« La mondialisation de l’économie, un progrès pour l’humanité ?»

Préambule

Intuitivement la réaction première est qu’il est vain d’essayer de s’opposer à ce mouvement de fond qu’est la mondialisation. Ceux qui sont opposés à cette évolution du monde me font penser à la réaction des opposants au développement du chemin de fer qui craignaient que le passage des locomotives à vapeur rende les vaches moins productives en lait. Tout progrès dans l’histoire a généré des oppositions par crainte des effets néfastes. La mondialisation est la poursuite d’une longue évolution qui a commencé le jour de l’apparition de l’homme sur la Terre. De tout temps l’homme a cherché à étendre son territoire, à dominer la nature, à développer ses connaissances, à augmenter ses échanges, etc. … Ce développement ne s’est fait ni dans la continuité ni dans l’harmonie, souvent même en passant par des périodes de régression et de violents affrontements mais aussi par des périodes d’accélération. Globalement la tendance de long terme est à l’amélioration de la condition humaine.

Il est d’ailleurs significatif que les premiers opposants à ce que l’on a commencé à appeler la mondialisation, qui s’appelaient les antimondialistes, ont très vite décidé de s’appeler les altermondialistes, donc pour une autre mondialisation et non plus contre la mondialisation.

Réflexion sur la globalisation de l’économie

En 2007 j’ai eu l’occasion d’écouter à la radio un économiste américain, Joseph STIGLITZ, qui présentait son livre intitulé « un autre monde » sous-titré « contre le fanatisme du marché ». Il est reconnu comme un spécialiste des problèmes de la mondialisation, prix Nobel d’économie en 2001, conseiller économique à la Maison Blanche auprès de Bill Clinton, et puis économiste en chef et vice-président de la banque mondiale entre 1997 et 2000.

L’essentiel des éléments exposés puise abondamment dans les thèses et les arguments développés par STIGLITZ. J’ai aussi utilisé d’autres ouvrages mais dans une moindre mesure : « Une économie de rêve » de René PASSET, professeur émérite d’économie à l’Université de PARIS I – Panthéon – Sorbonne et ancien président du conseil scientifique d’ATTAC, « La Dissociété » de Jacques GENEREUX, professeur à Sciences PO Paris, « Une brève histoire de l’avenir » de Jacques ATTALI, et dans l’actualité récente « Le rapport sur la mondialisation » remis au président de la République française le 5 septembre 2007 par Hubert VEDRINE ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lionel JOSPIN.

J’ai conçu cet article comme une introduction à la réflexion sur la globalisation de l’économie. Ce serait d’ailleurs bien prétentieux que de vouloir faire le tour complet d’une question aussi vaste, même en compagnie d’un prix Nobel d’économie.

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique « la mondialisation » a remplacé « la rivalité des deux blocs » comme thème principal des préoccupations géopolitiques de la planète. Les Etats-Unis, sans rival, se font les gendarmes du monde et leur modèle économique est le modèle de référence. De plus en plus, les Etats-Unis, par mimétisme du vieil adage stalinien, estiment que ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le monde entier. Ainsi leur tendance fondamentale est d’imposer leur vision du monde de manière assez unilatérale.

La mondialisation c’est d’abord la mondialisation de l’économie mais elle comporte aussi de nombreux autres aspects : les flux internationaux des idées et des connaissances, le partage des cultures, la société civile mondiale, l’avenir écologique de la planète etc.… Je me limiterai à l’aspect économique, ce que l’on appelle maintenant la globalisation de l’économie, l’intégration économique croissante des pays du monde par intensification des flux de biens et de services, de capitaux et même de main d’œuvre.

Les tenants de la mondialisation affirment qu’elle va améliorer le sort de tous, élever les niveaux de vie dans le monde entier, ouvrir les marchés extérieurs aux pays pauvres pour leur permettre de vendre leurs produits, développer les investissements étrangers dans les pays pauvres pour leur permettre de produire de nouveaux produits à meilleur prix, ouvrir les frontières pour permettre la circulation des hommes et des produits pour le bien de tous.

Ce qui sous-tend cette affirmation c’est la pensée économique libérale qui a muté à partir des années 1980 en un rameau néolibéral.

L’économie libérale dont le père spirituel est Adam SMITH a été conceptualisée lors de la naissance de l’industrie en Angleterre. Selon SMITH la richesse vient du travail de l’homme. C’est la perception de son intérêt personnel qui pousse l’homme à l’épargne et au travail donc l’intérêt privé est le moteur de l’économie. En conséquence la société se doit de garantir la libre concurrence des intérêts privés seule capable d’assurer l’adéquation automatique entre l’offre et la demande. C’est la « main invisible » qui amène la recherche de l’intérêt personnel et les marchés à l’efficacité économique.

Les prophètes du néo-libéralisme ont pour noms Friedrich HAYEK, Milton FRIEDMAN et « l’école de Chicago », George BILDER et son « économie de l’offre ». Ils sont convaincus que du déchainement des appétits privés jaillira un bien être collectif. Ils promettent l’opulence par le libre jeu du marché, le plein emploi par la croissance, la productivité par la compétition, la prospérité commune par la rentabilité, la mise en valeur de toute la planète par la libre circulation des capitaux et la richesse monétaire comme valeur suprême.

Après Porto Alegre au Brésil, en janvier 2004 aux abords de Bombay en Inde les dizaines de milliers de participants au Forum social mondial estiment que la réalité est toute autre et que la mondialisation est responsable de l’appauvrissement d’une grande partie de la population de la planète, du chômage et de la décomposition sociale, de la surexploitation de la planète, de la marchandisation du corps humain, de l’écrasement des faibles etc….

Le processus actuel de mondialisation génère des déséquilibres entre les pays et à l’intérieur des pays.

