Depuis quelque temps la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et de l’humanité. Pas un jour ne passe sans qu’un journal, une émission de radio ou de télévision, la publication d’un livre n’aborde ce thème sous différents angles. Ces documents nous donnent différents points de vue sur l’avenir de la planète et nous permettent d’essayer d’y voir un peu plus clair.
Face à une évolution qui s’accélère, décrite par les scientifiques avec un assez large consensus, quelles sont les réactions ? Cela s’échelonne du déni pur et simple au catastrophisme apocalyptique sur le changement climatique. Sans être exhaustif, citons quelques exemples.
Le déni
Certains n’hésitent pas à placer l’absence de certitudes scientifiques au centre du débat sur le changement climatique. La stratégie du doute a largement fonctionné. Le climatoscepticisme même s’il recule dans les médias et dans l’opinion reste encore bien présent. Les grandes compagnies pétrolières informées de la réalité du changement climatique ont continué à investir dans de nouveaux gisements et même ont financé des campagnes de désinformation sur le climat. Les institutions financières continuent d’investir massivement dans les énergies fossiles, dont elles tirent des profits bien plus élevés que ceux que pourraient leur procurer les énergies renouvelables.
Le fondamentalisme écologique
A l’opposé des climatosceptiques, le fondamentalisme écologique que certains décrivent comme empreint de misanthropie, associant les êtres humains à des agents pathogènes. L’idéologie écologiste voyant dans la Terre une vierge ingénue que la rapacité humaine aurait souillée. Pour les collapsologues la fin de notre monde est proche. La probabilité de voir le système Terre basculer dans un état inconnu est plus élevée que celle de tout autre scénario prospectif. Cette trajectoire chaotique du système Terre conduit les sociétés humaines vers un effondrement systémique global.
Selon l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet, il n’y aura qu’une « moitié survivante de l’humanité dans les années 2040 » (Libération, 23 août 2017). L’auteur et conférencier Pablo Servigne invite à se « réensauvager », pour « renouer avec nos racines profondes », nos « symboles primitifs ».
Comment faire émerger un autre monde possible à partir de celui-ci ? Leurs propositions :
• La première piste est à rechercher du côté de la permaculture en tant que vision du monde et science pragmatique des sols et des paysages, rejeter les leurres de la croissance verte afin de revenir à une juste mesure en réduisant considérablement notre empreinte sur le monde.
• Une deuxième piste d’action, un changement général d’échelle et une politique de décroissance. La dynamique bio régionale stimulera le passage d’un système hyper efficient et centralisé à une organisation forgée par la diminution des besoins de mobilité, la coopération, le ralentissement. Cette organisation sera composée d’une multitude de dispositifs et de sources d’énergie.
• La troisième voie est celle d’un imaginaire social libéré des illusions de la croissance verte, du productivisme et de la vitesse, actionnées par les entreprises transnationales. La ville connectée, emblème d’une techno-euphorie totalement hors-sol, laissera la place à des bourgs et des quartiers « hors réseau » auto producteurs d’énergie. Le nombre de véhicules sera réduit au strict minimum, les flottes seront administrées par les communes, tandis que les champs redessinés en polyculture pourront être traversés à pied.
Le new deal vert
Jérémy RIFKIN est le célèbre prospectiviste américain, auteur du livre publié aux éditions Les Liens qui Libèrent, « la troisième révolution industrielle ». Celle-ci est la conséquence de l’informatisation de la société. RIFKIN préconise un New Deal Vert destiné à métamorphoser les fondements de l’économie et de la société du XXIème siècle et un changement radical du système capitaliste. Dans ce nouveau système économique, la propriété cède le pas à l’accès, les marchés sont remplacés par les réseaux, ce qui donne lieu à un nouveau phénomène l’économie collaborative. Les énergies fossiles sont remplacées par les énergies renouvelables. Le basculement vers l’internet des objets et la troisième révolution industrielle augmenteront l’efficacité énergétique cumulée à 60% ou plus dans les vingt années qui viennent. A terme l’on passera vers une société d’énergie renouvelable et sans carbone à près de 100%.
