L’économie : comprendre et agir sur le monde pour le progrès de l’humanité, à la recherche du bonheur ?

Quel est le sens de l’économie ?

Le mot sens nous renvoie à plusieurs dimensions :

  • Le sens comme orientation, dans quelle direction je vais.
  • Le sens comme valeur objective, qu’est-ce que cela veut dire
  • Le sens comme raison, fondement, justification, intention, quelle est la raison d’être d’une proposition ou d’une action

Je vais au cours de cet article essayer de satisfaire à ces trois dimensions à propos  de l’économie.

Commençons par définir l’économie et pour cela rechercher son origine et son évolution.

Économie vient du grec « économia », de « oikos » maison au sens de patrimoine.

A l’origine il s’agit de l’art de bien administrer une maison, de bien gérer les biens d’un particulier. Cela s’est étendu à la gestion de l’État et à la société d’où l’appellation  « économie politique ».

Raymond Barre (professeur d’économie à l’Université de Paris) disait que « l’économie politique est un schéma d’interprétation de la réalité concrète.»

Au sens moderne l’économie est une science qui a pour objet la connaissance des phénomènes concernant la production, la distribution, l’échange, la consommation des biens et services dans la société humaine. Il est alors question de science économique. Comme le mot est polysémique, il a plusieurs sens, l’expression utilisée est au pluriel : sciences économiques.

Économie, économie politique et science économique sont interchangeables même si aujourd’hui l’expression la plus utilisée pour évoquer cette activité est « sciences économiques » de manière à couvrir l’ensemble de ses facettes : macroéconomie, microéconomie, économétrie, théories économiques, analyses économiques, économie internationale, économie du développement, etc.…

Science vient du latin « scientia » qui signifie connaissance, ce que l’on sait pour l’avoir appris, ce que l’on sait pour vrai au sens large. Les connaissances scientifiques sont produites à partir de méthodes d’investigation rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Le but est de comprendre et d’expliquer le monde. La science est ouverte à la critique. Les connaissances scientifiques, ainsi que les méthodes, sont toujours ouvertes à la révision. Les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes, et d’en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles ; leurs résultats sont sans cesse confrontés à la réalité.

La science économique est difficile à définir. Elle fait partie de l’ensemble des sciences sociales.

Historiquement chez les grecs l’activité économique était seconde, et subordonnée à la politique, l’art d’administrer la cité. Au Moyen Âge, dans l’atmosphère chrétienne, l’économie était soumise à la morale. L’intérêt du capital appelé « usure » était condamné. Avec la Réforme et la Renaissance et surtout la naissance des Etats, la richesse devient une étape nécessaire à l’acquisition du pouvoir. C’est la période des mercantilistes pour qui la source de la richesse est la détention de métaux précieux. La hausse des prix liée à l’augmentation des quantités d’or en circulation va donner naissance aux premières ébauches de théorie monétaire. Au XVIIIème les physiocrates qui considèrent que seule la terre est réellement productive, se préoccupent de découvrir des lois naturelles. Après les précurseurs succèdent les créateurs : les premiers classiques anglais : Smith, Malthus et Ricardo.

Le père du libéralisme économique est Adam Smith (1723-1790). C’est le père de l’économie politique. Son œuvre majeure est « La richesse des nations », ouvrage qui est le fondement de l’école classique. Il y expose sa conception du développement économique. Pour lui chaque individu guidé par la quête du profit et son intérêt personnel contribue au bienêtre général. Les marchés et la recherche de l’intérêt personnel conduisent à l’efficacité économique. C’est la fameuse « main invisible ». La régulation de la société par le marché mène à l’accroissement des richesses. Le libre-échange et la division du travail sont des facteurs de développement. Le rôle de l’État doit être réduit au minimum c’est à dire aux fonctions régaliennes et les activités que le marché ne peut prendre en charge parce que non rentables mais qui profitent à l’ensemble de la société comme par exemple les grandes infrastructures.

Au XIXème on parle d’économie pure, déductive et abstraite avec Walras. Une science économique se constitue sur le modèle de la mécanique ou de la physique.