Les mécontents de la mondialisation soulèvent en gros cinq problèmes :

  • Les règles du jeu qui régissent la mondialisation sont injustes. Elles ont été conçues pour profiter aux pays industriels avancés
  • La mondialisation de l’économie fait passer les valeurs matérielles avant d’autres, telles que le souci de l’environnement ou de la vie même.
  • La façon dont la mondialisation est gérée prive les pays d’une grande partie de leur souveraineté. En ce sens, elle mine la démocratie.
  • Les partisans de la mondialisation ont prétendu que tout le monde allait y gagner économiquement, mais, tant dans les pays en développement que dans les pays développés, il y a beaucoup de perdants des deux cotés.
  • Le système économique qu’on a recommandé aux pays en développement et dans certains cas que l’on leur a imposé est inadapté et leur fait un tort énorme. Mondialisation ne doit pas être synonyme d’américanisation, et c’est souvent le cas.

Dans les années 1990 libéralisation du commerce et libéralisation des marchés des capitaux, mesures inspirées directement des thèses néolibérales, étaient deux composantes d’une conception plus générale qu’on appelle le « consensus de Washington » établi par le Fond Monétaire International (FMI), la Banque mondiale, le Trésor des Etats-Unis, sur les politiques les mieux à même de promouvoir le développement.

Ce consensus préconisait de réduire l’intervention de l’Etat, de déréglementer, de libéraliser et de privatiser au plus vite.

Mais au début du nouveau millénaire la confiance dans ce consensus s’est trouvée remise en question car il accordait trop peu d’attention aux questions de justice sociale, d’emploi, de concurrence, au rythme et à l’enchainement des réformes, au mode opératoire des privatisations, au fait que la seule croissance du PIB n’est pas le seul facteur qui affecte le niveau de vie et qu’il ne pose pas le problème de la durabilité de la croissance.

Aujourd’hui dans le monde tel qu’il est, avec une économie ouverte où l’interdépendance est de règle, il est difficile d’imaginer la possibilité pour un pays, qu’il soit en développement ou développé, de s’isoler du reste du monde et de vivre en autarcie sans voir le niveau de vie de sa population régresser ou au minimum cesser de croitre.

La seule issue est de réformer la mondialisation.

Réformer la mondialisation

  • REDUIRE LA PAUVRETE

Il faut œuvrer davantage au niveau mondial pour réduire la pauvreté qui n’est pas seulement une insuffisance de revenu mais aussi  notamment une insuffisance de soins médicaux et d’accès à l’eau.  La banque mondiale et le FMI, officiellement du moins, ce qui n’était pas le cas au paravent font de la réduction de la pauvreté une priorité.

  • ALLEGER LA DETTE

Lors de la Conférence internationale sur le financement du développement  qui s’est tenu en mars 2002 à Monterrey au Mexique, avec la participation de 50 chefs d’Etat ou de gouvernement et de 200 ministres, les pays industriels avancés se sont engagés à accroître leur aide en la portant à 0.7% de leur PIB. Non seulement le besoin d’une augmentation de l’aide mais un large accord s’est fait pour qu’elle soit versée davantage sous forme de dons et moins de prêts. A ce jour, rares sont ceux qui ont tenu parole, notamment les E.U. Mais le plus révélateur est le changement d’approche à l’égard de la conditionnalité. Les conditions de l’aide devront être revues et allégées. Au sommet du G8 de 2005, les dirigeants des grands pays industriels ont accepté d’effacer complètement les sommes dues au FMI et à la Banque mondiale par les 18 pays les plus pauvres du monde dont 14 sont en Afrique.

  • RENDRE LE COMMERCE EQUITABLE

La libéralisation du commerce devait conduire à la croissance. Le bilan réel est au mieux mitigé. Les accords de commerce internationaux sont souvent déséquilibrés : ils autorisaient les pays industriels avancés à lever sur les produits des pays en développement des droits de douane en moyenne quatre fois plus élevés que ceux qui frappaient les produits des autres pays industriels avancés.

Les accords commerciaux ont en fait aggravé la situation des pays les plus pauvres. Les négociations se sont concentrées sur la libéralisation des flux de capitaux et l’investissement souhaitée par les pays développés et pas sur la libéralisation des flux de main d’œuvre qui aurait bénéficié aux pays en développement.

Le renforcement des droits de propriété intellectuelle a largement bénéficié aux pays développés.

Les négociations sont aujourd’hui bloquées par le refus du monde développé de réduire ses subventions agricoles. La vache européenne reçoit en moyenne 2 dollars par jour alors que plus de la moitié des habitants du monde en développement vivent avec moins.

Les pays développés sont pour la libéralisation des échanges quand c’est à leur profit et sont très imaginatifs pour trouver des obstacles aux échanges quand cela leur est défavorable.

Le monde a besoin d’un vrai cycle du développement, mais il faut que ce soit un jeu à somme positive où chacun peut être gagnant, pays pauvres et pays riches et à l’intérieur des pays. On ne « vendra » pas la mondialisation aux travailleurs des pays développés en leur promettant que malgré tout, s’ils acceptent  de réduire suffisamment leurs salaires, ils pourront trouver un emploi.

Et sans croissance dans les pays en développement, le flot d’immigration sera difficile à endiguer 

  • NECESSITE DE PROTEGER L’ENVIRONNEMENT

La déstabilisation de l’environnement menace gravement le monde à long terme. Le réchauffement de la planète est devenu un vrai défi pour la mondialisation. Les succès du développement en Inde et en Chine ont donné à ces pays les moyens économiques d’accroître leur consommation d’énergie, mais l’environnement planétaire ne peut soutenir cet assaut. Si tout le monde émet des gaz à effet de serre au rythme  où le font les américains, de graves problèmes nous attendent. Cette idée est presque universellement admise sauf à Washington. Mais ajuster les modes de vie ne sera pas facile.