On imagine sans peine l’énorme bouleversement économique social et politique auquel il faudra faire face.
Peut-on échapper à la décroissance ?
Jean-Marc JANCOVICI, ingénieur français, polytechnicien, enseignant, conférencier et chroniqueur est un spécialiste de l’énergie et du climat. L’énergie c’est ce qui permet au monde moderne d’exister. Il faut se libérer des énergies fossiles qui sont à l’origine du changement climatique. 75% de l’approvisionnement en énergie est fossile. Les énergies renouvelables ne suffiront pas à remplacer les énergies fossiles. Pour lui vouloir réduire le nucléaire est une erreur. Si l’on veut réduire le réchauffement sous les 2°C il faut que les émissions de CO2 baissent de 4% donc réduire l’utilisation du pétrole, du gaz et du charbon. Le pilier de la transition énergétique c’est faire des économies d’énergie donc se mettre au régime, un gros régime pour tout le monde les pauvres comme les riches.
Une critique des collapsologues
Avec leurs prévisions apocalyptiques, les collapsologues ravalent le politique à un mode religieux estime Christophe RAMAUX, membre des économistes atterrés. Pour lui l’écologie mérite mieux que la régression des nouveaux prophètes de l’apocalypse. Elle invite à changer de monde. Mais la prendre au sérieux suppose d’affronter certaines questions. Le capitalisme est par construction productiviste. L’écologie suppose de faire décroître les activités polluantes. Faut-il aller au-delà et prôner une décroissance globale ?
Le réchauffement climatique dépend de quatre variables :
- la population ;
- la croissance du produit intérieur brut (PIB) ;
- l’intensité énergétique du PIB (le ratio énergie/PIB) ;
- l’intensité carbone de l’énergie (le ratio gaz à effet de serre/énergie).
Le GIEC table surtout sur les deux dernières variables. Car miser sur la réduction de la croissance annihilerait le développement des pays les moins avancés. Ici même, le soulèvement des « gilets jaunes » atteste l’étendue des besoins insatisfaits : fins de mois difficiles, mal-logement, santé, éducation, etc. L’écologie elle-même exige un surcroît de croissance : rénovation du bâti ; transports collectifs, passage à une agriculture (vraiment) raisonnée ou bio (car un kilo de carottes bio plutôt qu’industrielles accroît le PIB en volume, puisque celui-ci intègre le surcroît de qualité), etc.
Le découplage relatif – augmentation des gaz à effet de serre (GES) inférieure à celle du PIB – a déjà commencé à l’échelle mondiale. Le nécessaire découplage absolu – baisse des émissions de GES en dépit de la hausse du PIB – n’est pas hors d’atteinte.
La réduction de la consommation d’énergie suppose de rompre avec l’austérité budgétaire pour réaliser les investissements nécessaires, mais également avec le libre-échange, son transport échevelé de marchandises et son dumping environnemental.
La réduction de l’intensité carbone de l’énergie implique, de son côté, d’abandonner les énergies fossiles au profit d’une énergie électrique décarbonée. La France est bien située sur ce plan, grâce au nucléaire. Les énergies renouvelables sont à encourager. Mais gare aux leurres. Tant que le stockage de l’électricité n’est pas résolu (il ne l’est pas pour l’heure), l’éolien et le photovoltaïque supposent des compléments, ce qui les rend d’ailleurs coûteux. Il serait évidemment préférable de se passer du nucléaire à long terme. Mais pour limiter le réchauffement, pour le portefeuille de l’usager ainsi que pour sa politique industrielle, la France ne doit pas en sortir précipitamment.
Et pour conclure Christophe RAMAUX rappelle que l’histoire fourmille de promesses d’émancipation abîmées par le dogmatisme. Puisse l’écologie y échapper.
