Le monde tangue

Le monde est en proie avec un virus extrêmement virulent. La crise sanitaire a entrainé dans sa suite une crise économique de grande ampleur. Et cela intervient au moment où la planète commence à prendre conscience du réchauffement climatique et de ses conséquences, qui, selon l’avis de nombreux spécialistes du climat, risque à terme de nuire gravement à l’avenir de la planète et de l’humanité.

Sortir de la crise sanitaire

« Covid-19 » pour Corona (Co), virus (vi), disease (d) qui signifie maladie en anglais, et 19 pour désigner l’année de l’infection. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans un bulletin publié le 12 janvier 2020, indique que l’épidémie de Covid 19 a commencé au début du mois de décembre 2019, dans la ville de Wuhan, dans la province de Hubei, en Chine. Des études scientifiques ont constaté de nombreuses similitudes entre ce virus et des coronavirus prélevés sur des chauves-souris qui pourraient avoir été transmis à l’homme par un animal intermédiaire. Le pangolin est le principal suspect. 

Le scénario d’une infection chez l’homme sous sa forme pathogène actuelle et à partir d’une source animale augmente le risque de futures épidémies, car la souche pathogène du virus pourrait encore circuler en population animale et pourrait à nouveau infecter les humains. C’est la conséquence de la présence toujours plus importante des humains dans des « écozones ».

Parti de Chine, la Covid 19 s’est progressivement étendu à l’Asie, le Moyen Orient, l’Europe, les Amériques, l’Afrique. C’est devenu un évènement planétaire. La quasi-totalité des pays est touchée. Les scientifiques estiment que cette maladie est un réel danger. Ce virus est très contagieux et surtout très mortel. A ce jour il n’existe pas de traitement pour l’éradiquer.

Dès le début l’objectif a été de ralentir la propagation du virus par une politique de confinement associé à des mesures de distanciation sociale et d’hygiène. Il s’agit d’éviter que le nombre de patients gravement atteints dépasse les capacités des hôpitaux à les prendre en charge. En Europe seuls les Pays Bas et la Suède ont choisi de miser sur l’immunité collective, ce qui revient à sacrifier une partie de la population et atteindre la contamination d’au moins 60%. Plus de la moitié de la population mondiale est confinée. A ce jour dans le monde, nous avons plus de 2,6 millions de cas et plus de 175500 décès.

La réduction drastique des déficits budgétaires prônée par la doxa néolibérale a entrainé une baisse des dépenses publiques. La santé publique n’a pas échappée à cet impératif. Nous assistons pratiquement partout à un manque de stocks de produits et matériels médicaux permettant de faire face à la pandémie et à une concurrence effrénée des États pour se procurer ce qui leur manque pour protéger leur population. C’est le chacun pour soi qui domine.

Pourtant face à une pandémie mondiale l’histoire nous enseigne que la coopération internationale est nécessaire. La propagation de l’épidémie dans n’importe quel pays met en péril l’humanité entière. L’OMS, quel que soit ses insuffisances par manque de moyen, est le seul instrument mondial permettant de lutter contre la pandémie. La meilleure défense dont nous disposons contre les pathogènes, ce n’est pas l’isolement, c’est l’information. C’est en mettant en commun leurs informations que les scientifiques parviendront à comprendre les mécanismes de l’épidémie et les moyens de la combattre.

Bien que tous les pays ne soient pas touchés avec la même intensité, le pic de l’épidémie est progressivement atteint. Mais le nombre de cas graves reste élevé et conserve un taux de morbidité élevé. Nous ne sortirons vraiment de cette pandémie que lorsque nous aurons découvert un traitement pour diminuer l’impact du virus et des vaccins pour immuniser les populations. En attendant il faudra bien vivre avec.

Sortir de la crise économique et sociale

La crise économique s’est diffusée à la suite de la crise sanitaire. La Chine représente 20% de la Production Intérieure Brute mondiale et plus de 30% du commerce international. Compte tenu du poids de la Chine dans l’économie mondiale et son intervention dans tous les secteurs d’activité, le ralentissement brutal de son activité industrielle du fait de l’épidémie a eu des répercutions sur l’économie mondiale. Les conséquences économiques et sociales de la pandémie sont colossales. La présidente de la Banque Centrale Européenne estime que nous assistons à « l’un des plus grands cataclysmes macroéconomiques des temps modernes ».

