pour notre objet. Celle de Valéry : « Le mot peuple désigne tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre, opposé au nombre restreint des individus plus fortunés ou plus cultivés. »
Ainsi le peuple c’est un ensemble d’individus qui constituent le corps de la nation, qui sont soumis aux mêmes lois et vivant en société sur un territoire donné ayant en commun un certain nombre de coutumes et d’institutions. Mais cet ensemble n’est pas un bloc homogène, il est composé de différentes couches et catégories sociales.
La nation, une construction sociale
La nation, disait Ernest Renan dans une conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, « ce n’est ni une langue, ni une origine ethnographique, ni une religion, ni un lieu géographique, c’est un principe spirituel constitué d’une histoire commune et d’un consentement actuel, le désir de vivre ensemble. Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposés à faire encore. »
Dans le même sens, Pascal Ory, dans « Qu’est-ce qu’une nation ?» publié chez Gallimard, nous précise que la nation est le fruit de la rencontre entre un peuple et la démocratie. Chaque peuple élabore une conception particulière de la souveraineté populaire. Une culture partagée instaure une conception du politique, une histoire se transforme en géographie, un peuple devient le Peuple. L’expérience politique du pays fabrique elle-même du commun, l’identité collective qui n’est jamais que la somme de toutes les identifications que la vie en société impose aux membres de ladite société. La nation est une construction sociale comme toutes les institutions sociales. Elle est le résultat de la volonté des hommes. Mais les volontés humaines changent. Les nations évoluent et ne sont pas éternelles. Une nation survit tant que les facteurs d’intégration l’emportent sur les vecteurs de désintégration. Une nation en action dit Pascal Ory est une grande machine à intégrer. L’immigré se définit moins par ses origines, ce à quoi veulent le réduire les xénophobes du pays d’arrivée comme les identitaires de son pays de départ. Sur la longue durée l’immigré demeure et « fait souche ».
Une société divisée
Dans « l’archipel français » aux éditions du Seuil, Jérôme Fourquet décrypte les changements de fond sociétaux, sociologiques, et politiques de la période 1981-2017. Sur le plan sociétal il évoque le basculement de notre vie sociale avec le PACS, le mariage gay, la PMA, l’explosion du nombre des prénoms qui sont donnés aux enfants. Au niveau sociologique il cite l’exode rurale qui se termine, la désindustrialisation massive dans plusieurs régions, l’apparition d’une nouvelle immigration de l’Europe de l’Est et des pays d’Afrique noire et la multiplication des échanges dans le cadre de la mondialisation. Les changements politiques majeurs sont l’émergence de l’extrême droite, le « non » au traité constitutionnel européen contourné, les attentats terroristes de 2015. L’ancien clivage droite / gauche n’est plus opérant, il est remplacé par un clivage autour de la mondialisation qui a pour conséquence une division de la société française sur de nouvelles lignes de partage : le niveau de diplôme scolaire, le lieu de résidence – métropole versus périphéries avec une dimension infra-urbaine, et le niveau de revenu. Reste une nation multiple et divisée.
Les populismes
Les gouvernements des démocraties libérales estiment qu’il n’y a pas d’alternative et que le réel doit se plier à l’ordre économique mondial que le capitalisme a créé. Cette démission du politique frappe de discrédit ces gouvernements. La dégradation du lien social constitue un terrain favorable à l’installation de régimes autoritaires et contribuent aux succès électoraux des partis populistes. Les populistes accusent les élites de dévoyer la démocratie, de dessaisir le peuple de sa souveraineté en abusant de leurs fonctions et d’être tellement éloignés de ses intérêts qu’ils n’ont aucune légitimité à le représenter.