  • CHANGER LA GOUVERNANCE MONDIALE

Hors les E.U. tout le monde s’accorde pour dire que quelque chose ne va pas du tout dans la façon dont sont prises les décisions au niveau mondial, trop d’unilatéralisme et de déficit démocratique dans les institutions économiques internationales issues de la seconde guerre mondiale avant la décolonisation.

Jusqu’à il y a 150 ans l’essentiel du commerce était local. Ce sont les changements du XIXème siècle qui ont conduit à la formation d’économies nationales et contribué à renforcer l’Etat-nation. L’Etat a été amené à assumer des rôles inédits : empêcher les monopoles, jeter les bases d’un système moderne de sécurité sociale, règlementer les banques et les institutions financières. L’Etat nation a mieux permis de dynamiser l’économie et d’accroître le bien-être individuel.

L’idée reçue selon laquelle le développement des E.U. a été l’œuvre d’un capitalisme laissé à lui-même est fausse. Si l’essor économique des E.U. a eu lieu, c’est en particulier grâce au rôle qu’a joué l’Etat pour soutenir le développement, réglementer les marchés et assurer les services sociaux de base. L’Etat pourra-t-il joué dans les pays en développement un rôle comparable ?

La mondialisation  impose de nouvelles tâches aux Etats-nations mais en même temps elle réduit leur capacité à les assumer. De plus en plus les accords internationaux empiètent sur les droits des Etats à prendre souverainement leurs décisions.

La mondialisation économique est allée plus vite que la mondialisation politique. Nous avons besoin d’institutions internationales fortes pour affronter les défis de la mondialisation économique et celles qui existent souffrent d’un déficit démocratique. Il faut prendre une série de mesures pour réduire ce déficit démocratique, changer la structure des droits de vote, accroître la transparence, renforcer la capacité des pays en développement à participer réellement à la prise de décision. Il faut une instance judiciaire mondiale indépendante pour faire mieux respecter le droit international.

Les forces du changement économique, social, politique et environnemental planétaire sont plus fortes à long terme que la capacité d’un pays, même le plus puissant, à modeler le monde en fonction de ses intérêts.

  • REFORMER LE SYSTEME DE RESERVE MONDIALE

Le système financier mondial fonctionne mal. Le pays le plus riche du monde, les Etats-Unis, vit au dessus de ses moyens et emprunte 2 milliards de dollars par jour à des pays pauvres. L’argent coule de bas en haut alors que cela devrait être l’inverse si l’on veut rééquilibrer le développement au niveau mondial. Ce défaut du système financier mondial vient du vice du système de réserve mondiale.

Chaque pays fait des réserves pour l’aider à gérer les risques auxquels il est confronté. Cela renforce la confiance dans le pays et dans sa monnaie notamment vis-à-vis des préteurs, qui sont en général des banques des pays développés et des investisseurs.

La popularité du dollar dans les réserves internationales est essentiellement due à la domination des EU sur l’économie mondiale et à la grande stabilité historique de cette devise.

Les pays en développement paie très cher l’assurance qu’ils fournissent en détenant des dollars dans leur réserve. Ils obtiennent un rendement de 1 à 2% sur leurs réserves de plus de 3000 milliards de dollars. La plupart de ces pays manquent cruellement d’argent pour leurs projets de développement. L’utilisation de ces sommes pour leurs projets pourrait leur rapporter beaucoup plus.

Les vrais bénéficiaires du système de réserve mondiale sont les pays dont les monnaies sont utilisées comme instruments de réserve.

Devant l’instabilité du système les pays diversifient leurs réserves, ils sortent du dollar. Une sortie désordonnée pourrait se faire sous forme de crise grave. C’est pourquoi STIGLITZ suggère de réformer le système de réserve en organisant une sortie en douceur du système actuel notamment en développant le système des droits de tirage spéciaux, monnaie que le FMI serait autorisé à créer.

  • REGULER LA MONDIALISATION

L’hypertrophie de la sphère financière comme dit Hubert VEDRINE, à savoir la multiplication par milliers de fonds permettant des profits risqués mais faramineux, a modifié en profondeur, en à peine plus de dix ans, la globalisation économique et commerciale.

Une croissance mondiale à 5% et des fonds qui cherchent un profit à court terme d’au moins 15%. Des échanges sur les marchés de change cent cinquante fois plus importants que les échanges commerciaux, des actifs financiers qui représentent trois fois le PIB de la planète.

La crise financière de l’été 2007 aux États-Unis a mis en évidence d’une part la sous estimation des risques par les gendarmes de bourses dépassés par une sophistication opacifiante, et d’autre part des banques centrales en même temps pompiers et pyromanes.

Pour sortir de  l’idée démoralisante que nous n’avons pas d’autre choix que subir les à-coups de cette mondialisation ultralibérale financiarisée, pour que les peuples européens, ouverts et bien intentionnés, n’aient plus le sentiment d’être  » les idiots du village global « , des initiatives régulatrices plus visibles et plus efficaces sont indispensables.

  • TROUVER UN NOUVEL EQUILIBRE

Depuis deux siècles, les démocraties ont appris à modérer les excès du capitalisme, c’est-à-dire à canaliser la puissance du marché pour qu’il y ait plus de gagnants et moins de perdants. Au niveau d’un pays les lois et les règlementations n’ont pas le même impact sur tous les citoyens. L’objectif en général est qu’elles soient justes et qu’elles ne défavorisent pas les plus pauvres. Au niveau international jamais une politique n’est recommandée en faisant valoir qu’elle est juste. Chaque pays demande à ses négociateurs de revenir avec le meilleur accord pour leur pays. Même au sein des institutions internationales, il est rare que la politique mondiale soit analysée en termes de justice sociale.