Avec la crise de 1929 c’est la fin du laisser-faire et l’émergence du Keynésianisme. Keynes (1883- 1946), auteur de « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » va mettre momentanément au rencart les thèses du libéralisme économique. Les apports de Keynes à la théorie macroéconomique sont très importants. Le cœur de la théorie Keynésienne est le multiplicateur d’investissement. Si l’on injecte via la politique budgétaire 100, une partie va être épargnée, par exemple 20 et le reste, 80 va être consommé. Cette consommation supplémentaire va pousser les entreprises à investir pour répondre à la demande ainsi créée. Ce surcroît d’investissement créera de l’emploi, donc des revenus supplémentaires donc une augmentation de la demande. D’où de nouveaux investissements et ainsi de suite. C’est en s’inspirant de cette thèse que les économies occidentales ont été relevées après la deuxième guerre mondiale.

Mais le redéploiement économique de l’après-guerre va s’accompagner très vite d’un ralentissement du développement, de l’accroissement de l’inflation et du retour du chômage. La thèse keynésienne va être progressivement abandonnée sous le feu des critiques d’économistes comme Friedrich Hayek et Milton Friedman.

Friedrich Hayek (1899-1992) estime que  les politiques keynésiennes de relance économique, fondées sur l’utilisation du budget public, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et augmentation du chômage. Friedman (1912-2006) initia une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent de front à celle de Keynes. Il remet en cause le bien-fondé des politiques de relance qui, pour lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il faut lutter. À cette fin, il proposa l’instauration d’un taux constant de croissance de la masse monétaire. Ses idées se diffusèrent progressivement et devinrent populaires parmi les milieux politiques dans les années 1980, influençant profondément les mouvements conservateurs américains. Ses idées économiques sur le monétarisme, la fiscalité, les privatisations et la dérèglementation ont inspiré les politiques économiques de nombreux gouvernements à travers le monde, notamment ceux de Ronald Reagan aux États Unis, de Margaret Thatcher en Grande Bretagne, d’Augusto Pinochet au Chili, ou de Brian Mulroney au Canada. Tous d’éminents progressistes !

Ces économistes et leurs affidés sont les inspirateurs des politiques économiques qui nous ont menés à la crise que nous connaissons aujourd’hui.

L’histoire de la science économique est un balancement entre connaissance et action.

La science économique n’est pas une science exacte. Elle fait partie des sciences humaines. Elle s’attribue le nom de science parce qu’elle essaie d’adopter une démarche scientifique. Elle introduit des calculs mathématiques savants dans ses raisonnements pour se donner une coloration scientifique.

Mais en fait c’est une tentative d’explication, je devrais dire des tentatives d’explication, de l’évolution du monde sur le plan économique, c’est à dire de la production de biens et services et des échanges entre les hommes et les nations ainsi que des moyens utilisés pour favoriser, restreindre ou développer ces échanges. Inutile de s’étendre beaucoup pour comprendre que ces explications ne manquent pas d’être très liées à l’environnement politique et social du moment où elles sont formulées, quelle que soit la bonne foi des auteurs.

Comme le dit René PASSET, Professeur émérite à l’Université Paris I – Panthéon – Sorbonne, dans son livre intitulé « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire », les mutations qui caractérisent l’évolution des sociétés humaines et le regard que les hommes portent sur l’Univers s’expriment sur le plan économique par des systèmes explicatifs, des modes d’organisation et des programmes d’action différents.

Ces systèmes explicatifs viennent enrichir nos connaissances mais ils servent aussi l’action.

L’économie c’est aussi un moyen d’agir sur le monde….

A titre d’exemple voyons le débat actuel sur le choix entre politique de l’offre ou politique de la demande. Aujourd’hui en France, en Europe, dans l’ensemble du monde occidental développé le débat se polarise entre partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande.

La restauration de la compétitivité de l’économie française, en particulier de l’industrie, et son adaptation à la concurrence ouverte est un diagnostic largement partagé. Le besoin d’une politique de l’offre est indéniable. Limiter cette politique uniquement à une plus grande flexibilité du marché du travail relève d’une vision purement idéologique plus que d’une vision objective. La recherche, l’innovation, les difficultés de financement des entreprises, l’adaptation à la globalisation de l’économie et la nouvelle répartition du travail au niveau mondial sont des facteurs au moins aussi importants sinon plus que la rigidité du marché du travail.