La baisse de la production doublée d’un recul de la consommation, l’arrêt des activités industrielles et de services dues au confinement, l’augmentation du chômage et la chute du pouvoir d’achat ont des conséquences sociales très importantes et ce malgré les mesures de compensation prises par les États. Les pays entrent en récession et les économistes prévoient un recul des produits intérieurs bruts variant de 7% à 10% selon les pays, voire plus. Pour faire face à cette situation les États injectent massivement des liquidités dans les circuits afin de lutter contre la récession et ses conséquences sociales. Oubliés le moins d’État et l’austérité budgétaire préconisés par le néolibéralisme. Le rôle de stabilisateur et de régulation de l’État est redécouvert. Après avoir abondamment privatisé les bénéfices, on collectivise les pertes.

Les dommages économiques issus de la pandémie vont affecter le monde entier. La croissance va être en berne voire négative. Les faillites d’entreprise vont se multiplier et le chômage devenir massif. Les inégalités entre pays et à l’intérieur de chaque pays seront encore augmentées. Seuls les États peuvent gérer une crise d’une telle ampleur et organiser nationalement et internationalement la relance de la machine économique. Les pays sont tellement interdépendants économiquement qu’une coordination internationale est indispensable. Malheureusement ce type de crise fait naître et se développer le chacun pour soi et la croyance que le cadre national est le seul permettant d’échapper aux difficultés.

Au moins au niveau européen un plan de relance fort, coordonné, solidaire et coopératif doit être mis en œuvre.  Il faudra bien que les pays de l’Union Européenne trouvent les moyens de surmonter leurs divergences et leurs intérêts immédiats. Ceux qui ont le moins souffert s’ils refusent la solidarité envers les autres qui sont aussi leurs principaux clients, devront vite se rendre à l’évidence.  Ils ne peuvent condamner l’Union à l’impuissance et par là même risquer de la voir sérieusement remise en cause. Si l’union Européenne ne permet pas de faire face solidairement à une telle crise, elle perd une grande partie de sa justification. Faire plus et mieux ensemble que chacun séparément, peser ensemble significativement sur le reste du monde, en être moins dépendant, tenir ses promesses de prospérité et défendre ses valeurs humanistes sont les raisons de son existence.

Cette dimension internationale de la crise ne signifie pas pour autant que l’action au niveau national est devenue obsolète. Pour qu’il y ait une coordination supranationale encore faut-il qu’il y ait des niveaux nationaux à coordonner. Par exemple chacun s’accorde à penser qu’il n’est plus possible d’être dépendant de la Chine pour les médicaments et le matériel médical. Il est peu probable que chaque pays puisse seul fabriquer tout ce qui lui est indispensable à ce niveau, à un prix compétitif dans une économie ouverte. Par contre il est concevable de le faire au niveau européen.

La souveraineté nationale et européenne permet de conserver un espace de décision politique pour faire valoir des préférences collectives (notion développée par Dani Rodrik, économiste américain) qui ne sont pas partagées par d’autres pays. Il faut donc réduire la mondialisation de sorte que les préférences collectives sur lesquelles chaque nation bâtit son contrat social sont respectées. Même si certains y aspirent, Il parait difficile de déconstruire totalement la mondialisation. Il est plus envisageable de la réduire en préservant les activités stratégiques notamment en matière de santé, d’éducation, d’énergie, de transport, de culture. La souveraineté collective nationale et européenne doit permettre le dépassement de la société de marché. La conception du rôle de l’État doit être transformée à l’occasion de cette crise.

Sans oublier la transition écologique

Avant la crise sanitaire et ses conséquences économiques, la prise de conscience du réchauffement climatique pouvait laisser penser que nos sociétés finiraient par s’engager dans la voie de la transition écologique. L’arrêt de la production et de la consommation dans une grande partie du monde a entrainé une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Cela confirme, s’il en était besoin, le lien entre l’activité humaine et le réchauffement climatique.  Cela n’empêche pas les adeptes du néolibéralisme de vouloir revenir au plus vite au monde d’avant.

