Pourquoi n’étions-nous pas prêts ?

Nous constatons que la quasi-totalité des pays occidentaux ont été pris de court par la pandémie de coronavirus. Pourtant il ne manquait pas de lanceurs d’alerte nous mettant en garde contre les risques de développement de nouvelles maladies. Mais comme je l’indiquais dans mon article précédent les thèses néolibérales sont devenues le guide plus ou moins avoué des politiques économiques des pays occidentaux et européens en particulier. Il fallait réduire les déficits budgétaires, déréglementer, libéraliser, privatiser au plus vite le maximum de secteurs. La politique sanitaire des États en a fait les frais.

Le cas de la France est particulièrement intéressant. Rappelons-nous de la violente mise en cause de la ministre de la santé en 2009 pour la politique qu’elle avait mis en place pour lutter contre l’épidémie de la grippe provoquée par le H1N1. Elle avait commandé en masse masques et vaccins. A l’automne 2009, la France compte un stock de 1,7 milliards de masques. Que sont-ils devenus ?

C’est Claude LE PEN, spécialiste de l’économie de la santé, professeur à l’Université Paris-Dauphine, qui nous fournit l’explication dans un article publié dans Le Monde daté du 31 mars 2020. A la suite de l’épidémie de grippe aviaire (H5N1) le gouvernement de l’époque a fait adopter en mars 2007 la « Loi relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur ». Cette loi mettait en place la réserve sanitaire et créait « l’Eprus », établissement public de préparation et de réponse aux urgences sanitaires. Sa mission principale était « l’acquisition, la fabrication, le stockage, la distribution et l’exportation des produits nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves. »

La crise H5N1 avait mis en évidence diverses faiblesses dans la réponse logistique de l’État. Cet établissement a eu les moyens d’acheter des millions de vaccins, d’aiguilles d’embouts et pipettes, de traitements antibiotiques, et antiviraux, des masques de filtration et chirurgicaux, des tonnes de substances actives en cas de pandémie grippale, des tenues de protections, des équipements de laboratoires et des extracteurs ADN/ARN.

Lors de la crise du H1N1 de 2008-2009, la haute administration a eu le sentiment d’en avoir trop fait et d’avoir surestimé la crise. La cour des comptes a estimé que des fonds publics ont été gaspillés inutilement. L’État s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire. Le budget de l’Eprus a été réduit et les stocks n’ont pas été renouvelés. En 2011 un changement doctrinal de l’État a conduit à distinguer deux types de stocks pour les produits médicaux, les stocks « stratégiques » à vocation nationale détenus par l’État avec l’Eprus et les stocks « tactiques » confiés aux établissements de santé pour les besoins locaux. Cela a fragmenté le dispositif d’autant que les hôpitaux ont été soumis à une très forte pression budgétaire et ne se sont pas suffisamment dotés..

De plus l’Eprus a disparu et a été noyé en 2016 dans le nouvel institut national de prévention, de veille et d’intervention en santé publique appelé « Santé publique France » . Dans cette intégration se mélangent des questions importantes de santé publique avec la gestion logistique des menaces virales. Cela a conduit à démanteler un remarquable dispositif de préparation à une crise sanitaire majeure estime le professeur Claude LE PEN.

Nous voyons donc qu’en plus de l’obsession de la réduction des déficits budgétaires « quoiqu’il en coûte», la certitude que le monde était à l’abri de tout danger épidémique majeur entrainant un changement doctrinal et institutionnel, explique les cruels manques de produits et de matériel auxquels nous devons faire face.

A l’issue de la crise actuelle, l’État disposera sans doute d’un stock de produits de santé équivalent à celui de 2007. Il lui faudra se préserver de l’immédiateté financière et conserver une vision sur longue période pour protéger la santé publique et  éviter que l’histoire se répète.

31 mars 2020

Auteur/autrice : Maurice

Retraité, diplômé en sciences économiques, j'ai été enseignant, chercheur en sciences sociales, syndicaliste, mutualiste militant, chef d'entreprise d’économie sociale. Depuis mes études je suis intéressé par l'épistémologie en sciences sociales et la pluridisciplinarité. J'ai créé ce blog pour m'exprimer et échanger avec ceux qui le souhaitent.

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