Ne pas trop fragiliser la demande est aussi largement admis. De plus en plus d’économistes de tous bords considèrent que la croissance des économies avancées bute sur une crise généralisée de la demande. Pourtant réduire les déficits publics quand la charge des intérêts de la dette est le premier poste budgétaire est une nécessité absolue. Cela fait monter au créneau les partisans de moins d’Etat dont la seule motivation est purement idéologique. Ils en oublient que trop d’austérité ne fera qu’affaiblir la demande et accroitre en bout de course le déficit.

La politique économique ne peut être qu’un subtil équilibre entre politique de l’offre et politique de la demande selon les circonstances et l’environnement. Les pays qui ont réussi ce type d’ajustement par le passé, États-Unis, Royaume-Uni, les pays scandinaves, ou l’Allemagne ont été aidé, par une conjoncture porteuse et/ ou par un relâchement de la discipline monétaire. L’Allemagne, en partant d’une situation de ses finances bien plus saine a évité les à-coups budgétaires, et a pu contrairement à ses partenaires s’éviter une cure d’austérité depuis 2010. Les États-Unis tout comme le Royaume-Uni, ont laissé filer leurs déficits et ont joué sur la dépréciation de leur taux de change réel, ce que ne peuvent pas faire les pays européens avec une monnaie commune.

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que la politique monétaire ne peut pas tout et qu’un soutien à la demande globale européenne doit accompagner les politiques de l’offre.

De mon point de vue partisans et opposants de l’austérité, partisans et opposants d’un soutien à la demande adoptent des postures politiques plus que des visions opposées de la politique économique à développer.

Pour André BELLON, dans la revue « Humanisme » n°291 de février 2011, l’économie comme Janus, a deux faces : l’une théorique, l’autre instrument politique.

A titre d’exemple il cite les débats sur la dette. Faire de l’équilibre budgétaire un principe intangible transforme une école de pensée en gardienne des tables de la loi. L’imposition de ce qu’il faut bien appeler un dogme permet de réduire le débat politique à sa plus simple expression. Le néolibéralisme se présente aujourd’hui comme la vérité et fonctionne comme une religion.

L’économie pour comprendre le monde

Comme nous l’avons vu plus haut, selon Adam SMITH père du libéralisme, la recherche privée de l’intérêt personnel conduit au bien-être de tous. Au lendemain de la crise financière, qui peut soutenir que la recherche par les banquiers de leur intérêt personnel a conduit au bien-être de tous ? Elle a conduit, tout au plus au bien-être des banquiers et le reste de la société a payé la facture. C’est en ces termes que Joseph STIGLITZ, prix Nobel d’économie et ancien conseiller du président CLINTON, stigmatise les marchés livrés à eux-mêmes dans son dernier livre « le prix de l’inégalité ». Il pense que laissés à eux-mêmes, les marchés se révèlent souvent incapables de produire des résultats efficaces et souhaitables, et dans ce cas l’État a un rôle à jouer : corriger les échecs des marchés. Voilà ce que pense un économiste qui croit au marché mais qui est convaincu que si l’on veut une économie plus efficace et moins inégalitaire il faut que les pouvoirs publics régulent les marchés. Il voudrait que L’Etat tempère les excès des marchés plutôt que de coopérer avec le marché pour aggraver les différences de revenu et de fortune comme c’est le cas aux États Unis depuis 1980.

La globalisation de l’économie au niveau mondial s’est installée avec l’expansion universelle de l’économie néolibérale. Cette expansion s’est accompagnée de celle du capitalisme, qui elle-même s’est accompagnée de la domination du capital financier. Pour Edgar MORIN dans « la voie » ce processus à trois faces (mondialisation, développement, occidentalisation) en produisant de grandes richesses, a réduit d’anciennes pauvretés, créé une nouvelle classe moyenne à l’occidentale dans les pays émergents. Ce processus a aussi dégradé en misère, partout dans le Sud, la pauvreté des petits paysans déplacés dans d’énormes bidonvilles. Il a accru les inégalités, engendré d’énormes fortunes et de non moins énormes infortunes. Il a entrainé destructions culturelles et décroissance des solidarités.