Les États ne doivent pas se contenter de faire les pompiers. Les fonds publics indispensables à la relance économique doivent permettre à la puissance publique de retrouver sa place centrale. Il faut restaurer une approche planifiée et stratégique, et ne pas s’en remettre uniquement au marché. Et dans le contexte mondialisé cela doit se faire de manière coordonnée au niveau européen. Il faut regagner de la souveraineté économique dans les secteurs stratégiques et organiser la transition écologique. Il ne faut pas injecter de l’argent à l’aveugle, ce serait contre-productif. Il faut orienter les investissements dans le respect de la transition écologique. En clair, à titre d’exemples, ne pas relancer l’industrie automobile sans se préoccuper de la conversion vers la voiture propre, ni de s’engager sur un plan de soutien à l’aérien sans un engagement à moins polluer. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique les propositions sont nombreuses pour relancer l’emploi, notamment dans l’agriculture et l’industrie, et mettre en avant les métiers essentiels pour la satisfaction des besoins sociaux.

25 avril 2020

L’hégémonie culturelle du néolibéralisme

Dans le prolongement de mes articles de mars intitulés « le Covid 19 révèle les revers de la mondialisation » et « pourquoi n’étions-nous pas prêts ?» je voudrais évoquer les travaux de Barbara Stiegler. Philosophe, elle enseigne à l’université de Bordeaux Montaigne où elle dirige le master « Soin, éthique et santé ».

Le néolibéralisme

Selon son analyse le néolibéralisme est plus qu’une simple théorie économique. C’est une pensée politique structurée et hégémonique qui emprunte à la biologie des catégories comme l’évolution, la sélection, l’adaptation et la compétition et qui domine beaucoup de discours politiques contemporains. Ses travaux se situent dans la lignée de ceux entamés par Michel Foucault sur la biopolitique.

Dans un entretien le 12 avril 2019 dans la revue « Alternatives économiques », à propos de la publication de son essai « Il faut s’adapter », publié aux éditions Gallimard (collection NRF), Barbara Stiegler nous explique que le nouveau libéralisme remet profondément en cause la conception de l’éducation héritée des lumières basée sur l’émancipation, l’autonomie et l’esprit critique.

Le marché mondialisé a besoin pour fonctionner de flexibilité, d’adaptabilité et d’employabilité. Dans un monde globalisé, ouvert, en mutation constante il faut former des citoyens capables de s’adapter. Tous les membres de l’espèce humaine doivent pouvoir participer à la grande compétition mondiale avec le maximum de chance. La « chance » ici ne consiste pas à exprimer ses propres potentialités, mais à entrer dans le jeu réglé de la compétition aussi bien armé que les autres. On est au cœur de l’utopie néolibérale et de son discours sur la justice et l’égalité des chances.

Le néolibéralisme défend une nouvelle conception de la démocratie. Il entend transformer l’espèce humaine et se servir de l’élection comme d’un outil pour obtenir le consentement des populations à leur transformation. La démocratie devient une technique de fabrication du consentement des masses. L’impulsion vient du haut, on connait la direction, une division mondialisée du travail parfaitement intégrée. Il faut s’adapter, se soumettre aux impératifs de la mondialisation.

Plutôt qu’une théorie économique, le néolibéralisme est une théorie politique complète qui a réussi à imposer une forme d’hégémonie culturelle.

