Après les masques, les tests !

Le « n’importe quoi » des masques 

Les autorités sanitaires françaises ont commencé par nous expliquer que les masques n’étaient pas utiles. Dangereux à manipuler et mal utilisés ils pouvaient être contreproductifs. Et tout le monde y est allé de sa démonstration, responsables politiques comme responsables scientifiques mobilisés par le gouvernement, pour rendre crédibles ses déclarations.

En fait, voir notre article du 31 mars 2020 intitulé « pourquoi n’étions-nous pas prêts », la France n’avait pas renouvelé ses stocks et avait été coupable d’un manque de prévoyance évident d’autant que nous n’avions plus de capacité de production suffisante pour faire face aux besoins en cas de pandémie que certains spécialistes ne manquaient d’annoncer comme possible. Nous nous sommes donc trouvés sur les marchés internationaux pour nous approvisionner, en Chine notamment, en même temps que tous les autres pays partageant notre imprévision, hélas très nombreux puisque la réduction des dépenses publiques est le souci le plus partagé dans le monde.

Il eût mieux valu à l’époque dire que nos stocks permettaient tout juste de satisfaire les besoins prioritaires des soignants plutôt que de raconter n’importe quoi sur l’utilité du masque.

Puis soudainement, dès que l’approvisionnement a été suffisant, les masques sont devenus très utiles et même deviennent de plus en plus indispensables et dans certains cas obligatoires. Comment s’étonner dès lors du scepticisme de certains de nos compatriotes devant les déclarations de l’autorité publique ?

Les risques de contamination varient en fonction du type d’activité, du milieu et de la circulation de l’air. Le British Médical Journal a publié une étude sur le niveau de risque de transmission du virus par des porteurs asymptomatiques selon l’endroit où ils se trouvent, l’aération ou la densité humaine. Les milieux clos sont la source d’une majorité de contaminations, parce qu’ils sont souvent moins bien ventilés, avec une population plus dense que dans les espaces extérieurs. Plus il y a de personnes au même endroit, plus les postillons et micro gouttelettes expulsées par la bouche peuvent être inhalés par d’autres. Plus le niveau de bruit ambiant est élevé, plus les participants devront parler fort, et expulser plus de postillons pour se faire entendre. Le masque réduit efficacement la quantité de postillons émise dans l’air, son absence accroît les chances que d’éventuelles particules virales soient inhalées.

Une synthèse des travaux scientifiques publiée par l’Organisation mondiale de la santé estime que le risque de transmission du virus est cinq fois moindre à deux mètres qu’à un mètre.

Même scénario pour les tests

Nous avons assisté, à peu de chose près, au même scénario avec les tests. Pas utiles, non significatifs puis indispensables en corrélation avec nos stocks de tests.

Catherine Hill, épidémiologiste, ancienne chercheuse à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy, dans une tribune publiée dans « Le Monde » le 21 août 2020, explique que « pour contrôler l’épidémie, il faut chercher systématiquement les porteurs du virus en testant massivement la population, plutôt que cibler les « clusters » comme le font les autorités françaises ». En effet une personne contagieuse qui se déplace peut contaminer d’autres personnes ici où là, sans que ces contaminations correspondent à un foyer identifiable.

photo franceinfo

Après avoir énuméré les différents moyens qui s’offrent aux autorités pour suivre l’épidémie, Catherine Hill estime que le nombre de cas connus n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle en conclut « qu’à l’heure actuelle, les tests se font sans aucune stratégie identifiable : ils sont certes gratuits et sans ordonnance, mais les personnes les plus probablement positives ne sont pas particulièrement incitées à se faire dépister. Ce n’est pas ainsi que l’épidémie va être contrôlée. »

Les délais d’accès et de résultats des tests n’ont cessé de s’allonger et empêchent d’identifier à temps les personnes contaminées et de les isoler. Tester plus d’un million de personne c’est bien mais être incapable de donner les résultats rapidement diminue l’intérêt de ces tests. Il est indispensable de définir les personnes prioritaires de façon à désengorger les laboratoires.

Même si la critique est facile et l’art difficile, avec de telles performances il n’est pas étonnant que de nombreuses voix s’élèvent pour taxer les autorités publiques d’amateurisme.

Le 18 septembre 2020

Retour de la planification en France ?

Le Plan Monnet

C’est entre les deux guerres mondiales que l’idée de la planification a fait ses premiers pas en France sans qu’aucune réalisation n’ait pu se concrétiser. Le projet de faire un plan est apparu dans les propositions de la résistance intérieure et dans celle de la France libre à Londres. Il voit le jour en 1946 à l’initiative de Jean Monnet. A la libération le pays a besoin de se reconstruire et de se moderniser et Jean Monnet pense qu’il ne peut le faire par lui-même et que seuls les États Unis peuvent contribuer au redressement de la France. [1].