La compétitivité internationale a conduit au dépérissement d’industrie en Europe et aux États Unis, à la destruction massive d’emplois, à d’innombrables délocalisations, à la précarité accrue des travailleurs. Les endettements suscitent la rigueur économique, la rigueur suscite le chômage et la baisse des revenus, lesquels peuvent avoir d’énormes conséquences politiques.

Économie et inégalités

Dans « l’homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux », Daniel COHEN, professeur d’économie à l’École Normale Supérieure analyse la naissance d’une Hyperclasse depuis 1990. Les inégalités franchissent un nouveau seuil. Aux États Unis, alors que le centième le plus riche gagnait 7% du revenu total au début des années 70, il gagne désormais le quart du revenu total. En France le niveau médian se situe à 1500 €. Pour entrer dans le top 10%, il faut gagner plus de 3000 €, dans le top 5%, plus de 5500 € dans le top 1%, plus de 10000 €. Pour rentrer dans les stratosphères des ultra-riches, le top 0.01% donc un centième de pourcent, il faut gagner le désormais célèbre million par an. 6000 français sont dans ce cas. Avec 1% de la population mondiale la France compte 10% des millionnaires dans le monde.

Dans son dernier livre, « Le capital au XXIème siècle », Thomas PIKETTY confirme l’augmentation de ces inégalités et montre qu’elles s’accentuent si l’on prend en compte non seulement le revenu du travail mais aussi toutes les formes de revenu. Selon son analyse les perspectives vont plus dans le sens d’une aggravation des inégalités plutôt qu’une diminution. En effet PIKETTY démontre que ce sont les guerres, dans une large mesure, qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au XXème siècle. Les impôts représentaient moins de 10% du revenu national dans tous les pays au XIXème siècle. Aujourd’hui les prélèvements obligatoires représentent près de la moitié du revenu national en Europe. Cette évolution correspond à la mise en place d’un « Etat social » au cours du XXème siècle. Jusqu’en 1914 la puissance publique assurait les grandes missions régaliennes. Ces missions mobilisent toujours un peu moins du dixième du revenu national. Les dépenses d’éducation et de santé représentent entre 10 et 15% du revenu national. Les revenus de remplacement et de transfert représentent entre 10 et 15% du revenu national des pays riches. Les retraites représentent entre les deux tiers et les trois quarts du total des revenus de remplacement et de transfert. Les allocations de chômage et les minima sociaux ne représentent chacun d’eux que 1 à 2% du revenu national. Personne n’imagine sérieusement à ce que l’on revienne à une réduction des dépenses publiques à 10% du revenu national. Cela reviendrait à démanteler l’État social. Mais les inégalités continuent de s’accentuer au sein des pays riches comme entre les pays riches et les pays pauvres.

Plus de la moitié des êtres humains vivent toujours avec moins de deux euros par jour. Daniel COHEN cite dans son livre op cité, une étude de BANERJEE et DUFLO, « Repenser la pauvreté », aux éditions du Seuil. Comprendre la pauvreté aujourd’hui c’est comprendre comment l’espèce humaine se débat lorsqu’elle est privée de tous ces biens qui sont devenus l’ordinaire des pays riches. Alors que certains économistes sont tentés de voir dans la pauvreté un défaut de rationalité des pauvres eux-mêmes, ils montrent qu’elle révèle bien davantage la rationalité humaine, lorsqu’elle est privée du soutien d’institutions compétentes et légitimes pour les aider à décider. Le pauvre comme le riche a besoin d’un support institutionnel pour gérer rationnellement son cycle de vie.

Certains font l’apologie de l’inégalité parce qu’ils pensent que cela stimule la croissance et que tout le monde en profite. C’est ce qu’on appelle l’économie du ruissellement. Mais la réalité nous montre que l’inégalité n’a pas accéléré la croissance et que les écarts de revenus entre les riches et les pauvres, loin de se réduire, se sont agrandis au cours des trente dernières années alors que la richesse a augmenté.