La vision néolibérale de la santé publique

Dans un entretien au journal « Le Monde » daté du 10 avril 2020, Barbara Stiegler commente l’impréparation générale des gouvernements néolibéraux face à la pandémie du corona virus. Selon la vision néolibérale de la santé publique nous allons vers un monde immatériel de flux et de compétences, censé être en avance sur le monde d’avant fait de stocks et de vulnérabilités. Nos économies fondées sur « l’innovation » et sur « l’économie de la connaissance » devaient déléguer aux continents du Sud, principalement à l’Asie, la fabrication industrielle des biens matériels. Nos gouvernants ont renvoyé l’épidémie infectieuse et l’industrie manufacturière à un monde sous développé et à des temps anciens que nous, Occidentaux, aurions dépassés. Au fond un tel virus était, comme les stocks de masques, trop archaïque pour concerner nos sociétés, trop performantes pour y être exposées. Quel rapport nos vies aseptisées et nos systèmes de santé ultramodernes pouvaient-ils avoir avec ces images déplaisantes de chauve-souris et de volailles infectées, pourtant emblématiques de notre économie mondialisée qui entasse les vivants dans des environnements industriels de plus en plus dégradés. Le néolibéralisme préfère tourner ses regards vers l’avenir radieux promis par l’innovation biomédicale et continuer d’occulter les facteurs sociaux et environnementaux de toutes les pathologies, tant infectieuses que chroniques.

La vision néolibérale de la médecine est que notre système sanitaire doit en finir avec la vielle médecine clinique. A notre vielle médecine jugée « réactive », la vision « proactive » est une conception qui passe exclusivement par la responsabilité individuelle et qui refuse d’assumer une vision collective des déterminants sociaux de santé, soupçonnée de déboucher sur une action sociale trop collectiviste.

C’est ce qui explique la situation actuelle : un long retard au démarrage pour prendre des mesures collectives de santé publique, doublé d’une spectaculaire pénurie alors même que des alertes sur les maladies émergentes se multipliaient dans la littérature scientifique depuis des années.

« Le néolibéralisme n’est pas seulement dans les grandes entreprises, sur les places financières et sur les marchés, il est aussi en nous et dans nos manières de vivre qu’il a progressivement transformé et dont il s’agit de reprendre le contrôle. »

20 avril 2020

Les conséquences économiques de la crise sanitaire

Avec les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière mondiale de 2008, la pandémie du coronavirus est la troisième et plus grave crise économique, financière et sociale du XXIème siècle estime le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de Développement économiques (OCDE).

En considérant que le confinement va s’étendre au moins jusque fin avril soit sur 45 jours, c’est comme si l’année était réduite de 12,5%.
L’activité industrielle est en baisse de 44% en moyenne dans le pays. L’industrie automobile est pratiquement à l’arrêt.
L’industrie manufacturière est aussi substantiellement affectée, avec une perte d’activité de près de moitié, de même que les autres services marchands, avec une baisse d’environ un tiers.
Les secteurs les plus touchés sont la construction, qui a perdu environ les trois quarts de son activité normale, et ceux du commerce, des transports, de l’hébergement et de la restauration, pour lesquels l’activité a reculé des deux tiers environ.
Air France a signalé que 90% de sa flotte est au sol. Son activité est ainsi réduite jusqu’au moins fin avril. La SNCF a aussi considérablement réduit son activité.
L’agriculture et l’industrie agroalimentaire, la cokéfaction, le raffinage et la production d’énergie, les services non marchands ou les services financiers et immobiliers sont moins sévèrement touchés.

La Banque de France a annoncé le mercredi 8 avril que la production intérieure brute (PIB) avait reculé de 6% au premier trimestre 2020 et déclaré que le pays était entré en récession.
L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) confirme ce jeudi 9 avril, que la perte d’activité économique est évaluée à plus d’un tiers du produit intérieur brut (PIB, – 36 %) et maintient l’estimation, donnée le 26 mars, d’une perte de PIB de 3 points par mois de confinement.

Plus de 400 000 sociétés françaises ont déposé un dossier pour passer en activité partielle. Les secteurs du commerce, de la réparation automobile, de l’hébergement, de la restauration et de la construction sont les plus touchés. Le ministère du travail a indiqué que dans le privé plus d’un salarié sur cinq est en chômage partiel.
L’ensemble de ces éléments donnent une idée de la violence du coup de frein qui est infligé à l’économie française.

La situation est plus ou moins comparable dans toute l’Europe. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE) estime que l’Union Européenne est face à « l’un des plus grands cataclysmes macroéconomiques des temps modernes ». Elle plaide pour un total alignement des politiques budgétaires et monétaires et un traitement égal des pays à un moment où les dirigeants de l’Union Européenne n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les modalités d’intervention.

