L’hégémonie culturelle du néolibéralisme

Dans le prolongement de mes articles de mars intitulés « le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation » et « pourquoi n’étions-nous pas prêts ?» je voudrais évoquer les travaux de Barbara Stiegler. Philosophe, elle enseigne à l’université de Bordeaux Montaigne où elle dirige le master « Soin, éthique et santé ».

Le néolibéralisme

Selon son analyse le néolibéralisme est plus qu’une simple théorie économique. C’est une pensée politique structurée et hégémonique qui emprunte à la biologie des catégories comme l’évolution, la sélection, l’adaptation et la compétition et qui domine beaucoup de discours politiques contemporains. Ses travaux se situent dans la lignée de ceux entamés par Michel Foucault sur la biopolitique.

Dans un entretien le 12 avril 2019 dans la revue « Alternatives économiques », à propos de la publication de son essai « Il faut s’adapter », publié aux éditions Gallimard (collection NRF), Barbara Stiegler nous explique que le nouveau libéralisme remet profondément en cause la conception de l’éducation héritée des lumières basée sur l’émancipation, l’autonomie et l’esprit critique.

Le marché mondialisé a besoin pour fonctionner de flexibilité, d’adaptabilité et d’employabilité. Dans un monde globalisé, ouvert, en mutation constante il faut former des citoyens capables de s’adapter. Tous les membres de l’espèce humaine doivent pouvoir participer à la grande compétition mondiale avec le maximum de chance. La « chance » ici ne consiste pas à exprimer ses propres potentialités, mais à entrer dans le jeu réglé de la compétition aussi bien armé que les autres. On est au cœur de l’utopie néolibérale et de son discours sur la justice et l’égalité des chances.

Le néolibéralisme défend une nouvelle conception de la démocratie. Il entend transformer l’espèce humaine et se servir de l’élection comme d’un outil pour obtenir le consentement des populations à leur transformation. La démocratie devient une technique de fabrication du consentement des masses. L’impulsion vient du haut, on connait la direction, une division mondialisée du travail parfaitement intégrée. Il faut s’adapter, se soumettre aux impératifs de la mondialisation.

Plutôt qu’une théorie économique, le néolibéralisme est une théorie politique complète qui a réussi à imposer une forme d’hégémonie culturelle.

La vision néolibérale de la santé publique

Dans un entretien au journal « Le Monde » daté du 10 avril 2020, Barbara Stiegler commente l’impréparation générale des gouvernements néolibéraux face à la pandémie du corona virus. Selon la vision néolibérale de la santé publique nous allons vers un monde immatériel de flux et de compétences, censé être en avance sur le monde d’avant fait de stocks et de vulnérabilités. Nos économies fondées sur « l’innovation » et sur « l’économie de la connaissance » devaient déléguer aux continents du Sud, principalement à l’Asie, la fabrication industrielle des biens matériels. Nos gouvernants ont renvoyé l’épidémie infectieuse et l’industrie manufacturière à un monde sous développé et à des temps anciens que nous, Occidentaux, aurions dépassés. Au fond un tel virus était, comme les stocks de masques, trop archaïque pour concerner nos sociétés, trop performantes pour y être exposées. Quel rapport nos vies aseptisées et nos systèmes de santé ultramodernes pouvaient-ils avoir avec ces images déplaisantes de chauve-souris et de volailles infectées, pourtant emblématiques de notre économie mondialisée qui entasse les vivants dans des environnements industriels de plus en plus dégradés. Le néolibéralisme préfère tourner ses regards vers l’avenir radieux promis par l’innovation biomédicale et continuer d’occulter les facteurs sociaux et environnementaux de toutes les pathologies, tant infectieuses que chroniques.

La vision néolibérale de la médecine est que notre système sanitaire doit en finir avec la vielle médecine clinique. A notre vielle médecine jugée « réactive », la vision « proactive » est une conception qui passe exclusivement par la responsabilité individuelle et qui refuse d’assumer une vision collective des déterminants sociaux de santé, soupçonnée de déboucher sur une action sociale trop collectiviste.

C’est ce qui explique la situation actuelle : un long retard au démarrage pour prendre des mesures collectives de santé publique, doublé d’une spectaculaire pénurie alors même que des alertes sur les maladies émergentes se multipliaient dans la littérature scientifique depuis des années.

« Le néolibéralisme n’est pas seulement dans les grandes entreprises, sur les places financières et sur les marchés, il est aussi en nous et dans nos manières de vivre qu’il a progressivement transformé et dont il s’agit de reprendre le contrôle. »

20 avril 2020

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

Une réflexion sur « L’hégémonie culturelle du néolibéralisme »

  1. Belle analyse, à laquelle j’adhère totalement. Mais je suis très pessimiste pour l’avenir car je pense que les peuples ne sont plus maîtres de leur destin comme tu le soulignes d’ailleurs.
    La pensée est encadrée via le politiquement correct.
    Dans le domaine de la santé il ne faut pas oublier le cataclysme du passage aux 35 heures dans les hôpitaux. Nous en paierons le coût à partir de maintenant.

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