La situation est sérieuse mais pas désespérée
C’est ainsi que l’on pourrait résumer la position de Sylvie BRUNEL. Elle est géographe, écrivaine et professeure à l’université Paris- Sorbonne, spécialiste des questions de développement. Elle estime que Non, nous ne courons pas à la catastrophe : certes, les atteintes à la planète sont importantes, mais nous avons désormais les moyens de la réparer. Il n’est aucune irréversibilité. C’est l’innovation et la coopération qui permettent d’inventer les techniques d’atténuation visant à découpler la relation entre consommation de ressources, émission de gaz à effet de serre et production de bien-être.
La ressource est inépuisable car elle dépend de l’ingéniosité humaine et de sa capacité à capitaliser les connaissances, ce qui différencie fondamentalement l’homme de l’animal. Améliorer le bien-être de l’humanité en utilisant mieux les ressources, quel formidable défi ! Mais il suppose la sérénité et la coopération. Pas les anathèmes contre de prétendus surnuméraires ou contre ceux qui travaillent dans le secteur productif. Pas une idéalisation trompeuse du passé, qui a d’ailleurs existé à toutes les époques. Pas les menaces démobilisatrices d’une fin du monde annoncée, qui n’incitent qu’à l’aquoibonisme.
L’écomodernisme
Steven SPINKER, professeur à l’université Harvard, dans son ouvrage intitulé « Le triomphe des Lumières – pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme », consacre un chapitre à l’environnement. Pour lui l’écomodernisme commence avec la prise de conscience
- qu’un certain degré de pollution est une conséquence inéluctable de l’accroissement des activités humaines.
- que l’industrialisation a été bonne pour l’humanité. Elle a nourri des milliards de personnes, doublé la durée de vie, considérablement réduit l’extrême pauvreté et, en remplaçant les muscles par des machines, facilité l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des femmes et l’éducation des enfants. Tous les inconvénients en termes de pollution et de destruction d’habitats doivent être mis en balance avec ces bienfaits.
- que le compromis difficile à trouver entre bien-être humain et dégradation de l’environnement peut être négocié par la technologie.
Les écopessimistes ont pour coutume de rejeter en bloc cette approche, la qualifiant de foi aveugle dans le fait que la technologie nous sauvera. SPINKER répond à cela que les catastrophes annoncées par les militants écologistes des années 1970 n’ont pas eu lieu et que des améliorations qu’ils jugeaient impossibles se sont fait sentir. Et de citer différentes améliorations dans la qualité de l’air, la dépollution des fleuves, l’augmentation des zones protégées tant sur terre que dans l’océan.
Le fait que de nombreux indicateurs de la qualité de l’environnement s’améliorent ne signifie pas que tout va bien. Si nous jouissons d’un environnement plus sain c’est grâce à l’activisme, aux lois, aux règlements, aux traités et à l’ingéniosité technique de tous ceux qui ont œuvré à sa protection dans le passé. De nombreux efforts sont encore nécessaires pour empêcher toute régression et surtout les étendre aux problèmes qui perdurent comme la santé des océans et l’émission de gaz à effets de serre dans l’atmosphère.
Pour Steven SPINKER il faut considérer la protection de l’environnement comme un problème à résoudre et remiser les discours moralisateurs et culpabilisants. Les progrès technologiques nous permettent de faire plus avec moins mais les conséquences des gaz à effet de serre sur le climat doivent incontestablement nous alarmer. La réponse éclairée au changement climatique est de découvrir des moyens d’obtenir un maximum d’énergie tout en émettant un minimum de gaz à effet de serre. Les émissions de carbone sont encore trop importantes. La décarbonation a besoin d’un soutien politique et technologique. La mise en place d’une taxe carbone forcerait les gens à prendre en compte les dommages qu’implique chacune de leurs décisions émettrices de carbone. Le défi est de proposer des modifications profondes du dispositif pour le rendre socialement juste. La justice requiert que le partage des coûts de la politique climatique soit équitable.
