Universalisme, Vous avez dit Universel ? Quel Humanisme ! – deuxième partie –

L’universalisme humaniste

Le fondement de l’Humanisme

Pour l’humaniste, l’homme est l’unique source de valeur. Certains pensent que des valeurs lui sont supérieures : la nation, le prolétariat, le socialisme, la race aryenne … D’autres pensent que l’humanité ne tire sa valeur que d’êtres qui la surpassent et qui sont source de toute valeur : Dieu ou la Nature. Laissons ces approches qui ne manquent pas de générer de nombreuses contradictions. Essayons de fonder rationnellement l’humanisme.

L’homme est capable d’accéder à la science, un mode de connaissance de la nature, qui le hisse au-dessus de la nature. Il est capable de normes d’action qui le distinguent des autres êtres naturels : la moralité. Admettre que l’homme n’est pas seulement un être de nature mais de culture permet d’expliquer pourquoi l’univers humain est un univers de règles, de normes et de symboles. La culture est la finalité interne de tout être humain, ce vers quoi il tend pour être lui-même.

L’être de l’homme c’est la raison dialogique c’est-à-dire la disposition anthropologique au langage, la capacité des hommes à se parler les uns aux autres à propos du monde, à raisonner ensemble. C’est l’union indissociable du langage et de la raison qui permet d’expliquer les autres qualités propres aux humains. Grâce au langage la conscience humaine est en relation avec elle-même, avec le monde et avec toute autre conscience.

Une autre spécificité du langage humain est la négation. Parler humain c’est affirmer ou nier, prétendre que ce que l’on dit est vrai et que ce qui le nie est faux. Ce que l’un dit doit pouvoir être contredit par l’autre. L’identification alternée de l’un à l’autre, l’interaction originaire entre un humain et tout autre humain, le oui et le non du dialogue, l’entente et le différend, la coopération et la rivalité et le monde commun sur fond d’un réel à partager c’est ce qui fait l’humanité de l’être humain.

Par le fait qu’il dispose du langage, l’être humain peut accéder au jugement. Les êtres humains en tant qu’ils parlent et se répondent, peuvent distinguer le réel de l’illusoire, le vrai du faux, l’objectif du subjectif. L’être humain est aussi capable de justifier auprès des autres la vérité de ses jugements. Parler c’est répondre de ce que l’on affirme ou de ce que l’on nie, en répondre devant autrui, devant tout autre. La justification est l’œuvre de la raison dialogique contre l’arbitraire.

Valeurs

L’action se fait souvent devant autrui et donc selon des normes ou des valeurs collectives. La personne agit selon des valeurs qu’elle s’efforce de partager ou de faire partager. La justification par des valeurs est donc une démarche rationnelle. Ce qui fait la grandeur de l’humain c’est qu’il peut aspirer à un bien qu’il place au-dessus de son plaisir, de sa tranquillité, de sa survie même. En tant qu’elles sont partageables, les valeurs répondent à une tendance anthropologique fondamentale : être soi en étant nous, dire et penser nous pour pouvoir être vraiment soi.

Les valeurs sont multiples et contradictoires. Toutes les valeurs ne se valent pas et quiconque l’admet doit aussi admettre qu’il y a de l’universel.

Science

La science est une connaissance à la fois rationnelle et empirique. Elle ne se contente pas d’observer et de recueillir des faits, elle a aussi vocation à les expliquer. Une théorie scientifique doit être réfutable c’est-à-dire susceptible d’entrer en conflit avec des observations possibles ou concevables. Un énoncé scientifique n’est justifié que par sa reproductibilité donc son invariance. La science se définit par ses procédures universelles, elle est le discours des savoirs universellement partageables. Les trois normes de la connaissance scientifique sont : impersonnalité, désintéressement, doute systématisé.

L’idéal scientifique c’est le monde objectif vu de nulle part sans sujet pour le voir. 

La science est la finalité interne de la rationalité théorique humaine.

L’idéal éthique

L’idéal éthique c’est le monde interlocutif vu de toute parts par tout sujet possible. Au contraire de la morale, l’éthique c’est l’unité du bien pour soi et du bien en soi. Le bien de tout être humain est de tenir tout autre humain pour un être de même valeur que lui-même et réciproquement. Les règles qui se déduisent du principe de réciprocité ne sont pas morales, elles sont éthiques parce qu’elles ne distinguent pas conduites intéressées et désintéressées. Ce sont des règles de vie bonnes pour l’humanité.