Chantal Mouffe, philosophe belge, professeure à l’université de Westminster est proche du parti Podemos en Espagne. Elle estime que tous les partis sociaux-démocrates ont accepté qu’il n’y avait pas d’alternative à la mondialisation néolibérale, et que lorsqu’ils accédaient au pouvoir la seule chose qu’ils pouvaient faire, c’était d’administrer de façon un peu plus humaine cette mondialisation. Pour elle, cette absence d’une véritable alternative de gauche crée les conditions pour l’émergence du populisme de droite. La désindustrialisation a pour conséquence un affaiblissement de la classe ouvrière et des syndicats. Les transformations du capitalisme financiarisé menacent également les classes moyennes, la paupérisation est générale. Il faut s’adresser à tous ceux qui souffrent des conséquences des politiques libérales. La frontière droite-gauche traditionnelle ne doit pas être rétablie, il faut en créer une autre, de manière populiste. Elle fait référence au philosophe argentin Ernesto Laclau qui explique que le populisme n’est pas une idéologie, c’est une construction de la politique. C’est la façon d’établir la frontière entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, le peuple et l’establishment.
Anatomie des populismes
Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, dans son livre intitulé « Le siècle du populisme », publié au seuil, se propose de faire une anatomie du populisme. Il distingue cinq éléments constitutifs de la culture politique populiste.
Une conception du peuple
La conception du peuple des mouvements populistes est fondée sur la distinction entre « eux » et « nous ». Le capitalisme néolibéral a vu émerger de nouvelles formes de domination. Le populiste traduit un ensemble de demandes hétérogènes qui ne peuvent plus être formulées en termes d’intérêts liés à des catégories sociales déterminées. Les conflits qui traversent la société peuvent s’ordonner selon le seul axe de l’opposition entre les dominants détenteurs du pouvoir politique, économique, social ou culturel et le reste de la société soit le peuple.
Une théorie de la démocratie
Les populismes s’inscrivent dans la perspective d’une régénération démocratique. Ils instruisent le procès des démocraties libérales-représentatives accusées d’avoir le culte de l’individu et des minorités au détriment de la souveraineté du peuple. La conception populiste de la démocratie présente trois caractéristiques : privilégier la démocratie directe en appelant à multiplier les référendums d’initiative populaire, dénoncer le caractère non démocratique des autorités non élues et des cours constitutionnelles (le gouvernement des juges), et exalte une conception immédiate et spontanée de l’expression populaire (au travers de l’approbation par acclamation). La critique des médias est au cœur de la rhétorique populiste. Elle participe d’une théorie de la démocratie immédiate qui considère illégitime la prétention des corps intermédiaires dont la presse, à jouer un rôle actif dans l’animation de la vie publique et la constitution de l’opinion.
Une modalité de la représentation
Le populisme célèbre « un peuple-Un » soudé par un rejet des élites et des oligarchies. Un peuple rejetant une caste politique accusée de défendre ses propres intérêts. Le populisme préfère le mouvement au parti comme forme d’organisation politique. Mouvement dont l’ambition est de rassembler toute la société et qui porte un chef considéré comme le pur organe du peuple. C’est lui qui rend présent le peuple, au sens figuré du terme, qui lui donne forme et visage, l’homme-peuple.
Une politique et une philosophie de l’économie
Face au développement de la globalisation de l’économie et la constitution d’un marché-monde, les populismes développent une vision protectionniste offrant la possibilité de protéger la souveraineté et la volonté politique des peuples. Le national-protectionnisme s’inscrit dans une perspective de refondation démocratique qui va bien au-delà d’une simple approche de la question en termes de politique économique. Le protectionnisme est aussi un instrument de sécurité. Le maintien aux frontières des étrangers participe d’une vision élargie de la sécurité qui met à distance des populations jugées dangereuses pour le maintien de la cohésion nationale. Cette approche est prolongée par la notion d’insécurité culturelle qui invite au rejet des idéologies jugées menaçantes pour l’identité du peuple. Le populisme est un souverainisme.
Un régime de passion et d’émotions
Les colères et les peurs semblent constituer les moteurs affectifs et psychologiques à l’œuvre dans l’adhésion au populisme. La propension à se rallier à des « vérités polémiques » constitue un élément clef de ce qui pourrait être défini comme la personnalité populiste. Elle repose sur la tendance au soupçon systématique des visions consensuelles accusées d’être de pures fabrications de l’idéologie dominante. La politique prend du même coup un caractère de type religieux.
