La construction européenne
Au lendemain de la seconde guerre mondiale différents pays européens ont décidé de se regrouper, de s’associer, de se solidariser pour tenter d’éviter de nouvelles guerres et pour, ensemble, peser plus dans les rapports de force mondiaux. Les fondateurs devant la difficulté de l’entreprise ont opté pour la politique des petits pas : la CECA, puis la CEE à 6 et par augmentation successives pour finir à 27 pays (28- 1) au sein de l’Union Européenne en 2020.
La dernière étape a été la création de la zone euro. L’Euro n’est pas seulement un projet économique c’est surtout un projet politique qui devait stimuler l’intégration politique de l’Europe et rapprocher les pays européens en assurant leur coexistence pacifique. Mais dans une région où la diversité économique et politique est énorme une monnaie unique a besoin d’institutions capables d’aider les pays pour lesquels les politiques suivies sont inadaptées, et l’union européenne ne s’est pas dotée de ces institutions. Pire elle ne s’est pas donné les moyens de réussir. Le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% de son produit intérieur brut.
Les fondateurs de l’euro savaient probablement que le projet de la zone euro était incomplet mais ils espéraient sans doute que la dynamique impulsée par l’euro contraindrait à créer les institutions nécessaires qui manquaient. Ils étaient guidés par une foi inébranlable dans les marchés. Ces fanatiques du marché étaient convaincus que si l’inflation était maintenue à un niveau faible et stable les marchés garantiraient la croissance et la prospérité pour tous. Cette conviction maintenue avec une telle certitude malgré l’accumulation de preuves contraires relève de la pure idéologie (voir le livre de Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie, ancien économiste en chef de la Banque mondiale : « L’euro, comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe » aux éditions LLL, Les liens qui libèrent – septembre 2016).
Du point de vue néolibéral, pour retrouver de la compétitivité les pays en difficulté doivent imposer une forte dose d’austérité pour ramener à la santé leur pays en récession. L’austérité c’est l’augmentation du chômage, la baisse ou au moins la stagnation des salaires, la baisse des prix à l’exportation dans l’espoir d’exporter plus et retrouver le chemin de la croissance.
Le rééquilibrage aurait pu se faire en augmentant les salaires et les prix dans les pays les plus forts. Pour qu’un tel ajustement se fasse il eut fallu que des mécanismes de solidarité soient mis en place dans la zone euro. Quand un groupe de pays a la même monnaie, il faut un consensus sur un minimum de solidarité et de cohésion sociale et les pays qui sont en position de force doivent aider ceux qui sont dans le besoin. Mais les pays forts, notamment l’Allemagne, disent que la zone euro n’est pas une union de transfert c’est-à-dire un regroupement économique au sein duquel un pays transfère des ressources à un autre.
Gouverner c’est choisir. La politique monétaire au niveau européen aurait été différente si elle s’était donnée pour but de maintenir le taux de chômage au-dessous de 5% et non le taux d’inflation au-dessous de 2%. Les politiques monétaires et macro-économiques ont contribué à la montée de l’inégalité dans tous nos pays.
L’ambition du projet européen est de rassembler les pays dans une union politique qui reflète les valeurs européennes fondamentales. L’enjeu ne se limite pas seulement à l’économie, il porte aussi sur les questions de justice sociales et de démocratie.
La crise sanitaire du Covid 19
En ce début d’année 2020 l’Europe et le monde se trouvent confrontés à une nouvelle crise : le coronavirus apparu en Chine est en train de se généraliser sur toute la planète. Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Il est en cours de généralisation dans pratiquement la totalité des pays. Ce confinement accompagné de distanciation sociale et de mesures d’hygiène a pour conséquence l’arrêt des activités économiques non essentielles.
La Santé n’est pas de la compétence des institutions européennes. Mais dans une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie. Tous les pays européens ou presque ayant appliqué la réduction drastique des déficits budgétaires prônée par la doxa néolibérale ont réduit leurs dépenses publiques et la santé publique n’a pas échappée à cet impératif. Même si l’on peut avancer que personne ne pouvait prévoir une pandémie aussi virulente et si vite généralisée, la prudence la plus élémentaire était d’éviter de se démunir d’un minimum de stocks de produits et matériels médicaux, et ce d’autant plus que nous devons faire face tous les dix ans à une épidémie provoquée par un virus ( H1N1, H5N1, Covid 19).
Cette crise sanitaire met à l’épreuve la solidarité européenne. Dans un premier temps la réaction des pays a été le repli et le chacun pour soi, la fermeture des frontières, la concurrence dans la course aux approvisionnements de médicaments et de matériels médical. Mais, très vite, les choses ont bougé. Les pays les moins touchés ont accepté des transferts de malades en provenance des pays où les hôpitaux sont au bord de la rupture. Des cessions de produits et de matériels ont été réalisés.
Une riposte commune ?
Sur le plan institutionnel, le pacte de stabilité et les contraintes budgétaires ont été suspendus, le régime des aides d’État a été assoupli pour permettre aux gouvernements de voler au secours de leurs entreprises sans contrevenir aux règles du marché intérieur. La Commission a mis à disposition 37 milliards d’euros pour aider les pays à financer les ravages causés par le virus. La Banque centrale européenne s’est engagée à injecter plus de 1 000 milliards d’euros dans l’économie… C’est plus que ce que l’on aurait pu imaginer avant la crise.
Le confinement quasi généralisé des populations va mettre l’économie des 27 pays en grande difficulté. Cela rend nécessaire d’adopter un plan de relance fort et coordonné pour sortir au plus vite d’une récession qui s’annonce commune.
Les chefs d’États et de gouvernement des 27 pays européens doivent trouver un terrain d’entente sur la riposte économique commune à apporter pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Lors du Conseil des chefs d’État et de gouvernement du jeudi 26 mars, après six heures de discussion par visioconférence, la réunion a retrouvé les éléments de la crise de 2010-2012 et ses traumatismes, quand des dizaines de milliards d’euros d’aide avaient été accordés à des pays en difficulté en contrepartie de sévères réformes de leurs systèmes de soins, de retraite ou de chômage. Chacun sa conception de la solidarité. Les pays du Nord estiment que le Mécanisme Européen de stabilité (MES), c’est-à-dire un dispositif d’aide sous conditions est un bon instrument. Les pays du Sud soutenus par la France et sept autres pays proposent l’émission d’obligations par l’Union (corona bonds) parce qu’il faut agir ensemble, mutualiser l’effort à faire pour sortir de cette crise commune.
Une fois de plus pour sortir de la crise l’Union Européenne devra trouver un compromis entre ces deux formules où il ne sera question ni de Mécanisme de stabilité ni de corona bonds. Sinon cette crise pourrait être fatale à l’Union. Si elle ne fait pas la preuve qu’elle peut tenir ses promesses de prospérité et qu’elle sait défendre ses valeurs humanistes, l’Union Européenne risque de se fracturer et peut être même de disparaitre, même si elle doit céder la place à un chaos bien pire.
5 avril 2020