Pour que la mondialisation fonctionne il faut un régime économique international où le bien-être des pays développés et celui du monde en développement  soient mieux équilibrés :

  • Les pays développés doivent accepter un régime commercial plus équitable
  • Nécessité de reconnaître l’importance de l’accès des pays en développement au savoir, aux médicaments à prix abordables et leur droit à faire protéger leurs connaissances traditionnelles.
  • Accepter d’indemniser les pays en développement pour leurs services environnementaux, c’est-à-dire la préservation de la biodiversité, séquestration du carbone qui contribue à la lutte contre le réchauffement de la planète
  • La lutte contre le réchauffement du climat doit être une priorité
  • Payer équitablement les ressources naturelles sans laisser un environnement dévasté
  • Fournir aux pays pauvres une aide financière suffisante
  • Elargir l’effacement de la dette
  • Réformer l’architecture financière mondiale et réduire son instabilité
  • Réformes institutionnelles et juridiques pour empêcher  l’émergence de monopoles mondiaux et obliger les multinationales à faire face à leurs responsabilités notamment en cas de dommages à l’environnement
  • Renoncer à toutes pratiques fragilisant la démocratie, limiter les ventes d’armes, le secret bancaire et les pots-de-vin
  • Donner plus de poids au Conseil économique et social de l’ONU qui pourrait jouer un rôle important dans la définition du programme de l’action économique mondiale en veillant qu’il ne porte pas sur les seuls problèmes qui intéressent les pays industriels avancés mais sur ceux qui sont essentiels au bien-être du monde entier.

En conclusion quelques mots :

  • L’économie globale de marché est un fait sur lequel il est dans l’immédiat difficile de revenir
  • Il faut démocratiser la mondialisation pour que le développement de tous les pays et à l’intérieur de chaque pays profite au plus grand nombre et dans la plus grande justice sociale
  • Pour atteindre cet objectif il faut réguler cette mondialisation au travers d’institutions internationales fortes mais aussi d’Etats-nations forts capables de respecter les engagements qu’ils prennent
  • L’Europe doit mener une politique beaucoup plus offensive de protection et de solidarité. L’Europe doit devenir un élément fort de la régulation du monde global.
  • Osons un acte de foi en l’avenir, espérons que l’humanité saura se sauver de ses démons qu’elle évitera de se détruire et qu’elle saura construire, en évitant des conflits radicaux, un monde plus démocratique et plus juste socialement.

05 mai 2009

Quelles réactions face au réchauffement climatique ?

Depuis quelque temps la multiplication des évènements climatiques et la succession des rapports scientifiques sur l’évolution du monde nous alertent avec insistance sur l’avenir de la planète et de l’humanité. Pas un jour ne passe sans qu’un journal, une émission de radio ou de télévision, la publication d’un livre n’aborde ce thème sous différents angles. Ces documents  nous donnent différents points de vue sur l’avenir de la planète et nous permettent d’essayer d’y voir un peu plus clair.

Face à une évolution qui s’accélère, décrite par les scientifiques avec un assez large consensus, quelles sont les réactions ? Cela s’échelonne du déni pur et simple au catastrophisme apocalyptique sur le changement climatique. Sans être exhaustif, citons quelques exemples.

Le déni
Certains n’hésitent pas à placer l’absence de certitudes scientifiques au centre du débat sur le changement climatique. La stratégie du doute a largement fonctionné. Le climatoscepticisme même s’il recule dans les médias et dans l’opinion reste encore bien présent. Les grandes compagnies pétrolières informées de la réalité du changement climatique ont continué à investir dans de nouveaux gisements et même ont financé des campagnes de désinformation sur le climat. Les institutions financières continuent d’investir massivement dans les énergies fossiles, dont elles tirent des profits bien plus élevés que ceux que pourraient leur procurer les énergies renouvelables.

Le fondamentalisme écologique

A l’opposé des climatosceptiques, le fondamentalisme écologique que certains décrivent comme empreint de misanthropie, associant les êtres humains à des agents pathogènes. L’idéologie écologiste voyant dans la Terre une vierge ingénue que la rapacité humaine aurait souillée. Pour les collapsologues la fin de notre monde est proche. La probabilité de voir le système Terre basculer dans un état inconnu est plus élevée que celle de tout autre scénario prospectif. Cette trajectoire chaotique du système Terre conduit les sociétés humaines vers un effondrement systémique global.
Selon l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet, il n’y aura qu’une « moitié survivante de l’humanité dans les années 2040 » (Libération, 23 août 2017). L’auteur et conférencier Pablo Servigne invite à se « réensauvager », pour « renouer avec nos racines profondes », nos « symboles primitifs ».
Comment faire émerger un autre monde possible à partir de celui-ci ? Leurs propositions :
• La première piste est à rechercher du côté de la permaculture en tant que vision du monde et science pragmatique des sols et des paysages, rejeter les leurres de la croissance verte afin de revenir à une juste mesure en réduisant considérablement notre empreinte sur le monde.
• Une deuxième piste d’action, un changement général d’échelle et une politique de décroissance. La dynamique bio régionale stimulera le passage d’un système hyper efficient et centralisé à une organisation forgée par la diminution des besoins de mobilité, la coopération, le ralentissement. Cette organisation sera composée d’une multitude de dispositifs et de sources d’énergie.
• La troisième voie est celle d’un imaginaire social libéré des illusions de la croissance verte, du productivisme et de la vitesse, actionnées par les entreprises transnationales. La ville connectée, emblème d’une techno-euphorie totalement hors-sol, laissera la place à des bourgs et des quartiers « hors réseau » auto producteurs d’énergie. Le nombre de véhicules sera réduit au strict minimum, les flottes seront administrées par les communes, tandis que les champs redessinés en polyculture pourront être traversés à pied.