Conclusion
Nous pouvons remarquer qu’il règne aujourd’hui « une atmosphère » de populisme. L’ère du temps est marquée par l’effacement des vieux partis devant de nouveaux mouvements politiques formés dans le sillage d’une personnalité dont ils accompagnent l’ascension. Le désenchantement démocratique contemporain s’inscrit dans la culture politique diffuse du populisme. De grands thèmes populistes comme l’appel au développement des référendums et la philosophie nationale-protectionniste imprègnent beaucoup plus qu’avant des sociétés en panne de projets de solidarités. Les différentes passions populistes irriguent les esprits dans les démocraties fragilisées du XXIème siècle, cela évite de se confronter à la complexité du monde réel.
31 mars 2021
Bibliographie
Jan-Werner Müller « Qu’est-ce que le populisme » – folio essais – 2016
Pascal Ory. « Qu’est-ce qu’une nation – une histoire mondiale » – nrf Gallimard -2020
Corine Pelluchon « Les lumières à l’âge du vivant » – Seuil – 2021
Pierre Rosanvallon « Le siècle du populisme » – Seuil – 2020
Jérôme Fourquet « Archipel français » – Seuil – 2019
Ernest Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? » conférence en Sorbonne – 1882
Chantal Mouffe « Pour un populisme de gauche » entretien dans Le Monde – 20 avril 2016
Chantal Mouffe oppose un populisme de gauche au populisme de droite. Le populisme de gauche a pour but l’égalité tandis que celui de droite veut substituer une hiérarchie sociale à une autre .
C’est ce qu’elle explique dans son débat contradictoire avec le théoricien de la Nouvelle Droite, Alain De Benoist. https://www.youtube.com/watch?v=2dWRaJRVtJQ
Dans son livre « Pour un populisme de Gauche », en post marxiste elle explique que les revendications de la seule classe ouvrière ne sont pas suffisantes pour créer l’hégémonie culturelle nécessaire à la prise de pouvoir. Elle fait référence à Gramsci sur la nécessaire guerre de positions à mener. Gramsci déjà ne croyait pas à la fatalité matérialiste marxiste. Mouffe va également puiser dans Carl Schmitt pour légitimer une nécessaire conflictualité entre amis et ennemis. Ainsi son populisme consiste à fédérer ceux dont les demandes démocratiques ne sont pas écoutées par des élus inutiles puisque le parlement n’est plus qu’aux ordres de l’oligarchie. Elle explique que son populisme de gauche est conforme au civisme républicain de la révolution française. Or qui ne peut pas admettre qu’avec plus 90 % des textes normatifs français issus des directives européennes, le parlement de 2021 ressemble fortement à celui de l’époque de Louis XVI. Le populisme de Chantal Mouffe n’annoncerait-il pas la nécessaire montée sur paris des fédérés comme en 1792 ?
Je commets un texte sur la relance de la République sociale dans la revue Cause républicaine N1 dans lequel je développe cette idée.
Oui les populismes sont de retour et l’Europe en est bien l’exemple. La France n’était pas en retard lors de l’époque Boulanger.
Par contre je suis surpris par l’analyse faite de la démocratie directe. Pourquoi dans notre pays avons nous peur de l’expression populaire ? La Confédération Suisse n’est pas une pseudo dictature et la volonté populaire y est respectée. C’est, je pense, liée à la conception de l’État.
Ce qui favorise le populisme est la structure centralisée d’une nation. Un état fédéral a l’habitude des décisions d’intérêt local à l’inverse de notre millefeuille administratif où tout est pyramidal; c’est l’ensemble de la structure qui est rejetée en cas de conflit majeur.
Laissons aux citoyens la possibilité de proposer et au gouvernement le pouvoir d’appliquer et de décider tout en respectant l’initiative populaire. Celle ci peut sans encombre être double : par ses représentants et par son initiative. Cette initiative peut être locale, régionale ou nationale.
Les frustrations vis à vis du système viennent du fait que les citoyens ont l’impression que l’écoute se fait tous les 5, 6 ans en fonctions de l’élection en cause.
Alors parfois, pour se donner bonne conscience, le pouvoir décide de convoquer une convention citoyenne comme cela a été fait récemment : façade qui a bien montré ses limites par les décisions qui ont suivi…
Autre démonstration des limites du pouvoir parlementaire : l’obstruction faite (avec la complicité du gouvernement) sur la fin de vie (proposition Falorni)
Nous avons, hélas, de belles bagarres devant nous vue la hargne qui monte …