Le fondement de l’universel éthique n’est pas le principe à priori de l’égalité et de la réciprocité entre personnes discutant mais la conséquence à postériori que chacun peut en déduire pour son propre bien et pour le bien de la communauté. Tout être humain rationnel choisit de vivre selon les règles rationnelles de la réciprocité parce que, destiné à vivre en communauté (il ne se suffit pas à lui-même) et dialogiquement rationnel (il peut échanger avec qui que ce soit), il sait qu’il ne peut trouver son bien que sous des règles d’égalité et de réciprocité.

Le bien a priorité sur les valeurs. Le bien concerne chacun en tant qu’humain aspirant à vivre humainement. Il est le bien réel de ceux qui sont humains par définition, parce qu’ils peuvent se parler les uns aux autres. Le bien éthique représente un plus haut degré de rationalité que les valeurs morales. Celles-ci sont collectives, le bien éthique est universel. Il est le bien de l’humanité comme telle. Parce qu’il est l’achèvement de la relation d’interlocution, fondement même du logos, il a priorité sur toute justification dont il est la condition. Pour la raison dialogique il y a un bien universel. Il suppose le monde vu de toute parts, de toutes les places où se trouve un sujet d’interlocution. Telle est l’éthique humaniste fondée sur la raison.

Conclusion

Pour terminer je reprendrais l’essentiel de la conclusion du « Plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf. Un humanisme effectif est possible à condition qu’il intègre l’idée que les êtres humains se pensent toujours concrètement, à partir de leurs différences et qu’ils se définissent par des identités multiples et mouvantes. Le vrai humanisme repose à la fois sur une éthique de l’égalité, de la réciprocité et sur une politique des différences. L’humanisme d’aujourd’hui ne peut être fondé que sur la singularité de l’être humain comme animal parlant. La globalisation semble rendre l’humanisme impossible car elle menace la diversité culturelle sans laquelle il n’y a pas d’humanité ; elle le rend pourtant nécessaire contre les faux refuges dans des identités imaginaires antagoniques. L’universel ainsi défini est notre seul point fixe et assuré dans le chaos des valeurs.

26 décembre 2020

Références bibliographiques

Pour le titre j’ai imité une célèbre répartie de Louis Jouvet dans un vieux film dont je ne me souviens pas du nom : « bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre ! … »

Intéressé de longue date par l’universalisme j’ai souvent dialogué sur ce thème avec des amis qui se reconnaîtrons. Il y a quelques mois j’ai écouté à la radio un échange sur France Culture entre Francis Wolf et Chantal Delsol. Cela m’a donné l’idée d’écrire cet article qui est principalement inspiré par « le plaidoyer pour l’universel » de Francis Wolf mais aussi par d’autres écrits listés ci-dessous.

Monique Atlan et Roger-Pol Droit – « Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies » Flammarion – 2012

Chantal Delsol – « Le crépuscule de l’universel » Cerf – 2020

Henri Pena Ruiz – « Dictionnaire amoureux de la Laïcité » Plon – 2016

Steven Pinker – « Le triomphe des Lumières – Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme » Les Arènes – 2018

Francis Wolf – « Plaidoyer pour l’universel » Fayard – 2019

Charles Coutel dans revue Sisyphe n°2– article « Pour l’Europe des lumières et la république universelle »  novembre 2020

Mazarine Pingeot sur le site The conversation – article « de l’universalisme au différencialisme » du 7 octobre 2018

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

2 réflexions sur « Universalisme, Vous avez dit Universel ? Quel Humanisme ! – deuxième partie – »

  1. Bonjour Alexandre
    Je vous remercie pour votre message et pour l’intérêt que vous avez porté à mon article. Je partage votre avis sur le principe d’égalité qui est à mon avis indissociable de l’humanisme. Comme le dit Francis Wolf : « Le vrai humanisme repose à la fois sur une éthique de l’égalité, de la réciprocité et sur une politique des différences. »
    Très cordialement
    Maurice

  2. Bonjour Maurice,
    je tiens à vous remercier pour votre travail sur l’humanisme et l’universalisme. Un point sur la situation de ces courants de pensée de nos jours est bienvenu et appréciable.
    Je vous rejoins sur l’idée que l’humanisme peut servir de contre-pensée à l’individualisme, l’obscurantisme, la haine ou encore à la division de notre société.
    A l’humanisme j’ajouterais le principe d’égalité de droit. Il me semble que la discrimination dans toutes ses formes doit être combattue. Elle ne peut en aucun cas être positive pour nos sociétés. La discrimination participe également à la division de la société.

    Bien à vous

    Alexandre
    Enseignant d’histoire, de géographie, de science politique et de géopolitique.

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