Le new deal vert

Jérémy RIFKIN est le célèbre prospectiviste américain, auteur du livre publié aux éditions Les Liens qui Libèrent, « la troisième révolution industrielle ». Celle-ci est la conséquence de l’informatisation de la société. RIFKIN préconise un New Deal Vert destiné à métamorphoser les fondements de l’économie et de la société du XXIème siècle et un changement radical du système capitaliste. Dans ce nouveau système économique, la propriété cède le pas à l’accès, les marchés sont remplacés par les réseaux, ce qui donne lieu à un nouveau phénomène l’économie collaborative. Les énergies fossiles sont remplacées par les énergies renouvelables. Le basculement vers l’internet des objets et la troisième révolution industrielle augmenteront l’efficacité énergétique cumulée à 60% ou plus dans les vingt années qui viennent. A terme l’on passera vers une société d’énergie renouvelable et sans carbone à près de 100%.
On imagine sans peine l’énorme bouleversement économique social et politique auquel il faudra faire face.

Peut-on échapper à la décroissance ?

Jean-Marc JANCOVICI, ingénieur français, polytechnicien, enseignant, conférencier et chroniqueur est un spécialiste de l’énergie et du climat. L’énergie c’est ce qui permet au monde moderne d’exister. Il faut se libérer des énergies fossiles qui sont à l’origine du changement climatique. 75% de l’approvisionnement en énergie est fossile. Les énergies renouvelables ne suffiront pas à remplacer les énergies fossiles. Pour lui vouloir réduire le nucléaire est une erreur. Si l’on veut réduire le réchauffement sous les 2°C il faut que les émissions de CO2 baissent de 4% donc réduire l’utilisation du pétrole, du gaz et du charbon. Le pilier de la transition énergétique c’est faire des économies d’énergie donc se mettre au régime, un gros régime pour tout le monde les pauvres comme les riches.

Une critique des collapsologues                                 

Avec leurs prévisions apocalyptiques, les collapsologues ravalent le politique à un mode religieux estime Christophe RAMAUX, membre des économistes atterrés. Pour lui l’écologie mérite mieux que la régression des nouveaux prophètes de l’apocalypse. Elle invite à changer de monde. Mais la prendre au sérieux suppose d’affronter certaines questions. Le capitalisme est par construction productiviste. L’écologie suppose de faire décroître les activités polluantes. Faut-il aller au-delà et prôner une décroissance globale ?

Le réchauffement climatique dépend de quatre variables :

  • la population ;
  • la croissance du produit intérieur brut (PIB) ;
  • l’intensité énergétique du PIB (le ratio énergie/PIB) ;
  • l’intensité carbone de l’énergie (le ratio gaz à effet de serre/énergie).

Le GIEC table surtout sur les deux dernières variables. Car miser sur la réduction de la croissance annihilerait le développement des pays les moins avancés. Ici même, le soulèvement des « gilets jaunes » atteste l’étendue des besoins insatisfaits : fins de mois difficiles, mal-logement, santé, éducation, etc. L’écologie elle-même exige un surcroît de croissance : rénovation du bâti ; transports collectifs, passage à une agriculture (vraiment) raisonnée ou bio (car un kilo de carottes bio plutôt qu’industrielles accroît le PIB en volume, puisque celui-ci intègre le surcroît de qualité), etc.

Le découplage relatif – augmentation des gaz à effet de serre (GES) inférieure à celle du PIB – a déjà commencé à l’échelle mondiale. Le nécessaire découplage absolu – baisse des émissions de GES en dépit de la hausse du PIB – n’est pas hors d’atteinte.

La réduction de la consommation d’énergie suppose de rompre avec l’austérité budgétaire pour réaliser les investissements nécessaires, mais également avec le libre-échange, son transport échevelé de marchandises et son dumping environnemental.

La réduction de l’intensité carbone de l’énergie implique, de son côté, d’abandonner les énergies fossiles au profit d’une énergie électrique décarbonée. La France est bien située sur ce plan, grâce au nucléaire. Les énergies renouvelables sont à encourager. Mais gare aux leurres. Tant que le stockage de l’électricité n’est pas résolu (il ne l’est pas pour l’heure), l’éolien et le photovoltaïque supposent des compléments, ce qui les rend d’ailleurs coûteux. Il serait évidemment préférable de se passer du nucléaire à long terme. Mais pour limiter le réchauffement, pour le portefeuille de l’usager ainsi que pour sa politique industrielle, la France ne doit pas en sortir précipitamment.

Et pour conclure Christophe RAMAUX rappelle que l’histoire fourmille de promesses d’émancipation abîmées par le dogmatisme. Puisse l’écologie y échapper.

La situation est sérieuse mais pas désespérée

C’est ainsi que l’on pourrait résumer la position de Sylvie BRUNEL. Elle est géographe, écrivaine et professeure à l’université Paris- Sorbonne, spécialiste des questions de développement. Elle estime que Non, nous ne courons pas à la catastrophe : certes, les atteintes à la planète sont importantes, mais nous avons désormais les moyens de la réparer. Il n’est aucune irréversibilité. C’est l’innovation et la coopération qui permettent d’inventer les techniques d’atténuation visant à découpler la relation entre consommation de ressources, émission de gaz à effet de serre et production de bien-être.

La ressource est inépuisable car elle dépend de l’ingéniosité humaine et de sa capacité à capitaliser les connaissances, ce qui différencie fondamentalement l’homme de l’animal. Améliorer le bien-être de l’humanité en utilisant mieux les ressources, quel formidable défi ! Mais il suppose la sérénité et la coopération. Pas les anathèmes contre de prétendus surnuméraires ou contre ceux qui travaillent dans le secteur productif. Pas une idéalisation trompeuse du passé, qui a d’ailleurs existé à toutes les époques. Pas les menaces démobilisatrices d’une fin du monde annoncée, qui n’incitent qu’à l’aquoibonisme.