Le confinement de plus de la moitié de la population mondiale et la réduction pour ne pas dire l’arrêt des activités non essentielles de la majorité des pays a pour conséquence un ralentissement drastique de l’activité économique au niveau mondial.
Les économistes de l’Organisation Mondiale du commerce (OMC) prédisent une chute du commerce mondial de marchandises comprise entre 13% et 32% en 2020.

La crise est mondiale et seule une réponse coordonnée au niveau mondial permettrait de la surmonter globalement. Malheureusement chaque pays croit qu’il s’en sortira mieux tout seul et c’est le règne du chacun pour soi.


9 avril 2020

Deux réflexions intéressantes

Tout d’abord, ce matin j’ai entendu à la radio un entretien avec Martin HIRSCH, directeur général de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP). Cette émission donnait la possibilité aux auditeurs d’intervenir et de poser des questions à l’invité. Une dame a interpellé monsieur HIRSCH sur la nécessité de sortir des dogmes libéraux sur la gestion des hôpitaux et des politiques d’austérité qui ont présidé à la gestion des services publics. Cela s’est traduit par la réduction des lits, du personnel, des stocks de produits et matériels médicaux. Nous pouvons en mesurer aujourd’hui les conséquences.

Le directeur de l’APHP a répondu qu’il était d’accord sur la sortie des dogmes, mais il faut que tout le monde sorte des dogmes sinon cela ne fonctionne pas. Aujourd’hui dans les hôpitaux personne n’est resté sur des dogmes. Tous ceux qui ont vécu de très près cette épidémie, sont immunisés contre les dogmes. Nous avons été tellement confrontés à des difficultés que personne n’a envie de revenir en arrière. Il a déclaré partager aussi les interrogations sur le fait que l’Europe et la France soient dépendants de la fabrication de choses aussi simples que des masques, des sur blouses… Il faudra que les services publics, la finance et l’industrie soient capables en économie de crise de s’adapter, d’être indépendants et être au service de tous. C’est une leçon majeure de la crise.

En clair il faut que chacun accepte de se remettre en question et balaie devant sa porte. Il ne s’agit pas d’opposer un dogme à un autre mais de tirer les leçons d’une situation difficile et prendre les mesures pour éviter que cela se reproduise. « La santé et l’État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, déléguer notre capacité à soigner est une folie, nous devons en reprendre le contrôle… quoiqu’il en coûte » dirait le chef de l’État.

Par ailleurs après cette interview je me suis plongé dans la lecture d’un article de Yuval Noah Harari, auteur de « Sapiens. Une brève histoire de l’humanité » (Albin Michel, 2015), et de       « 21 leçons pour le XXI siècle » (Albin Michel, 2018) et Maître de conférences au département d’histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem. Cet article est un plaidoyer sur la nécessité de s’appuyer sur la solidarité internationale et la coopération pour vaincre le Covid 19. Je vous en livre les éléments essentiels.

Face à l’épidémie du corona virus certains accusent la mondialisation et pensent que le seul moyen d’éviter que ce scénario se reproduise est de démondialiser le monde, construire des murs, restreindre les voyages, limiter les échanges. Pourtant les épidémies ont tué des millions de gens bien avant l’ère de la mondialisation. La peste noire au XIVème siècle s’est répandue de l’Extrême orient à l’Europe occidentale. En 1520, au Mexique, une épidémie de variole a décimé un tiers des habitants. En 1918 la grippe espagnole a contaminé plus d’un quart de l’espèce humaine. Depuis l’humanité est devenue encore plus vulnérable aux épidémies par l’effet combiné d’une amélioration des transports et de l’augmentation des populations. Mais  l’ampleur et l’impact  des épidémies ont, en réalité, considérablement diminué grâce aux scientifiques du monde entier qui ont mis en commun des informations et sont parvenus ensemble à comprendre les mécanismes des épidémies et les moyens de les combattre.

L’histoire nous apprend que, face aux épidémies, pour que l’isolement nous protège efficacement, il faudrait retourner à l’âge de pierre. La coopération internationale est également nécessaire pour que les mesures de confinement soient efficaces. Il est indispensable de comprendre que la propagation de l’épidémie dans n’importe quel pays met en péril l’humanité entière. Les frontières qu’il faut protéger sont celles qui séparent le monde des hommes de celui des virus.