Économie et progrès

Après la révolution de la machine à vapeur au XVIIIème siècle, la révolution de l’électricité au  XIXème nous vivons la révolution informatique. Elle est d’une nature différente. Elle n’est pas un moyen de faire d’énormes progrès de productivité dans l’industrie comme les deux précédentes. Elle est une révolution dans la gestion de l’information, une révolution managériale qui modifie profondément l’organisation du travail. C’est l’intensification du travail qui devient le principal vecteur des gains de productivité. C’est toujours le même processus ! On recherche une amélioration de la richesse produite. Il reste alors de savoir comment cette richesse se répartit. L’histoire nous révèle que c’est toujours un tout petit nombre qui s’accapare l’essentiel des richesses produites.

Galilée et Newton ont bouleversé les conceptions traditionnelles sur la place de l’homme dans la nature et l’univers. Ils ont ainsi préparé la révolution industrielle du XVIIIème siècle et ouvert la voie au capitalisme moderne. De même aujourd’hui estime Daniel COHEN dans son livre déjà cité, la révolution génétique bouscule les conceptions philosophiques de l’homme. Il cite Ray Kurzweil qui annonce pour 2060 un monde transhumain. Ce prophète néo futuriste parie sur une amélioration progressive des mécanismes qui vont permettre de « régénérer » le corps et retarder le vieillissement. Le ministère de la Défense américain a investi des millions de dollars pour étudier la connexion entre ordinateurs et cerveau humain. De substitut, la machine devient le complément de l’homme. Pour les économistes ces évolutions peuvent être l’annonce d’un nouveau modèle de croissance. 

Financiarisation de l’économie

Nous venons de vivre ces dernières années une grande transformation qui a conduit au capitalisme financier. C’est ce que l’on a appelé la financiarisation de l’économie. Le pouvoir économique a été capté par une minorité d’acteurs de la finance et de firmes multinationales sous la coupe de grands actionnaires qui sont parvenus à imposer leurs vues aux politiques. C’est une des fonctions du  « Club de Davos ». Ils ont imposé la dérégulation, le libre-échange, les paradis fiscaux, les niches fiscales, la forte réduction de la progressivité de l’impôt, les privatisations des services publics, la réduction de l’intervention de l’Etat dans l’économie donc la baisse des dépenses publiques, etc…

Jean GADREY, professeur émérite d’économie à l’université de Lille estime dans la revue Humanisme (déjà citée) que nous vivons une crise systémique profonde qui n’est pas terminée. Il distingue plusieurs crises, mais chacune dépend des autres d’où le qualificatif de « systémique ». Crise financière et économique, crise sociale, crise écologique, crise démocratique et crise du pouvoir économique. Pour en sortir il faudra s’attaquer à l’ensemble des causes de chacune de ces crises et à leurs interactions.

Économie et humanisme

L’économie a toujours été une activité multidimensionnelle mettant en relation l’individu, la société et la nature. Elle est condamnée à retrouver sa vraie nature d’activité finalisée par la satisfaction des besoins humains et transformant aussi efficacement que possible, à cette fin, les milieux physiques ou vivants sur lesquels se développe la vie des hommes. C’est ce que René PASSET appelle la bio économie (op cité). Gérer rationnellement les ressources utiles et rares de ce monde, afin de satisfaire au mieux et au moindre coût les aspirations humaines ne constitue qu’une partie des activités des hommes. Il y a aussi ce qui s’étend à l’esthétique, à la gratuité, aux valeurs socioculturelles qui donnent un sens à la vie et à la mort et finalisent les comportements. La sphère de l’économique est un sous-ensemble de celle des activités humaines et socioculturelles.