L’écomodernisme                                                             

Steven SPINKER, professeur à l’université Harvard, dans son ouvrage intitulé « Le triomphe des Lumières – pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme », consacre un chapitre à l’environnement. Pour lui l’écomodernisme commence avec la prise de conscience 

  • qu’un certain degré de pollution est une conséquence inéluctable de l’accroissement des activités humaines.
  • que l’industrialisation a été bonne pour l’humanité. Elle a nourri des milliards de personnes, doublé la durée de vie, considérablement réduit l’extrême pauvreté et, en remplaçant les muscles par des machines, facilité l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des femmes et l’éducation des enfants. Tous les inconvénients en termes de pollution et de destruction d’habitats doivent être mis en balance avec ces bienfaits.
  • que le compromis difficile à trouver entre bien-être humain et dégradation de l’environnement peut être négocié par la technologie.

Les écopessimistes ont pour coutume de rejeter en bloc cette approche, la qualifiant de foi aveugle dans le fait que la technologie nous sauvera. SPINKER répond à cela que les catastrophes annoncées par les militants écologistes des années 1970 n’ont pas eu lieu et que des améliorations qu’ils jugeaient impossibles se sont fait sentir. Et de citer différentes améliorations dans la qualité de l’air, la dépollution des fleuves, l’augmentation des zones protégées tant sur terre que dans l’océan.

Le fait que de nombreux indicateurs de la qualité de l’environnement s’améliorent ne signifie pas que tout va bien. Si nous jouissons d’un environnement plus sain c’est grâce à l’activisme, aux lois, aux règlements, aux traités et à l’ingéniosité technique de tous ceux qui ont œuvré à sa protection dans le passé. De nombreux efforts sont encore nécessaires pour empêcher toute régression et surtout les étendre aux problèmes qui perdurent comme la santé des océans et l’émission de gaz à effets de serre dans l’atmosphère.

Pour Steven SPINKER il faut considérer la protection de l’environnement comme un problème à résoudre et remiser les discours moralisateurs et culpabilisants. Les progrès technologiques nous permettent de faire plus avec moins mais les conséquences des gaz à effet de serre sur le climat doivent incontestablement nous alarmer. La réponse éclairée au changement climatique est de découvrir des moyens d’obtenir un maximum d’énergie tout en émettant un minimum de gaz à effet de serre. Les émissions de carbone sont encore trop importantes. La décarbonation a besoin d’un soutien politique et technologique. La mise en place d’une taxe carbone forcerait les gens à prendre en compte les dommages qu’implique chacune de leurs décisions émettrices de carbone. Le défi est de proposer des modifications profondes du dispositif pour le rendre socialement juste. La justice requiert que le partage des coûts de la politique climatique soit équitable.

Par ailleurs un nombre croissant de climatologues estiment qu’il n’existe pas de trajectoire crédible vers une réduction des émissions mondiales de carbone sans expansion considérable de l’énergie nucléaire. La décarbonation aura besoin de percées non seulement dans le domaine nucléaire, mais aussi sur d’autres fronts technologiques : batteries permettant de stocker l’énergie intermittente issue des sources renouvelables ; réseaux intelligents de type internet, capables de distribuer à des utilisateurs de l’électricité produite par des sources dispersées dans l’espace ; technologies électrifiant et décarbonant des processus industriels ; méthodes de capture et de stockage de CO2.  Ce dernier défi est d’une importance critique car même si les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de moitié d’ici à 2050 et ramenées à zéro d’ici 2075, le monde sera toujours lancé sur la trajectoire d’un réchauffement risqué, car le CO2 déjà émis restera très longtemps dans l’atmosphère.

En conséquence il ne suffit pas de cesser d’agrandir la serre il faut la démanteler. Pour ce faire la solution la plus évidente est d’appeler à la rescousse autant de plantes avides de carbone que possible. Il faut passer de la déforestation à la reforestation et à l’afforestation c’est-à-dire à la plantation de nouvelles forêts. Il faut reconstituer des zones humides. Beaucoup d’autres idées sont émises pour capter le carbone, des plus sérieuses aux plus farfelues. Les plus spéculatives relèvent de la géo-ingénierie qui ressemblent aux élucubrations d’un savant fou : disperser dans l’atmosphère de la roche pulvérisée capable d’absorber le CO2, ajouter des substances alcalines aux nuages ou aux océans afin de dissoudre le CO2, et bien d’autres…

Parmi les pistes les plus sérieuses, la technique consistant à récupérer le CO2 émis par les cheminées des usines utilisant des combustibles fossiles et à l’injecter sous la croute terrestre. L’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie avec captage et stockage du carbone.

Il faut intensifier la recherche de méthodes pour minimiser les dommages causés en attendant la mise au point de solutions efficaces au problème du changement climatique. Steven SPINKER conclut que l’histoire nous donne à penser que l’environnementalisme moderne, pragmatique et humaniste peut fonctionner. Il estime qu’il faut être modérément optimiste si l’on investit suffisamment dans la science et les technologies.

Les enjeux de la crise climatique

Christian de Perthuis, professeur à l’Université Dauphine, fondateur de la Chaire Économie du Climat, est l’auteur d’un livre intitulé « Le tic-tac de l’horloge climatique » dans lequel il présente les trois enjeux majeurs de la crise climatique :

  • La transition énergétique doit être fortement accélérée. La transition nécessite une mobilisation à tous niveaux : international, européen, national, local et bien sûr, individuel. Il faut sortir de la dépendance à l’énergie fossile. C’est possible en tarifiant mieux le carbone, en profitant de la baisse du coût des énergies renouvelables, et de la baisse du coût du stockage du carbone.
  • Il faut préserver la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone en accroissant la capacité d’absorption du carbone grâce à la protection des océans, au développement des forêts et à la préservation des terres agricoles.
  • Même si l’on atteint la neutralité carbone le monde restera, pendant deux ou trois décennies, lancé sur la trajectoire d’un réchauffement climatique. Il faudra s’adapter à ce réchauffement et ses conséquences. Comme les pays les plus pauvres sont les plus exposés il faut anticiper et les aider à mieux s’y préparer.