Par ailleurs un nombre croissant de climatologues estiment qu’il n’existe pas de trajectoire crédible vers une réduction des émissions mondiales de carbone sans expansion considérable de l’énergie nucléaire. La décarbonation aura besoin de percées non seulement dans le domaine nucléaire, mais aussi sur d’autres fronts technologiques : batteries permettant de stocker l’énergie intermittente issue des sources renouvelables ; réseaux intelligents de type internet, capables de distribuer à des utilisateurs de l’électricité produite par des sources dispersées dans l’espace ; technologies électrifiant et décarbonant des processus industriels ; méthodes de capture et de stockage de CO2. Ce dernier défi est d’une importance critique car même si les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de moitié d’ici à 2050 et ramenées à zéro d’ici 2075, le monde sera toujours lancé sur la trajectoire d’un réchauffement risqué, car le CO2 déjà émis restera très longtemps dans l’atmosphère.
En conséquence il ne suffit pas de cesser d’agrandir la serre il faut la démanteler. Pour ce faire la solution la plus évidente est d’appeler à la rescousse autant de plantes avides de carbone que possible. Il faut passer de la déforestation à la reforestation et à l’afforestation c’est-à-dire à la plantation de nouvelles forêts. Il faut reconstituer des zones humides. Beaucoup d’autres idées sont émises pour capter le carbone, des plus sérieuses aux plus farfelues. Les plus spéculatives relèvent de la géo-ingénierie qui ressemblent aux élucubrations d’un savant fou : disperser dans l’atmosphère de la roche pulvérisée capable d’absorber le CO2, ajouter des substances alcalines aux nuages ou aux océans afin de dissoudre le CO2, et bien d’autres…
Parmi les pistes les plus sérieuses, la technique consistant à récupérer le CO2 émis par les cheminées des usines utilisant des combustibles fossiles et à l’injecter sous la croute terrestre. L’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie avec captage et stockage du carbone.
Il faut intensifier la recherche de méthodes pour minimiser les dommages causés en attendant la mise au point de solutions efficaces au problème du changement climatique. Steven SPINKER conclut que l’histoire nous donne à penser que l’environnementalisme moderne, pragmatique et humaniste peut fonctionner. Il estime qu’il faut être modérément optimiste si l’on investit suffisamment dans la science et les technologies.
Les enjeux de la crise climatique
Christian de Perthuis, professeur à l’Université Dauphine, fondateur de la Chaire Économie du Climat, est l’auteur d’un livre intitulé « Le tic-tac de l’horloge climatique » dans lequel il présente les trois enjeux majeurs de la crise climatique :
- La transition énergétique doit être fortement accélérée. La transition nécessite une mobilisation à tous niveaux : international, européen, national, local et bien sûr, individuel. Il faut sortir de la dépendance à l’énergie fossile. C’est possible en tarifiant mieux le carbone, en profitant de la baisse du coût des énergies renouvelables, et de la baisse du coût du stockage du carbone.
- Il faut préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
- Même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique. Il faudra s’adapter à ce réchauffement et ses conséquences. Comme les pays les plus pauvres sont les plus exposés il faut anticiper et les aider à mieux s’y préparer.
Cette exploration, sans avoir la prétention d’être exhaustive, a satisfait mon envie d’y voir un peu plus clair et de me faire une opinion plus circonstanciée et argumentée. J’espère qu’il en sera de même pour vous.
Références
- Articles du Journal Le Monde, série « Vivre avec la fin du monde » publiés en juillet 2019.
- Rapports du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)
- Rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC)
- Les grandes représentations du monde et de l’économie – René PASSET – LLL
- Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies – Monique ATLAN et Roger-Pol DROIT – Flammarion
- L’humanité en péril, Virons de bord toute ! – Fred VARGAS – Flammarion
- Le triomphe des lumières, Pourquoi il faut défendre la raison la science et l’humanisme – Steven PINKER – Les arènes
- Atlas de l’Anthropocène – François GEMENNE et Aleksandar RANKOVIC – SciencesPo les presses
- Le new deal vert mondial – Jérémy RIFKIN – LLL
- Le tic-tac de l’horloge climatique de Christian De PERTHUIS – De Boeck supérieur