Faut-il déboulonner les statues ?

En France, mais aussi dans plusieurs pays au passé colonial, cette question fait débat. Elle est apparue au moment de la contestation des violences policières notamment à l’encontre des minorités visibles et ce en lien avec la motivation raciste de certains policiers.

Depuis la mort de Georges Floyd le 25 mai à Minneapolis aux États-Unis on assiste au développement d’un mouvement international contre le racisme, Black Lives Matter, « les vies noires comptent ». Dans notre pays à Paris et dans plusieurs villes de province, plus de 15000 manifestants ont répondu à l’appel du comité Adama en participant à la marche nationale « vérité et justice ». Progressivement le mouvement antiraciste prend de l’ampleur. La jeunesse se mobilise pour l’égalité des droits et la démocratie. Il faut s’en réjouir.

Dans ce contexte des voix s’élèvent pour demander le déboulonnage de statues : Léopold II en Belgique, Christophe Colomb aux États-Unis, Winston Churchill et Edward Colston au Royaume Uni, Victor Schœlcher en Martinique, Colbert, Gallieni, Faidherbe, etc… en France. Même si les situations européenne et américaine ne sont pas comparables cela dénote notamment dans la jeunesse et pas seulement, une prise de conscience et une volonté d’œuvrer à l’abolition du racisme sous toutes ses formes, du racisme mais aussi des inégalités et de toutes les formes de discrimination.

Déboulonner les statues de certains personnages historiques, débaptiser des lieux publics, changer le nom de rues peut paraître anecdotique mais pour beaucoup, tant les partisans que les opposants, c’est lourd de symboles.

Pour les premiers ces hommages rendus à des personnages liés de près ou de loin au commerce des esclaves et à la colonisation sont une blessure permanente ravivée par les discriminations qu’ils doivent affronter tous les jours. Certains vont jusqu’à évoquer le poids de l’héritage colonial et le caractère systémique des discriminations. En France dans un rapport publié le 22 juin, intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir » le défenseur des droits estime que les discriminations ne sont pas le résultat de logiques individuelles mais que c’est le système qui reproduit les inégalités. Même si de manière majoritaire le monde occidental rejette en principe le racisme, l’injustice et les discriminations, nous sommes loin de les avoir éliminés.  Quand ils sont noirs ou basanés nos concitoyens sont encore souvent victimes de discriminations dans les contrôles de police, l’embauche, le logement, l’éducation, la santé, la formation, les loisirs, etc…

Pour les opposants (je laisse de coté la minorité adepte du suprémacisme blanc et de la supériorité naturelle du monde occidental) tout en partageant les objectifs d’une lutte contre le racisme et les discriminations, il faut se garder de regarder l’histoire exclusivement avec les yeux d’aujourd’hui. L’anachronisme est un danger auquel les historiens sont souvent confrontés. Il était un temps où l’occident comme le monde arabe pratiquait l’esclavage et la traite des êtres humains. Fourier et Proudhon étaient antisémites. Les pères fondateurs des États Unis avaient des esclaves. En France, les dirigeants de la IIIème République étaient colonialistes. La liste pourrait être encore très longue. Déboulonner les statues ne modifiera en rien l’histoire et ses dérives. Pour certains historiens*, dans une tribune publiée dans « Le Monde » du 25 juin 2020, « il faut éviter faire passer l’histoire sous le rabot uniforme d’une déploration rétrospective, mais remettre tout dans son contexte et, dans les divers lieux de la pédagogie républicaine, l’école, l’université et les médias, expliquer, expliquer, expliquer … »

Il est aussi difficile d’oublier les précédents fâcheux du dynamitage des statues géantes des Bouddhas de la vallée de Bâmiyân au centre de l’Afghanistan par les Talibans, la destruction des statues du musée de Mossoul et des mausolées de Tombouctou par des islamistes, volontés d’éradiquer tout témoignage d’un islam de tolérance.

Laissons là le déboulonnage des statues qui n’est que la conséquence de la persistance du racisme et des inégalités et examinons le fond de la question. Les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne de millions d’individus et mettent en cause leurs droits les plus fondamentaux. Comme le souligne le défenseur des droits, « les politiques publiques de lutte contre les discriminations sont insuffisantes et favorisent l’affaiblissement du discours public sur l’égalité au profit du discours sur l’identité. » Comment s’étonner dès lors de la prolifération en réaction d’un discours indigéniste radical, et, chez certains, le remplacement de la lutte des classes par la lutte des races ?

Il faut réaffirmer une conception de l’humanité qui transcende les héritages biologiques, sociaux, culturels et religieux et restaurer l’universalisme républicain qui libère l’individu et bâtit le collectif. L’article 2 de la constitution française précise que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La promotion et le respect de cet article de notre loi fondamentale doit être le fondement de toute l’action des pouvoirs publics.

30 juin 2020

* Jean-Noël Jeanneney, Mona Ozouf, Maurice Sartre, Annie Sartre, Michel Winock,

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

Une réflexion sur « Faut-il déboulonner les statues ? »

  1. Déboulonner les statues n’effacera pas le passé pour ces populations . Cela ne gommera pas le racisme ambiant et profond qui mine notre civilisation et tu as raison d’insister sur le problème réel qui est celui des inégalités. Il faudrait que les dirigeants d’entreprise, les tenants d’un quelconque pouvoir évoluent dans leurs certitudes, mais cela je n’y crois guère.
    La seule garantie constitutionnelle est la laïcité, et c’est précisément celle ci qui est de plus en plus remise en question actuellement par les tenants du communautarisme.
    Il ne reste plus qu’à honorer notre Nature en baptisant les rues, établissements scolaires, etc…
    Après tout, une rue des myosotis est certainement plus parlante à nos concitoyens que la rue Schölcher…

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