Jean Monnet

L’élaboration de ce plan fait l’objet de nombreuses négociations en interne avec les partis politiques, les syndicats et le patronat mais aussi au niveau international notamment avec les États-Unis. Ainsi les objectifs du plan sont précisés par secteurs et dans le temps et bénéficient d’une approbation globale. Le Plan Marshall participe à la réalisation du Plan Monnet en finançant une grande partie des investissements. Ce plan peut être interprété à la fois comme un moyen d’obtenir des crédits américains et comme un ensemble d’actions pour reconstruire et moderniser le pays.

Les objectifs de ce premier plan (1946-1952) consistent à faire redémarrer l’outil de production, satisfaire les besoins essentiels de la population, reconstituer les outillages et les équipements publics et privés endommagés ou détruits du fait de la guerre. Très sélectif, il est centré sur six secteurs de base : charbon, électricité, ciment, machinisme agricole, transport et acier. A cette époque le rôle de l’État dans l’économie est important et le plan bénéficiant d’une large approbation est bien exécuté ce qui met la France sur la voie du redressement.

Les plans suivants

Les plans suivants se succèdent environ tous les quatre ans avec plus ou moins de succès. Après être sortie d’une situation de pénurie la France connait une situation de relative abondance. L’approche est de plus en plus macro-économique. Dans une conjoncture de croissance mondiale le quatrième plan (1962-1965) s’articule autour d’une croissance forte, d’une progression des équipements collectifs et de corrections des inégalités sociales et régionales. Le sixième plan (1971-1975) sous la présidence Pompidou privilégie le développement industriel, l’amélioration des conditions de vie et un taux d’inflation faible. Dans un contexte de croissance mondiale très ralentie et devant les incertitudes de l’environnement international le septième plan (1976-1980) est réalisé dans un climat de mise en cause de la planification. Suite au changement de majorité en 1981, le huitième plan (1981-1985) n’est pas mis en application. Après l’échec de la relance par la consommation, le tournant de la rigueur, la décentralisation, l’entrée en vigueur du marché unique au niveau européen, la planification française va s’étioler pour laisser la place aux contrats de plan signés entre l’État et les Régions.

Une expérience originale

La planification française était indicative et incitative. Plusieurs éléments en font une expérience originale. La réussite du premier plan doit beaucoup au plan Marshall qui a assuré son financement. Le quatrième plan s’est réalisé dans un contexte exceptionnel de prospérité des finances publiques. La réussite du plan a reposé sur l’abondance du financement et sur un consensus des acteurs économiques, chefs d’entreprises, syndicats, partis politiques, intellectuels, milieux associatifs, etc… L’État s’appuyant sur les grandes entreprises publiques nationales et sur des hauts fonctionnaires servant de relais dans toute l’administration intervenait pour domestiquer le marché. Il se donnait des objectifs quantitatifs ou qualitatifs définis d’un commun accord entre les partenaires sociaux pour orienter les investissements dans les secteurs prioritaires.    

La mort du plan

L’entrée de la France dans la mondialisation et l’Europe de la concurrence sont à l’origine de la mort du plan. La conversion progressive des pays occidentaux dont la France au néolibéralisme et à une confiance aveugle au marché, l’exposition croissante aux aléas du commerce international et la nécessaire adaptation aux marchés ont rendu pratiquement impossible toute idée de programmation volontariste.

Un Plan Post-Covid

Aujourd’hui le gouvernement, pour faire face à la crise économique conséquente de la crise sanitaire, veut remettre la planification au cœur de son action. Le Conseil des Ministres du 3 septembre a désigné le président d’une des composantes de la majorité parlementaire à la tête du Haut-Commissariat au Plan et à la Prospective.

Le plan c’est l’instrument d’un volontarisme politique se traduisant en actes.  C’est construire une économie sur la base d’une vision prospective, de la définition de priorités d’investissements bâtis sur la concertation, d’un lieu de coconstruction de l’avenir où coopèrent les acteurs économiques. C’est opérer le tournant Post-Covid sur la base d’une vision partagée et d’une gouvernance où l’État regagne son influence dans les choix stratégiques des entreprises. Il s’agit donc de reconstituer une culture et restaurer une tutelle sur des entreprises financiarisées.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain ni en quelques mois d’autant qu’il faudra sans doute passer par des nationalisations si l’on veut répondre aux conséquence des crises sanitaire, économique et sociale, relocaliser certaines activités qui ont mis en évidence notre manque de souveraineté, réduire de manière suffisante les émissions de gaz à effet de serre et ses conséquences sur le climat, stopper l’industrialisation de l’agriculture et ses conséquences en matière de sécurité alimentaire et préserver la biodiversité.

Le plan s’il ne réunit pas les conditions de réussite des premiers plans énumérées ci-dessus risque de n’être qu’un dispositif parmi d’autres dans une liste de mesures constituant un catalogue qui restera une déclaration d’intention sans avenir.

9 septembre 2020


[1] Mioche Philippe. Le démarrage du Plan Monnet : comment une entreprise conjoncturelle est devenue une institution prestigieuse. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 31 N°3, Juillet-septembre 1984. pp. 398-416;

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1984_num_31_3_1281