La ministre demande une enquête
La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation vient de demander au CNRS d’effectuer une enquête sur l’islamo-gauchisme et le post colonialisme à l’université. Les raisons invoquées sont la protection d’universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches » et séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Cette demande a provoqué de nombreuses réactions et une polémique médiatique très confuse dans laquelle tout se mélange l’académique, l’idéologique, le politique et l’approche des échéances électorales.
Le contre
Tout d’abord plus de 800 membres du personnel de l’enseignement et de la recherche, en réaction aux déclarations de leur ministre, ont publié dans le journal « Le monde » une tribune intitulée « Nous, universitaires et chercheurs, demandons avec force la démission de Frédérique Vidal ». Ils estiment leurs professions diffamées et reprochent à la ministre de faire planer la menace d’une répression intellectuelle. Ils accusent la ministre d’avoir une attitude comparable à celle des gouvernements d’extrême droite de Hongrie, Pologne et Brésil et d’ânonner le répertoire de l’extrême droite française sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà évoqué par le ministre de l’éducation nationale en octobre 2020. Enfin ils refusent de laisser bafouer les libertés académiques.
Le pour
Pourtant, en octobre 2020, une centaine d’universitaires et chercheurs de diverses sensibilités, dans une tribune dans le même journal, s’étaient accordés avec le constat du ministre de l’éducation nationale sur « l’islamo-gauchisme » au sein de l’université. Ils y déclarent que « les idéologies indigéniste, racialiste et « dé coloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs » et de la France ; et un militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la doxa anti-occidentale et le prêchi-prêcha multi culturaliste. » Ils demandent à la ministre de l’enseignement supérieur « de prendre clairement position contre les idéologies qui sous-tendent les dérives islamistes ». Ils estiment dans cette tribune que « les universités ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte pour la défense de la laïcité et de la liberté d’expression ». Reprochant à l’époque à la ministre son silence, ils lui demandaient « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique. Et d’élaborer un guide de réponses adaptées, comme cela a été fait pour l’éducation nationale ».
Défendre les libertés académiques
Un collectif de 130 universitaires comprenant ceux qui avaient réclamé une réaction de la ministre en octobre, se félicite de la reconnaissance de l’existence d’un problème au sein de l’université mais marque un premier désaccord avec le fait de se focaliser sur le terme « islamo-gauchisme ». Pour ce collectif ce qui est préoccupant c’est le « dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche. Car se développent de façon inquiétante pléthore de cours, articles, séminaires, colloques qui ne sont que du militantisme déguisé en pseudo-science à coups de théories fumeuses (« racisme d’Etat »), de néologismes tape-à-l’oeil (« blanchité ») et de grandes opérations de découverte de la Lune, présentant par exemple comme de lumineuses avancées scientifiques l’idée que nos catégories mentales seraient « socialement construites » (mais qu’est-ce qui ne l’est pas dans l’expérience humaine ?) ou que, « intersectionalité » oblige, être une femme de couleur expose à être moins avantagée socialement qu’être un homme blanc… Quelle que soit la légitimité des causes politiques ainsi défendues, l’indignation ne peut tenir lieu de pensée, ni le slogan d’argumentation raisonnée. » Ce collectif estime donc qu’il faut « rendre le monde universitaire à sa mission : produire et transmettre des connaissances, dûment étayées et vérifiées, et non pas des convictions politiques, fussent-elles animées des meilleures intentions. (…) Mais – et c’est là leur second désaccord avec la ministre – ce travail de régulation de l’offre académique ne peut et ne doit se faire qu’en interne, au sein des instances universitaires dont c’est le rôle.»
Il semble donc que les universitaires, dans leur ensemble, sont d’accord pour défendre les libertés académiques. C’est aux instances universitaires de réguler en interne les enseignements et les travaux de recherche.
La fracture
Mais si certains s’offusquent d’une ingérence inquiétante de la part du gouvernement d’autres se félicitent de la prise de conscience de la ministre qu’il y a un problème au sein de l’université. Manifestement l’université se fracture sur ce qui doit être considéré comme sujets d’études ou de recherche. Pourtant comment reprocher aux sciences sociales de s’intéresser à des thèmes comme le racisme, les inégalités, les effets de la colonisation, l’esclavage, le genre, l’intersectionalité, le post colonial, la laïcité, l’universalisme et bien d’autres thèmes qui traversent la société contemporaine. A l’université comme dans la société les opinions sont variées et opposées. Au niveau académique il faut essayer de faire la différence entre les positions idéologiques et les travaux en sciences sociales même si la frontière est parfois difficile à tracer et ce d’autant plus que nous vivons une période de forte polarisation politique. Les chercheurs qui ont le courage d’aborder ces questions polémiques en intellectuels en apportant plus de réflexions, d’argumentations, d’intelligence collective dans le débat public doivent être soutenus. Il faut garantir pour tous les chercheurs, quelles que soient leurs orientations, l’autonomie de la recherche et l’expression libre des idées.
L’inacceptable
Les libertés académiques sont menacées par l’interférence de la ministre mais pas seulement. Certaines mouvances politiques ont des pratiques qui suscitent des interrogations : boycotter ou faire désinviter un conférencier, l’humiliation en ligne sur les réseaux sociaux, l’interruption de manifestations scientifiques sont autant d’actions qui ne manquent pas d’inquiéter. La peur et l’intimidation sont utilisées pour restreindre la liberté de parole. Ces pratiques portent atteinte aux libertés académiques et doivent être arrêtées dans l’intérêt de l’université. Elles sont inacceptables.
Pour conclure il est nécessaire de distinguer ce qui relève du débat politique qui n’a jamais épargné le monde universitaire, de ce qui relève du débat scientifique. Il est indispensable de préserver les libertés académiques. L’université doit garantir l’autonomie de la recherche et une pensée libre. Mais il est temps de nommer les choses par leurs noms et prendre conscience de la responsabilité d’idéologies communautaristes qui se diffusent dans l’université et vont jusqu’à menacer la liberté d’expression. A l’université comme à l’école il faut sortir du déni.
février 2021
Comment juger si on ne connaît pas ce que la ministre vise ? Est-ce que son texte attaque des personnes ou des catégories de personnes sur la validité de leurs travaux et de leurs arguments, ou attaque-t-elle des faits comme l’obstruction à l’expression ?
Est-ce dans le rôle normal de l’université de diffuser des opinions sur les thèmes sociaux qui peuvent être objets d’étude ?
La réponse est dans l’article.
//Les raisons invoquées sont la protection d’universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches » et séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».//
//Ce collectif estime donc qu’il faut « rendre le monde universitaire à sa mission : produire et transmettre des connaissances, dûment étayées et vérifiées, et non pas des convictions politiques, fussent-elles animées des meilleures intentions.//
Ceci étant ce qui a motivé cet article c’est la confusion qui domine dans cette polémique. Dès lors à chacun de se faire son jugement.