Cette exploration, sans avoir la prétention d’être exhaustive, a satisfait mon envie d’y voir un peu plus clair et de me faire une opinion plus circonstanciée et argumentée. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

Références

  • Articles du Journal Le Monde, série « Vivre avec la fin du monde » publiés en juillet 2019.
  • Rapports du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)
  • Rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC)
  • Les grandes représentations du monde et de l’économie – René PASSET – LLL
  • Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies – Monique ATLAN et Roger-Pol DROIT – Flammarion
  • L’humanité en péril, Virons de bord toute ! – Fred VARGAS – Flammarion
  • Le triomphe des lumières, Pourquoi il faut défendre la raison la science et l’humanisme – Steven PINKER – Les arènes
  • Atlas de l’Anthropocène – François GEMENNE et Aleksandar RANKOVIC – SciencesPo les presses
  • Le new deal vert mondial – Jérémy RIFKIN – LLL
  • Le tic-tac de l’horloge climatique de Christian De PERTHUIS – De Boeck supérieur

L’avenir de la planète, le diagnostic ?

Étymologiquement écologie vient de « oïkos » qui, en grec ancien, signifie l’espace familier où l’on habite, où l’on entretient avec les autres des relations de coexistence. Ce terme a été forgé en 1866 par le biologiste et philosophe allemand Ernst HAEKEL. Il la définit comme « la totalité de la science des relations de l’organisme avec son environnement, comprenant au sens large toutes les conditions de l’existence ». Dans la seconde moitié du XXème siècle s’est imposé le sens courant du terme « écologie ». Au-delà de l’étude scientifique des systèmes c’est aussi le respect de l’environnement, le souci de combattre la pollution, de préserver les ressources énergétiques et la biodiversité, d’éviter la dégradation du climat et les catastrophes qui risquent de s’en suivre, en un mot la volonté de protéger la planète.

C’est une préoccupation déjà ancienne !

Dès 1957, Bertrand DE JOUVENEL, juriste, politologue et économiste, fondateur de la revue « futuribles » consacrée à la réflexion sur les futurs possibles, avait mis en cause l’impact de la croissance économique sur les régulations de la nature.

En 1972 le Club de Rome publiait le rapport Meadows intitulé « halte à la croissance » soulignant le caractère redoutable des croissances exponentielles et l’urgence des problèmes qu’elles soulevaient. Le monde prenait conscience des atteintes infligées à la nature : surexploitation de certaines ressources, dégradation de l’atmosphère des villes, de fleuves, de côtes suite aux naufrages répétés de plusieurs pétroliers géants. A chaque fois étaient prises des mesures spécifiques et on ne s’en tirait pas trop mal. La politique de l’environnement était réduite à une succession de mesures ponctuelles extensibles selon les urgences et les besoins.

Dans les années 1980 apparaissent les atteintes dites « globales » à la nature. Les accidents affectant deux centrales nucléaires, Three Mile Island en 1979 et Tchernobyl en 1986, déclenchent des conséquences susceptibles de s’étendre sur l’ensemble de la planète.

Plus tard les faits se précisent

En 1985 il se vérifie que les chlorofluorocarbones attaquent l’ozone stratosphérique. La question des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et de leur impact sur la température de la planète se trouve confirmée en 1989 par les études de la NASA. On commence à se préoccuper de la réduction de la biodiversité. Ce sont les grandes fonctions régulatrices du milieu naturel qui se trouvent menacées : filtration du rayonnement ultraviolet d’origine solaire sans laquelle la vie n’aurait pu se diversifier et s’étendre ; régulation thermique maintenant la planète dans des limites de températures compatibles avec la pérennité de la vie ; diversité des formes indispensables à la stabilité du vivant.

La biosphère est un vaste système complexe autorégulé et autoreproducteur de régulations interdépendantes, dans la reproduction duquel la vie, et par conséquent l’espèce humaine, joue un rôle primordial. Le développement de la vie contribue à modifier ce système. L’existence de limites, en-deçà et au-delà desquelles la vie ne peut pas se développer, joue un rôle fondamental dans sa pérennité. La diversité des espèces est un facteur essentiel de sa pérennité.

La logique du développement économique, pensé en lui-même et pour lui-même, s’oppose en tout point à ce mode de régulation. La nature tend à tirer de l’énergie solaire le maximum de biomasse. La biomasse est la matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme une source d’énergie. Elle peut être valorisée de manière thermique, chimique ou biochimique. L’écosystème tend naturellement à optimiser ses stocks, niveau qui correspond à la quantité la plus importante de biomasse qu’il peut porter compte tenu de la quantité d’énergie solaire qu’il reçoit.

A l’opposé, l’économie s’attache à maximiser le flux des produits qu’elle tire d’un stock limité de moyens de production en n’hésitant pas à surexploiter les réserves naturelles jusqu’à l’épuisement. Les rythmes d’exploitation de l’économie, axés sur les rendements immédiats, ne respectent pas les temps de cycles naturels, ils franchissent les limites des possibilités de reproduction des ressources renouvelables et des rythmes d’autorégulation des écosystèmes.

Nous avons donc une espèce dominante qui compromet la reproduction du milieu qui la porte et dont la plasticité n’est pas infinie. Or l’homme est une espèce consciente, qui possède la faculté de penser sa position et de prévoir les conséquences de ses actes au sein de ce milieu.