L’homme de l’économie réelle, poursuit René PASSET, n’est pas seulement une force de production ou une créature maximisatrice d’utilités, mais aussi un être biologique dont les besoins physiologiques doivent être couverts. En même temps il est une personne porteuse de valeurs dont les aspirations intellectuelles, artistiques et spirituelles doivent pouvoir s’accomplir. Si l’économie est une science de l’action aux prises avec le réel c’est l’ensemble de ces dimensions qu’elle doit prendre simultanément en considération. Peut-on qualifier de développement une croissance du produit par tête qui s’accompagne d’une régression des valeurs socioculturelles, d’une dégradation des conditions de la vie humaine (stress, chômage, etc…) et d’une détérioration de la relation des hommes entre eux ou avec leur milieu de vie ?

Économie et croissance

A l’intérieur de la sphère économique, développement et sous-développement ne sont pas des phénomènes indépendants l’un de l’autre : la division internationale du travail se forme au niveau  du système mondial et ne dépend plus du choix souverain des nations considérées isolément.

C’est désormais le monde qui est devenu le niveau pertinent d’analyse des politiques économiques.

Pour René PASSET quand l’économie se trouve confrontée aux questions du « trop » et des inégalités de répartition, la question des finalités fait surface. Lorsque le « plus » cesse de constituer le critère du « mieux », on voit surgir la question du « pourquoi », c’est-à-dire des finalités et des valeurs socioculturelles.

Produire plus, peut-être mais pour quoi faire ? La performance s’apprécie directement en termes de couverture des besoins et de bien-être. Quand la libre concurrence aboutit à la ruine des agricultures vivrières des pays pauvres, cela se traduit par la substitution de structures plus productives aux modes traditionnels de production. Alors la seule réponse possible, c’est le droit à la souveraineté alimentaire des peuples, garanti par la protection aux frontières contre la concurrence des agricultures industrialisées et subventionnées notamment par l’Europe et les États Unis.

Cet impératif s’étend à tous les droits et les besoins fondamentaux de la personne : l’éducation, la santé, la culture, etc.…

Amartya SEN, économiste humaniste, prix Nobel en 1998, a conçu l’indice de développement humain des Nations Unies. Cet instrument de mesure  inédit qui prend en compte, non seulement les tonnes d’acier et les milliards de dollars d’exportation mais aussi des paramètres concrets pour les citoyens comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, le niveau d’éducation, la santé et même les droits politiques. SEN estime que les politiques publiques doivent donner à chacun la «capabilité» de vivre une vie digne de ses attentes. C’est une magnifique ambition de vouloir toujours replacer au centre des dispositifs chaque homme et chaque femme à la fois dans son humanité défendue dans le cadre éthique des droits de l’homme et dans sa qualité d’acteur et d’être humain dont il faut respecter et renforcer la liberté de mener la vie qu’il ou qu’elle souhaite mener et pas seulement comme réceptacle d’objets divers de confort.

Pour terminer je reprendrais la conclusion

de l’article d’André BELLON

dans le numéro de la revue « Humanisme », n° 291 Février 2011

Il n’est pas possible de continuer à imposer un discours de nature transcendante, incontestable dans ses présupposés comme dans ses conséquences, imposant ses décisions dans presque tous les domaines de la vie sociale et, dans le même temps, prétendre agir en fonction de principes fondamentalement humanistes sur le plan individuel et démocratiques sur le plan collectif.

La réaffirmation de l’humanisme passe donc inévitablement par une réflexion critique sur la question économique.

Depuis plus d’un siècle, on veut enfermer l’homme dans des schémas économiques théoriques, transformant l’humain en capital, voire en matériel. Retrouver tout le sens de l’humain est un enjeu majeur pour dépasser un siècle d’aliénation. 

Bibliographie :

Revue HUMANISME n° 291 Février 2011 – dossier « L’économie contre l’humanisme »

Joseph STIGLITZ – « le prix de l’inégalité » – Éditions les liens qui libèrent – 2012

René PASSET – « les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire » –

Éditions les liens qui libèrent – 2010

Daniel COHEN – « Homo économicus, prophète (égaré) des temps nouveaux » – Éditions Albin Michel – 2012

Edgar MORIN – « la voie » sous-titre « Pour l’avenir de l’humanité » – Éditions Fayard – 2011

Thomas PIKETTY – « Le capital au XXIème siècle » – Éditions du Seuil – 2013