L’humanité doit faire face au corona virus mais aussi à la défiance que les hommes ont les uns envers les autres. Pour vaincre une épidémie il faut que les gens aient confiance dans les experts scientifiques, les citoyens dans les autorités publiques et que les pays se fassent mutuellement confiance. Espérons que l’épidémie actuelle aide l’humanité à comprendre le danger que représente la désunion mondiale.

 En conclusion,

sortir des dogmes, prendre conscience que la santé et l’État-providence sont des biens précieux, préférer la coopération, l’entraide et la solidarité internationale plutôt que la concurrence sauvage et le règne de la cupidité sont des valeurs humanistes que nous devons promouvoir et qui permettront à l’humanité de progresser. Mais il faut bien reconnaitre que vu l’état du monde et la montée des nationalismes il y a de quoi s’inquiéter.

6 avril 2020

L’Europe à l’épreuve du Covid 19

La construction européenne

Au lendemain de la seconde guerre mondiale différents pays européens ont décidé de se regrouper, de s’associer, de se solidariser pour tenter d’éviter de nouvelles guerres et pour, ensemble, peser plus dans les rapports de force mondiaux. Les fondateurs devant la difficulté de l’entreprise ont opté pour la politique des petits pas : la CECA, puis la CEE à 6 et par augmentation successives pour finir à 27 pays (28- 1) au sein de l’Union Européenne en 2020.

La dernière étape a été la création de la zone euro. L’Euro n’est pas seulement un projet économique c’est surtout un projet politique qui devait stimuler l’intégration politique de l’Europe et rapprocher les pays européens en assurant leur coexistence pacifique. Mais dans une région où la diversité économique et politique est énorme une monnaie unique a besoin d’institutions capables d’aider les pays pour lesquels les politiques suivies sont inadaptées, et l’union européenne ne s’est pas dotée de ces institutions. Pire elle ne s’est pas donné les moyens de réussir. Le budget de l’Union Européenne ne représente que 1% de son produit intérieur brut.

Les fondateurs de l’euro savaient probablement que le projet de la zone euro était incomplet mais ils espéraient sans doute que la dynamique impulsée par l’euro contraindrait à créer les institutions nécessaires qui manquaient. Ils étaient guidés par une foi inébranlable dans les marchés. Ces fanatiques du marché étaient convaincus que si l’inflation était maintenue à un niveau faible et stable les marchés garantiraient la croissance et la prospérité pour tous. Cette conviction maintenue avec une telle certitude malgré l’accumulation de preuves contraires relève de la pure idéologie (voir le livre de Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie, ancien économiste en chef de la Banque mondiale : « L’euro, comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe » aux éditions LLL, Les liens qui libèrent – septembre 2016).

Du point de vue néolibéral, pour retrouver de la compétitivité les pays en difficulté doivent imposer une forte dose d’austérité pour ramener à la santé leur pays en récession. L’austérité c’est l’augmentation du chômage, la baisse ou au moins la stagnation des salaires, la baisse des prix à l’exportation dans l’espoir d’exporter plus et retrouver le chemin de la croissance.

Le rééquilibrage aurait pu se faire en augmentant les salaires et les prix dans les pays les plus forts. Pour qu’un tel ajustement se fasse il eut fallu que des mécanismes de solidarité soient mis en place dans la zone euro. Quand un groupe de pays a la même monnaie, il faut un consensus sur un minimum de solidarité et de cohésion sociale et les pays qui sont en position de force doivent aider ceux qui sont dans le besoin.  Mais les pays forts, notamment l’Allemagne, disent que la zone euro n’est pas une union de transfert c’est-à-dire un regroupement économique au sein duquel un pays transfère des ressources à un autre.

Gouverner c’est choisir. La politique monétaire au niveau européen aurait été différente si elle s’était donnée pour but de maintenir le taux de chômage au-dessous de 5% et non le taux d’inflation au-dessous de 2%. Les politiques monétaires et macro-économiques ont contribué à la montée de l’inégalité dans tous nos pays.