Le rapport Brundtland, en 1987, définit le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. »

 Le rapport GEO-4, publié en fin 2007 par le programme des Nations Unies pour l’environnement, précise la nature des problèmes et les perspectives qui en découlent pour l’humanité.

La communauté internationale a réduit de 95% la production de produits chimiques qui abiment la couche d’ozone. Elle a créé un traité de réduction des gaz à effets de serre qui régit le commerce du carbone par des marchés de compensation. Elle a favorisé une hausse des zones terrestres protégées qui couvrent environ 12% de la terre et créé de nombreux instruments concernant la biodiversité, les déchets dangereux et la modification des organismes vivants. Mais cela n’est pas suffisant disent les auteurs.

Des difficultés nouvelles se révèlent allant de la vie des océans à l’apparition de pathologie liées à l’environnement. Aucun des problèmes soulevés ne connait de prévisions d’évolution favorables.

Le monde vit au-dessus de ses moyens et épuise son patrimoine au détriment des générations futures. L’eau est menacée quantitativement et qualitativement. La biodiversité est compromise. Les effets du changement climatique sont incontestables. La hausse moyenne des températures mondiales est estimée à 0,7°C pour le siècle passé et 1,8°C pour le siècle en cours alors que certains scientifiques pensent qu’une hausse de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels est un seuil au-delà duquel la menace des dégâts majeurs et irréversibles devient plus plausible. Et les inégalités ne cessent de s’accroitre entre les pays riches et les pays pauvres et à l’intérieur de chaque pays entre les plus riches et les plus pauvres.

Le rapport souligne l’interdépendance de ces problèmes : la crise environnementale, la crise du développement, et la crise de l’énergie ne font qu’un. Cette crise n’inclut pas seulement le changement climatique, le recul de la biodiversité et la faim mais aussi d’autres problèmes liés à la croissance de la population mondiale, à la hausse de la consommation des riches et au désespoir des pauvres.

Si les tendances actuelles se prolongent, la population atteindra les 9 milliards d’individus en 2050, (hypothèse moyenne de la prévision de l’ONU), le produit intérieur brut sera multiplié par cinq, l’environnement et la société évolueront vers des points de basculement où des changements soudains et irréversibles pourraient survenir.

 Si la population atteint 8 milliards d’habitants en 2050, (hypothèse basse de la prévision de l’ONU), et que le taux de croissance du PIB mondial reste modéré soit un triplement, cela concilierait la sauvegarde de la nature avec l’amélioration de la condition des habitants de la planète.

Le directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement conclut que la destruction systématique des ressources naturelles a atteint un niveau auquel la viabilité des économies est en danger, et auquel la facture que nous passons à nos enfants peut se révéler impossible à payer.

Depuis le rapport des Nations Unies de 2007 les choses n’ont pas grandement évoluées.

La Cop 21, qui s’est tenue en France en 2015, a pris une portée mondiale : les délégués sont parvenus à un projet d’accord final, adopté à l’unanimité par les 175 pays participants. Le texte, non contraignant, a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, en visant la barre des 1,5°C. Lors de la COP 22, 59% des pays ont ratifié l’accord, permettant sa mise en œuvre à partir de 2020.

Selon un nouveau rapport, publié en novembre 2018 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté en 2017 après avoir été stables pendant les trois précédentes années. Cette augmentation souligne la nécessité impérative pour les pays de respecter l’Accord de Paris sur le climat et de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2°C.

Ce rapport suit de près le rapport du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique, publié en octobre, qui avertissait que les émissions devraient cesser d’augmenter maintenant si l’on voulait respecter l’objectif de maintenir la hausse de température en dessous de 1,5 °C. Les auteurs du rapport notent que les pays devraient multiplier par trois leurs efforts en matière de lutte contre le changement climatique pour pouvoir respecter la limite de hausse de 2 °C d’ici le milieu du siècle. Pour respecter la limite de 1,5 °C, ils devraient quintupler leurs efforts. La poursuite des tendances actuelles entraînera probablement un réchauffement de la planète d’environ 3 °C d’ici la fin du siècle, puis une augmentation continue de la température.

Le rapport propose aux gouvernements des moyens concrets de réduire leurs émissions, notamment par le biais de la politique fiscale, de technologies innovantes, d’actions non étatiques, etc…

A la COP 24 qui s’est déroulée du 3 au 14 décembre 2018 à Katowice en Pologne, les 196 pays sont parvenus à s’entendre sur les règles d’application de l’accord de Paris, conclu en 2015, permettant sa mise en œuvre effective en 2020. La communauté internationale, en revanche, a échoué à s’engager sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, malgré les catastrophes qui se multiplient à travers le monde.

Sommes-nous entrés dans l’anthropocène ?

Comparée à l’Univers et même à la Terre, l’humanité est bien jeune. Les géologues décrivent l’histoire de la Terre en la divisant en périodes. Officiellement la Terre est toujours dans l’époque de l’Holocène, période qui a vu l’accroissement de l’humanité et qui a débuté il y a environ 11700 ans. L’Holocène a bénéficié de conditions particulièrement stables et clémentes durant laquelle Homo sapiens y a connu sa plus grande expansion qui s’est accompagnée des premières modifications écologiques importantes avec notamment l’apparition de l’agriculture à laquelle sont associées les modifications massives de paysages et leurs conséquences climatiques. Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est le nombre, l’étendue et la rapidité de ces changements.

Le changement climatique, la montée du niveau des mers, l’acidification des océans, le changement d’usage des sols, tous ces phénomènes se sont multipliés simultanément.

La Terre a toujours changé depuis des milliards d’années. Mais les transformations imposées par les humains sont saisissantes, tant par leur nombre que par leur rapidité et leur échelle. C’est ce qui amène des scientifiques à émettre l’idée que la Terre est entrée dans une nouvelle période géologique, l’anthropocène, c’est-à-dire « l’Ère de l’homme ».