L’ambition du projet européen est de rassembler les pays dans une union politique qui reflète les valeurs européennes fondamentales. L’enjeu ne se limite pas seulement à l’économie, il porte aussi sur les questions de justice sociales et de démocratie.

La crise sanitaire du Covid 19

En ce début d’année 2020 l’Europe et le monde se trouvent confrontés à une nouvelle crise : le coronavirus apparu en Chine est en train de se généraliser sur toute la planète. Les mesures de confinement sont le seul moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie. Il est en cours de généralisation dans pratiquement la totalité des pays. Ce confinement accompagné de distanciation sociale et de mesures d’hygiène a pour conséquence l’arrêt des activités économiques non essentielles.

La Santé n’est pas de la compétence des institutions européennes. Mais dans une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie. Tous les pays européens ou presque ayant appliqué la réduction drastique des déficits budgétaires prônée par la doxa néolibérale ont réduit leurs dépenses publiques et la santé publique n’a pas échappée à cet impératif. Même si l’on peut avancer que personne ne pouvait prévoir une pandémie aussi virulente et si vite généralisée, la prudence la plus élémentaire était d’éviter de se démunir d’un minimum de stocks de produits et matériels médicaux, et ce d’autant plus que nous devons faire face tous les dix ans à une épidémie provoquée par un virus ( H1N1, H5N1, Covid 19).

Cette crise sanitaire met à l’épreuve la solidarité européenne. Dans un premier temps la réaction des pays a été le repli et le chacun pour soi, la fermeture des frontières, la concurrence dans la course aux approvisionnements de médicaments et de matériels médical. Mais, très vite, les choses ont bougé. Les pays les moins touchés ont accepté des transferts de malades en provenance des pays où les hôpitaux sont au bord de la rupture. Des cessions de produits et de matériels ont été réalisés.

Une riposte commune ?

Sur le plan institutionnel, le pacte de stabilité et les contraintes budgétaires ont été suspendus, le régime des aides d’État a été assoupli pour permettre aux gouvernements de voler au secours de leurs entreprises sans contrevenir aux règles du marché intérieur. La Commission a mis à disposition 37 milliards d’euros pour aider les pays à financer les ravages causés par le virus. La Banque centrale européenne s’est engagée à injecter plus de 1 000 milliards d’euros dans l’économie… C’est plus que ce que l’on aurait pu imaginer avant la crise.

Le confinement quasi généralisé des populations va mettre l’économie des 27 pays en grande difficulté. Cela rend nécessaire d’adopter un plan de relance fort et coordonné pour sortir au plus vite d’une récession qui s’annonce commune.

Les chefs d’États et de gouvernement des 27 pays européens doivent trouver un terrain d’entente sur la riposte économique commune à apporter pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Lors du Conseil des chefs d’État et de gouvernement du jeudi 26 mars, après six heures de discussion par visioconférence, la réunion a retrouvé les éléments de la crise de 2010-2012 et ses traumatismes, quand des dizaines de milliards d’euros d’aide avaient été accordés à des pays en difficulté en contrepartie de sévères réformes de leurs systèmes de soins, de retraite ou de chômage. Chacun sa conception de la solidarité. Les pays du Nord estiment que le Mécanisme Européen de stabilité (MES), c’est-à-dire un dispositif d’aide sous conditions est un bon instrument. Les pays du Sud soutenus par la France et sept autres pays proposent l’émission d’obligations par l’Union (corona bonds) parce qu’il faut agir ensemble, mutualiser l’effort à faire pour sortir de cette crise commune.

Une fois de plus pour sortir de la crise l’Union Européenne devra trouver un compromis entre ces deux formules où il ne sera question ni de Mécanisme de stabilité ni de corona bonds. Sinon cette crise pourrait être fatale à l’Union. Si elle ne fait pas la preuve qu’elle peut tenir ses promesses de prospérité et qu’elle sait défendre ses valeurs humanistes, l’Union Européenne risque de se fracturer et peut être même de disparaitre, même si elle doit céder la place à un chaos bien pire.

5 avril 2020